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Rapport

L’Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN) a l’honneur de présenter son rapport sur sa visite conjointe du 79e séminaire Rose-Roth, tenu à Marseille, en France, du 11 au 13 mai 2012, et du Groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient (GSM).

Le Canada était représenté par la sénatrice Raynell Andreychuk

SESSION D’OUVERTURE

Le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. Michel Vauzelle, souhaite la bienvenue aux participants au séminaire. Il fait observer que les destinées des rives septentrionale et méridionale de la Méditerranée sont indissociablement liées. La rive septentrionale ne saurait être considérée comme une frontière entre deux civilisations, mais, bien plutôt, comme un élément d’une grande région méditerranéenne. L’intervenant salue le rôle de l’Alliance, qui défend les valeurs communes aux pays concernés. Il ajoute que la décision des autorités françaises de réexaminer la place de la France dans l’OTAN suivant les lignes définies par le général de Gaulle est peut-être quelque peu hâtive. Le rôle de la France dans le monde et, notamment, vis-à-vis de l’Afrique du Nord aurait pu être plus productif si le pays n’avait pas été considéré comme faisant partie intégrante d’un bloc politico-militaire, précise l’intervenant.

M. Loïc Bouvard remercie M. Vauzelle de ses paroles de bienvenue et de sa franchise. Si, sur la scène politique française, les avis divergent quant à l’ampleur que doit avoir la présence de la France dans les structures de l’OTAN, l’importance du rôle de celle-ci ne souffre pas de contestation. Il fait aussi remarquer qu’on aurait difficilement pu trouver un meilleur endroit que Marseille pour débattre l’évolution de la situation dans la dynamique région méditerranéenne. Tout au long de sa riche histoire, la ville a été la porte de la France sur l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.

M. Bouvard souligne combien il convient de faire montre de modestie lorsqu’il s’agit de la région MOAN. Le fait que les spécialistes occidentaux n’aient pu prédire un bouleversement de la taille du Printemps arabe montre qu’il reste beaucoup à apprendre sur elle. L’objectif ultime du séminaire est de contribuer à définir les domaines dans lesquels la communauté euro-atlantique – et, plus particulièrement, l’Assemblée – peut aider les pays de la région, qui sont confrontés à de formidables problèmes de transition.

M. Lamers remercie la région Provence-Alpes-Vôte d’Azur de toute l’aide qu’elle a apportée à l’organisation du séminaire. Il observe que c’est la première fois qu’un séminaire Rose‑Roth se tient conjointement avec le séminaire du GSM. Il rappelle par ailleurs que la question du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord est un thème prioritaire de sa présidence.

Il rend hommage à tous ceux qui ont cru qu’une vie meilleure était possible et qui ont eu le courage d’agir selon leurs convictions. Les peuples de la région sont les arbitres ultimes de leur destin. Il se peut que la communauté internationale soit invitée à apporter une aide politique ou économique, voire militaire, comme en Libye. La nature de cette aide doit être examinée au cas par cas. À l’instar de M. Bouvard, le Président presse ses collègues de l’Assemblée de faire montre d’humilité, d’écouter attentivement et de tenter d’appréhender les sensibilités complexes de la région.

L’intervenant profite de l’occasion qui lui est donnée pour appeler le régime syrien à accepter le plan des Nations Unies et à mettre un terme à une violence insensée.

M. Fayez Al-Tarawneh, sénateur jordanien, souhaite la bienvenue aux participants au nom de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM). Il souligne que celle-ci et l’Assemblée parlementaire de l’OTAN ont en commun un attachement aux libertés individuelles, à la démocratie, aux droits de la personne et à la primauté du droit.

L’intervenant déclare que l’APM, réunit des parlementaires de vingt-huit pays de la région méditerranéenne, se tient au côté des peuples de Tunisie, d’Égypte et de Libye et qu’elle mobilise sont réseau de diplomatie parlementaire pour leur apporter une aide humanitaire immédiate et à long terme, de même qu’une expertise législative pour faciliter le processus de transition démocratique grâce à une réforme constitutionnelle et à des élections honnêtes. Entre autres choses, elle a envoyé en Tunisie une mission de haut niveau qui a rencontré le président de ce pays dès le début de la Révolution du jasmin. Travaillant en étroite collaboration avec le Secrétaire général de l’ONU, Son Excellence M. Ban Ki-moon, elle a préservé une voie de communication avec la Libye en plein conflit, facilitant ainsi la conduite des missions de l’ONU et ouvrant un couloir humanitaire vers Misrata. Le secrétaire général de l’APM se tient en contact avec Kofi Annan et d’autres protagonistes de la crise syrienne. En outre, l’APM offre un forum où les vice-présidents de la Knesset et du Conseil national palestinien (CNP), qui sont tous deux des vice-présidents de l’APM, se rencontrent périodiquement, ce qui contribue au processus de paix au Proche-Orient. Grâce à l’engagement de ses membres, l’APM est devenue un instrument parlementaire pleinement opérationnel consacré à la prospérité, à la sécurité, à la stabilité de la région méditerranéenne et au bien-être de ses habitants.

Mme Caroline Dumas, du ministère français des Affaires étrangères, ouvre les travaux proprement dits avec un exposé intitulé Printemps arabes : Opportunités et incertitudes. Elle souligne que la vague d’événements qui a déferlé sur la région MOAN a déclenché de profonds changements dans cette partie du monde, y compris des déplacements d’équilibres et des renversements d’alliances. Il s’ensuit de nombreuses répercussions qui sont venues compliquer encore l’instauration d’une paix générale au Proche-Orient. L’intervenante évoque aussi les modifications du rôle que jouent certains acteurs de premier plan dans la région, dont les États-Unis, l’Union européenne, la France, l’Iran et la Turquie.

Si, habituellement, les décideurs occidentaux font de la stabilité un objectif fondamental, le soutien au statu quo s’est révélé, en fin de compte, un facteur de déstabilisation. Une corruption omniprésente, des gouvernements répressifs et dépourvus de légitimité, l’aggravation de la situation économique et des fluctuations démographiques rapides ont donné lieu à une situation politiquement explosive. Certains gouvernements sont parvenus à survivre au maelström qui a suivi en promettant des réformes; d’autres ont recouru à la violence et, bien évidemment, plusieurs de ceux-là sont tombés.

La succession de révolutions a donné aux peuples de la région une occasion historique de réaliser eux-mêmes leurs aspirations économiques et politiques, mais des incertitudes subsistent. Les nouveaux dirigeants, dont certains n’ont que peu d’expérience politique, se retrouvent face à de formidables défis. Les problèmes de gouvernance normaux sont aggravés par des tensions confessionnelles et/ou ethniques. Reste à voir si l’avènement des partis se réclamant des valeurs islamiques compromettra la concrétisation des objectifs originels des révolutions. Mme Dumas conclut en disant qu’en dépit des incertitudes, la transformation de la région est l’occasion de mobiliser de nouveaux talents et de bâtir des sociétés plus prospères et plus démocratiques. Elle permet aussi à l’Europe de consolider ses partenariats dans la région.

DÉMOCRATIE, DROITS DE LA PERSONNE ET ISLAM

La session est présidée par le sénateur Antonio Cabras (Italie), président du GSM.

L’orateur invité, M. Fadi Hakura, chef du projet turc à Chatham House, indique que, sur la scène internationale, la Turquie aspire à être l’amie des peuples opprimés et un paradigme de démocratie et de liberté. Son premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, est sans doute l’homme politique étranger le plus populaire de la région. L’orateur estime cependant que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît et que d’autres facteurs sous-tendent la politique extérieure d’Ankara, y compris les relations personnelles qu’entretiennent M. Erdogan et des dirigeants de pays de la région MOAN, de même que des considérations d’ordre confessionnel.

Le Parti pour la justice et le développement (AKP) a montré qu’une formation politique porteuse de valeurs islamiques pouvait aussi être démocratique. L’intervenant relève cependant que le modèle turc ne peut se transposer aisément dans les pays arabes en transition. Ce modèle dépend largement des dirigeants des partis. Par ailleurs, l’AKP défend des positions économiques sensiblement différentes de celles de la plupart des partis du monde arabe : il est beaucoup plus favorable à l’entreprise, alors que les Frères musulmans se montrent quelque peu méfiants envers le marché libre et les investisseurs étrangers. L’intervenant fait observer que, désormais, l’Arabie saoudite fait davantage figure de modèle que la Turquie aux yeux de nombreux Égyptiens, par exemple.

M. Hakura estime que la Turquie n’en a pas moins un rôle à jouer dans la région. Sa politique extérieure n’est jamais aussi efficace que lorsque ses dirigeants sont en bons termes avec tous les protagonistes, y compris les pays du Golfe, l’Égypte, les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël, l’Allemagne, la Russie et l’Iran. La bonne réputation de la démocratie turque est le meilleur vecteur de l’influence du pays dans la région, conclut l’intervenant.

Pendant le débat qui suit, des membres de la délégation de la Turquie auprès de l’Assemblée rejettent l’idée selon laquelle ce pays serait en train de reculer sur le plan des normes démocratiques et des droits de la personne. Ils affirment que la Turquie est un pays stable et démocratique dans une région instable et en proie à de vives tensions. Elle ne veut pas s’immiscer dans les affaires intérieures de ses voisins et entend simplement faire office de médiateur honnête et contribuer ainsi à promouvoir la stabilité et la mise en place d’institutions démocratiques dans cette partie du monde. Elle peut aussi servir d’exemple de la complémentarité qui peut exister entre les valeurs islamiques et la démocratie, ajoutent les parlementaires turcs. Plusieurs participants font observer par ailleurs qu’il convient d’employer avec circonspection le terme « laïcité », particulièrement lourd de sens dans la région, où il est souvent confondu avec l’athéisme.

LE RÔLE DES ACTEURS EXTÉRIEURS DANS LA RÉGION MOAN

La sénatrice Raynell Andreychuk, rapporteure du GSM, est modératrice de la session.

M. Bernardino Leon, représentant spécial de l’Union européenne pour la Méditerranée méridionale, évoque les changements d’optique de l’UE sur la région MOAN. En Europe, le Printemps arabe a surtout été perçu comme un phénomène positif, même si la situation en Syrie est très préoccupante. Il se peut que la région soit encore instable pour le moment, mais elle devrait finir par se stabiliser, précisément parce qu’elle s’ouvre au monde extérieur. On ne peut pas dire que l’autoritarisme soit un gage de stabilité durable, observe l’intervenant.

Les responsables qui s’occupent de la transition sont confrontés à de redoutables défis politiques et économiques. Le soutien de la communauté internationale est essentiel. L’UE est investie d’un rôle particulier, puisqu’elle seule peut proposer des partenariats dans trois domaines majeurs sur lesquels repose la transformation : sécurité, développement et droits de la personne. Les autres acteurs internationaux qui souhaiteraient prêter main-forte sont les bienvenus. M. Leon insiste sur le fait qu’une coordination plus étroite des diverses actions internationales est indispensable.

L’UE assume ses responsabilités, déclare l’intervenant. La contribution financière qu’elle destine à la région est passée de 6 milliards à 11 milliards d’euros. Elle a mis sur pied des entités chargées de mettre en place une coopération efficace avec plusieurs pays de la région MOAN. Elle consacre à la transition de la Tunisie une aide économique d’une importance particulière et elle se concentre maintenant sur un accroissement de celle qu’elle apporte à la Jordanie, à l’Égypte et au Maroc. Elle réfléchit également à la meilleure façon d’épauler la Libye et l’Algérie dans leur transition démocratique. L’intervenant fait remarquer que la plupart des économies de la région sont aujourd’hui en très mauvaise posture et qu’il est essentiel de les soutenir davantage.

Mme Sujata Sharma aborde le changement de point de vue des États-Unis au sujet de la région MOAN. Barack Obama – dans son discours du Caire – et sa secrétaire d’État, Hilary Clinton, ont clairement indiqué que les régimes dictatoriaux de cette région n’avaient pas d’avenir. Si, contrairement à certaines allégations, les États-Unis ne sont pour rien dans le déclenchement des mouvements de protestation, ils n’en appuient pas moins fermement les revendications des peuples concernés sur le plan des libertés fondamentales, des droits de la personne, de l’égalité des sexes et de la démocratisation politique. Ce sont là des valeurs universelles, déclare l’intervenante.

Celle-ci rappelle par ailleurs que les États-Unis sont disposés à dialoguer avec les nouveaux dirigeants régionaux et ils s’adressent à tous les partis politiques, y compris ceux avec lesquels ils peuvent avoir quelques désaccords. L’étiquette d’« islamiste » accolée à quelques-unes des formations de la région ne les rebute pas, pour autant que les formations en question démontrent leur attachement aux droits de la personne, à l’églité des sexes et à la primauté du droit. Mme Sharma souligne aussi que tous les acteurs internationaux – les États-Unis, l’Union européenne et d’autres encore – ont un rôle à jouer, s’agisssant de la concrétisation des aspirations légitimes des peuples de la région MOAN. Il convient de redoubler d’efforts pour dialoguer avec les gouvernements, bien sûr, mais aussi avec les entrepreneurs, la société civile, les milieux universitaires et les dignitaires religieux.

L’orateur suivant, M. Gabriele Cascone, est analyste à la Division Défis de sécurité émergents de l’OTAN. Il expose son point de vue personnel sur l’évolution de la situation stratégique dans la région MOAN. Il fait observer que les processus de réforme et de démocratisation seront longs et ardus, mais qu’ils devraient se solder par un surcroît de démocratie.

Il est important de garder à l’esprit que la situation varie grandement d’un bout à l’autre de la région. Il convient donc d’adopter pour chaque pays une tactique faite sur mesure. L’OTAN en est bien consciente et élabore en conséquence ses programmes du Dialogue méditerranéen et de l’ICI.

M. Cascone note que la Ligue arabe approuve la mission que l’OTAN a effectuée en Libye sous mandat de l’ONU. Il s’agit là d’un changement fondamental : récemment encore, personne n’aurait pu imaginer que des pays arabes auraient demandé à l’OTAN de soutenir des opposants à un gouvernement de la région. Cela ne signifie pas qu’elle aura un rôle à jouer dans de futures crises régionales, mais, à l’évidence, l’Alliance apparaît désormais, dans le domaine de la sécurité, comme un acteur beaucoup plus important aux yeux des pays de la région. Elle a toujours fait preuve de la plus grande prudence lorsqu’elle a offert son aide à ces pays. Elle pourrait toutefois, au vu de l’attitude de la Ligue arabe, qui a sollicité l’intervention de l’OTAN en Libye, se montrer moins réticente lorsqu’il s’agira de proposer son aide et ses services dans le contexte du processus de réforme. On escompte, au Sommet de Chicago, une révision de la stratégie alliée vis-à-vis de la région, mais, toujours selon lui, il est peu vraisemblable que l’OTAN assume des fonctions majeures dans la sécurité de ladite région : elle est plus apte à jouer un rôle de soutien, en concentrant ses efforts sur la réforme du secteur de la sécurité et de la défense.

Pendant le débat qui suit, des participants demandent de quelle façon l’Union européenne compte aider les pays de la région MOAN, qui sont confrontés à d’énormes problèmes économiques, dont un taux de chômage très élevé. M. Leon répond que bon nombre de ces pays sont dotés d’une économie relativement forte et que la communauté euro-atlantique n’est pas en position de servir de catalyseur central pour le développement économique des pays concernés. Une aide financière directe est certainement moins utile que les perspectives que peut offrir l’Occident, telles que l’accès au marché européen et la facilitation des voyages à destination de l’Europe, en particulier pour les scientifiques, les entrepreneurs et les étudiants. Aider ces pays à récupérer les avoirs d’anciens dictateurs et de leur entourage n’est pas seulement un geste politique symbolique : il a des effets économiques tangibles pour eux. M. Al-Taraweh (APM) constate qu’une aide financière internationale n’est pas nécessairement exempte de conséquences négatives : l’acceptation du soutien du Fonds monétaire international, par exemple, oblige généralement les bénéficiaires à opérer des réformes économiques et fiscales que, dans d’autres circonstances, ils ne seraient pas disposés à engager.

ATTENTES SUSCITÉES PAR LE PRINTEMPS ARABE DANS LE DOMAINE ÉCONOMIQUE : UN DÉFI POUR LES NOUVEAUX RÉGIMES

Hugh Bayley (Royaume-Uni), vice-président de l’AP OTAN, est le modérateur de la session.

Le premier orateur est l’ambassadeur Richard A. Boucher, secrétaire général adjoint de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Il évoque la situation économique et le changement social dans la région MOAN. Selon lui, les changements intervenus dans le monde arabe ont mis en lumière bon nombre des problèmes dans la région, en même temps qu’ils ont offert de nouvelles occasions de procéder à des réformes substantielles qui pourront aiguiller la croissance économique. Le problème le plus grave que connaisse la région réside dans la part disproportionnée de l’État dans l’économie et dans le manque de place pour le secteur privé. Plusieurs pays sont trop exposés à des fluctuations du tarif des produits alimentaires et pétroliers. Le marché du travail manque de souplesse, ce qui complique la recherche d’un emploi pour les nouveaux arrivants sur ce marché et contribue à encourager le travail non déclaré. Avec les jeunes, les femmes sont manifestement les premières victimes du sous-emploi : 80 % d’entre elles sont exclues de la population active, ce qui signifie que les pays concernés sont privés d’une gigantesque réserve de compétences.

Un aspect positif cependant : le potentiel de croissance est important, grâce à la proximité des marchés européens, et grâce aussi au fait que ces pays comptent un très grand nombre de jeunes dynamiques qui ont fait des études relativement poussées. En outre, la région est riche en ressources énergétiques : au pétrole et au gaz, il faut ajouter l’énergie solaire, qu’il conviendrait de mieux exploiter. Le tourisme est, lui aussi, un secteur susceptible de contribuer à la croissance, notamment parce que la région est aisément accessible depuis l’Europe.

L’orateur décrit la manière dont l’OCDE aide les pays de la région MOAN à élaborer des programmes de réforme économique. Les programmes internationaux d’assistance et de coopération devraient se concentrer sur une libéralisation qui favoriserait l’essor du secteur privé et sur un soutien à des projets de recyclage professionnel. Il conviendrait de « dégraisser » et de moderniser des mécanismes de gouvernance démesurés, notamment en utilisant des technologies d’information et de communication modernes et en faisant la chasse à la corruption. Si des réformes systémiques étaient mises en chantier, ces pays pourraient se classer parmi les économies « de classe mondiale », a fait observer l’orateur.

Le second orateur, Mats Karlsson, directeur du Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI), parle de transformation et d’intégration dans la zone euro-méditerranéenne. Selon lui, un formidable programme de réformes politiques et économiques attend les pays de la région MOAN, mais ceux-ci n’en viendront pas à bout sans mener en parallèle un programme d’intégration et sans rattacher leur économie à la chaîne de valeur internationale. Ils ont très peu d’échanges commerciaux avec le reste du monde; exception faite des hydrocarbures, le total de leurs exportations est comparable à celui de la Suisse. Un accès plus ouvert aux marchés européens contribuerait de manière non négligeable au développement d’économies compétitives et diversifiées dans la partie méridionale de la Méditerranée.

Les pays de la région MOAN doivent aussi lever les barrières commerciales interrégionales, d’autant que le volume des échanges intrarégionaux, précisément, est négligeable. Il est vital de promouvoir une plus grande liberté de circulation des biens, certes, mais aussi des services, de la main-d’œuvre et des capitaux à l’intérieur de la région dans son ensemble. La région pourrait tirer profit de l’expérience acquise par d’autres parties du monde – dont l’Europe – en matière d’intégration. La création d’emplois est directement liée à une plus grande intégration internationale, affirme l’orateur. Qui plus est, l’intégration économique régionale soulignerait encore la nécessité de réformes économiques structurelles à l’échelle de la région et contrebalancerait effectivement la mauvaise image de l’économie de marché, laquelle était trop souvent associée, sous les anciens régimes, au « capitalisme entre copains ».

Des réformes ambitieuses exigent un espace fiscal qui ne peut s’obtenir qu’au prix d’un réexamen de l’ancienne politique des subventions et, notamment, des aides d’État dans le secteur du pétrole. Ces aides absorbent, selon les estimations, de 3 à 5 % du produit intérieur brut (PIB) dans beaucoup de pays de la région MOAN; elles entraînent de graves distorsions et nuisent aux perspectives de croissance de la région. MM. Karlsson et Boucher déplorent le caractère universel des subventions aux produits pétroliers et aux denrées alimentaires, qui ne permet pas de distinguer les subventions qui sont nécessaires de celles qui ne le sont pas. Ils recommandent que les gouvernements des pays de la région octroient désormais des subventions mieux ciblées et destinées aux éléments les plus vulnérables de la société.

Pendant le débat qui suit, M. Saïd Chbaatou (Maroc) appelle l’attention sur l’existence de différences philosophiques considérables entre le monde occidental et le monde islamique : le premier n’appréhende les questions économiques qu’en fonction de certains indicateurs macroéconomiques, tandis que les peuples de la région MOAN tendent à prendre en compte d’autres aspects, moins quantifiables, de la vie économique. Les difficultés que connaît actuellement l’Occident amènent l’intervenant à penser que ce modèle comporte de graves insuffisances et qu’il ne devrait donc pas être suivi aveuglément. M. Karlsson convient que le succès économique peut être jaugé suivant des méthodes différentes, et il prend pour exemple à ce propos la Chine. Cela dit, ajoute l’intervenant, tous ces modèles reposent sur l’intégration et sur la capacité du système de faciliter les échanges de biens, de services, de capitaux et de main-d’œuvre. Il appelle les pays de la région à opter pour l’intégration et à former de facto un « nouveau groupe BRIC ».

LES PROBLÈMES DE SÉCURITÉ AU PROCHE-ORIENT APRÈS LE PRINTEMPS ARABE

Le séminaire se poursuit le lendemain avec la session consacrée à l’évolution de la situation au Proche-Orient. La session est présidée par Jean-Michel Boucheron (France), ancien vice-président de l’Assemblée et ancien président du GSM.

Le premier orateur, le professeur Eric Hooglund, du Centre pour les études proche-orientales à l’Université de Lund, évoque le point de vue de l’Iran sur les soulèvements arabes, tel qu’il transparait dans les médias iraniens. On trouve dans ces médias des positions qui attestent l’existence d’opinions nettement divergentes. M. Khamenei a exprimé l’interprétation iranienne « officielle » de ces événements en avril 2011, lorsqu’il a déclaré que les soulèvements incarnaient « les objectifs et les orientations islamiques ». Les autorités de Téhéran estiment que soit le Printemps arabe s’inspire de la révolution iranienne de 1978-1979 elle-même, soit il constitue une réaction dirigée contre les dictateurs imposés par l’Occident. Parallèlement, des positions non officielles sont apparues, selon lesquelles les soulèvements trouvent leur inspiration dans le mouvement de protestation qu’a connu l’Iran en 2009 et sont l’expression d’authentiques aspirations populaires à la liberté et à la démocratie. Dans une large mesure, les médias iraniens ont – pour des raisons différentes – salué le Printemps arabe. Mais ils ont traité les événements de Syrie sous un tout autre angle. L’orateur pense qu’il n’existe pas de consensus dans l’équipe dirigeante iranienne quant à la question de savoir si les alaouites doivent être considérés comme des chiites à part entière ou comme des hérétiques. Il conclut son exposé en affirmant que l’Iran n’est pas devenu un modèle pour les pays de la région en raison de la démarcation entre nationalisme arabe et nationalisme iranien, d’une part, et des facteurs confessionnels que comporte sa politique étrangère, d’autre part.

M. Alan George parle des événements de la Syrie et de leurs répercussions sur le monde arabe. Il fait observer que le cas de la Syrie est plus complexe que celui de la Libye : la composition ethnique et religieuse de la première est beaucoup plus hétérogène que celle de la seconde. Il faut aussi prendre en considération l’héritage de la « Grande Syrie »; en effet, le tracé actuel des frontières du pays ne correspond pas à l’idée que se font bien des Syriens de leurs frontières historiques, et dans les milieux gouvernementaux de Damas, nombreux sont les responsables qui n’on jamais accepté tout à fait que le territoire souverain du pays soit amputé du Liban et d’autres territoires. Il est important de ne pas comparer la situation en Syrie avec celle de la Libye. Bachar el-Assad pouvait – et peut encore – compter sur plus d’alliés que Kadhafi, parmi lesquels l’Iran, le Hezbollah, la Russie et la Chine. Les autorités de Bagdad, elles aussi, sont de mieux en mieux disposées à l’égard d’el-Assad, conséquence du rapprochement entre l’Iraq et l’Iran et de l’existence d’un ennemi commun, les djihadistes sunnites qui franchissent la frontière entre l’Iraq et la Syrie.

Au vu de tous ces éléments, l’orateur estime que ce serait une erreur de s’attendre à la fin du conflit armé en Syrie dans un proche avenir. Les deux camps considèrent qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort, chacun redoutant d’être annihilé par l’autre en cas de défaite. À la date du séminaire, le bilan estimatif s’établissait, selon l’opposition syrienne, à 13 000 morts, 220 000 personnes incarcérées et 65 000 disparus. L’instabilité offre un terrain propice aux extrémistes djihadistes et une catastrophe humanitaire semble presque inévitable, à moins que la communauté internationale n’agisse. L’orateur lance un appel en faveur d’une « intervention internationale intelligente » qui abrégerait le conflit et le rendrait moins sanglant et « moins djihadiste » par nature. Toutefois, plusieurs participants pensent que l’opposition au régime est trop fragmentée, de sorte qu’une telle intervention risquerait d’aggraver l’instabilité.

L’orateur suivant, M. Lahcen Biyjeddigen, vice-président de la Chambre des conseillers du Maroc, se félicite du Printemps arabe, dans lequel il voit une manifestation de la détermination des peuples à prendre leur avenir en main. Les Marocains croient en la sagesse de leurs frères de Tunisie, de Libye et d’Égypte et ils espèrent que ces pays se transformeront de manière pacifique en véritables démocraties. Les autorités marocaines s’emploient véritablement à prendre en considération les revendications du peuple, à renforcer les mécanismes démocratiques et à défendre les droits de l’homme et de la femme. L’orateur déplore très vivement le drame qui se joue en Syrie, et précise que le Maroc souscrit au « plan Annan ». Il appelle l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à contribuer à l’application des résolutions de la Ligue arabe en Syrie. Il observe toutefois que la sécurité ne peut s’obtenir par la force seule; la société civile doit jouer un rôle plus important dans la transition. Enfin, il conviendrait de ne pas négliger l’existence d’autres menaces dans la région, dont la question palestinienne et le comportement d’Israël, qui continue à violer les accords existants.

Un débat sur la question israélo-palestinienne s’ouvre ensuite. Les orateurs invités, MM. Ravel et Halevi, appellent tous deux à la reprise des négociations de paix, mais le débat met en lumière les profondes divergences qui opposent les deux parties sur des questions majeures : tracé des frontières, colonies israéliennes, retour des réfugiés palestiniens, divisions entre Palestiniens, rôle du Hamas, etc.

M. Ravel indique qu’Israël est confronté à une multitude de menaces, dont des tirs de roquettes en provenance de Gaza, des attentats terroristes à l’intérieur de ses frontières et le programme nucléaire iranien. L’orateur assure que, malgré ces dangers, il existe en Israël un consensus politique autour du fait qu’un accord définitif devra reposer sur la solution des deux États. Il souligne en outre que les soulèvements arabes offrent l’occasion de bâtir la paix dans la région et il réitère le soutien de son pays à tous ceux qui sont en quête de démocratie et de dignité. Des incertitudes subsistent toutefois et la stabilité régionale dépendra dans une large mesure du résultat de la lutte qui oppose actuellement forces démocratiques et forces radicales dans le monde arabe. La communauté internationale doit être prête à dialoguer avec les nouveaux gouvernements de la région pour autant que certaines lignes rouges – protection des minorités, droits de la femme et respect des accords de paix conclus avec Israël – ne soient pas franchies.

L’orateur répète qu’Israël est disposé au compromis. Tous les partis israéliens sont d’accord sur la création d’un État palestinien. Les autorités israéliennes ont décrété un moratoire sur l’implantation de nouvelles colonies et ont lancé un certain nombre de projets de développement économique : elles estiment qu’une économie forte est une condition sine qua non de la paix. Les Palestiniens vivant en Israël jouissent de tous les droits et libertés fondamentaux de l’individu. Malheureusement, dit l’orateur, les dirigeants palestiniens ne sont pas encore disposés à reconnaître l’État d’Israël. Il invite instamment les Palestiniens à reprendre les négociations avec Israël sans conditions préalables.

Les représentants palestiniens contestent vivement quelques-unes des affirmations de M. Ravel. Ainsi, ils mettent en question le bilan d’Israël quant au respect des droits de la personne et des principes démocratiques, qui ne semblent pas s’appliquer aux Palestiniens vivant là-bas. Les intervenants font valoir aussi que la montée en puissance du Hamas est le résultat de la réticence manifestée par les autorités israéliennes dès qu’il s’agit de résoudre les problèmes par la négociation. M. Al-Tarawneh précise que le monde arabe est tout disposé à reconnaître pleinement l’État d’Israël, mais dans les limites définies par de précédents traités internationaux.

Cependant, plusieurs membres de l’Assemblée pressent les voisins d’Israël de respecter le droit de ce pays à la sécurité et à l’exercice de sa souveraineté. Ils déplorent l’emploi par les médias palestiniens à l’encontre d’Israël d’une rhétorique qui, souvent, est très hostile. Ils font observer en outre que la communauté euro-atlantique et Israël partagent des valeurs identiques.

M. Halevi reconnaît très volontiers que la négociation est la seule façon de faire avancer un règlement du conflit, mais il ajoute que, pour être fructueuse, cette négociation doit prendre pour base les dispositions de précédents accords internationaux, dont les Accords d’Oslo. Non seulement les colonies israéliennes en Palestine sont illégales au regard du droit international, mais elles constituent un obstacle majeur pour, précisément, la négociation, ce que l’administration américaine reconnaît sans peine.

M. Halevi déclare que l’Autorité palestinienne a pour objectifs l’absence de recours à la violence, une gouvernance améliorée, le développement économique, la réunion de la Cisjordanie et de Gaza sous une juridiction unique et une consolidation de sa propre stature diplomatique. L’orateur évoque la récente victoire de la Palestine, qui a obtenu de siéger à l’UNESCO. La solution réside dans l’exercice de pressions non violentes sur Israël. L’orateur appelle chacune des parties à s’abstenir de diaboliser les autres. Bien qu’il soit représentant du Fatah, il soutient que la réconciliation avec le Hamas est nécessaire à la construction d’une Palestine unifiée et pluraliste. Ignorer le Hamas donnerait des résultats contraires à ceux que l’on escompte, d’autant que cette organisation affiche désormais des positions plus modérées et que la majorité de ses membres souscrivent au principe de la non‑violence.

L’orateur termine en appelant l’OTAN à veiller à la sécurité de ses frontières entre les territoires palestiniens et Israël, et ce avant même tout tracé définitif de ces frontières suite à un éventuel accord de paix. Il transmet cette proposition au nom de M. Abbas, selon qui l’OTAN contribuerait véritablement, en se chargeant d’une telle mission, à l’instauration de la paix au Proche-Orient.

LE PRINTEMPS ARABE ET SES IMPLICATIONS POUR LA PÉNINSULE ARABIQUE

Cette session est présidée par la sénatrice Nathalie Goulet (France), membre de la délégation française auprès de l’AP OTAN. Elle comporte à son programme un exposé de Mme Dazi-Héni consacré aux répercussions du Printemps arabe sur la politique régionale des pays du Golfe.

L’oratrice observe que la chute de M. Moubarak et son « abandon » par son principal allié, les États-Unis, ont traumatisé les dirigeants d’autres alliés des Américains dans le Golfe. Notamment, le cas de l’Arabie saoudite, considérée comme l’un des principaux piliers de la politique de Washington dans la région, a suscité des interrogations. Lorsqu’elles sont menacées, les six monarchies du Golfe tendent à se serrer les coudes : c’est ce qui explique les récentes initiatives visant à transformer le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et à le doter de pouvoirs accrus en matière de défense et de sécurité.

L’oratrice mentionne le rôle préventif joué par le Qatar, qui est un petit pays, mais qui possède la troisième réserve de gaz naturel au monde. Recourant à la diplomatie, usant de sa puissance financière et avec l’aide d’Al Jazeera, il peut aisément, à l’intérieur du monde arabe, boxer dans une catégorie supérieure à la sienne. Il comble partiellement le vide créé par l’actuelle tendance à l’introversion de l’Égypte. Il contribue à la propagation des ambitions du Printemps arabe, ce qui ne manque pas d’ironie quand on songe qu’il s’agit de l’un des tout premiers régimes autocratiques de la région.

Mme Dazi-Héni évoque également le soulèvement manqué à Bahreïn, où la majorité chiite se dit victime de discriminations. Ce soulèvement était sous-tendu par des motivations socioéconomiques et politiques plutôt que confessionnelles. Cependant, l’Arabie saoudite y a vu, en partie du moins, une manifestation des intentions de l’Iran dans la région. Ses dirigeants ont le sentiment que les États-Unis les ont partiellement abandonnés et ils insistent donc sur la mise sur pied d’un CCG plus fort qui pourrait contrecarrer les ambitions iraniennes. Le CCG, précisément, a été mis à contribution pour régler le conflit au Yémen. Le renforcement dans la région des blocs placés sous la houlette, l’un de l’Arabie saoudite, l’autre de l’Iran, est une retombée majeure du Printemps arabe, encore que l’on n’en mesure pas pleinement toutes les conséquences, selon l’oratrice. Les tensions entre ces deux blocs vont en s’aggravant en raison, notamment, du conflit syrien.

Pour l’oratrice, il conviendrait de suivre attentivement l’évolution de la situation en Arabie saoudite. Tant que les tarifs pétroliers seront élevés, ce pays disposera d’assez de capitaux pour étouffer tout mécontentement et concentrer toute son énergie sur la région. Mais d’inquiétants problèmes structurels apparaissent dans l’économie et la société. Le chômage augmente et les jeunes ont de plus en plus de mal à mener une carrière digne de ce nom. L’utilisation des techniques de communication modernes se répand et fait prendre conscience à la population des possibilités dont il se peut que le régime politique actuel les prive. Certes, ledit régime est encore très fort et le déclenchement d’un mouvement de protestation de masse n’est guère vraisemblable dans un avenir proche, mais il ne faut pas négliger les tendances sous-jacentes, et le risque d’une déstabilisation ne saurait être exclu.

ÉVOLUTION DES DYNAMIQUES SOCIALES : LES FEMMES, LA JEUNESSE ET LES NOUVEAUX MÉDIAS

La session est présidée par la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam (France), membre de la délégation française auprès de l’AP OTAN.

L’exposé de la première oratrice, Mme Maria Holt, maître de conférence à l’Université de Westminster, est intitulé Les femmes et le Printemps arabe. Les événements ont remis en question la vision stéréotypée de la femme arabe : « voilée, confinée à la maison et tenue à l’écart des études ». En effet, les femmes ont joué un rôle majeur dans les soulèvements. On ne sait pas encore, toutefois, si l’activisme féminin se traduira par un pouvoir politique meilleur. La participation des femmes n’était pas un phénomène nouveau, mais bien la continuation de l’activisme féminin dans le monde arabe.

L’oratrice fait également valoir que c’est la tradition du patriarcat, non l’islam, qui est à la racine de l’oppression des femmes. Dans le monde arabe, nombreuses sont les femmes que la perspective d’apparaître en public met mal à l’aise, par crainte de la désapprobation sociale, voire de violences physiques. Pour améliorer leur statut au sein de la société, certaines adoptent le discours islamiste au lieu du jargon féministe occidental.

L’oratrice déplore qu’en dépit de certains progrès les femmes soient, dans la plupart des pays arabes, à la traîne des hommes pour ce qui est de l’alphabétisation, de la présence dans la population active et de la participation à la vie politique. Leur représentation dans les parlements des pays arabes est la plus faible du monde, avec quelque 10 %. Seulement 2 % des élus au nouveau Parlement égyptien sont des femmes. L’absence virtuelle de femmes dans la conduite des affaires de l’État est chose courante dans la région.

L’oratrice critique le comportement observé par les pays occidentaux à l’égard de la région MOAN avant le Printemps arabe, comportement qui n’a guère contribué à une démocratisation de cette partie du monde. Le soutien accordé par l’Occident à des régimes autocratiques a concouru au renforcement des éléments partisans de la ségrégation des femmes. L’oratrice exhorte les pays occidentaux à tirer profit de leurs erreurs et à appuyer les choix des femmes arabes, même si ces choix ont une résonance islamique.

La seconde oratrice, M. Lin Noueihed, journaliste et spécialiste du Proche-Orient à l’agence Reuters, parle essentiellement de la situation de la presse dans la région. L’espace dont disposaient les médias avait commencé à s’ouvrir lentement dès avant le Printemps arabe, en dépit des tentatives des anciens régimes pour les contrôler par la censure ou par l’acquisition des diffuseurs eux-mêmes.

Les chaînes indépendantes de télévision par satellite se sont multipliées comme des champignons dans la région. Il est difficile de surestimer le rôle et la popularité d’Al Jazeera. Les événements ont transformé la façon dont les gens « consomment » l’actualité et perçoivent le monde politique dans leur propre pays. Selon des sondages, 85 % des habitants de la région comptent sur la télévision pour être informés, et 78 % regardent Al Jazeera.

L’Internet est devenu une source d’information importante. Les gouvernements de la région ont du mal à contrôler la multitude de blogueurs et de particuliers qui échangent des nouvelles en ligne. Les téléphones intelligents se sont considérablement répandus et permettent à leurs utilisateurs d’être informés où qu’ils se trouvent. Ces tendances sont apparues avant le Printemps arabe, en particulier chez les jeunes, autrement dit, dans la majorité de la population arabe, qui a grandi à l’ère de la télévision par satellite et de l’Internet.

Les médias sociaux ont effectivement galvanisé les militants politiques en même temps qu’ils touchaient instantanément et à peu de frais une immense audience à travers le monde et qu’ils exposaient au grand jour les violences commanditées par le pouvoir. Toutefois, l’oratrice conteste l’emploi d’appellations telles que « révolution Twitter » ou « révolution Facebook » pour désigner le Printemps arabe. En 2010, seuls 6 % des habitants de la région utilisaient Facebook et, même en Tunisie, cette proportion ne dépassait pas les 17 % à la fin de cette même année. Des mesures draconiennes ont été prises pour couper l’Internet pendant les soulèvements, mais cela n’a pas eu de conséquences pour les manifestations. Il convient donc de ne pas surestimer l’influence de l’Internet et des médias sociaux.

LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ DANS LA RÉGION MOAN

La session est présidée par Julio Miranda Cahla (Portugal), vice-président de l’AP OTAN.

La réforme du secteur de la sécurité est une question brûlante pour la plupart des pays de la région MOAN, indique M. Barah Mikail, chargé de recherche au DCAF. Le sentiment d’insécurité va croissant et, dans un tel contexte, le rôle des militaires devrait faire l’objet d’un étroit contrôle. Exception faite de la Libye, de l’Iraq et Bahreïn, l’armée est souvent le seul élément qui puisse garantir la sécurité publique dans les périodes de profonde transformation. Dans une société démocratique, elle doit quitter la scène politique le plus vite possible. Reste à voir si les militaires des pays arabes se feront plus discrets à mesure que la transition progresse.

L’orateur pense que les forces armées demeureront un facteur crucial de la politique intérieure et étrangère de la plupart des pays arabes. La communauté euro-atlantique devrait poursuivre sa coopération avec elles dans divers domaines allant de la formation à la logistique, mais une telle coopération doit être menée avec circonscription et prendre en compte les rapports délicats et parfois tendus entre les militaires et certains secteurs de la société.

M. Simon Lunn voudrait savoir si l’expérience acquise par l’Assemblée lorsqu’elle a aidé les parlements d’Europe centrale et orientale à exercer un contrôle démocratique sur les forces armées peut être mise à profit dans le contexte des relations avec les pays de la région MOAN. L’intervenant observe que les processus de transition des pays d’Europe centrale et orientale et des pays de la région MOAN diffèrent entre eux sur tous les plans, qu’il s’agisse du moment, des circonstances ou de la géographie. Il est intéressant de noter que les seconds ne souhaitent pas adhérer à l’OTAN; c’est là une distinction fondamentale, car elle détermine dans quelle mesure les sociétés concernées sont disposées à prendre en considération les offres de conseils et d’assistance occidentales. Il faut se rappeler aussi que, dans plusieurs pays de la région, l’OTAN suscite une profonde méfiance. Il n’en existe pas moins certaines similarités et certains points communs.

Le parallèle le plus évident avec l’action de l’Assemblée dans les années 1990 touche à la nécessité d’une réforme du secteur de la défense et de la sécurité : les pays de la région sont en butte à des problèmes semblables dans les relations entre secteur civil et secteur militaire, dans la mesure où leurs forces armées se sont développées en dehors des sociétés qu’elles protègent. Ces forces ont, chacune à leur manière, joué des rôles particuliers et occupé des positions spécifiques dans des conditions telles qu’elles ont entièrement échappé à – et pour ce qui est du secteur militaire, rejeté – tout contrôle démocratique et obligation de rendre des comptes. Au chapitre des ressemblances, on trouve aussi le même manque de civils compétents et dotés d’une expérience de la défense, et les mêmes parlements aux pouvoirs d’examen et de contrôle très restreints et dépourvus plus encore de l’expérience et des connaissances requises pour en user.

L’intervenant constate qu’il y a toujours une place pour la diplomatie parlementaire, autrement dit, qu’il est toujours possible de s’adresser aux parlementaires de la région, de les associer à des activités périodiques et de faciliter contacts et dialogue. Mais il faut pour cela de la diplomatie, justement, et être sensible aux idiosyncrasies locales et régionales. L’intervenant souligne par ailleurs l’importance qu’il y a de coordonner la fourniture d’assistance avec d’autres organisations internationales pour éviter les répétitions inutiles d’efforts et rendre les contributions aussi efficaces que possible.

L’intervenant note que l’on peut définir pour l’Assemblée un rôle dans le contexte duquel elle mettrait ses ressources collectives à la disposition des pays concernés et de leurs parlements pendant cette période de transition vitale en facilitant leur participation plus étroite à des activités ordinaires ou spéciales. Comme dans les années 1990, l’intervention préalable de l’Assemblée pourrait soutenir ou renforcer les programmes de partenariat de l’OTAN elle-même – en l’occurrence, le Dialogue méditerranéen et l’Initiative de coopération du Golfe –, plus particulièrement pour les aspects qui touchent à la « sécurité douce ». Cela pourrait se faire sur le modèle des actions des années 1990 moyennant un ajustement ou une adaptation aux spécificités de la région et de chacun des pays concernés.

La situation dans la région MOAN se caractérise par des mutations rapides, des changements et des opportunités. En dernier ressort, le progrès dépendra de l’aménagement d’un environnement stable et sûr. L’expérience que possède l’Assemblée dans ce genre de démarche pourrait, une fois encore, se révéler pertinente. Une réaction sous l’une ou l’autre forme servirait les intérêts de toutes les parties et, en l’espèce, agir vaudrait bien mieux que rester les bras croisés.

SESSION DE CLÔTURE

La session de clôture est présidée par le sénateur Antonio Cabras (Italie).

Mme Dina Mehlem, qui représente le Westminster Foundation for Democracy (WFD), parle de ce que l’Europe peut faire pour venir en aide aux parlements des pays de la région MOAN. Elle souligne qu’avant le Printemps arabe il était compliqué d’apporter une assistance démocratique à ces parlements, dont la plupart ne connaissaient pas de véritable pluralisme et qui font office de chambre d’enregistrement au service de leurs gouvernements respectifs. Après les soulèvements, leur rôle a beaucoup gagné en importance. La majeure partie d’entre eux ont engagé un processus de réforme afin d’être sûrs de répondre aux attentes de la population.

Ces parlements sont confrontés à plusieurs problèmes, dont la présence en leur sein d’un grand nombre de parlementaires inexpérimentés qui doivent traiter d’urgence un ordre du jour surchargé. L’absence d’assistants parlementaires dotés d’une formation adéquate pose un autre problème de taille.

La WFD, qui est financée par les autorités britanniques, administre de multiples projets au Liban, en Iraq, au Maroc, en Tunisie et en Égypte. Par exemple, elle a contribué à la création, dans les parlements iraquiens et libanais, de services consultatifs qui ont pour tâche de fournir aux parlementaires des analyses et des études spécialisées. Par ailleurs, elle aide les parlements de la région à mettre en place un système général d’éthique pour améliorer la transparence et combattre la corruption. Qui plus est, ses programmes permettent auxdits parlements d’élaborer des mécanismes de supervision et de reddition de comptes ou de les renforcer.

En conclusion, l’oratrice insiste sur le fait que les programmes d’assistance parlementaire doivent être conçus en étroite concertation avec les parlements de la région MOAN et adaptés précisément aux besoins des pays concernés. Ils demandent aussi une bonne compréhension du contexte de la gouvernance dans son ensemble. Lors de l’étape de la planification, il convient de procéder à une analyse politique approfondie. Enfin, l’obtention de résultats significatifs requiert un engagement de longue haleine, précise l’oratrice.

M. François Duluc, chef de la division Coopération interparlementaire de l’Assemblée nationale française, évoque les relations que la France entretient de très longue date avec les parlements de la région MOAN, parlements à la plupart desquels l’Assemblée nationale et le Sénat apportent une aide d’ordre technique et législatif considérable; cette aide ne s’étend toutefois pas à l’Iran, à l’Iraq et à la Libye. La France suit de près l’évolution de la situation dans ce dernier pays et se tient prête à épauler le parlement issu des élections qui doivent avoir lieu bientôt si la demande lui en est faite. Il s’agit d’une assistance de nature intellectuelle, plutôt que financière, puisque la majeure partie de ces pays disposent de ressources suffisantes.

L’intervenant fait également observer que la France travaille directement avec les parlements de la région MOAN, plutôt que par l’intermédiaire d’organisations internationales ou d’organisations non gouvernementales. L’assistance est fournie par des spécialistes et de hauts fonctionnaires de l’Assemblée nationale, mais aussi par des parlementaires, et même d’anciens parlementaires. La France s’en tient à une démarche pragmatique, plutôt qu’idéologique : elle ne tente pas d’imposer son propre modèle de démocratie parlementaire aux bénéficiaires.

M. Mohamed Abbou, vice-président de la Chambre des représentants du Maroc, expose le point de vue de son pays sur le développement du système parlementaire. Il souligne l’importance des changements qui se sont produits dans la région : les peuples se sont levés pour défendre leur dignité et leur droit à prendre part au processus décisionnel. Le Maroc a opté pour le modèle pluraliste, qui se fonde sur l’exercice sans contraintes de libertés politiques, économiques et humaines. La volonté du souverain marocain d’être à l’écoute de son peuple et de répondre aux attentes de celui-ci a permis de préserver la légitimité démocratique. Une nouvelle Constitution a été adoptée en 2011, au terme d’un débat exhaustif et sans exclusion. Elle accorde des pouvoirs plus étendus au Parlement et insiste sur la valeur que représente la tolérance. Elle bénéficie, selon M. Abbou, d’un immense soutien de la part de la population.

Le Parlement marocain souhaite vivement profiter de l’expérience d’autres parlements. Ses capacités se sont considérablement améliorées grâce aux séminaires, ateliers, cours de formation et programmes d’assistance divers organisés en coopération avec le Conseil de l’Europe, la WFD et autres entités internationales ou, sur un plan bilatéral, avec d’autres pays. L’orateur fait observer que l’Assemblée pourrait apporter une précieuse contribution à l’édification de la démocratie dans la région.

Mme Suadad Najim, qui représente la Ligue arabe, parle du rôle de cette dernière dans la démocratisation du monde arabe. Le Printemps arabe, dit-elle, a inspiré toutes les populations arabes, auxquelles il a donné une occasion de construire leur propre avenir et de vivre dans la dignité et la justice.

Si le changement politique s’est opéré de manière assez prompte en Tunisie, en Égypte et au Yémen, c’est le scénario de la guerre civile qui a prévalu en Libye et en Syrie. La brutalité dont a fait preuve le tyran libyen a contraint la Ligue arabe à agir : celle-ci, dérogeant au principe de la souveraineté nationale auquel elle est attachée, a préféré privilégier la soif de la liberté du peuple et a suspendu la Libye. C’est la première fois qu’elle prend une telle mesure à l’égard d’un État membre pour cause de violation des droits de la personne par le gouvernement. Elle a appuyé les pressions exercées pour mettre un terme au régime répressif de Kadhafi et a appelé la communauté internationale à mettre en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus du pays, ce qui a débouché sur une résolution de l’ONU. Sans la Ligue arabe, Kadhafi serait encore au pouvoir, affirme l’oratrice. La Ligue a également décrété des sanctions contre la Syrie.

L’oratrice se félicite de l’attachement de la communauté internationale à la défense des droits de la personne et des libertés politiques dans le monde arabe. Elle invite toutefois ladite communauté à étendre cet attachement au peuple palestinien, victime d’injustice.

Le dernier exposé de la session et du séminaire est présenté par le chef de la délégation géorgienne auprès de l’AP OTAN, Georgi Kandelaki, et porte sur les enseignements tirés de la transition géorgienne et sur leur utilité éventuelle pour la région MOAN. L’intervenant fait observer que, si le cas de son pays est, en l’occurrence, intéressant et pertinent, c’est qu’en l’espace de quelques années, la Géorgie est passée du statut d’État failli à celui de pionnier à bien des égards.

De 1991 à 2003, la guerre, la corruption, la disproportion et l’inefficacité des institutions, la pauvreté et l’absence de sources d’énergie étaient autant de caractéristiques de la situation dans le pays. Depuis lors, le gouvernement a adopté une série de réformes radicales. Le système de répression pénal était à ce point lacunaire que tous les membres des forces de police ont été licenciés et remplacés par de nouvelles recrues au terme d’une procédure transparente. La taille de ces forces a été divisée par cinq, tandis que les salaires étaient multipliés par cinq. La corruption a été combattue partout à la fois. La publication des sanctions infligées pour fait de corruption et une répression impitoyable de la criminalité organisée ont envoyé un message dépourvu d’ambiguïté. Les résultats n’ont pas tardé : dans les années qui ont immédiatement suivi, le taux de criminalité avait baissé de 48 % (et de 68 % pour les meurtres). L’indice de confiance à l’égard de la police a effectué une étonnante et spectaculaire remontée, passant de près de zéro à 87 %. La corruption a diminué de façon tout aussi spectaculaire et se situe désormais au niveau de la moyenne européenne.

Ce recul marqué de la corruption et du crime a eu un effet positif sur les affaires. Par ailleurs, le gouvernement a simplifié le système de taxation, réduit la fiscalité dans son ensemble et rationalisé la fonction publique. Dans une étude d’ampleur mondiale sur la « facilité de faire des affaires », la Géorgie est passée du bas de l’échelle à la seizième place. L’intervenant souligne que tout cela n’a été possible que grâce à la volonté politique et à la détermination des Géorgiens de changer le pays.

Le président clôt les travaux; il remercie tous les orateurs et exprime sa gratitude à la délégation de la France et à la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour leur chaleureuse hospitalité à Marseille et pour les considérables efforts qu’ils ont consacrés à l’organisation du séminaire.

Respectueusement soumis,

L’honorable sénatrice Raynell Andreychuk
Association parlementaire canadienne de l’OTAN
(AP OTAN)


 

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