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SJNS Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SPECIAL JOINT COMMITTEE ON THE AMENDMENT TO TERM 17 OF THE TERMS OF UNION OF NEWFOUNDLAND

COMITÉ MIXTE SPÉCIAL CONCERNANT LA MODIFICATION À LA CLAUSE 17 DES CONDITIONS DE L'UNION DE TERRE-NEUVE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 20 novembre 1997

• 0907

[Traduction]

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn (Lethbridge, Lib.)): Bonjour, chers collègues et bienvenue. Nous sommes bien partis hier et, ce matin, nous accueillons deux témoins qui traiteront divers points concernant les droits et libertés constitutionnels.

Je vais commencer tout de suite par vous présenter Anne Bayefsky. Anne est la directrice du Centre for Refugee Studies, le centre des études sur les réfugiés à l'Université York, et elle est rattachée au département de sciences politiques. Avant, elle était professeure de droit à l'Université d'Ottawa. Elle est l'auteure de bon nombre de publications dans les domaines de la protection internationale des droits de l'homme, du droit international, du droit constitutionnel, des droits et libertés, du droit antidiscrimination, des droits de la femme et de la jurisprudence. Elle a fait partie de diverses délégations canadiennes au Comité des droits de l'homme et à l'Assemblée générale des Nations Unies au cours des dix dernières années. Elle continue aussi à exercer le droit.

Mme Bayefsky est accompagnée par David Schneiderman qui vient de l'Alberta, ma province. Il est le directeur exécutif du Centre for Constitutional Studies, le centre des études constitutionnelles de l'Université de l'Alberta. Il occupe ce poste depuis huit ans. Il a donné des cours sur l'histoire et le droit constitutionnel, sur la théorie juridique et sur la Charte à la faculté de droit de l'Université de l'Alberta. La liste de ses publications et des divers ouvrages dont il a assuré la direction sur le droit et des questions constitutionnelles est longue comme ça. Je ne vais donc pas vous la lire. Néanmoins, il a plusieurs ouvrages en cours, y compris un recueil de textes sur la théorie constitutionnelle. Nous accueillons avec plaisir nos deux témoins. Chacun va présenter un exposé et puis, chers collègues, vous pourrez les interroger.

Madame Bayefsky, voulez-vous commencer?

Mme Anne Bayefsky (directrice, Centre for Refugee Studies, Université York): Merci beaucoup. Je vous remercie aussi de m'avoir invitée. Je considère que c'est un privilège d'être invité à venir à ces audiences pour fournir des renseignements au Sénat. Je serai à votre entière disposition pour répondre à vos questions. Par conséquent, mon exposé sera très bref pour que je puisse répondre à vos questions.

• 0910

Tout d'abord, il faut dire que la clause 17 de la Loi constitutionnelle sera modifiée selon la procédure prévue à l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est donc une procédure de modification bilatérale qui exige l'approbation de Terre-Neuve et aussi du Parlement fédéral. La procédure soulève la question de savoir quel rôle le Parlement doit jouer maintenant que le projet de modification a été adopté par la législature de Terre-Neuve.

Tout d'abord, le Parlement se doit de prendre une décision éclairée en évaluant lui-même la légitimité et l'opportunité de la modification. L'approbation ne doit pas être machinale. Le Parlement doit prendre son temps et se demander, en tenant compte de divers facteurs, si le projet de modification mérite son approbation. Quels sont ces facteurs dont le Parlement doit tenir compte dans sa décision?

Le premier, c'est la nécessité d'avoir une constitution souple; il faut considérer la Constitution comme quelque chose de vivant qui a besoin d'évoluer et de s'adapter aux besoins de la société. Le second, c'est l'obligation pour le Parlement, et je trouve le Sénat particulièrement bien placé pour le faire, de songer à la protection et aux droits fondamentaux de ceux qui sont touchés par la modification. Cela comprend les minorités dont on ne s'est peut-être pas préoccupé ou à qui on n'a pas fait toute la place qui leur revenait dans la procédure législative provinciale. À mon avis, cette obligation du fédéral commande qu'on examine les répercussions sur les droits des minorités et qu'on se demande si elles sont compatibles avec les valeurs de la société canadienne, le reste de la Constitution et la Charte canadienne des droits et libertés.

De plus, pour déterminer si les droits des minorités peuvent être touchés et s'ils le seront d'une façon qui est compatible avec le reste de la Constitution, il faut se poser plusieurs questions. Quelle a été la procédure suivie pour faire adopter la modification et est-ce une procédure démocratique? Deuxièmement, quels objectifs la modification vise-t-elle? Sont-ils louables, sont-ils xénophobes? Quelle sera la condition de la minorité, c'est-à-dire quel effet l'adoption de la modification aura-t-elle sur ses droits? La minorité a-t-elle été opprimée ou a-t-elle participé à la procédure? Quel est son point de vue? Quelle est l'étendue du préjudice? Est-il important? Est-ce que la modification des droits de la minorité est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés?

Au bout du compte, il me semble important de reconnaître qu'il faut mettre en équilibre tous les droits en cause dans la procédure et qu'il faut donc tenir compte d'une foule de droits et d'intérêts différents dans la province concernée.

Je vous signale le risque que la modification ne soit pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés—ce n'est pas certain, mais il y a un risque. Au sujet de l'obligation que les observances religieuses soient autorisées dans une école lorsque les parents le demandent, on se pose plusieurs questions. Combien de parents faut-il? Quels types d'observances, sous quelle forme et combien? Il semblerait que toutes les religions sont placées sur le même pied, que la demande peut venir de n'importe quelle confession religieuse, mais l'idée d'avoir à dispenser les enfants dont les parents trouvent que l'observance religieuse acceptée à leur école est incompatible avec leur religion à eux est probablement incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu'une telle exemption, selon la Cour d'appel de l'Ontario, ne place pas les enfants sur le même pied que les autres. L'exemption en soi pourra inciter les parents de certains enfants à ne pas demander une dispense et, dans certaines circonstances, certains enfants pourraient se retrouver à l'écart de leurs pairs.

• 0915

Je soulève deux questions. Il est possible qu'on constate à l'application que la disposition est incompatible avec la Charte. Il se pourrait qu'une incompatibilité entre d'autres dispositions de la Loi constitutionnelle et la Charte soit résolue en faveur du projet de modification, comme dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur la loi 30. Le cas échéant, la Loi constitutionnelle l'emporterait. Je ne suis pas optimiste quant au résultat.

Il me semble que la Cour suprême du Canada, dans cette affaire, a tenu compte du fait que la disposition constitutionnelle datait de 1867. Il y avait donc des précédents bien établis de longue date et une incompatibilité avec la Charte après tant de temps n'aurait aucun effet sur le compromis constitutionnel initial.

Mais le projet de clause 17 ne fait pas partie du compromis constitutionnel initial. Par conséquent, une incompatibilité avec la Charte qui, après tout, lui est antérieure, ne serait probablement pas réglée en faveur de la nouvelle disposition.

Enfin, je vous fais remarquer que toute la question de savoir comment déterminer si une modification projetée de la Constitution du Canada est acceptable est encore bien mal comprise. En réalité, la Constitution est muette sur la façon de procéder. Ça se règle de façon ponctuelle, au cas par cas, à mesure que des modifications sont proposées. Comme on sait que des modifications constitutionnelles sont toujours possibles, il faudrait trouver une solution à long terme en établissant une procédure de modification constitutionnelle qui soit facile à comprendre et à la portée de tous les Canadiens.

Je vous remercie. Je répondrai avec plaisir à vos questions au moment opportun.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci, madame Bayefsky.

Si le comité est d'accord, nous allons maintenant écouter le point de vue de M. Schneiderman, puis nous interrogerons les deux témoins à la fois. Merci.

Monsieur Schneiderman.

M. David Schneiderman (directeur exécutif, Centre for Constitutional Studies, Université de l'Alberta): Merci beaucoup. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui et j'espère que je serai d'une certaine utilité au comité.

Je vais vous exposer brièvement mon point de vue sur la procédure de modification prévue à l'article 43, celle qui s'applique en l'occurrence. Je vais commencer par en parler dans l'absolu pour arriver à la proposition dont le comité est saisi.

Je dois dire que quand j'ai commencé à réfléchir à la procédure et aux types de considérations dont le comité devait tenir compte dans ses délibérations, j'ai trouvé d'une grande utilité le témoignage qu'avait fait la professeure Bayefsky devant le comité sénatorial permanent, la dernière fois que le Parlement a été saisi d'une proposition qui ne ressemblait pas tout à fait à celle-ci. J'ai constaté que mes propres opinions, que je me suis faites pendant la fin de semaine, correspondaient énormément à celles qu'elle avait exposées devant le comité. Je m'en suis rendu compte en lisant son témoignage après coup.

De toute façon, il est relativement évident que la procédure de modification prévue à l'article 43 s'applique en l'espèce. La modification porte sur une disposition qui s'applique à une seule province et qui exige donc le consentement de la province concernée et des résolutions du Parlement.

• 0920

D'après les très rares articles connus sur la procédure de modification de l'article 43, le législateur semble avoir voulu établir une condition relativement moins difficile à remplir pour apporter les modifications qui ne s'appliquent pas à l'ensemble des provinces. Néanmoins, c'est une procédure un peu plus compliquée que celle prévue, par exemple, pour une modification à une constitution provinciale, puisqu'il s'agit là d'une action unilatérale de la part d'une province.

Donc, les affaires visées à l'article 43 sont celles ayant un intérêt national suffisant pour justifier l'intervention du Parlement. C'est d'ailleurs souligné par les exemples fournis dans l'article 43 même: l'usage du français et de l'anglais et les frontières interprovinciales. Bien entendu, cette énumération indique assez clairement que les droits des minorités peuvent être touchés par une modification apportée conformément à l'article 43.

Tout ceci donne à penser, comme vient de le déclarer la professeure Bayefsky, que pour les modifications visées à l'article 43, le Sénat et la Chambre des communes sont tenus de délibérer et de porter leur propre jugement sur les projets de modification. Les modifications visées à l'article 43 commandent au Parlement de participer à l'art de gouverner, une obligation qui lui impose d'agir indépendamment des provinces. Il ne peut pas non plus être lié par des demandes des provinces.

Pourtant, l'article 43 donne à la Constitution une grande souplesse et une bonne possibilité d'évoluer. Les modifications apportées en vertu de cette procédure encouragent et même imposent la coopération fédérale-provinciale.

Après avoir établi que les modifications sont dans le champ d'application de l'article 43, je me tourne vers les considérations dont le comité voudra tenir compte dans ses délibérations.

En bref, il y a premièrement le sujet de la modification, deuxièmement son objet, troisièmement la procédure suivie pour déposer la modification devant le Parlement, et quatrièmement, l'intérêt national en jeu.

Premièrement, quel est le sujet de la modification? Dans de tels cas, le comité voudra peut-être se demander si le sujet est habituellement de compétence provinciale ou fédérale. Si c'est un sujet habituellement de compétence provinciale exclusive—comme l'éducation en règle générale—s'il n'y a aucune autre préoccupation, il conviendrait d'en déférer à la volonté de la province.

Deuxièmement, pour passer à l'objet du projet de modification, le comité voudra se demander s'il s'agit uniquement d'une modification d'ordre administratif ou de régie interne ou si c'est une modification très politiquement controversée. A-t-elle un objectif compatible avec les principes d'une société démocratique, les valeurs énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés ou ailleurs dans la Constitution, ou a-t-elle un objectif suspect ou déguisé?

Troisièmement, suivant quelle procédure la résolution est-elle arrivée jusqu'au Parlement? Étant donné que nous vivons dans un régime parlementaire, les Canadiens sont de plus en plus à l'aise avec l'idée de la souveraineté populaire, à mon avis. En conséquence, il faudrait normalement tenir des consultations sérieuses. Le peuple a-t-il eu l'occasion d'être consulté et de participer? Y a-t-il eu possibilité de débats et de délibérations non seulement à l'assemblée législative mais dans le grand public?

Pourrait-on obtenir le même résultat sans modifier la Constitution? Est-ce que le sujet de la modification a fait l'objet d'une élection ou d'un référendum?

En particulier, est-ce que les groupes intéressés les plus directement touchés par la modification ont été consultés et ont eu l'occasion de participer vraiment aux délibérations? Donc, si le projet de modification touche les droits des minorités ou d'autres groupes vulnérables, même si ce n'est pas préjudiciable, est-ce que ces groupes ont été consultés?

Autrement dit, est-ce que la procédure a été équitable compte tenu de tous les faits?

Dans les cas où le projet de modification est préjudiciable aux droits des minorités, le Parlement a d'autant plus l'obligation de l'examiner soigneusement. On pourrait dire que c'est une composante importante de l'intérêt national que le Parlement est tenu de prendre en considération. Évidemment, l'intérêt national a d'autres facettes: la valeur de la modification comme précédent et l'effet de la modification sur les relations fédérales-provinciales.

L'histoire nous apprend que la protection des droits des minorités est souvent mieux assurée quand on les met à l'abri des vicissitudes de la politique quotidienne, d'où le rôle du Parlement. Pour ce faire, on impose généralement l'utilisation d'une procédure extraordinaire comme la procédure de modification énoncée à l'article 43, afin que les intérêts des groupes vulnérables auxquels la modification portera préjudice soient pris en considération.

• 0925

Je ne veux pas dire qu'il faut obtenir le consentement de la minorité à laquelle une modification porte préjudice chaque fois qu'un intérêt d'une minorité est en jeu. Il y a un éventail de considérations pertinentes dont le Parlement pourrait tenir compte dans les circonstances. Comment ces groupes minoritaires ou vulnérables ont-ils été consultés? Leur a-t-on fourni les ressources nécessaires pour participer au débat public? Ont-ils consenti à la modification proposée et, dans la négative, ont-ils refusé sans raison leur consentement? Dans quelles circonstances la protection constitutionnelle touchée par la résolution a-t-elle été obtenue par la minorité? Existe-t-il d'autres garanties législatives ou constitutionnelles, par exemple dans les instruments juridiques concernant les droits de la personne et dans la Charte des droits et libertés? Comme l'a dit la professeure Bayefsky, les minorités sont-elles opprimées par la modification proposée ou ne sont-elles que touchées?

Passons maintenant à la façon dont on pourrait appliquer certaines de ces considérations à la modification qui vous occupe. J'ai uniquement l'intention de suggérer des pistes de réflexion, non pas de vous donner une opinion ferme.

Premièrement, le sujet de la modification concerne l'éducation, une matière qui est par ailleurs une compétence exclusive des provinces en vertu de la clause 17 et de l'article 93. En outre, le Parlement n'a aucun rôle précis à jouer, comparable à celui prévu à l'article 93, pour protéger l'éducation confessionnelle à Terre-Neuve.

Deuxièmement, la modification a pour objet de confier au gouvernement de Terre-Neuve la responsabilité de l'administration des écoles de la province. La nouvelle clause vise à rationaliser le système scolaire et à le rendre plus efficace. Elle a aussi pour effet d'abolir des privilèges constitutionnels qui ont été accordés à certaines confessions religieuses mais pas à toutes. Ainsi, l'État n'aura plus l'air d'appuyer une religion en particulier. C'est un objectif compatible avec l'interprétation qu'a faite la Cour suprême de la liberté de religion garantie, mais c'est faire abstraction de la question de l'enseignement religieux et de l'observance religieuse.

Troisièmement, la procédure d'adoption de la résolution semble avoir été étayée par des consultations libres et sérieuses. Comme l'a fait observer le comité sénatorial permanent, c'est une idée qui ne date pas d'hier. Dernièrement, il y a même eu un référendum. À Terre-Neuve, c'est la seconde tentative de réforme. Une série de réformes plus modérées avait été approuvée par référendum l'année précédente. La question posée à la population terre-neuvienne lors du second référendum était différente de la première, évidemment, et je crois que le comité se doit de déterminer lui-même si la population n'a pas voté oui au second référendum en répondant à la question posée la première fois.

Et les droits des minorités ou les intérêts des groupes vulnérables auxquels la modification pourrait porter préjudice? Comme certains des groupes représentatifs de ceux qui ont bénéficié de la clause 17 se sont opposés à la résolution, le comité doit vérifier par lui-même si tant la forme que le fond de la résolution tiennent compte de leurs préoccupations. En revanche, d'autres groupes concernés ont manifesté leur appui à la résolution et le comité devrait donc examiner les motifs de ces positions divergentes.

Le comité devrait aussi noter que ces groupes qui se différencient par leur religion ou par leurs croyances religieuses sont protégés à la fois par la Charte qui garantit la liberté de religion et les droits à l'égalité, et par le code des droits de la personne de Terre-Neuve.

Ces réformes pourraient porter préjudice à d'autres minorités délibérément ou non. Le projet de modification de la clause 17, par exemple, prévoit un enseignement religieux non sectaire et l'observance religieuse si les parents le demandent.

La disposition concernant l'instruction religieuse est moins susceptible de porter atteinte à la liberté de religion si l'enseignement est donné de façon non sectaire par des enseignants qualifiés du système public. Il me semble que c'est vraisemblablement l'intention du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Cependant, dans son mémoire que j'ai eu l'occasion d'examiner, le ministre fait allusion à l'Apocalypse et à Dieu et son langage donne l'impression que l'enseignement religieux servira à mettre en avant l'opinion de certaines confessions. Ce faisant, il y aurait dérapage vers ce que les tribunaux ont appelé de l'endoctrinement religieux. À mon avis, le fait que le gouvernement envisage de dispenser les élèves de l'enseignement religieux indique d'autant plus le potentiel d'endoctrinement de l'enseignement religieux.

• 0930

Bien entendu, la clause en soi est muette sur les exemptions et, à première vue, elle semble neutre en ce qui concerne l'instruction religieuse par opposition à l'endoctrinement. De même, la disposition concernant l'observance religieuse indique un risque sérieux d'incompatibilité avec la Charte des droits et libertés.

Dans la clause elle-même, aucune exemption n'est prévue. La disposition concernant l'observance religieuse plutôt que celle concernant l'instruction religieuse donne à penser que l'État appuie une certaine confession. L'observance religieuse peut comprendre des choses comme des crèches, mais aussi le rituel du matin qui a certainement préoccupé les tribunaux devant appliquer la Charte canadienne des droits et libertés.

À cause de ces interrogations, je crois que le comité devrait vérifier par lui-même si les dispositions sont compatibles avec la loi suprême du pays, les droits et libertés garantis par la Charte, surtout que Terre-Neuve se dirige vers un système scolaire laïc.

Avant, l'article 29 de la Charte protégeait le système scolaire de Terre-Neuve contre l'application de la Charte. À mon avis, l'article 29 ne s'appliquera plus si la province adopte un système non confessionnel. La Charte pourra alors servir de fondement pour contester à la fois le libellé de la clause 17 et les pratiques dans la province de Terre-Neuve.

Le comité doit donc déterminer dans quelle mesure il souhaite perpétuer les distinctions et différences fondées sur la religion. Assurément, la proposition est bien particulière et le système scolaire de Terre-Neuve est tout à fait unique au pays. Donc, le comité pourrait légitimement conclure que cette proposition ne créera pas un précédent et que l'approuver va favoriser les relations fédérales-provinciales et l'évolution de notre cadre constitutionnel.

Par ailleurs, je tiens à souligner encore une fois l'importance de tenir compte des inquiétudes concernant la Charte. L'important est de savoir non pas si la Charte s'applique, mais si les dispositions sont compatibles avec les valeurs, l'esprit et le texte de la Constitution du Canada.

Je vous remercie beaucoup.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci beaucoup, monsieur Schneiderman et madame Bayefsky.

Nous passons maintenant aux questions, en commençant par Mme Folco.

[Français]

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins.

Lorsque nous avons entendu la présentation du ministre Grimes il y a deux jours, je lui ai posé une question quant à l'assurance que les trois sortes de cours possibles, associés ou non aux religions, dans une commission scolaire ou dans une école allaient demeurer. La première possibilité était celle de cours d'éducation religieuse très généraux—ce qu'on appelle «moral and religious education»—qui seraient peut-être offerts à l'ensemble des étudiants. La deuxième était celle de cours de religion spécifiques à une religion à la demande des parents; vous y faisiez allusion tout à l'heure. La troisième était qu'à la demande des parents, les enfants pourraient être retirés de ce dernier type de cours d'éducation religieuse. Il y a donc à l'intérieur d'une école trois possibilités en ce qui concerne l'éducation religieuse des enfants.

Ma première question porte sur la possibilité de recréer à l'intérieur d'une école théorique une micro-situation de la situation qui a prévalu jusqu'ici dans l'ensemble de la province de Terre-Neuve et au Labrador. J'aimerais entendre vos commentaires quant à cette possibilité.

Ma deuxième question en est une que j'ai posée au ministre. Je lui demandais si son ministère ou son gouvernement pouvait donner aux parents et à la population de Terre-Neuve et du Labrador l'assurance que ces trois possibilités allaient demeurer. Le ministre m'a répondu qu'il ne pouvait nous donner quelque assurance que ce soit.

• 0935

Selon lui, on pourrait prendre l'exemple d'une commission scolaire qui, sur réception de la demande de parents qui souhaitent qu'un cours de religion catholique romaine soit donné dans une école particulière, pourrait répondre de façon positive dans la mesure où cette demande est faisable au point de vue administratif. Les mots qu'il a utilisés en anglais sont peut-être plus courts; il disait «administratively feasible».

Je me pose une question sérieuse. J'entrevois la possibilité qu'une commission scolaire décide que la demande n'est pas recevable pour d'autres raisons, peut-être plus personnelles, et invoque ce motif pour justifier son refus en l'absence d'une explication valable. J'aimerais entendre vos commentaires sur ces deux points. Merci.

[Traduction]

M. David Schneiderman: Il est évident que les trois possibilités que vous décrivez seront à la portée du gouvernement. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris les deux questions, mais il me semble que le gouvernement pourra réaliser les trois possibilités d'après le libellé du projet de clause. Mais il n'y a rien, a priori, qui suggère l'obligation de retenir une option en particulier.

Je pense avoir répondu à votre première question.

Mme Raymonde Folco: En fait, je voulais entendre votre opinion et celle de Mme Bayefsky sur les autres possibilités ou solutions constitutionnelles qui éviteraient de placer la population de Terre-Neuve et du Labrador dans une microsituation recréant, me semble-t-il, la situation actuelle dans toutes les commissions scolaires de la province. Je me demande s'il n'y a pas d'autres solutions possibles.

M. David Schneiderman: Des solutions qui n'obligeraient pas à modifier la Constitution?

Mme Raymonde Folco: Qui obligeraient à modifier la Constitution ou non mais qui ne reproduiraient pas ce modèle, le modèle complexe de plusieurs options religieuses et non religieuses offertes aux élèves dans une même école. J'imagine d'ici les jeunes qui vont au cours de religion catholique, d'autres au cours de religion protestante, et d'autres encore qui ne vont à aucun cours de religion.

Est-ce que c'est réalisable d'un point de vue administratif? Voilà ma deuxième question. J'imagine quel casse-tête administratif ça pourrait être et alors, les minorités se feraient répondre: «On n'a pas vraiment les moyens de faire ça, alors on va laisser tomber. On ne va plus vous donner l'avantage d'obtenir une instruction religieuse particulière pour vos enfants.»

M. Davis Schneiderman: Le libellé même de la clause n'empêcherait pas que survienne un tel différend même dans une seule école. Il me semble que le gouvernement de Terre-Neuve a comme objectif de prendre en main le programme d'études complet, y compris l'enseignement religieux et même, dans une certaine mesure, l'observance religieuse. En laissant aux parents la possibilité de décider, on pourrait être confronté aux problèmes que vous soulevez dans votre question.

Le gouvernement semble avoir l'intention de prendre en main le programme d'études. Si les parents sont incapables de bénéficier de la clause pour exercer leurs droits... La clause 17 donne à penser que les parents auront certains droits qu'ils pourront exercer. Ça pourrait provoquer un conflit entre confessions, même à l'intérieur d'un système scolaire singulier, du moins en ce qui concerne l'observance religieuse, puisqu'il est précisé qu'il faut respecter le désir des parents.

Il faut attirer l'attention sur ce problème ou ce risque de conflit.

Mme Anne Bayefsky: J'ajouterais simplement qu'effectivement, comme j'essayais de le signaler dans mes remarques préliminaires, le paragraphe 17(3) soulève la possibilité de complications et la possibilité d'une mise en oeuvre incompatible avec l'esprit de la Charte des droits et libertés. Ce n'est pas nécessaire, ce n'est pas obligatoire, ce n'est pas inévitable. Mais ça ouvre la porte, ça donne la possibilité d'une incompatibilité avec la Charte de sorte que les minorités ne seront pas vraiment traitées équitablement et également quand elles demanderont l'observance religieuse dans le système scolaire.

• 0940

On présume qu'un tel énoncé aussi général dans la Constitution devra inévitablement être suivi d'une sorte de ligne directrice administrative pour établir le mode de fonctionnement. Faute de lignes directrices détaillées indiquant aux conseils scolaires comment appliquer la disposition constitutionnelle, on serait fondé de penser qu'il y aurait un manque d'uniformité inacceptable pour une application sensée et convenable de la Constitution au système scolaire.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Ma liste s'allonge rapidement. Je vous demanderais donc de poser des questions les plus brèves possible. Le suivant sur la liste est le sénateur Doody suivi de M. Brien.

Le sénateur William C. Doody (Harbour Main—Bell Island, PC): En fait, j'ai besoin d'une précision. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce que Mme Bayefsky veut dire quand elle raconte—et je n'ai pas une copie du texte sous les yeux, malheureusement—que la clause 17 ne faisait pas partie du compromis constitutionnel initial. Vous ai-je bien entendue?

Mme Anne Bayefsky: Je m'excuse, je ne vous entends pas.

Le sénateur William Doody: Vous avez dit que la clause 17 ne faisait pas partie du compromis constitutionnel initial, n'est-ce pas?

Mme Anne Bayefsky: Non, le projet de clause 17, puisqu'il est actuellement à l'étude.

Le sénateur William Doody: Oui, voilà la source de la confusion. Vous ne parliez pas de la clause 17, mais du projet de clause 17.

Mme Anne Bayefsky: C'est effectivement la clause modifiée.

Le sénateur William Doody: Ma question découle des changements récents touchant le choix des systèmes d'enseignement religieux ou la possibilité d'exercer un choix.

Le paragraphe (2) du projet de clause dit très clairement: «doit prévoir un enseignement religieux qui ne vise pas une religion en particulier». Il n'y aura donc pas de cours de religion pour des confessions en particulier dans les écoles.

Mme Anne Bayefsky: Les observances religieuses sont prévues au paragraphe (3), qui est distinct du paragraphe (2).

Le sénateur William Doody: Est-ce qu'ils sont contradictoires alors?

Mme Anne Bayefsky: Les paragraphes (2) et (3)?

Le sénateur William Doody: Oui.

Mme Anne Bayefsky: Évidemment, le paragraphe (3) n'est pas très précis. Les observances religieuses, par leur nature même, vont être spécifiques d'une confession religieuse.

Le sénateur William Doody: Oui, mais n'est-ce pas interdit par le paragraphe (2)?

Mme Anne Bayefsky: Non, parce que l'un traite des observances et l'autre des cours.

Le sénateur William Doody: Je comprends. Il y a donc une différence entre une observance et un cours.

Mme Anne Bayefsky: Oui, je le crois.

Le sénateur William Doody: Est-ce que ce sera précisé; êtes-vous au courant?

Mme Anne Bayefsky: Je vous fais remarquer que l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques traite de la liberté de religion, y compris la liberté d'avoir ou d'adopter une religion et la liberté de manifester sa religion par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement. Il me semble donc qu'il y a différentes façons de manifester et de pratiquer la liberté de religion.

Le sénateur William Doody: Je présume qu'une crèche de Noël serait acceptable, mais sans commentaire. C'est bien ça?

Mme Anne Bayefsky: Non, je crois que pour décider ce qui comptera et pour déterminer si une observance constitue de l'endoctrinement, il y aura inévitablement des recours aux tribunaux. Il ne faut pas oublier que le paragraphe 17(3) vise probablement à permettre aux parents d'avoir un mot à dire sur ce qui se passe dans les écoles publiques; les parents auront donc une certaine responsabilité à l'égard des observances, mais pas des cours qui seront donnés dans les écoles par des enseignants professionnels.

• 0945

Le sénateur William Doody: Il est donc tout à fait possible que cette modification assez concise ne règle pas du tout la question. Est-ce que...

Mme Anne Bayefsky: Il n'y a pas une seule disposition de notre Constitution qui règle définitivement quoi que ce soit.

Le sénateur William Doody: Je voulais parler de la résolution définitive du problème scolaire à Terre-Neuve. Le gouvernement ne réglera pas tous ces problèmes en adoptant cette...

Mme Anne Bayefsky: Les constitutions règlent rarement tous les problèmes.

Le sénateur William Doody: C'est vrai, sauf pour les avocats.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Sur ce, je donne la parole à M. Brien.

[Français]

M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): J'aimerais que Mme Bayefsky réponde à une question qu'elle a elle-même soulevée quant au processus dans lequel un amendement constitutionnel a lieu. M. Schneiderman l'a aussi fait, mais il a répondu à sa question.

Vous avez dit qu'on devait se poser des questions par rapport aux objectifs, à l'état des minorités et au processus à la suite de l'amendement, mais vous n'avez pas donné de réponse à ces questions. Vous avez dit que nous devions nous poser la question. J'aimerais que vous nous donniez votre réponse en ce qui a trait au processus comme tel.

[Traduction]

Mme Anne Bayefsky: Je pense que la question du processus doit être posée de façon à déterminer si c'est démocratique ou non. Comment le projet de modification est-il né?

La modification a été rédigée après que la population de Terre-Neuve ait été consultée. Il y a eu des audiences publiques. Il y a eu un référendum. Il y a même eu deux référendums, puisqu'il y en avait déjà eu un relativement peu de temps avant. Il y a eu des élections qui reposaient en partie sur l'intention annoncée du gouvernement. Il y a eu certaines démarches précises pour consulter le peuple. Les minorités elles-mêmes ont été consultées. Elles ont eu l'occasion de s'exprimer. Elles ont participé aux diverses étapes de la procédure. Par conséquent, pour ce qui est du processus, je répondrais personnellement qu'il a été équitable.

Mais j'ai posé d'autres questions aussi. La deuxième est plus substantielle. Quels sont les objectifs de la loi? Sont-ils compatibles avec l'esprit de la Charte canadienne des droits et libertés? Sont-ils compatibles avec les objectifs d'égalité, de multiculturalisme, de liberté de conscience et de religion, ou sont-ils au contraire potentiellement xénophobes?

Quand j'examine les objectifs qui ont été formulés par le gouvernement et présentés par la législature à la population de Terre-Neuve au référendum, il y a la réforme d'un système scolaire, l'intérêt d'avoir un seul système scolaire public qui serait accessible également à toutes les confessions religieuses et à certaines observances religieuses, je conclus que, de manière générale, ils sont compatibles avec la Charte des droits et libertés, mais je signale certains écueils éventuels.

Quant à savoir si non seulement les minorités ont été consultées mais encore si elles sont bien protégées et si le changement pour les droits des minorités est apporté en tenant compte toujours de leurs besoins et de leur sensibilité, je répondrais aussi dans l'affirmative. Il me semble que la minorité elle-même n'est pas nettement et catégoriquement opposée au changement. Sa propre réaction est au moins mitigée; elle n'est pas clairement pour ou contre. Les minorités ne sont pas désavantagées au sens où l'école privée confessionnelle est définitivement interdite; le gouvernement ne s'efforce pas de refuser aux gens la possibilité d'élever leurs enfants comme ils le jugent bon, mais ils devront en assumer les frais, ce qui est compatible avec ce qui existe dans presque toutes les provinces canadiennes où l'on s'est orienté vers la séparation de l'église et de l'État.

• 0950

La clause va même plus loin que les dispositions dans la plupart des autres provinces, puisqu'elle autorisera expressément les observances religieuses à l'école lorsque les parents en feront la demande. Dans bien des provinces canadiennes, c'est interdit, mais pas par la Constitution.

Pour toutes ces raisons, au sujet des droits des minorités, j'estime que la procédure a été équitable, que les dispositions de fond les protègent et que les objectifs sont compatibles en essence avec la Charte.

[Français]

M. Pierre Brien: Je poserai une dernière question. Vous avez soulevé la possibilité d'un conflit avec la Charte; vous avez parlé d'un conflit potentiel. J'aimerais que vous me donniez un exemple de situation où un tel conflit pourrait survenir, une situation qui ferait en sorte qu'un groupe particulier aille contester devant les tribunaux.

[Traduction]

Mme Anne Bayefsky: Je songe à une cause présentée à la Cour d'appel de l'Ontario pour que soient autorisés les prières et le rituel du matin dans les écoles publiques. On plaidait que l'idée d'exempter les élèves suffirait parce qu'ils ne seraient pas tenus d'assister à ces observances religieuses. La Cour d'appel de l'Ontario a statué que l'exemption en soi ne suffirait pas parce que ça isolerait les enfants et que ça les stigmatiserait d'une façon incompatible avec la liberté de religion et la liberté de conscience.

Donc, si les observances religieuses sont telles dans les écoles de Terre-Neuve qu'un élève peut être mis à l'écart de ses pairs à cause de ces observances parce que ses parents ne veulent pas qu'il y assiste, il me semble qu'il y a risque de violation de la Charte.

[Français]

M. Pierre Brien: Merci.

[Traduction]

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Je vous remercie.

Chers collègues, vous avez remarqué que je suis assez indulgente pour les questions supplémentaires parce que je préfère ne pas interrompre le fil de vos idées. Toutefois, je vous rappelle que vos questions doivent être les plus brèves possible et les réponses aussi, quoique complètes.

C'est au tour de la sénatrice Pearson et ensuite, nous entendrons Mme Caplan et le sénateur Murray.

La sénatrice Landon Pearson (Ontario, Lib.): Merci, madame la présidente.

C'est un grand plaisir d'avoir deux commentateurs aussi compétents dans le domaine des droits et libertés constitutionnels. Ce qui m'a frappé en lisant la clause, c'est qu'on semble parler des droits des parents, mais pas de ceux des élèves. Étant donné le libellé, les parents peuvent exiger une observance religieuse, mais on ne parle pas d'une demande venant d'un élève.

Quand nous avons siégé à Terre-Neuve, un élève nous a expliqué que ça pouvait être problématique, selon lui, de ne pas assister à un cours. Il devait obtenir la permission de ses parents pour en être dispensé. À partir d'un certain âge, c'est plutôt pénible.

Alors dans votre définition des minorités ou votre conception de ce que représente une minorité, quelle place faites-vous aux désirs des enfants, si l'on parle d'une minorité religieuse? Les parents vont déclarer qu'ils sont d'une confession quelconque, mais les jeunes eux-mêmes vont se définir comment? Je ne sais pas si ma question est très claire.

M. David Schneiderman: Je vais vous donner une réponse préliminaire, puis la professeure Bayefsky pourra sûrement la compléter.

Si je comprends bien, vous voulez savoir quelle est la place des enfants dans l'équation.

La sénatrice Landon Pearson: Oui.

M. David Schneiderman: Les parents semblent avoir le droit d'exiger l'observance religieuse. Qu'arrive-t-il des intérêts de l'enfant?

À vrai dire, il n'est pas expressément question des enfants dans la clause. D'ailleurs, les droits à l'école confessionnelle prévus à l'article 93, qui est toujours en vigueur en Ontario et qui l'était jusqu'à tout récemment au Québec, ont été considérés par les tribunaux comme des droits détenus par les parents. Ce sont des droits qu'exercent les parents au nom de leurs enfants qui sont considérés incapables de les exercer eux-mêmes.

Les temps ont changé. La Charte donne à penser que les intérêts et les droits des enfants peuvent être pris en considération dans ce contexte. Il est certain que la Cour d'appel de l'Ontario a tenu compte des intérêts des enfants dans son arrêt qu'a mentionné la professeure Bayefsky. Le fait que les enfants soient tenus de sortir de la classe pendant le rituel du matin inquiétait énormément la Cour parce que c'était traumatisant pour les enfants. Ils étaient tout de suite repérés comme membres d'une minorité. Ce fait devrait certainement préoccuper le comité.

• 0955

Mme Anne Bayefsky: J'ajouterais seulement que la Convention sur les droits de l'enfant, que le Canada est tenu d'appliquer parce qu'il l'a ratifiée, pourrait nous éclairer. Elle prévoit d'ailleurs que les enfants ont droit à une éducation conforme à leurs valeurs, que leurs besoins et leurs intérêts doivent être pris en considération pour l'interprétation des droits et intérêts des parents. Ce sont donc les parents qui sont responsables au premier chef et l'article du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce que les États parties, y compris le Canada, «s'engagent à respecter la liberté des parents [...] de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions».

Donc, il est bien entendu que les parents ont la responsabilité de procurer une éducation et un enseignement religieux et moral conforme à leurs convictions mais je pense que ce doit être pondéré par la Convention sur les droits de l'enfant qui a évidemment été adoptée quelque 20 ans plus tard et qui nous commande d'être plus sensibles aux besoins et aux intérêts des enfants.

La sénatrice Landon Pearson: Merci.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci. Madame Caplan.

Mme Elinor Caplan (Thornhill, Lib.): Oui, merci beaucoup.

Je veux traiter de la question des précédents. Vous en avez parlé et je suis d'accord avec vous. Je trouve que c'est une situation unique et que si la Constitution autorise des modifications bilatérales et une telle latitude pour son évolution, c'est pour apporter des modifications qui ne constitueront pas un précédent ayant un effet inconsidéré sur les autres provinces. Je voudrais donc, si possible, que vous expliquiez plus en détail pourquoi, selon vous, cette modification ne crée pas un précédent pour les autres provinces et en quoi la situation de Terre-Neuve est unique. Vous en avez parlé. J'ai aussi une deuxième question qui n'est pas tout à fait une question supplémentaire. Est-ce que je dois la poser tout de suite ou attendre qu'on ait répondu à la première?

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Attendez qu'on vous ait répondu.

Mme Elinor Caplan: Je vous remercie.

M. David Schneiderman: J'ai effectivement dit que la modification ne créerait pas un précédent hormis les réserves au sujet de l'instruction et de l'observance religieuses, à cause de l'unicité de la situation à Terre-Neuve. C'est la seule province au pays où il n'y a pas de système scolaire public. Le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador tente maintenant de se mettre au diapason des autres provinces canadiennes. Il s'efforce essentiellement d'accomplir ce que l'Alberta et la Saskatchewan ont fait en 1901—ou plutôt je devrais dire les Territoires du Nord-Ouest avant qu'ils forment les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan—à savoir extraire la religion des écoles sauf pendant une demi-heure d'enseignement religieux à la fin des heures de cours et la possibilité d'un rituel du matin. Il veut donc laïciser le système scolaire. Je crois donc que la province va en fait dans le même sens que le reste du pays. Voilà pourquoi on ne peut pas dire que ça créera un précédent capital.

Par contre, les interrogations soulevées au sujet des paragraphes (2) et (3) suggèrent que là, ça pourrait être un précédent en ayant un effet, par exemple, sur l'interprétation de la Charte. Il n'est pas certain que la clause 17 s'applique à l'Alberta et à la Saskatchewan. Est-ce qu'elle vise l'instruction religieuse, l'éducation religieuse, le Notre Père? Ce n'est pas clair et l'adoption de la clause pourrait signifier qu'une telle disposition a été approuvée par le Parlement et doit donc être à l'abri de l'application de la Charte, puisqu'elle fait partie intégrante de la Constitution.

• 1000

Mme Anne Bayefsky: J'ajouterais qu'à mon avis, il faut se demander... et je ne suis pas certaine que ce soit moi qui ai dit que la disposition n'avait aucune valeur comme précédent.

Il me semble que, de façon générale, quand on a affaire à des modifications constitutionnelles et qu'on s'interroge sur les répercussions d'une modification constitutionnelle donnée sur le traitement des minorités, qu'on s'interroge sur la procédure de modification pertinente, la portée des implications pour le reste du pays est plus vaste. C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut prendre bien soin de déterminer quels sont les droits des minorités, comment on en a tenu compte, comment on les protège et si on traite les minorités de façon équitable.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci, madame Caplan. Il reste encore cinq interventions. Pouvons-nous donner la chance à d'autres?

Mme Elinor Caplan: Certainement.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Je fais remarquer au comité que nous avions suggéré de terminer la réunion au bout d'une heure. Ce n'est manifestement pas assez pour l'ampleur du sujet. Nous allons donc poursuivre aux conditions que j'ai précisées tout à l'heure.

Le sénateur Murray.

Le sénateur Lowell Murray (Pakenham, PC): Merci, madame la présidente. Je vais poser toutes mes questions à la fois parce qu'elles portent sur le même sujet.

Professeure Bayefsky, ai-je raison de croire qu'à votre avis, il n'y a rien dans le projet de clause 17 qui, en soi, contrevienne à la Charte, mais que sa mise en oeuvre pourrait faire problème et que ça pave la voie à une contestation judiciaire réussie parce que la Charte est antérieure au projet de clause 17? Si c'est effectivement votre position, y a-t-il des solutions que nous pourrions apporter tout de suite en modifiant le libellé du projet de clause?

Je demande aussi au professeur Schneiderman s'il partage votre opinion sur cette question.

Enfin, au sujet de la disposition d'exemption à l'article 29, quand vous en avez parlé, j'ai fait le tour de la table dans l'espoir de trouver une copie de la Constitution. Je suis mortifié d'avoir à avouer que ni moi ni personne d'autre n'en avons un exemplaire. Si vous en avez un, je vous serais reconnaissant de lire le texte à haute voix ou de le réciter par coeur, si vous en êtes capable.

Bon, j'ai maintenant le texte. Le sénateur Kinsella—je lui dis merci—l'a apporté avec lui.

C'étaient mes seules questions, madame la présidente.

Mme Anne Bayefsky: Tout d'abord, vous avez résumé parfaitement mon opinion, à savoir que le texte même de la clause n'est pas nécessairement incompatible avec la Charte, mais que la mise en oeuvre de la disposition pourrait bien donner lieu à des contestations judiciaires fondées sur la Charte.

On ne peut pas être certain que la Cour suprême du Canada ne tranchera pas comme elle l'a fait dans l'arrêt sur la loi 30, en statuant que la Loi constitutionnelle de 1867 avait priorité sur la Charte parce qu'elle lui était antérieure et que c'était le seul facteur à considérer, mais je crois en fait elle considérera d'autres facteurs, ce qui soulève la possibilité que la décision sera différente. La Cour a insisté lourdement sur le compromis constitutionnel initial, sur la nature du Canada, sur le compromis historique, etc. Cette clause n'a pas le même poids historique, ce qui fait qu'une incompatibilité avec la Charte serait moins déterminante pour la décision de la Cour.

Cependant si, tout compte fait, il y a un risque de perdre à cause d'une franche incompatibilité entre la Charte et la Constitution, que faut-il faire à l'étape de la rédaction? Tout d'abord, il est toujours préférable d'intégrer à la Constitution des dispositions qui ne sont pas incompatibles avec la Charte, qui ne risquent même pas d'être incompatibles avec elle.

• 1005

Depuis 1982, il faudrait tenir compte de la Charte pour toutes les modifications qu'on souhaite apporter à la Constitution. Comme pays, il ne faut pas rédiger des modifications constitutionnelles en sachant pertinemment qu'elles sont carrément incompatibles avec la Charte ou qu'elles risquent de l'être.

Donc, par principe, je crois qu'il ne faut pas chercher à contourner la Charte, si c'est le but de votre question. Il faut plutôt s'assurer que les dispositions adoptées ne sont pas incompatibles avec la Charte.

Le sénateur Lowell Murray: Alors, pouvez-vous suggérer des amendements?

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Sénateur Murray, peut-être vaudrait-il mieux demander à Mme Bayefsky d'y réfléchir et de nous faire parvenir sa réponse plus tard.

M. David Schneiderman: J'aurais certaines choses à ajouter.

Tout d'abord, à première vue, il me semble que le paragraphe 17(2) n'est pas tellement incompatible avec la lettre et les valeurs de la Charte, mais je crois que le paragraphe 17(3) pourrait l'être. L'enseignement religieux décidé par le ministre de l'Éducation de Terre-Neuve, c'est une chose, les observances religieuses demandées par les parents, c'en est une autre.

À mon avis, ça reflète une certaine perspective sectaire puisque les heures de classe et les écoles seront utilisées à cette fin. Bien entendu, le rituel du matin pourrait aussi être assimilé à une observance religieuse. C'est un tel rituel, comme dire le Notre Père pour commencer la journée, qui a donné lieu à une série de contestations fondées sur la Charte. Donc, à première vue, ce paragraphe soulève des doutes sur sa constitutionnalité.

Quant à l'article 29, je peux le lire à haute voix, si vous voulez.

Le sénateur Lowell Murray: Oui, maintenant que je l'ai lu, je trouve que vous avez parfaitement raison.

M. David Schneiderman: Je vais donc souligner l'effet de l'article 29:

    29. Les dispositions de la présente Charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles.

Maintenant, le gouvernement de Terre-Neuve avance en terrain inconnu pour lui. Il délaisse le système scolaire confessionnel. Il abandonne donc le droit à cette protection.

Il y aura manifestement un conflit entre les deux textes. Il s'agit de savoir lequel l'emportera sur l'autre. La professeure Bayefsky lit dans le marc de café pour prédire ce que les tribunaux décideront. C'est difficile de savoir.

Il faut souligner que dans l'arrêt sur la loi 30, auquel elle a fait allusion et qui porte sur le financement des écoles secondaires catholiques romaines par le gouvernement de l'Ontario, le juge Wilson a déclaré qu'aucune disposition de la Constitution ne pouvait servir à en annuler une autre, n'est-ce pas? Les dispositions doivent donc être compatibles. Elle l'a affirmé dans ce qu'on appelle un obiter dictum. Ce n'était pas vraiment capital dans son jugement. C'était une opinion incidente qu'elle exprimait au cas où la disposition qu'elle examinait et qu'elle appliquait n'aurait pas été pertinente.

Plus récemment, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Adler qui, à mon avis, sera important pour vos délibérations. Dans cet arrêt, des parents qui n'étaient pas catholiques romains cherchaient à obtenir le même financement que celui accordé aux religions qui ont droit à des écoles confessionnelles en Ontario. De nouveau, la Cour a statué qu'il est impossible d'utiliser un article de la Charte pour amorcer son argumentation sur le fait d'avoir été victime de discrimination. Néanmoins, il n'y a eu aucune décision concluante sur la façon d'interpréter des articles incompatibles de la Constitution.

Mme Anne Bayefsky: Il y a quatre possibilités en réponse à votre question, sénateur Murray, mais ce ne sont que des possibilités.

La première serait de supprimer le paragraphe (3).

La seconde, serait d'ajouter quelque chose comme «si les parents l'approuvent à l'unanimité». Ça signifie que les parents d'une école devraient arriver à l'unanimité. Bien entendu, c'est extrêmement difficile à faire. On serait obligé de changer chaque année, selon les parents.

La troisième possibilité consisterait à ajouter un avertissement disant par exemple: «toutes les confessions religieuses seront traitées également à cet égard».

• 1010

La quatrième possibilité, ce serait d'ajouter soit un nouveau paragraphe, soit après «le demandent», une virgule et «en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés».

Le sénateur Lowell Murray: Ça nous aide. Merci, madame la présidente.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci, madame Bayefsky.

Nous passons maintenant à M. Pagtakhan, suivi de M. Inky, M. DeVillers et du sénateur Kinsella.

M. Rey D. Pagtakhan (Winnipeg-Nord—St. Paul, Lib.): Merci, madame la présidente.

Ma question s'adresse aux deux témoins. Si le père et la mère d'une même famille ou de deux familles différentes, au minimum, demandent une observance religieuse, comme le propose le projet d'article, et soutiennent que la déclaration «Je reconnais comme Canadien la suprématie de Dieu» fait partie de l'observance de leur religion, est-ce que vous qualifieriez la demande de constitutionnelle ou d'inconstitutionnelle?

Mme Anne Bayefsky: Quelle observance précise demandent-ils?

M. Rey Pagtakhan: Les gens lèvent les mains et disent «Comme Canadien, je reconnais la suprématie de Dieu».

Mme Anne Bayefsky: Mais dans quelle situation?

M. Rey Pagtakhan: Au cours du rituel du matin.

Mme Anne Bayefsky: Vous voulez dire que les élèves seraient autorisés à faire une déclaration?

M. Rey Pagtakhan: Oui.

Mme Anne Bayefsky: Écoutez, nous savons tous que la Charte commence par les mots: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu...» Alors il n'est pas incompatible avec la Charte des droits et libertés de répéter des mots qu'elle renferme.

M. Rey Pagtakhan: C'est ce que je voulais faire ressortir puisque, comme vous le dites, le texte de la Constitution commence précisément par cette affirmation.

Ma deuxième question s'adresse à M. Schneiderman. Vous avez dit dans votre exposé qu'une disposition permettant d'être dispensé des cours de religion pourrait être interprétée comme une indication que ces cours constitueraient de l'endoctrinement religieux.

L'autre explication, c'est qu'elle offre une garantie supplémentaire aux parents que les citoyens de Terre-Neuve seront respectés en tous points. Autrement dit, ce pourrait être interprété comme la volonté d'éviter justement tout endoctrinement religieux, une interprétation à l'opposé de la vôtre.

M. David Schneiderman: Pour ce qui est de respecter les droits de toutes les minorités religieuses de Terre-Neuve, ça indique effectivement cette intention. Mais ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait peut-être aller plus loin étant donné la Charte, qu'il ne suffit pas d'indiquer que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador respecte les religions minoritaires. Ce n'est pas assez—et je vous renvoie à la jurisprudence de la Cour d'appel de l'Ontario sur cette question. Ça ne suffit pas. Ça démarque seulement les membres des minorités religieuses et ça les met à l'écart.

Quant à la première question que vous avez posée à la professeure Bayefsky, je voudrais la présenter d'un point de vue différent. Le fait de réciter le texte de la Constitution ne devrait pas porter atteinte à la liberté de religion garantie par la Charte. Cependant, ça dépend dans quelle intention ou dans quelles circonstances on veut réciter le texte de la Constitution. Si on récite le préambule lors du rituel du matin dans le but de montrer son allégeance à une pensée judéo-chrétienne particulière, ça pourrait faire problème. Ça dépend donc du contexte ou de l'intention du geste.

M. Rey Pagtakhan: Voici ma dernière question, madame la présidente. Les mots «un enseignement religieux qui ne vise pas une religion en particulier» sont utilisés dans le projet de paragraphe (2). Si un enseignement religieux visait plus d'une religion, il ne contreviendrait pas à cette disposition.

M. David Schneiderman: D'après le libellé, on a l'impression à première vue que l'article ne pourra pas être invoqué à des fins d'endoctrinement religieux, qu'il y aura du matériel pédagogique et des enseignants qualifiés pour donner les cours. J'ai dit, et vous l'avez souligné, quand on peut être dispensé d'un cours obligatoire par ailleurs, ça signifie qu'on a l'intention de présenter le point de vue d'une religion en particulier, ce qui est préoccupant.

• 1015

Je cite seulement le juge Mackay. Dans le rapport qu'il a présenté au gouvernement ontarien, il soulevait des préoccupations semblables au sujet du système d'enseignement religieux en Ontario à l'époque. Par le simple fait d'accorder une dispense, on laisse planer le doute—je ne dis pas que c'est avec raison—que la doctrine d'une religion en particulier sera présentée comme une vérité puisque les élèves n'ont généralement pas le droit d'être dispensés des cours obligatoires.

M. Rey Pagtakhan: Mme Bayefsky partage-t-elle cet avis?

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Très rapidement.

Mme Anne Bayefsky: Oui.

M. Rey Pagtakhan: Merci, madame la présidente.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Monsieur Inky Mark.

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, je prie la présidente et mes collègues de bien vouloir excuser mon retard.

Ce qui me préoccupe entre autres, c'est l'arrière-pensée à long terme de plusieurs de ces modifications qui sont présentées au Parlement fédéral. Je sais que l'éducation est de compétence provinciale. Comme j'ai raté l'exposé des témoins, je ne sais pas si vous avez traité de la décision rendue par la Cour suprême de Terre-Neuve le 8 juillet 1997. En avez-vous parlé?

M. David Schneiderman: Nous n'en avons pas parlé ni l'un ni l'autre. Avez-vous une question au sujet de l'arrêt?

M. Inky Mark: Ma question concerne les écoles confessionnelles et leur financement. L'injonction qui a été accordée empêchait en partie les conseils scolaires publics de fermer des écoles rivales qui avaient été administrées par des catholiques romains ou des pentecôtistes en 1996-1997. Ce qui m'intéresse, c'est le commentaire qui a été fait sur l'affaire.

La viabilité économique ne devrait pas être le motif prédominant pour refuser une aide financière à des écoles confessionnelles. Cela dit, je suis personnellement convaincu qu'à long terme, tout ceci est motivé par des restrictions budgétaires. J'en suis certain.

Au Manitoba, ma province à moi, je sais que le système scolaire séparé reçoit beaucoup moins d'argent que le système public. Je connais bien le gouvernement parce que j'y ai travaillé. Je sais qu'il continue à financer le système scolaire même s'il n'est pas obligé de le faire, me semble-t-il.

Voici donc ma question aux témoins: quel est le rapport entre la modification proposée par le gouvernement de Terre-Neuve et l'arrêt rendu en juillet dernier?

M. David Schneiderman: Très rapidement, je pense que cet arrêt n'a pas un grand rapport avec la modification proposée. Le jugement portait sur la mise en oeuvre d'une modification antérieure. La modification dont le comité est saisi est toute nouvelle et la décision du juge Barry ne renferme pas grand-chose de pertinent pour cette modification-ci.

Mme Anne Bayefsky: À propos des considérations économiques, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne dit pas, au sujet de la liberté de religion, que tous les États parties sont tenus de financer les écoles confessionnelles. Il reconnaît expressément que les droits fondamentaux peuvent être bien protégés sans affirmer que les autorités ont à leur disposition un financement illimité qui les oblige à faire plus que garantir l'exercice de la liberté de religion et la capacité pour les parents de transmettre leurs opinions à leurs enfants. Ça ne veut pas dire que l'État doit financer les écoles confessionnelles. Donc, les considérations économiques sont tout à fait compatibles avec une protection adéquate des droits fondamentaux et les gouvernements devraient en tenir compte.

• 1020

M. Inky Mark: Je vous remercie.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci.

Monsieur DeVillers suivi du sénateur Kinsella.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente.

Ma question porte sur le paragraphe (3) de la modification proposée, en particulier sur la demande des parents et sur la crainte de la professeure Bayefsky que ça donne lieu à des contestations fondées sur la Charte, etc. À mon avis, étant donné que la rédaction d'une constitution est une science imparfaite, le législateur n'est pas infaillible.

N'est-il pas courant que nos tribunaux interprètent la mise en oeuvre des modifications constitutionnelles adoptées pour déterminer si elle est conforme à l'intention du législateur? Comme il y a les tribunaux et comme la Constitution est la loi suprême qui régit les législateurs au Canada, c'est une pratique courante et même inhérente à notre système.

J'ai même remarqué que dans la quatrième option suggérée par la professeure Bayefsky, elle ajouterait les mots «en conformité avec la Charte canadienne des droits». Les tribunaux seraient toujours là pour déterminer si la mise en oeuvre est conforme à la Charte, n'est-ce pas?

Foncièrement, la modification est-elle extraordinaire? Voilà ce que je veux savoir.

Mme Anne Bayefsky: Ce qu'il faut se demander, c'est si, en présentant cette proposition, le gouvernement de Terre-Neuve propose délibérément une disposition qu'il sait incompatible avec la Charte et qu'il encourage donc de ce fait des contestations de la Constitution.

Tout ce que je voulais dire en répondant à la question du sénateur Murray, c'est que, si ce n'est pas l'intention du gouvernement, alors sans pouvoir empêcher toute contestation, on peut au moins dire explicitement plutôt qu'implicitement avoir l'intention de ne pas agir d'une façon incompatible avec la Charte. Ça ne veut pas dire qu'il n'y aura aucune contestation judiciaire.

M. Paul DeVillers: J'ai une question supplémentaire. Je ne considère pas les mots «si les parents le demandent» comme une expression de l'intention de la législature de Terre-Neuve que les parents agissent de façon à provoquer des contestations judiciaires. Selon moi, ça signifie que les parents devront présenter des demandes légitimes et que la législature va tenter de les accommoder. Est-ce qu'il faut nécessairement s'attendre que la constitutionnalité du libellé sera contestée?

Mme Anne Bayefsky: Non. En réponse au sénateur Murray, j'ai dit qu'à première vue, la disposition n'était pas nécessairement incompatible avec la Charte. Ce qu'il faut se demander, c'est si sa mise en oeuvre est susceptible de soulever de tels doutes, alors il faut au moins régler ce problème tout de suite en précisant clairement que le législateur ne veut pas qu'il y ait incompatibilité.

M. Paul DeVillers: Je vous remercie.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci.

Sénateur Kinsella et puis, si vous êtes d'accord, nous donnerons la dernière minute à Mme Caplan qui posera sa deuxième question, étant donné que tous les autres ont posé deux, voire trois ou même quatre questions.

Le sénateur Noel A. Kinsella (Fredericton—York—Sunbury, PC): Merci, sénatrice Fairbairn.

Je voudrais avoir des précisions sur deux points. Premièrement, les témoins font-ils une distinction entre le paragraphe 17(2) concernant l'enseignement religieux offert par le gouvernement, et le paragraphe 17(3) sur l'observance d'une religion? Le premier confère un pouvoir ou une compétence au gouvernement en matière d'enseignement religieux et le second confère un pouvoir ou un droit au peuple.

• 1025

Faites-vous cette distinction?

Maintenant, dois-je conclure de votre témoignage de ce matin que vous entrevoyez plus de difficultés pour les observances religieuses prévues au paragraphe 17(3) qui, si ma première observation est correcte, confère un droit aux gens? Si cette disposition est problématique, en l'incorporant dans la Constitution, on la blinderait contre la Charte, puisque, comme l'a fait remarquer le sénateur Murray et l'ont confirmé les témoins, l'article 29 de la Charte ne s'appliquerait plus. Si l'on protège les voeux de la population de Terre-Neuve... dans l'intérêt national, il importe que ce droit des parents soit protégé.

Au sujet du paragraphe 17(2), le texte devrait s'arrêter après avoir conféré la compétence exclusive en matière d'éducation à la province de Terre-Neuve et du Labrador. Pourtant, on ajoute que le gouvernement devra prévoir un enseignement religieux.

Or, l'autre soir, dans un exposé très franc et très clair, le ministre de l'Éducation a expliqué que cet enseignement religieux ne serait pas de l'instruction religieuse au sens traditionnel.

Les témoins peuvent-ils imaginer un enseignement religieux multiconfessionnel, quelque chose d'assez important sans doute pour notre société multiculturelle? Si le gouvernement de Terre-Neuve n'y voit aucun problème—ce ne sera pas de l'instruction religieuse traditionnelle; si ça l'était, j'aurais des réserves, mais ça ne le sera pas d'après le ministre Grimes—alors on n'a pas besoin de protection.

Par conséquent, les témoins croient-ils que si toute protection est superflue, cette garantie ne vise pas à protéger le gouvernement au cas où d'autres estimeraient qu'il y a une certaine atteinte aux droits? Ça pourrait être évalué si le gouvernement intègre dans sa législation scolaire—ce serait une affaire de programme d'études, si l'on en croit le ministre de l'Éducation—et donc ça n'a pas besoin d'être dans la Constitution.

Mme Anne Bayefsky: Il me semble que votre analyse du paragraphe 17(2) qui viserait le gouvernement parce qu'on y dit que le gouvernement «doit prévoir» alors que le paragraphe 17(3) vise la population à cause des mots «si les parents le demandent», est correcte. Le problème, c'est que le paragraphe 17(3) n'est manifestement pas soumis à la condition que ce soit valable pour toutes les confessions. Toutes les confessions semblent être traitées également, mais c'est pourquoi l'application de cet article—son interprétation en pratique—sera déterminante pour l'évaluation de sa compatibilité avec la Charte. Par définition, les observances religieuses seront neutres. Le paragraphe 17(2) prévoit expressément le caractère non confessionnel de l'enseignement ou du moins l'absence de références d'une religion en particulier, mais pas le paragraphe 17(3).

Au sujet de la question de savoir si le paragraphe 17(3) peut servir de protection, il faut se demander pour qui la protection? Il peut servir à protéger un certain groupe, ceux qui font une demande. Ce seront les seuls qui seront visés. Ce pourrait être très gênant pour les parents d'un enfant de demander au système scolaire d'agir d'une façon qui soumettrait la grande majorité à leurs observances religieuses personnelles, même si leur enfant, lui, sera peut-être soumis aux observances des autres s'ils ne se prévalent pas de la disposition d'exemption. La protection n'est pas suffisante au sens où il n'est pas dit expressément que toutes les confessions seront traitées également. La disposition laisse entrevoir cette possibilité, mais il se pourrait que les choses se passent différemment en pratique.

• 1030

Quant à l'inutilité de la protection au paragraphe 17(2), il se pourrait que vous ayez raison de supposer que c'est assez détaillé pour ce qui sera enseigné et ce qui ne le sera pas dans les écoles, alors que les autres provinces ne l'ont pas fait. La protection serait superflue si l'enseignement est vraiment multiconfessionnel et oecuménique et s'il ne donnait donc pas prise à des contestations fondées sur la Charte. Il serait donc permis sans avoir besoin de garantie constitutionnelle. Ce n'est peut-être pas nécessaire mais c'est inclus manifestement dans le but de rassurer ceux qui craignent que la religion ne sera plus enseignée dans les écoles.

M. David Schneiderman: Je voudrais ajouter deux mots.

La distinction que vous faites entre les paragraphes 17(2) et (3) capte un aspect seulement. Il faut souligner aussi le fait que les deux paragraphes imposent des obligations au gouvernement. Le premier précise que le gouvernement «doit prévoir un enseignement religieux» et le second qu'il devra permettre l'observance de la religion si les parents le demandent. La différence, c'est que l'application du paragraphe 17(3) est déclenchée par les parents, mais les deux dispositions imposent des obligations au gouvernement de Terre-Neuve.

En ce qui concerne le paragraphe 17(3), il ne faut pas oublier, bien entendu, que c'est en quelque sorte un compromis, mais je veux souligner que le libellé qui vous est proposé sera incorporé dans la Constitution tel quel. On va constitutionnaliser le droit à l'observance de la religion, ce qui est généralement interprété comme désignant le rituel du matin. Je veux insister là-dessus parce que ça va à l'encontre de la jurisprudence sur la Charte et, à mon avis, de l'esprit de la Charte et de son application aux provinces de tout le Canada—sauf l'Alberta et la Saskatchewan où l'on se demande si dire le Notre Père n'est pas constitutionnalisé. Je veux juste vous indiquer dans quel sens va cette clause.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Je vous remercie.

Madame Caplan.

Mme Elinor Caplan: Merci beaucoup.

Ma deuxième question a trait à la discussion, mais elle renvoie aussi à la jurisprudence.

Quand on est élu à la Chambre, chacun arrive avec son bagage. Il y a de cela des années, j'étais au nombre des enfants qui ont vécu l'exclusion. Je sais que les tribunaux et la jurisprudence de même que l'entrée en vigueur de la Charte ont réglé ce problème afin que plus aucun autre enfant—du moins en Ontario, et je pense ailleurs au pays—n'aura à vivre cette expérience embarrassante d'avoir à quitter la classe.

Comme nous comprenons que les problèmes devraient surgir au moment de la mise en oeuvre, est-ce que la jurisprudence de tous les tribunaux du pays et l'expérience acquise dans le domaine garantissent aux communautés de Terre-Neuve qu'elles pourront tabler sur les précédents lors de la mise en oeuvre de la clause? Ou faudrait-il ne pas en tenir compte? Le feront-ils à leurs risques et périls? Est-ce que l'ensemble de la jurisprudence pertinente a une incidence sur la protection?

M. David Schneiderman: J'ai une réponse très brève.

On ne sait pas au juste dans quelle mesure la Charte l'emportera sur la clause 17. L'une des suggestions que la professeure Bayefsky a présentées au comité consiste à ajouter un renvoi à la Charte des droits et libertés pour indiquer que ces dispositions de la Constitution l'emportent. Sans cette indication, on ne peut pas être certain que nos tribunaux vont donner priorité à la Charte en l'occurrence. Ils pourraient très bien décider de protéger la clause 17 parce qu'elle se trouve dans une autre partie de la Constitution sur laquelle la Charte ne l'emporte pas.

Mme Elinor Caplan: Je vous remercie.

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Mme Anne Bayefsky: Très brièvement, j'ai été moi aussi une enfant exclue de la salle de classe et je n'ai rien oublié de cette expérience. Cependant, comme nous étions envoyés à la bibliothèque et que c'est là que j'ai appris à lire, je crois que j'en ai tiré profit en fin de compte. Néanmoins, je ne le recommanderais à personne.

Pour répondre brièvement à votre question, non, si ce n'est pas dit expressément, la jurisprudence canadienne ne garantira pas l'inapplicabilité des solutions du type exclusion à Terre-Neuve.

Mme Elinor Caplan: Je vous remercie.

La coprésidente (la sénatrice Joyce Fairbairn): Merci beaucoup, madame Bayefsky et monsieur Schneiderman. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui. La réunion a été fort intéressante.

Je remercie mes collègues. Nous avons eu un peu plus de temps aujourd'hui, c'est pourquoi la présidente a été plus indulgente. Cet après-midi, nous nous retrouvons ici à 15 h 30. Nous entendrons deux séries de témoins. Nous allons les interroger séparément en réservant à chacun une heure pour les exposés et les questions.

Je vous remercie beaucoup.