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Rapport

L’Association parlementaire canadienne de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur le 70e séminaire Rose-Roth, qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine du 19 au 21 mars 2009. Le Canada était représenté par M. Leon Benoit, député, et par le sénateur Pierre Claude Nolin.

INTRODUCTION

Le Parlement de Bosnie-Herzégovine a été l’hôte du 70e séminaire Rose-Roth du 19 au 21 mars 2009. Étaient présents à la rencontre des parlementaires de l’OTAN et des pays partenaires, des fonctionnaires, des universitaires, des journalistes et des représentants d’ONG, venus discuter d’une gamme de questions liées à la sécurité et aux problèmes politiques et économiques en Bosnie-Herzégovine et dans les Balkans occidentaux. Le séminaire était conjointement organisé par l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine, avec le généreux soutien du ministère de la Défense de la Suisse et de l’OTAN.

LES BALKANS OCCIDENTAUX ET L’INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE

Le séminaire a eu lieu à un moment que beaucoup d’orateurs ont jugé difficile pour la Bosnie-Herzégovine et l’ensemble de la région. Certains estimaient que le consensus créé en Bosnie par les accords de Dayton est en train de s’effriter et que les tensions montent parmi les communautés ethniques de la Bosnie. L’avenir du Haut Représentant est également remis en question, et beaucoup se demandent si le moment n’est pas propice pour éliminer ce poste. Les dirigeants bosniaques s’efforcent de remplir les conditions « 5 plus 2 » que supervise le Conseil de mise en œuvre de la paix et qui doivent être toutes satisfaites pour qu’il soit possible de fermer le Bureau du Haut Représentant (OHR). La Bosnie-Herzégovine a signé un Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE, mais ne peut pas aller de l’avant sans recevoir le feu vert du Conseil de mise en œuvre de la paix. Toutefois, les différends relatifs aux biens et à leur enregistrement ainsi que les longs retards qui ont caractérisé le changement de la constitution du district de Brcko ont ralenti le processus. L’objectif est de fermer l’OHR une fois ces conditions satisfaites. La question reste cependant en suspens pour le moment parce qu’un plan constitutionnel essentiel a été rejeté par le Parlement dans un vote assez serré. Beaucoup s’inquiètent du fait que, 14 ans après la signature des accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine ne semble pas encore tout à fait prête à prendre en charge ses propres affaires, à aller au-delà de ces accords et à accélérer son intégration dans la communauté euro-atlantique.

L’accession imminente de l’Albanie et de la Croatie à l’OTAN et l’espoir que les gouvernements de l’Alliance atlantique donneront bientôt le feu vert à l’ancienne République yougoslave de Macédoine[1] ainsi que les relations de plus en plus étroites de la région avec l’UE permettent de croire que les Balkans occidentaux sont à l’aube d’une nouvelle ère. Pourtant, l’intégration avec l’Europe progresse plus lentement que beaucoup ne l’avaient espéré. La politique interne peut être problématique en Bosnie-Herzégovine et ailleurs dans la région. La corruption constitue un problème sérieux qui fait obstacle à l’établissement d’institutions démocratiques et de bases économiques plus fortes. Cela joue certainement un rôle dans les luttes qui se poursuivent au sujet des biens de l’État.

L’OTAN a bénéficié de ses relations avec les pays des Balkans occidentaux, et l’élargissement promet des liens encore plus étroits. Il n’y a pas de doute que les récentes adhésions à l’OTAN ont déjà rapporté des dividendes. À l’heure actuelle, les nouveaux membres de l’Alliance déploient quelque 7 000 soldats dans le cadre des opérations de l’OTAN, tandis que des pays comme la Suisse, qui n’envisage pas de devenir membre, jouent aussi un rôle important dans certaines de ces opérations. Dans les Balkans occidentaux, ni la Serbie ni le Kosovo n’envisagent d’adhérer à l’Alliance, mais celle-ci a de bonnes raisons de collaborer avec les deux. Même si l’OTAN n’a pas vraiment reconnu l’indépendance du Kosovo, elle peut collaborer avec les forces de sécurité du Kosovo et la communauté internationale pour essayer de stabiliser la situation dans la région. L’ancienne République yougoslave de Macédoine, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro ont tous déclaré leur intention de se joindre à l’OTAN et contribuent tous à diverses opérations de paix. Bien sûr, l’élargissement est par nature un processus politique, et les pays peuvent le bloquer pour des motifs plus politiques que techniques. Cela est justifié car si l’OTAN importait des problèmes politiques fondamentaux non réglés dans le Conseil de l’Atlantique Nord par suite de l’élargissement, elle prendrait le risque de miner le consensus de ses membres et sa propre efficacité. L’OTAN a collaboré avec des pays aussi bien candidats que non candidats pour assurer le professionnalisme des établissements militaires nationaux. Ce fut une tâche particulièrement difficile dans des pays comme la Bosnie-Herzégovine où les orientations politiques sont très divergentes en fonction de critères sectaires et ethniques, mais les bons résultats obtenus valaient bien les efforts déployés.

Il n’y a pas de doute que le progrès dans la région est désormais inextricablement lié à l’OTAN et à l’UE et que les perspectives d’adhésion aux deux organisations ont joué un rôle essentiel dans la stabilisation et la réforme démocratique. Le Sommet de l’UE à Thessaloniki a constitué un moment critique dans ce processus et a défini le contexte de l’intégration ultime de la région dans l’UE. L’Union européenne reste déterminée à intégrer les Balkans occidentaux dans les institutions européennes, bien que l’échec de la ratification du traité de Lisbonne semble avoir ralenti le processus d’élargissement. Il n’en reste pas moins que la Croatie est en bonne voie d’accéder pleinement à l’UE et travaille rapidement sur les chapitres à négocier. Elle pourrait bien être admise en 2010. Après la Croatie, la Macédoine semble être la plus proche sur la voie de l’intégration, mais elle n’a pas été en mesure de lancer des pourparlers officiels. Si les élections qui doivent s’y dérouler cet automne sont jugées libres et équitables, ce sera pour elle un important progrès qui contribuera sûrement à apaiser certaines des préoccupations de l’UE. Bien sûr, les différends entourant son nom rendront plus difficile son adhésion aussi bien à l’OTAN qu’à l’UE. Un orateur a dit qu’il était important de préserver les bonnes relations de voisinage et, comme la Macédoine se sert du nom ARYM dans ses négociations, la position de la Grèce est assez surprenante. La Bosnie-Herzégovine a signé un accord d’association et met actuellement en œuvre ses ententes provisoires. Le Monténégro a signé un ASA et en a entrepris la mise en œuvre.

Pour sa part, la Serbie a signé cette année un ASA, qu’elle met en œuvre unilatéralement. L’UE ne prendra pas d’autres mesures tant que Ratko Mladic n’aura pas été arrêté et livré au Tribunal de La Haye. Bien entendu, le Kosovo reste pour la Serbie un problème épineux et chargé d’émotion. Les missions de l’OTAN et de l’UE qui s’y trouvent s’efforcent de renforcer la sécurité dans ce territoire contesté. L’indépendance du Kosovo a été reconnue par beaucoup mais non par la totalité des gouvernements européens, tandis que la Serbie la rejette catégoriquement. Il y a des plans visant une vaste décentralisation au Kosovo, qui accorderait aux Serbes kosovars l’espace institutionnel et politique voulu pour s’occuper de leurs propres affaires, y compris les impôts et les budgets, au niveau municipal. Ces plans permettraient également d’établir des liens spéciaux avec Belgrade. Cela pourrait contribuer à réduire les tensions dans la région, ce modèle ayant déjà eu un certain succès en Bosnie-Herzégovine. La mission EULEX de l’Union européenne est déployée partout au Kosovo, mais elle doit faire face à toute une gamme de problèmes sérieux, particulièrement dans les régions serbes. Elle doit dépenser 800 millions d’euros au cours de chacune des trois prochaines années.

Il y a bien sûr des défis à l’extérieur de la région. Comme nous le laissions entendre ci-dessus, l’UE semble elle-même souffrir d’une « fatigue de l’élargissement », sans compter que la récession mondiale lui pose toute une série de graves problèmes qui détournent son attention des Balkans occidentaux. Selon un récent sondage, 44 p. 100 des citoyens de l’UE s’opposent à l’élargissement dans cette région. Cette situation pourrait bien commencer à influencer le point de vue des dirigeants européens. De plus, certains estiment que l’Europe a agi avec trop de précipitation dans le cas de deux adhésions récentes, les pays en cause n’ayant pas adéquatement réglé de sérieux problèmes internes, particulièrement la corruption, avant d’être admis. On semble déterminé à ne pas répéter ce que certains qualifient d’erreur, c’est-à-dire aller trop vite sans exiger des changements positifs. Tant le président Nicolas Sarkozy que la chancelière Angela Merkel ont promis que l’élargissement resterait lettre morte tant que le traité de Lisbonne n’aura pas été ratifié. Toutefois, l’échec de la ratification déclenchera très probablement une crise institutionnelle au sein de l’UE. Les enjeux sont donc considérables. La crise financière ainsi que la capacité de l’Ouest de s’y attaquer auront également des répercussions fondamentales sur la région. Les transferts de fonds privés, qui constituent une importante source de devises pour les pays de la région, ont déjà commencé à tarir. Les travailleurs émigrés qui rentrent actuellement dans les Balkans occidentaux auront à affronter des problèmes d’emploi et d’intégration politique et sociale. La montée du chômage et les pressions budgétaires qui se manifesteront dans la région pourraient à leur tour engendrer de l’agitation sociale et politique. L’adhésion à l’OTAN fait intervenir un processus relativement plus simple, mais on s’inquiète de plus en plus de la taille et de la portée de l’Alliance. Les questions qui se posent ont pris beaucoup plus de relief à cause de la guerre en Géorgie. Dans la région elle-même, les rivalités traditionnelles compliquent l’élargissement de l’OTAN. Un conflit frontalier entre la Slovénie et la Croatie a presque empêché l’accession de cette dernière à l’Alliance. De plus, la Grèce continue à rejeter la candidature de la Macédoine à cause du différend entourant son nom, même si l’ancienne République yougoslave de Macédoine a promis d’utiliser ce nom reconnu à l’échelle internationale dans tous les documents pertinents.

LA SITUATION EN BOSNIE

À certains égards, l’intégration progressive de la Bosnie-Herzégovine dans l’Europe a commencé lorsque l’OTAN a déployé des forces aériennes puis terrestres dans le pays. Cela a directement mené aux pourparlers de paix de Dayton, qui ont notamment conféré à l’Alliance d’abord un rôle de mise en œuvre de la paix, puis un rôle de stabilisation. Les progrès ont été lents et ardus, et ce n’est qu’après la mort de Frano Tujdman et la fin du régime Milosevic en Serbie que la situation a commencé à s’améliorer. C’est à ce moment que la Bosnie-Herzégovine a adhéré au Partenariat pour la paix et a indiqué que l’adhésion à l’UE était un but commun des trois communautés. Cela a débouché sur une feuille de route, une étude de faisabilité et des négociations en vue d’un Accord de stabilisation et d’association (ASA). Toutefois, de graves problèmes ont persisté. D’après plusieurs des orateurs qui ont pris la parole au cours du séminaire, le pays serait en régression. Selon Sabine FREIZER, directrice du programme européen de l’International Crisis Group, l’organisation avait fermé son bureau de Sarajevo il y a déjà plusieurs années, jugeant que la situation s’était très nettement améliorée, mais a dû le rouvrir lorsque les tensions ont monté en Bosnie-Herzégovine. Les compromis politiques sont de plus en plus difficiles à réaliser, les institutions de l’État fonctionnent mal et la situation générale dans le pays est extrêmement tendue. Ainsi, les dirigeants de la Republika Srbska recourent de plus en plus souvent à des propos incendiaires qui, pour beaucoup, marquent le début d’une nouvelle tentative de sécession. Leur vision de l’avenir de la Bosnie-Herzégovine est profondément différente de celle des deux autres communautés.

La Bosnie-Herzégovine souffre en outre de problèmes structurels et institutionnels qui compliquent singulièrement ses relations avec l’Europe. Il y a tant de paliers de gouvernement qu’il est extraordinairement difficile de voir de quelle façon la législation nationale peut être harmonisée avec celle de l’UE. Or c’est une condition préalable à une éventuelle accession. Ce problème peut être délibérément exploité par de puissants groupes qui voudraient voir le pays échouer dans ses efforts. Le fait que l’OHR fonctionne encore permet de croire que la Bosnie ne progresse pas assez vite pour pouvoir se passer du contrôle exercé par une puissance extérieure afin d’enrayer les pires inclinations de ses dirigeants politiques. Le recours aux puissances de Bonn n’est pas aussi fréquent qu’auparavant, mais il est nécessaire à l’occasion d’impasses politiques. On ne sait pas encore si le représentant de l’UE, qui exercera certains des pouvoirs de l’OHR, sera lui aussi habilité à intervenir dans les décisions politiques intérieures. Quoi qu’il en soit, la fragmentation du pouvoir dans le pays suscite d’innombrables problèmes internes tout en compliquant les relations internationales de la Bosnie-Herzégovine. Il est quasi impossible de négocier des questions de visa avec la Bosnie-Herzégovine parce que chacune des entités insiste pour exercer ses pouvoirs dans ce domaine, tandis que l’UE ne veut négocier qu’avec le pouvoir central.

La Bosnie-Herzégovine doit également assumer elle-même une plus grande part des réformes institutionnelles et démocratiques. D’après plusieurs orateurs, la transition et la réforme se sont très sensiblement ralenties depuis 2006. En fait, plusieurs réformes sont plus ou moins tombées à l’eau. Toutes les parties se montrent très réticentes face à des compromis essentiels au succès d’importantes réformes sectorielles. Les divisions semblent maintenant se cristalliser autour des questions de propriété. Il y a d’importantes quantités de matériel et de nombreux biens immobiliers qui doivent être inventoriés et vendus. Les militaires ont accès à des biens qui n’ont pas encore été légalement définis. Le gouvernement s’efforce actuellement de régler le problème des biens meuble et immeubles. D’après le ministre de la Défense, Selmo Cikotic, les militaires sont en train de dresser un inventaire de ces biens et ont l’intention de soumettre à la présidence une proposition à leur sujet. Les militaires garderont une partie de ces biens, et d’autres seront mis en vente ou seront offerts à la police et à des pays amis qui en ont besoin, dont l’Irak et l’Afghanistan. Sur le produit de la vente, 80 p. 100 iraient aux budgets des entités et 20 p. 100 au budget de l’État central. Toutefois, il faudra adopter très bientôt des lois pour entreprendre ce processus parce que les retards imposent de reporter toute une série d’autres décisions critiques touchant la situation du pays.

C’est la principale raison pour laquelle l’OHR continue d’exercer ses pouvoirs et ne les a pas encore transmis à un représentant de l’UE. Pour beaucoup, l’OHR donne simplement un prétexte aux dirigeants politiques du pays pour agir d’une manière irresponsable qui entrave son développement démocratique. Pour d’autres cependant, l’OHR joue un rôle essentiel en présence d’une gouvernance défaillante. Quoi qu’il en soit, il y a clairement en Bosnie-Herzégovine un problème de mobilisation démocratique et une absence inquiétante de dialogue entre les dirigeants élus et les citoyens. Un responsable bosniaque a dit que, pendant des années, la Bosnie-Herzégovine était semblable à un nourrisson qui avait besoin des soins de la communauté internationale. Aujourd’hui, a-t-il ajouté, elle agit comme un adolescent qui se trouve dans une situation malcommode à mi-chemin entre la dépendance et la responsabilité. La classe politique fragmentée de la Bosnie continue à exploiter, à des fins politiques étroites, des inquiétudes profondément ancrées et une méfiance ethnique généralisée. Cela ralentit le rythme du changement politique et contribue clairement à l’incapacité de résoudre les problèmes constitutionnels et les questions de propriété et de réforme de la police qu’il est indispensable de régler pour que le pays puisse resserrer ses liens avec la communauté euro-atlantique. L’influence que l’Ouest peut exercer en Bosnie-Herzégovine découle principalement du fait que la plupart des habitants du pays veulent faire partie de cette communauté.

L’effectif des troupes internationales servant en Bosnie a considérablement diminué. En 1996, 60 000 soldats de l’OTAN étaient stationnés en Bosnie. Aujourd’hui, il n’y a plus que 2 000 soldats de l’UE et une très petite mission de l’OTAN. Selon la vice-ministre des Affaires étrangères, Ana Trisic-Babic, ces forces n’ont pas été impliquées dans des incidents de violence, et la coopération avec l’OTAN n’a fait que se renforcer depuis que la Bosnie-Herzégovine s’est jointe au Partenariat pour la paix. La Bosnie n’a pas encore présenté une demande de participation au Plan d’action pour l’adhésion (MAP). Il lui a d’ailleurs été conseillé de ne pas le faire cette année.

Par suite de la signature de l’ASA, la Bosnie-Herzégovine a obtenu des fonds de préadhésion et, depuis juillet 2008, a bénéficié de relations commerciales plus ouvertes avec l’UE. Le gouvernement considère que ce processus va de pair avec les efforts qu’il déploie pour se joindre à l’OTAN. Pour certains, cependant, l’échec du processus de ratification du traité de Lisbonne a lié les mains de l’Europe. Un certain nombre d’orateurs estimaient que la Bosnie-Herzégovine avait besoin d’une perspective concrète d’adhésion à l’Europe et de contacts aussi étroits que possible avec les pays de l’UE. L’absence de progrès en matière de visas isole le pays, particulièrement dans le cas des jeunes qu’on laisse ainsi s’enliser dans un chauvinisme encore plus prononcé que celui de leurs parents. Le fait que les écoles de la Bosnie-Herzégovine séparent presque complètement les élèves selon leur ethnie ne fait qu’aggraver le problème et augure mal de l’avenir. Les citoyens de la Bosnie-Herzégovine peuvent vivre ensemble, mais ils ont besoin pour cela de structures, d’un contexte et d’un leadership adéquats, qui ont jusqu’ici fait cruellement défaut.

L’UE a un grand rôle de surveillance à jouer en Bosnie et peut y exercer une forte influence. De l’avis de certains observateurs, elle devrait user de ce pouvoir d’une manière plus énergique. Un orateur a affirmé que l’UE ne s’est pas montrée assez ferme envers les dirigeants politiques de la Bosnie-Herzégovine et a commis une grave erreur en signant l’ASA en dépit du fait que le gouvernement n’a pas honoré les engagements qu’il avait pris aux termes des accords de Dayton. Pour un autre orateur, l’UE a poussé trop loin son esprit de persuasion et laisse ses bureaucrates agir envers la Bosnie en mode de « pilotage automatique » sans se soucier du danger croissant que pose le recul en matière de mise en œuvre de la paix. L’UE, a-t-il ajouté, peut se servir de la perspective d’adhésion pour exercer une forte influence, mais n’a pas utilisé très efficacement ce puissant levier. D’après de récents sondages, quatre Bosniaques sur cinq croient qu’aucune partie ne représente adéquatement leurs intérêts à l’échelle nationale, et la structure constitutionnelle ne permet pas d’affirmer la légitimité de l’État. L’inquiétude s’accentuant à nouveau, il devient extrêmement difficile de progresser quand les citoyens et leurs dirigeants se retranchent dans des positions défensives.

Dimitris Kourkoulas, chef de la délégation de la Commission européenne à Sarajevo, a répondu à cette accusation en notant que l’UE n’a que très progressivement développé ses capacités à titre de puissance internationale. Les critiques dont l’UE a fait l’objet dans les années 1990 étaient injustes parce que l’Europe n’avait pas encore établi le cadre institutionnel nécessaire pour mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité. De plus, le rejet du traité de Lisbonne par tous les gouvernements membres a constitué un important obstacle à l’exercice de ces fonctions. Il n’en reste pas moins que l’UE dispose de puissants outils, dont les politiques de préadhésion, qui ont de très profonds effets sur les sociétés en transformation. L’UE souhaite maintenant l’adhésion des Balkans occidentaux, mais les gouvernements de la région doivent adopter ses pratiques et ses règles pour avoir des chances sérieuses d’être admis. L’ASA signé en juin dernier avec la Bosnie-Herzégovine était conçu pour orienter le pays dans cette direction. L’accord ouvre aux producteurs du pays l’accès de l’énorme marché européen et permet à ses entreprises d’établir une présence dans les États membres. Il créera de nouvelles perspectives pour les jeunes désireux de faire des études en Europe, ce que peu de jeunes Bosniaques ont eu l’occasion de faire jusqu’ici.

RÉFORME DE LA DÉFENSE

Comme on l’a vu ci-dessus, la réforme en Bosnie progresse mieux dans le secteur de la défense que dans les autres secteurs. Cela est partiellement attribuable au rôle que l’OTAN a joué dans le soutien des changements positifs. La tâche a cependant été colossale. En 1996, la Bosnie-Herzégovine comptait 250 000 soldats armés répartis entre les trois composantes ethniques. Aujourd’hui, il y a une force armée professionnelle de 10 000 soldats ethniquement intégrés sous un commandement unique. La feuille de route de l’OTAN a joué un rôle essentiel en matière de défense, surtout après que la Bosnie-Herzégovine s’est fixé comme objectif stratégique de devenir membre de l’OTAN. La réforme a été possible à cause du consensus réalisé parmi les militaires, l’État et les institutions politiques ainsi que dans le public. C’est un phénomène rare pour un pays qui reste politiquement fragmenté. Le ministre de la Défense, Selmo Cikotic, a en fait laissé entendre que, la perspective d’adhésion à l’OTAN paraissant beaucoup plus proche que celle de l’accession à l’UE, les réformes liées à l’OTAN ont été beaucoup plus faciles à réaliser. Comme c’est en Bosnie que l’OTAN a mené sa toute première opération militaire hors zone et que celle-ci était conçue pour imposer la paix dans ce pays, la Bosnie-Herzégovine a par la suite maintenu des relations très spéciales et très étroites avec l’Alliance. L’OTAN a joué un rôle clé dans la reconstitution d’une force armée nationale sous contrôle politique, qui est maintenant en mesure d’assurer la sécurité du pays. Toutefois, c’est la Bosnie-Herzégovine et non son établissement de défense qui adhère à l’OTAN, ce qui explique la complexité et la lenteur du processus d’accession.

D’après le général de brigade Sabato Errico, commandant du quartier général de l’OTAN à Sarajevo, l’OTAN concentre ses efforts sur le soutien de la réforme de la défense et la coordination des activités liées au Partenariat pour la paix et accorde un certain appui au Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie et à l’EUFOR. L’OTAN a aidé la Bosnie-Herzégovine dans ses préparatifs d’adhésion au Partenariat pour la paix, a appuyé les négociations qui ont abouti à l’établissement en 2005 d’une nouvelle structure de défense au niveau de l’État et a participé à l’organisation des mesures nécessaires pour mettre fin à la conscription et démanteler les unités de défense et les structures de commandement des entités. Le partenariat s’est renforcé avec la transition, en 2006, du PPP à l’IPAP et se renforcera probablement encore avec une éventuelle participation au MAP. Cette année, la Bosnie-Herzégovine sera l’hôte de l’important exercice Combined Endeavour de l’OTAN. Ce sera un vrai défi pour l’établissement de défense, qui aura ainsi l’occasion de mettre à l’épreuve ses nouvelles structures.

RÉFORME DE LA POLICE

C’est à peu près de la même façon que l’UE soutient la réforme de la police en Bosnie-Herzégovine, bien que les problèmes soient beaucoup plus difficiles parce qu’il n’y a ni efforts ni obligation constitutionnelle pour unifier les innombrables forces de police du pays. La Mission de police de l’UE (MPUE), première opération de ce genre jamais entreprise, est active depuis sept ans. Elle facilite la réforme de la police et soutient la lutte contre les crimes graves, y compris la corruption. La MPUE doit cependant affronter des forces de police affligées par le chevauchement des compétences et les conflits de loyauté entre les diverses entités du système fédératif de la Bosnie. C’est là un effet pervers des accords de Dayton, qui limite sérieusement l’action de la mission. D’importants efforts ont été déployés pour renforcer les gardes-frontières ainsi que l’Agence fédérale bosniaque d’enquête et de protection (SIPA) et sa capacité de mener des enquêtes d’État. La consolidation de ces forces et l’établissement d’un service compétent et responsable de police des frontières sont essentiels pour faire face à un sérieux problème de criminalité, triste héritage de la guerre et des réseaux de contrebande qui s’étaient formés pendant cette période. Dans l’ensemble, des changements positifs ont été possibles, même dans le cadre de ces structures sous-optimales. La mise en place de la SIPA en est sans doute le meilleur exemple. En 2008, l’Agence enquêtait sur 2 030 crimes graves, dont des crimes de guerre et des activités de criminalité organisée. Au cours de la seule année dernière, 28 personnes ont été inculpées pour crimes de guerre, mais les poursuites judiciaires pourraient se révéler problématiques.

Après la signature de l’ASA, l’UE s’est intéressée de près aux questions touchant la police. Les autorités européennes souhaitent que la Bosnie-Herzégovine améliore les normes policières et s’assure que la police travaille dans l’intérêt public et peut collaborer avec des partenaires internationaux. D’après le général de brigade Stefan FELLER, chef de la MPUE, l’UE n’est pas responsable du maintien de l’ordre en Bosnie-Herzégovine. Les plans stratégiques visant à améliorer la qualité des services de police relèvent des autorités bosniaques et non de l’UE, qui travaille avec la Bosnie-Herzégovine sur la base de ces plans tout en reconnaissant que la rationalisation des structures policières suscite de délicates questions politiques. Les services de police souffrent d’inefficacités et de problèmes structurels persistants. Avec 15 différents services de police et 13 ministres de l’Intérieur, les chevauchements sont monnaie courante et il est quasi impossible d’exercer un contrôle stratégique opérationnel sur ces forces. Des efforts sont déployés pour renforcer le professionnalisme des services de police au niveau des cantons et des entités et pour établir des voies de communication entre eux. Les services eux-mêmes doivent en outre intensifier le dialogue avec les collectivités qu’ils desservent, quoique certains progrès aient été réalisés à cet égard.

Le développement des capacités de la SIPA est particulièrement important dans ce contexte. À l’heure actuelle, la SIPA a un effectif de 1 120 employés et poursuit activement sa campagne de recrutement. D’après son chef, Mirko Lujic, elle a pour mandat de prévenir la criminalité si possible, de la réprimer et d’enquêter sur les infractions criminelles, y compris les affaires de crime organisé, de terrorisme, de crimes de guerre, de trafic de personnes et d’autres infractions graves. Elle a aussi la responsabilité de protéger les témoins et d’aider les tribunaux et le ministère public. Les autres services de police sont légalement tenus de coopérer avec la SIPA qui doit, de son côté, partager avec eux les renseignements dont elle dispose. La coopération avec la communauté internationale de la police, y compris Interpol, est maintenant plus facile à cause de la présence de cette agence fédérale. La Bosnie-Herzégovine a signé des ententes avec 15 pays afin d’intensifier la collaboration dans le cadre d’enquêtes particulières. Il y a évidemment des problèmes politiques. Les résultats des enquêtes policières sont souvent politisés et peuvent alors déclencher de virulentes campagnes de presse qui sont exploitées par des groupes politiques. Tout cela engendre un climat d’insécurité qui finit par miner l’autorité de l’État, au profit de ceux qui ont intérêt à l’affaiblir.

Le contrôle des frontières pose également des problèmes critiques. La Bosnie-Herzégovine a une longue frontière avec la Croatie, le Monténégro et la Serbie et se situe le long d’importantes voies régionales de commerce et de contrebande. Les forces de police frontalières, qui existent maintenant depuis 10 ans, ont considérablement gagné en professionnalisme et en compétence, selon leur directeur Vinko Dumancic. Il est actuellement prévu d’engager 300 gardes-frontières supplémentaires pour faire face aux nombreux problèmes qui se posent aux frontières du pays. La contrebande et le trafic de personnes demeurent importants malgré une intensification sensible des mesures de contrôle. La police frontalière bosniaque collabore très étroitement avec les pays voisins et fait des efforts pour harmoniser la législation frontalière avec les normes de l’UE. Elle collabore également avec les services de police de la Bosnie dans le cadre d’enquêtes criminelles, d’évaluations des menaces et d’affaires particulières, mais elle aussi souffre du manque d’intégration des forces de police et de l’absence de procédures opérationnelles normalisées, alors que les groupes criminels sont hautement organisés, ont établi des structures internationales et ont accès à d’importantes ressources.

COOPÉRATION RÉGIONALE

Le niveau de la coopération régionale dans les Balkans occidentaux s’est sensiblement intensifié ces dernières années. L’OTAN et l’UE ont fortement encouragé cette tendance et continuent à jouer un rôle important à cet égard. En même temps, d’importantes initiatives et ententes régionales, comme l’Association de libre-échange de l’Europe du Sud-est et la Charte de l’Adriatique, renforcent le réseau de liens régionaux. Ces liens englobent de nombreux secteurs, notamment le commerce, l’environnement, l’énergie et la lutte contre le crime. La coopération énergétique a pris une importance particulière après le récent différend qui a opposé la Russie à l’Ukraine et qui a entraîné une interruption des livraisons de gaz, avec de graves répercussions sur la région. En même temps, les perspectives d’accession d’un certain nombre de pays de la région à l’UE ne semblent pas très fortes, même à moyen terme, ce qui pourrait devenir une source d’instabilité. En effet, les perspectives d’accession imposent une discipline qui incite les gouvernements en cause à concentrer leurs efforts sur les réformes démocratiques et économiques et à renforcer la sécurité régionale.

Dejan ANASTASIJEVIC, journaliste principal d’enquête au Vreme de Belgrade, a consacré une bonne partie de son exposé à ce sujet. Pour lui, seule la Croatie a une chance – assez mince d’ailleurs – de devenir membre de l’UE à court terme, même si les gouvernements de la région sont pro-occidentaux et pro-européens. La chancelière allemande Angela Merkel a dit qu’aucun élargissement n’est possible tant que l’Union actuelle n’aura pas été consolidée. Le sens de cette déclaration n’est pas tout à fait clair, mais l’argument pourrait facilement devenir un prétexte d’inaction. Par ailleurs, de puissants groupes de la région sont opposés au resserrement des liens avec l’UE. Parmi eux, il y a le crime organisé qui trouve invariablement plus facile d’agir dans un environnement qui ne répond pas encore aux normes de gouvernance de l’UE. Certains de ces groupes sont bien branchés sur les milieux politiques et beaucoup ont des contacts dans les organisations nationales de sécurité.

Les pays des Balkans occidentaux ont tous souffert d’une décennie de guerre et d’instabilité. Pendant cette période, les organisations du secteur de la sécurité avaient établi des liens étroits avec des groupes du crime organisé. Comme des pays tels que la Croatie et la Serbie étaient soumis à un embargo sur les armes, ils ont cru bon de se fournir sur le marché noir. Des groupes criminels se sont empressés de leur rendre ce service, tout en établissant une coopération transfrontalière. Les liens noués pendant la guerre ne sont pas facilement rompus. L’assassinat du premier ministre réformiste serbe Zoran Djindjic par des groupes criminels proches de certains éléments du secteur de la sécurité témoigne des dangers que continuent à poser ces alliances inavouables. Ces mêmes groupes puissants et clandestins n’ont aucun intérêt à voir s’établir dans les Balkans occidentaux les normes européennes relatives à la police et aux frontières et ont donc usé de leurs contacts pour saper les réformes. De plus, les organismes de renseignement de la plupart des pays de la région échappent encore au contrôle démocratique. Dans bien des cas, les responsables de la lutte contre le crime sont eux-mêmes gravement impliqués dans des activités criminelles. Pour ces gens, l’UE constitue une menace, sans compter qu’eux-mêmes ont des liens étroits avec l’Europe occidentale par l’entremise de la Mafia sicilienne, de la Sacra corona et d’autres organisations criminelles dont l’influence s’étend au monde entier.

Dans certains cas, on a même l’impression que les trafiquants de drogue ont plus de prestige politique et de pouvoir économique que les représentants de l’État. Les Balkans sont devenus une importante voie de contrebande de drogue, même en ce qui concerne la cocaïne sud-américaine. Le Kosovo est actuellement le principal secteur d’entreposage des drogues destinées à l’Europe parce que les organismes de sécurité y sont tellement faibles. En Bosnie, le manque d’intégration des services de police donne aux criminels toute latitude pour opérer sans encombre. Bref, les Balkans occidentaux sont devenus le point vulnérable de l’Europe, qui devrait se rendre compte par elle-même qu’elle a tout intérêt à voir réussir les réformes démocratiques et la consolidation de l’autorité de l’État dans la région. Toutefois, si l’UE ferme sa porte aux Balkans occidentaux, la région sombrera et l’Europe devra à nouveau affronter toute une série de menaces aussi graves que complexes.

Aucun des pays des Balkans occidentaux ne peut surmonter seul tous les graves problèmes qui se posent. Ces pays ont besoin d’un contexte élargi pour être en mesure de le faire, mais leurs perspectives d’adhésion semblent actuellement nulles. C’est un cercle vicieux dans lequel Bruxelles semble dégoûtée par la criminalité endémique qui règne dans la région, tandis que celle-ci est incapable de s’attaquer à ce problème, en partie parce que l’accession à l’Europe semble par trop lointaine et que cela engendre une sorte de fatalisme que les groupes criminels s’empressent d’exploiter. Pour sortir de l’impasse, l’UE devrait exercer plus de pressions et offrir davantage d’occasions d’accélérer le rythme des réformes dans la région. De telles initiatives rapprocheraient nécessairement les Balkans occidentaux de l’accession. Les restrictions actuelles sur les visas doivent être réduites. Les sondages permettent de croire que les jeunes de la région sont plus nationalistes et moins ouverts sur le monde que leurs parents. L’UE a commencé à relâcher les restrictions sur les visas pour la Croatie et la Serbie, ce qui permettra à beaucoup des Serbes et des Croates ethniques de la Bosnie – qui ont une double nationalité – de voyager en Europe. Curieusement, les Bosniaques eux-mêmes ne pourront pas jouir de ce privilège. Il faudra bien remédier à cette situation pour maintenir l’orientation européenne du pays.

L’ÉCONOMIE RÉGIONALE

Les économies des Balkans occidentaux ont connu des taux de croissance annuels de près de 5 p. 100 ces dernières années. La région attirait de plus en plus d’investissements étrangers. Toutefois, la crise financière mondiale a durement touché ses exportations, a réduit le niveau de l’investissement étranger et commencera sans doute bientôt à faire baisser les transferts de fonds des travailleurs, qui constituent une source vitale de devises. D’après Emira Tufo, experte principale en développement économique et social du Conseil de coopération régionale, la demande intérieure, l’expansion du crédit et les transferts de fonds privés étaient à l’origine les principales sources de croissance des Balkans occidentaux, mais elles sont toutes en train de diminuer. Beaucoup des banques de la région appartiennent à des institutions financières européennes qui connaissent actuellement de graves difficultés. La crise s’étend dans la région. Le FMI a récemment prêté 530 millions de dollars à la Serbie et doit également accorder de l’aide à la Roumanie et à la Bulgarie. Les perspectives ne semblent pas très brillantes parce que la région n’a pas les moyens de se sortir de la crise en faisant des dépenses destinées à relancer l’économie. De plus, la situation économique internationale va tellement mal que les exportations sont peu susceptibles de relancer la croissance, sans compter que le protectionnisme augmente et que les échanges mondiaux ont considérablement baissé ces derniers mois. La région n’a plus qu’un seul moyen de surmonter la crise. Elle peut tirer de grands avantages de l’amélioration du climat des affaires et de l’environnement macro-économique. Il y a de nombreux gains à réaliser, notamment en intensifiant l’intégration économique régionale, mais, là aussi, la perspective d’accéder à l’UE joue un rôle central dans tout progrès que les réformateurs de la région pourraient espérer réaliser.

LA SITUATION AU Kosovo

Le Kosovo et son conflit avec la Serbie constituent encore une importante préoccupation aussi bien pour l’OTAN que pour l’UE, qui ont tous deux déployé au Kosovo des milliers de militaires et de civils chargés de régler les problèmes de sécurité et de soutenir les responsables qui travaillent en faveur de changements positifs. La mission EULEX de l’UE, qui est la plus importante jamais déployée dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense, est arrivée sur le terrain le 16 février 2008 et agit en vertu d’un mandat des Nations Unies. Son rôle consiste à aider les autorités kosovares à établir la primauté du droit et à créer un régime de gouvernement durable et responsable fondé sur des pratiques exemplaires. Selon Natacha ANDONOVSKI-CARTER, chef adjointe du bureau de la politique d’EULEX, la mission aide également les autorités à lutter contre les crimes financiers, les crimes de guerre et les crimes interethniques. La mission, de caractère intégré, fait intervenir des agents intérieurs et extérieurs et comprend des composantes policière, judiciaire et douanière. L’objectif est de constituer un effectif pouvant atteindre 3 000 personnes, dont les deux tiers seraient composés d’éléments internationaux. Une grande partie du travail policier consiste à contrôler les émeutes et les foules. Les unités de police EULEX sont déployées partout dans le pays et travaillent en étroite consultation avec la KFOR de l’OTAN. La mission a également soutenu les efforts visant à créer des capacités en matière d’enquêtes criminelles de renseignement, de poursuites et de procédures judiciaires et de contrôle douanier et frontalier. Beaucoup de ces efforts nécessitent l’adoption d’approches interministérielles. Toutefois, de sérieux problèmes ont créé un environnement particulièrement difficile. La plupart des Serbes du Kosovo ne travaillent pas pour la police et de graves problèmes douaniers se posent au nord de la rivière Ibar. L’ordre public, qui est essentiel à l’établissement d’un régime de primauté du droit, demeure hautement problématique au Kosovo.

La mission de la KFOR se fonde sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle cherche à contribuer au maintien d’un environnement sûr qui facilite la mise en œuvre de la résolution 1244 et permette à la communauté internationale, y compris la MINUK et EULEX, de remplir son rôle. Elle participe aussi au démantèlement du Corps de protection du Kosovo en recueillant l’équipement et en contribuant à la fermeture des casernes. D’après le général de brigade Dave BERGER,  chef d’état-major de la KFOR, le Corps, dont les membres ne portent plus l’uniforme, sera pleinement dissous d’ici juin prochain. La KFOR s’occupe en outre de l’entraînement de la Force de sécurité du Kosovo, qui opérera selon les normes de l’OTAN, n’aura pas de capacités offensives et sera équipée d’armes légères. L’objectif est d’en faire une force multiethnique. À l’heure actuelle, les opérations de la KFOR sont axées sur l’engagement, mais elle projette de passer d’abord à une phase de dissuasion, puis à une présence minimale. De toute évidence, le calendrier de ces changements dépendra de la situation. La KFOR comprend cinq groupes opérationnels multinationaux, commandés chacun par un général de brigade et opérant dans une zone précise. Les carabiniers italiens sont déployés un peu partout dans le pays. À l’heure actuelle, 14 000 soldats sont déployés au Kosovo.

D’une façon générale, les tensions ont diminué depuis la déclaration d’indépendance du printemps dernier, qui avait déclenché une série d’incidents à Mitrovica Nord. Le calme s’est établi pendant l’été, mais il y a eu une légère recrudescence d’incidents en décembre et en janvier. Les incidents de faible portée, y compris des problèmes interethniques dans le Nord, continuent à créer des difficultés dont s’occupent actuellement la KFOR et EULEX. Même si 56 pays ont reconnu l’indépendance du Kosovo, l’OTAN elle-même ne l’a pas fait. D’après le général Berger, la Serbie remplit ses obligations internationales et participe à des patrouilles conjointes régulières et à des échanges de renseignements avec les forces de l’OTAN le long de la frontière. La coopération, hautement professionnelle, est marquée par des échanges constants concernant les violations de la frontière.

LE POINT DE VUE DE Belgrade

Kruna PETKOVIC, ministre adjointe serbe de la Coopération internationale pour le Kosovo- Metohija, fait part du point de vue du gouvernement de la Serbie sur la situation au Kosovo. Pour elle, la déclaration d’indépendance des autorités de Pristina constitue une violation de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki, qui a compliqué la situation de sécurité dans la région et a créé de dangereux précédents qui affaiblissent le droit international. La déclaration d’indépendance, a dit Mme Petkovic, a mis en danger les groupes minoritaires du Kosovo. La Serbie veut que la question soit soumise à la Cour internationale de justice parce que Belgrade y voit une violation de la résolution 1244 du Conseil de sécurité.

Mme Petkovic ajoute que de graves violations des droits de la personne ont été commises contre des groupes minoritaires du Kosovo et que seuls 7 p. 100 de ceux qui ont été chassés de leur maison se sont sentis suffisamment en sécurité pour rentrer chez eux. Beaucoup des maisons sont illégalement occupées. Pour elle, le Kosovo est un État en déroute et un désastre économique caractérisé par un chômage élevé et régi par l’impunité. Les responsables de la fuite des Serbes n’ont pas eu à rendre compte de leurs actes. Les crimes commis contre le Kosovo dans le passé ne sauraient justifier les nouveaux crimes. Mme Petrovic déclare que la Serbie ne reconnaîtra jamais l’indépendance du Kosovo, mais qu’elle apprécie le rôle qu’y joue la KFOR et souhaite que cette force demeure active parce que la communauté serbe est hautement vulnérable et se trouve dans une situation précaire.

LE POINT DE VUE DE Pristina

Naim MALOKU, membre de la présidence de l’Assemblée du Kosovo, parle des réformes militaires en cours et indique que le plan Atasari a servi de base à la création de la nouvelle force de sécurité qui est actuellement entraînée et surveillée par la KFOR. Le gouvernement est également en train de former un Conseil national et un organisme de renseignement. Il dit que les autorités de Pristina préfèrent pour le moment concentrer leurs efforts sur le développement et l’édification des institutions de l’État plutôt que sur la stabilisation. Entre-temps, Mitrovica établit des structures parallèles de caractère criminel qui compromettent l’édification des institutions de l’État. L’Agence des biens du Kosovo s’occupe des litiges concernant les biens. Le gouvernement a affecté 6 millions d’euros à la reconstruction des bâtiments détruits, y compris les édifices religieux. Il a également permis à des juges et à des procureurs étrangers appartenant à EULEX de s’acquitter de leurs fonctions au Kosovo.

LE TRAVAIL DU TPIY

Le Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie (TPIY) est une cour de justice mandatée par les Nations Unies qui a priorité sur les tribunaux nationaux. Le Tribunal est chargé de juger les dirigeants soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre. Il n’a pas l’exclusivité des poursuites pour crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie, les tribunaux nationaux ayant un important rôle à jouer dans le jugement des criminels de guerre, et particulièrement ceux qui n’ont pas agi à un niveau stratégique. Le TPIY s’est donc principalement occupé des dirigeants du plus haut niveau. Sa primauté a été mise en évidence lorsque Berlin a été forcé de lui remettre Duško Tadić, même si celui-ci était déjà inculpé d’activités criminelles en Allemagne. Bien qu’il ait fallu un certain temps au Tribunal pour s’affirmer, on considère maintenant qu’il s’est acquitté de sa mission avec un grand succès. D’après Gavin Ruxton, chef de la Division des procès au Bureau du procureur du TPIY, le Tribunal a inculpé 161 personnes pour crimes de guerre et en a jugé 117. Seuls deux des inculpés sont encore en fuite. Des chefs d’État, d’éminents politiciens et des commandants militaires ont été traduits en justice, avec la participation de plusieurs milliers de victimes. L’immense collection de preuves qui a été constituée permettra de réfuter tout argument révisionniste visant à nier l’énormité des crimes commis au cours des guerres qui ont entouré l’éclatement de la Yougoslavie. On n’a pas encore déterminé le mode d’archivage de cette masse d’information qui appartient aux Nations Unies.

Une importante partie du budget du TPIY est affectée à la défense, qui a accès à tous les documents recueillis par le Tribunal. Les accusés sont libres de se défendre eux-mêmes, comme l’a fait Milosevic, mais cela peut créer des problèmes à cause de l’énorme volume de documents à traiter. L’OTAN a fait un excellent travail de soutien, même s’il n’était pas prévu au départ qu’elle consacrerait beaucoup d’efforts à l’arrestation des présumés criminels de guerre. La communauté internationale a également joué un rôle clé en exerçant de fortes pressions diplomatiques sur les gouvernements en cause pour les inciter à remettre les suspects à la justice. Le fait que l’aide au développement et l’intégration dans les institutions euro-atlantiques étaient alors en jeu a considérablement aidé le Tribunal.

La dernière inculpation importante du TPIY remonte à 2004. Les procès eux-mêmes devaient prendre fin en 2008 et les appels, en 2010. Les Nations Unies ont cependant prolongé le mandat du TPIY, d’une part, à cause de l’arrestation de Karadzic et, de l’autre, parce que quatre procès n’ont pas encore commencé. Le Tribunal attend aussi l’arrestation de Goran Hadzic et de Ratko Mladic et doit en outre se préparer à aider les tribunaux nationaux, qui auront la responsabilité de l’instruction des crimes de guerre à la fin du mandat du TPIY. Il est essentiel que ces tribunaux demeurent actifs pour éviter un « écart d’impunité » dans le cas des responsables de niveau intermédiaire. Il faut aussi s’occuper des crimes individuels. Le TPIY a établi d’innombrables précédents en matière de crimes de guerre, qui devraient avoir un effet dissuasif sur ceux qui pourraient envisager de commettre de tels crimes.

LE POINT DE VUE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DES BALKANS OCCIDENTAUX

Plusieurs dirigeants d’ONG ont parlé de leur travail et des problèmes que pose le développement démocratique dans la région. Les problèmes qu’ils ont évoqués sont graves. La guerre a fait des milliers de morts, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Il y a encore des milliers de disparus et beaucoup de ceux qui ont commis des crimes de guerre n’ont pas été traduits en justice. Toutefois, la justice est difficile à réaliser dans un pays comme la Bosnie où il y a toujours trois versions de la vérité qui dépendent de la communauté ethnique à laquelle on appartient. Pour faire régner la démocratie, il faudra que les citoyens recherchent une vérité supérieure et admettent qu’il y a des coupables dans tous les groupes ethniques. Selon Zlatan Orhanovic, du Centre des initiatives civiques de Tuzla, le problème en Bosnie est que les dirigeants politiques n’aspirent pas vraiment à cette vérité supérieure. La Bosnie a besoin d’une commission de vérité et de réconciliation pour aider la société à explorer le passé et à aboutir à une vérité unique concernant ce qui s’est vraiment passé pendant la guerre. Le système judiciaire de la Bosnie ne s’attaque pas au problème, même s’il y a plus de 10 000 crimes de guerre présumés. Les tribunaux n’ont mené que quelques enquêtes et ont rendu encore moins de jugements. Ni les tribunaux ni la classe politique actuelle ne travaillent à cette fin. Par conséquent, l’initiative du dialogue et de la réconciliation interethniques doit venir directement de la population.

Ljuljjeta Goranci Brkic, directrice générale du Centre de dialogue Nansen, est d’avis que la société bosniaque est fortement traumatisée et vit dans la méfiance et la peur. La corruption est endémique, ce qui décourage tout effort de réconciliation. En fait, la peur est devenue l’outil de choix des responsables corrompus et des criminels. Des efforts considérables sont déployés pour bloquer le dialogue et marginaliser les réfugiés de guerre qui ont eu le courage de rentrer chez eux. La population est en mode de survie et bien peu de gens osent franchir la barrière ethnique. Les jeunes font leur apprentissage social dans des écoles monoethniques et les présumés criminels de guerre bénéficient de la protection de leurs communautés respectives au lieu d’être dénoncés et arrêtés. Hautement conformiste, la société bosniaque a appris à ses membres à rester passifs face à l’autorité. C’est un sol fertile pour les forces criminelles et antidémocratiques, qui n’hésitent pas à exploiter la situation.

La société civile elle-même doit combattre ces tendances. Il y a en fait des mouvements de la base qui commencent à le faire. La démocratie doit se construire à l’échelle locale et, tant que ce ne sera pas fait, il n’y aura pas de responsabilité démocratique. Cela signifie qu’il faut encourager et stimuler le dialogue interethnique et que les jeunes, en particulier, y participent. La difficulté, aujourd’hui, c’est que les institutions de l’État ne font qu’aggraver le problème. Si l’État avait été structuré autrement, le comportement de la population aurait peut-être été différent. Par conséquent, un changement des structures sera essentiel pour réaliser la réforme démocratique.

Hedvig Morvai-Horvat, directrice exécutive du Fonds européen pour les Balkans, a concentré son exposé sur la région dans son ensemble ainsi que sur la Serbie. Elle estime que, partout dans la région, la guerre a transformé des groupes qui ne s’étaient jamais considérés comme minoritaires en minorités très conscientes de leur image. Cela a eu un effet traumatisant. La crise a rendu très difficile l’amélioration des conditions de vie des groupes minoritaires de toute la région. La Serbie compte plus d’un million de personnes classées parmi les minorités nationales, et notamment les Hongrois, les Albanais, les Bosniaques, les Croates, les Tchèques et les Allemands, sans compter les minorités du Kosovo. La situation en Serbie s’est sensiblement améliorée depuis la fin du régime Milosevic. Toutefois, les événements survenus dans la région ont eu des retombées en Serbie même, ce qui peut avoir suscité des sentiments de nationalisme assez négatifs. En Serbie comme en Bosnie, on a eu tendance à  séparer les écoliers là où les écoles étaient auparavant multiethniques. De plus, la Serbie a beaucoup de difficulté à affronter son passé et, en particulier, son rôle dans les guerres balkaniques. Les ONG tentent de réparer les dégâts dans ce domaine. Des efforts sont actuellement déployés pour favoriser des relations triangulaires entre municipalités situées de part et d’autre de la frontière afin d’encourager l’établissement de nouveaux contacts, de resserrer les liens économiques et de susciter un dialogue aussi bien interethnique qu’international. Les ONG essaient également de produire de nouveaux manuels scolaires d’histoire caractérisés par une vision complexe plutôt que nationaliste du passé. Malheureusement, les autorités résistent à leur introduction aussi bien en Serbie qu’ailleurs.

Nenad Koprivica, directeur exécutif du CEDEM (Center for Democracy and Human Rights), ONG établie au Monténégro, a parlé de la situation dans son pays. Il croit que le Monténégro doit rendre compte des crimes commis sur son territoire, y compris le nettoyage ethnique de la  Bukovica en 1992 ainsi que l’expulsion des Bosniaques et des musulmans, dont beaucoup ont été tués par la suite. Lui aussi estime que ce lourd héritage ne peut pas être réglé au seul niveau national, la solution devant partir d’un dialogue s’étendant à toute la région.

 

Respectueusement soumis,

 

M. Leon Benoit, député
Président
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP-OTAN)





[1] La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel.

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