L’Association parlementaire Canadienne
de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport concernant sa participation aux
réunions de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, tenues au Missouri et à
Washington, D.C. du 9 au 14 juillet 2010. Le Canada a été représenté par la
Sénatrice Jane Cordy.
Une délégation conjointe composée de
membres de la Commission sur la dimension civile de la sécurité (CDS) et de la
Sous-commission de la Commission politique sur les relations transatlantiques
(PCTR) s’est rendue aux Etats-Unis du 9 au 14 juillet 2010. Cette délégation,
qui avait à sa têteJo Ann Emerson(Etats-Unis), présidente de la CDS, etJosé Luis Arnaut(Portugal), rapporteur f.f. de la PCTR, comptait 31 membres de pays
membres et membres associés de l’AP-OTAN. A Washington, ceux-ci ont pu
rencontrer des hauts représentants des départements d’Etat, de la Défense et de
la Sécurité intérieure ainsi que plusieurs experts indépendants. Les
discussions ont eu pour thèmes principaux l’Afghanistan, les relations transatlantiques,
ainsi que la situation en Iran et en Irak. Le groupe a également entendu des
exposés relatifs à l’évolution de la situation en Russie et en Ukraine.
Quelques jours auparavant, du 9 au 11 juillet 2010, Mme Emerson avait accueilli
la délégation de la CDS à Saint-Louis et à Rolla, au Missouri. Ce fut
l’occasion, pour les membres, de rencontrer des représentants de firmes de
premier plan dans les domaines de la défense et des technologies, de recueillir
des informations sur plusieurs projets de recherche de pointe menés par la Missouri
University of Science and Technology et de s’entretenir de sécurité
maritime et aérienne avec des responsables du Corps du génie de l’armée de
terre des Etats-Unis (USACE), de l’aéroport Lambert de Saint-Louis et de l’Administration
pour la sécurité des transports (TSA).
MISSOURI, DU 9 AU 11 JUILLET 2010
(seulement pour les membres de la CDS )
Au cours de la visite effectuée par les
membres de la CDS au Missouri, la délégation a rencontré des cadres supérieurs
de deux firmes de défense basées dans cet Etat, à savoir Boeing Defense,
Space and Security, et DRS technologies – Sustainment Systems
Inc. (DRS-SSI), ainsi que les directions de Brewer Science et de World
Wide Technology, deux firmes de premier plan dans le domaine des
technologies de pointe. Les informations rassemblées à l’occasion de cette
visite seront exploitées par la Commission aux fins des travaux qu’elle mène
actuellement sur la sécurité intérieure et la protection civile.
Les délégués se sont rendus sur les lignes
de production des appareils F-18 et F-15 que construit Boeing, et les cadres de
DRS-SSI leur ont donné des informations sur certains des produits de la
compagnie, comme le chargeur de fret aérien Turner 60K, les unités de
conditionnement et d’épuration de l’eau en conditions expéditionnaires (EWPS et
EWRS), la plate‑forme d’intégration de systèmes Armored Knight et
un radar de surveillance terrestre portatif.
La délégation a également parcouru les
installations de Brewer Science et a reçu des informations sur le produit-phare
de cette compagnie, à savoir un revêtement anti-reflet pour puces à
semiconducteur. Les responsables de World Wide Technology ont pour leur
part présenté les services qu’offre leur firme dans les domaines de la gestion
de la chaîne d’approvisionnement et de la cybersécurité.
La délégation a effectué une visite guidée
du campus de la Missouri University of Science and Technology (Missouri
S&T), où elle a également pu se rendre dans plusieurs laboratoires. Les
membres ont notamment appris que la Missouri S&T, avec ses quelque
6 800 étudiants et un corps enseignant de 460 membres environ, figure
parmi les cinq premiers établissements de recherche technologique des
Etats-Unis. Plusieurs projets de pointe de l’Université, dont certains sont
menés en coopération avec le secteur privé ou le département de la Défense,
leur ont été présentés. Les délégués ont notamment recueilli des informations
sur les travaux en cours sur la détection et la neutralisation des engins
explosifs improvisés (IED), la réparation et la remise en état des
infrastructures bâties ainsi que la mise au point d’un système d’imagerie à
ondes millimétriques.
La délégation a eu des échanges de vues
sur la sécurité des voies d’eau intérieures avec des représentants de l’USACE,
des garde‑côtes américains et du secteur de la navigation rencontrés à Melvin
Price Lock and Dam, à Alton (Illinois). Tous les intervenants ont mis en
exergue l’importance vitale que revêt le Mississippi en tant que corridor de
transport fluvial pour l’économie locale et nationale. La délégation a ainsi
appris que plus de 60% des exportations céréalières américaines, 22% environ du
pétrole/dérivés pétroliers produits dans le pays et 20% du charbon utilisé aux
fins de la production électrique transitent par les voies de navigation
intérieures. Il est dès lors essentiel d’assurer la sûreté et la sécurité de la
navigation sur ces dernières.
L’USACE joue dans ce contexte trois rôles
de premier plan, à savoir soutien au développement des ressources hydriques,
prestations du génie et appui à la sécurité nationale. Plus précisément, le
Corps du génie est chargé de maintenir une profondeur de navigation de
9 pieds tout au long du tronçon du Mississippi compris entre Saint-Paul et
la Nouvelle-Orléans. Il est également actif dans la gestion des risques
d’inondations et la remise en état de l’écosystème et accomplit des missions de
gérance environnementale. Le district de Saint-Louis de l’USACE coïncide avec
une zone présentant une importance stratégique particulière, au confluent de
quatre grands fleuves : le Mississippi, l’Illinois, le Missouri et l’Ohio.
Il fait appel à un effectif composé de 750 civils et de 2 militaires.
Le document sur lequel repose la politique
générale en matière de sûreté maritime est le Maritime Transportation
Security Act (MTSA) de 2002. Ce texte prévoit la mise sur pied de comités
de sûreté maritime de secteur rassemblant toutes les parties prenantes, ainsi
que l’adoption de plans de sûreté pour les bateaux et des installations. Il
fixe également les niveaux de sécurité maritime, et définit une procédure à
suivre pour l’adoption des évaluations des risques.
Le complexe Melvin Price est un
élément clé du système de navigation sur le Mississippi. Il se compose d’une
écluse principale longue de 1 200 pieds environ et d’une écluse auxiliaire de
600 pieds. La délégation a appris que l’éclusage d’un train de poussée de 15
chalands sur une distance de 1 200 pieds n’y prend que 30 minutes
environ ; il faut néanmoins savoir que la plupart des écluses sur le cours
supérieur du Mississippi sont longues de 600 pieds, soit un temps de passage de
deux heures et demie pour le même nombre de bateaux.
La délégation a également visité un
autre site de référence dans la région, à savoir l’aéroport Lambert de
Saint-Louis. Avec 12,8 millions de passagers en 2009, il s’agit du 33e
aéroport le plus fréquenté d’Amérique du Nord. Il gère 237 vols quotidiens et
14 compagnies aériennes y sont représentées. On espère qu’il deviendra un
aéroport plaque tournante pour le transport de fret en provenance de la Chine
et en direction de cette dernière.
La délégation a noté, au cours de sa
rencontre avec les représentants de l’aéroport et de la TSA, que la sécurité de
cette infrastructure est une prérogative assurée conjointement par les
transporteurs aériens, les exploitants de l’aéroport et la TSA, qui est
compétente à l’échelon fédéral.
Les deux principales missions de la TSA
sont l’établissement de réglementations et le contrôle de la sécurité. C’est
elle qui est chargée de fixer le cadre réglementaire applicable à la sûreté de
l’aviation et du fret. C’est ainsi que la TSA a promulgué tout récemment
une réglementation qui obligera les aéroports à contrôler la totalité du fret à
partir du 1er août 2010. La TSA commence aussi à se rapprocher des
opérateurs actifs dans le domaine du transport fluvial dans le but de nouer
avec eux des partenariats dans le domaine de la sécurité.
Enfin, la TSA est chargée du contrôle
des passagers et des bagages. Selon ses représentants, les engins explosifs
improvisés restent la principale menace pesant sur les appareils de transport
de passagers. De nouvelles technologies de détection d’explosifs sont désormais
disponibles, comme les « scanners du corps entier », qui font appel à
la rétrodiffusion ou aux ondes millimétriques. La police de l’aéroport Lambert
comprend également neuf équipes canines spécialisées dans la détection des
explosifs. A côté de la détection d’explosifs, la TSA et la police
aéroportuaire font aussi appel à des techniques d’observation pour déceler les
comportements suspects.
WASHINGTON DC, du 12 au 14 JUILLET 2010
AFGHANISTAN
Tant les orateurs officiels que les
experts indépendants ont reconnu que la sécurité en Afghanistan restait fragile
et que la situation demeurerait tendue au cours des prochains mois.Anthony Cordesman,
titulaire de la chaire Arleigh A. Burke au Centre d’Etudes stratégiques et
internationales (CSIS), a rappelé aux participants que l’insurrection était
passée à la vitesse supérieure. Selon lui, le gouvernement n’exercerait pas de
véritable présence dans la plus grande partie du pays. Des « gouvernements
fantômes », encore inexistants en 2003, avaient été formés par les
talibans dans 11 provinces en 2005 ; en 2009, ce nombre était passé à 33
(sur les 34 provinces que compte le pays). Dans l’ensemble, la violence s’est
intensifiée dans le pays à raison de 88% depuis mai de l’an dernier. Les
niveaux de violence et de sécurité varient selon les régions ; c’est ainsi
que les zones les plus difficiles se situent dans l’est et dans le sud du pays,
même si, toujours d’après cet expert indépendant, on peut également constater
un regain de violence dans le nord.
Le département de la Défense a averti
que l’on pouvait s’attendre à voir augmenter les pertes au fur et à mesure que
la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) progresserait dans
les zones d’où elle a été jusqu’à présent absente. Les engins explosifs
improvisés (IED), notamment, font peser une lourde menace sur les forces de la
FIAS, a souligné M. Cordesman. On a assisté, durant la période comprise entre
janvier et avril 2010, à une augmentation de 94% du nombre d’incidents en
rapport avec les IED. Selon le général Stéphane Abrial, commandant suprême
allié Transformation (SACT), la majorité des pertes en vies humaines subies par
les troupes de la coalition en Afghanistan depuis 2008 sont à mettre sur le
compte des IED. Il a indiqué à la délégation que pour contrer le défi posé par
les IED, le Commandement allié Transformation (ACT) a mis au point un plan
d’action spécifique censé mettre en échec l’ensemble du système -
planification, financement et logistique - venant à l’appui des IED. Le
général Abrial a par ailleurs présenté un aperçu des activités de l’ACT et
annoncé au groupe que ce dernier avait déployé en partenariat avec le
Commandement de forces interarmées des Etats-Unis le « Afghanistan
Mission Network », un système permettant de transmettre les
informations en continu et en toute sécurité d’un réseau national à l’autre.
Quarante-six pays - au nombre desquels
figurent non seulement tous les pays membres de l’OTAN, mais également des
partenaires comme le Japon, qui apporte une aide économique déterminante - sont
actuellement engagés en Afghanistan. Les membres de l’Alliance et les partenaires
de la coalition ont engagé 9 700 soldats supplémentaires, portant ainsi le
nombre de soldats non américains présents sur place à plus de 50 000. Selon les
représentants du département de la Défense, deux-tiers environ de ces forces
supplémentaires sont d’ores et déjà sur place et le tiers restant devrait
arriver sur le terrain d’ici à août 2010. Vers la même date, les Etats-Unis
auront bouclé le déploiement de quelque 30 000 soldats supplémentaires,
portant ainsi l’effectif américain présent dans le pays à 100 000 hommes
environ, soit trois fois plus que début 2009.
Les responsables du département de la
Défense et du département d’Etat ont indiqué qu’afin de compléter cette montée
en puissance militaire, les Etats-Unis avaient multiplié par trois le nombre
d’experts civils présents en Afghanistan, portant leur nombre à un millier
environ. Le nombre d’experts civils continuera à augmenter, reflétant
l’approche de l’administration américaine axée sur un effort civilo-militaire
pleinement intégré. La première priorité non militaire est l’agriculture, tant
au niveau des provinces que des districts, a indiqué Dan Feldman,
représentant adjoint pour l’Afghanistan et le Pakistan au département d’Etat
américain. La culture du pavot reste un défi de toute première importance, et
les liens entre stupéfiants et insurgés sont évidents. La remise sur pied du
secteur agricole et le développement de programmes de subsistance alternatifs
contribueront à priver les insurgés de leur soutien et à rétablir le lien entre
les agriculteurs et le gouvernement.
Les orateurs officiels et indépendants
ont mis en exergue les progrès considérables accomplis en Afghanistan, que ce
soit sur le plan de la sécurité ou du point de vue de la reconstruction. Dans
le sud, les forces de la FIAS et des Etats-Unis ont repris les sanctuaires où
les insurgés trouvaient refuge, les forçant à se disperser. Les troupes de la
coalition n’ont certes pas remporté tous les succès escomptés, comme dans la
province de Marjah, mais l’approche consistant à axer les efforts sur les
populations fonctionne dans les autres régions du sud, selon M. Cordesman.
Près de sept millions d’enfants afghans ont en outre retrouvé le chemin de
l’école, alors qu’ils étaient moins d’un million à recevoir un enseignement il
y a une décennie, lorsque le pays était aux mains des talibans. Les taux de
vaccination des enfants ont très nettement augmenté, pour se situer aujourd’hui
entre 70 et 90%. L’usage du téléphone portable s’est répandu dans un pays où
cette technologie était pratiquement absente à l’époque des talibans, a précisé
M. Cordesman, ajoutant que des routes, des ponts et d’autres infrastructures
avaient été réparés, ou construits.
Les orateurs ont souligné que
l’engagement militaire privilégie une approche contre‑insurrectionnelle
centrée sur la population, avec pour objectif de tuer les insurgés, les
capturer et les maintenir à l’écart des populations. Un représentant du
département de la Défense a assuré à la délégation que le changement de
commandement des forces de la FIAS n’aurait pas de retombées sur la mise en
oeuvre du plan pour l’Afghanistan, étant donné que le général Petraeus,
nouveau commandant de la force, avait été étroitement associé à l’établissement
de celui-ci. La stratégie de campagne que pratiquent les forces alliées sous
l’autorité du général Petraeus tient compte de la complexité de la situation
sur le terrain et doit permettre d’« atteindre un degré de développement
raisonnable » dans le pays, a souligné M. Cordesman. Cette stratégie,
a-t-il déclaré, repose sur les grands axes ci-après :
·protéger la population (en agissant en priorité
dans les zones densément peuplées où les groupes d’insurgés opèrent
essentiellement avec des populations pachtounes marginalisées) ;
·doter les forces de sécurité nationale afghanes
(ANSF) de moyens facilitateurs (en privilégiant une accélération et un
élargissement de la mise sur pied de capacités et de moyens et en nouant des
partenariats à tous les échelons) ;
·neutraliser « les influences
malignes » (en détectant et en dénonçant la corruption ; en aidant à
la mise sur pied d’une gouvernance responsable et qui rende des comptes) ;
·oeuvrer à l’extension du champ d’action de
l’autorité publique (en gagnant le soutien actif des Afghans, et pour ce faire,
en déléguant à des leaders légitimes au niveau sub-national la prise de mesures
efficaces destinées à protéger les populations) ;
·soutenir le développement socio-économique (en
gagnant le soutien actif de la population et, à cette fin, en ménageant des
conditions de sécurité propices à la conduite de projets de développement
communautaire).
Les intervenants se sont accordés à
dire que les membres de l’OTAN et la communauté internationale doivent se fixer
des objectifs réalistes assortis d’échéances raisonnables. Les représentants du
département d’Etat et du département de la Défense ont souligné que les
objectifs principaux de la campagne afghane restent inchangés, à savoir
démanteler, désorganiser et vaincre Al-Qaïda et les talibans et faire en sorte
que l’Afghanistan ne redevienne jamais un sanctuaire pour le terrorisme. M.
Cordesman a toutefois fait remarquer que les attentes de la coalition et les
échéances de la campagne ne coïncidaient pas forcément. Les intervenants ont
admis qu’un certain temps s’écoulera avant que l’on sache si la nouvelle
stratégie, conçue à l’origine par le général Stanley McCrystal, portera ses
fruits. D’après l’expert du CSIS, il faudra attendre la mi-2011 pour pouvoir
juger du succès de ces nouvelles tactiques et stratégie.
Pour ce qui concerne les ANSF, M.
Cordesman a laissé entendre que les Alliés commencent à peine à mettre sur pied
des forces afghanes efficaces. Le taux d’attrition parmi les ANSF reste très
élevé - pas moins de 70% dans certains cas. Il a regretté que dans le passé,
jusqu’en 2008 et 2009, on n’ait pas investi suffisamment d’efforts dans la
formation de l’armée et de la police afghane. Un responsable du département de
la Défense a également reconnu, de son côté, que les moyens déployés en
Afghanistan avaient été beaucoup trop longtemps insuffisants, tant du point de
vue financier qu’humain. De plus, la coalition s’est montrée plus réactive que
proactive, et ce alors que l’Afghanistan, un des pays les plus pauvres du monde
avant la guerre, se retrouve exsangue après 30 ans de conflit. Les ressources
mobilisées au titre de la formation ont certes augmenté de manière
significative, mais il reste difficile, selon l’expert indépendant, de recruter
des effectifs pour la Mission OTAN de formation – Afghanistan (NTM-A). D’après
M. Feldman, la mission en Afghanistan a encore besoin de 420 formateurs
supplémentaires ainsi que de personnes aptes à assurer le mentorat de la
police ; remédier au manque de formateurs constitue dès lors une priorité
essentielle. Plusieurs responsables du département de la Défense ont rappelé
que l’effort de formation déployé pour les ANSF ne devait pas se concentrer
seulement sur le nombre de recrues, mais aussi sur leurs compétences ;
actuellement, l’entité officielle la plus respectée dans le pays est l’armée nationale
afghane (ANA).
Dans l’ensemble, les intervenants
partageaient le point de vue selon lequel plusieurs années s’écouleront avant
que les forces afghanes ne soient véritablement en mesure d’accomplir seules
les tâches de sécurité dans le pays. Par conséquent, M. Cordesman considère que
la réalisation des objectifs fixés pour l’Afghanistan exigera un effort soutenu
qui s’étendra bien au-delà de 2010 ou 2011. Un transfert de responsabilités à
grande échelle de responsabilités vers les ANSF ne pourra commencer qu’à partir
du moment où les forces auront atteint le niveau de préparation voulu,
c’est-à-dire, selon lui, d’ici à la fin 2012 dans le meilleur des cas. Les
orateurs étaient d’accord pour dire que le retrait des forces armées
américaines et alliées devait être très progressif et assorti de conditions, et
que les ANSF auraient encore besoin du financement et de moyens facilitateurs
alliés pendant un temps relativement long. Ils ont aussi souligné que le début
de la phase de transfert, en juillet 2011, ne devait pas être une course vers
la sortie. L’ouverture de cette étape de transition marquera une évolution dans
la mission de la FIAS, a déclaré M. Feldman, et non pas sa fin.
Un représentant du département de la
Défense a souligné combien il était nécessaire d’associer les citoyens à la
recherche d’une solution. La délégation a noté que l’accent mis sur la
population par la coalition dans sa lutte contre l’insurrection
populo-centrique avait eu pour résultat une nette diminution du nombre de
victimes civiles au cours des derniers mois. Toutefois, comme l’a rappelé
M. Cordesman, il est aussi difficile de s’assurer le soutien des
populations que de combattre les insurgés. L’absence de bonne gouvernance au
niveau national, provincial et des districts reste particulièrement
problématique. L’expert du CSIS a rappelé combien il était nécessaire que
chaque opération débouche sur des progrès immédiats, qu’il s’agisse de la bonne
gouvernance, d’une justice réactive ou de la création d’emplois ou
d’opportunités économiques. La mise en place d’autorités locales plus efficaces
exigera encore beaucoup de temps vu la corruption et l’incompétence qui
sévissent à ce niveau, a déclaré M. Cordesman. Les Etats-Unis concentrent plus
leur aide financière sur les provinces et fournissent une assistance en
priorité aux districts les plus importants. De récents sondages ont montré que
83% des Afghans considèrent que la corruption au niveau gouvernemental fait
sentir ses effets sur leur vie quotidienne. Mais en dépit de l’amertume
suscitée par la corruption du pouvoir, ces mêmes sondages montrent que la
confiance des Afghans envers leur gouvernement remonte lentement.
M. Cordesman a par ailleurs avancé que
dans de très nombreux cas, la corruption était imputable aux bailleurs de fonds
internationaux ainsi qu’aux forces armées qui, au fil des ans, avaient dépensé
des sommes considérables sans pour autant instaurer une redevabilité et une
transparence efficaces. D’après lui, les Etats-Unis, la FIAS, la Mission
d’Assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) et les organismes
d’assistance internationaux doivent lancer une réflexion sur le rôle qu’ils ont
joué dans la corruption et le gaspillage de moyens. Il faut également, a-t-il
ajouté, que, plus qu’auparavant, l’aide déployée par les Nations unies, les
pays et les ONG soit consacrée en priorité à la satisfaction de besoins
validés, tienne compte du ressenti des Afghans et des paramètres d’efficacité
et privilégie la passation de marchés selon des critères honnêtes. M. Feldman a
admis que la corruption restait un grave problème, ajoutant que
l’administration américaine s’emploie à mettre en place un maximum de
mécanismes solides de contrôle. C’est ainsi, a-t-il encore déclaré, que les
Etats-Unis font désormais moins appel à de grosses firmes extérieures, car ce
mode de collaboration limite les possibilités de supervision des
sous-traitants.
Toujours d’après M. Cordesman,
l’assistance financière a en outre privilégié les dépenses pour achats au
détriment du lancement de projets. D’après lui, les Nations unies ne sont
toujours pas en mesure de mesurer de manière fiable le degré d’efficacité des
efforts dans le domaine civil. De même, on ne dispose pas de paramètres fiables
pour évaluer l’effort militaire, a-t-il ajouté. Et de constater :
« Il aura fallu près de huit ans pour comprendre exactement où en sont les
choses ». L’orateur a résumé son point de vue sur l’aide internationale
fournie à l’Afghanistan en disant « n’avoir jamais vu ailleurs qu’en
Afghanistan autant d’efforts internationaux se concentrer sur un seul et unique
projet avec si peu d’efficacité. »
·De l’avis de toutes les personnes qui se sont
exprimés au sujet de l’Afghanistan, une amélioration de la situation passe par
un renforcement de la coordination civilo-militaire. L’unité d’effort est
toujours absente, a déclaré M. Cordesman, et de nombreuses entités militaires
ne concertent pas leur action avec celle de leurs organismes d’aide nationaux.
Toujours selon lui, la fracture entre civils et militaires participant à la
campagne « nettoyer-tenir-construire » reste également un gros
problème. La coopération entre forces armées et équipes de reconstruction
provinciale (PRT) doit elle aussi être renforcée et gagner en pertinence du
point de vue opérationnel. Trop peu de pays gèrent leurs PRT de manière
efficace et souvent, les officiers et experts ne restent pas assez
longtemps sur place.
Les Alliés savent bien que ces
améliorations sont nécessaires. Le général Abrial a indiqué à ce titre que
l’ACT avait été chargé d’épauler l’ambassadeur Sedwill, haut représentant civil
de l’OTAN en Afghanistan, pour ce qui concerne les enseignements à tirer de
l’intégration des différents intervenants civils et militaires à l’œuvre en
Afghanistan. Il importe, en premier lieu, d’instaurer un esprit de coopération
entre les forces armées, les organismes gouvernementaux, les organisations
internationales, les ONG et certains acteurs du secteur privé, a-t-il expliqué.
Cet état d’esprit doit être suffisamment inclusif pour tenir compte des cultures
opérationnelles d’intervenants très différents mais rester par ailleurs assez
cohérent pour produire ses effets. Et de conclure que le mot clé est
‘unité d’effort’, et non pas ‘unité de commandement’. Le général Abrial a
également mentionné que l’ACT travaille depuis un certain temps à l’élaboration
d’une doctrine OTAN de contre-insurrection, qui est actuellement à l’examen au
niveau des Alliés.
Les responsables des départements
d’Etat et de la Défense ont également souligné l’importance de la conférence
des ministres des Affaires étrangères prévue à Kaboul le 20 juillet, au cours
de laquelle l’on procédera à une évaluation des acquis mais également des
défis. M. Feldman a rappelé que cette rencontre, à laquelle doivent
participer 40 ministres des Affaires étrangères, sera la plus grande
manifestation internationale tenue depuis la fin des années 70. La conférence
sera l’occasion, pour le gouvernement afghan, de faire un point des différentes
avancées. Le gouvernement de Kaboul en profitera pour communiquer des
informations au sujet de son programme de réformes, qui doit permettre
d’instaurer un système placé sous le signe de la bonne gouvernance, de la
justice et de la redevabilité et s’appuyant sur une administration au service
des intérêts de la population.
Les intervenants tant officiels
qu’indépendants ont mis en exergue le rôle central que doit jouer le Pakistan
dans la stabilisation de l’Afghanistan. Ils ont rappelé combien il était
important d’encourager Islamabad à en faire plus pour que la situation en
Afghanistan s’améliore et donc, d’aider ce pays à se doter des moyens de
combattre les insurgés. M. Cordesman a indiqué que 130 000 soldats
pakistanais étaient actuellement déployés dans les zones tribales administrées
au niveau fédéral (FATA) et la Province de la frontière du nord-ouest (NWFP),
qui seraient utilisées par les insurgés comme sanctuaires. Le déploiement de
troupes sur la frontière occidentale du Pakistan est le plus important jamais
opéré dans l’histoire du pays, et plus de 100 000 hommes ont été rappelés
depuis la frontière orientale avec l’Inde.
Les Etats-Unis, a rappelé M. Feldman,
ont développé avec le Pakistan une relation solide et durable qui dépasse la
problématique afghane. Signe de l’importance que les parties accordent à cette
relation, le dialogue américano-pakistanais se déroule dorénavant au niveau
ministériel. À ce jour, 13 groupes de travail coprésidés par les deux parties
ont été mis sur pied. Leurs champs d’étude dépassent les considérations
strictement militaires et sécuritaires pour s’étendre également à des questions
comme la gestion hydrique, la santé, l’agriculture, l’enseignement, l’économie
et la finance, l’accès aux marchés, l’énergie, les sciences et les
technologies, les télécommunications, les questions relatives aux femmes et le
maintien de l’ordre, a expliqué M. Feldman. Tout en reconnaissant que les
Pakistanais sont nombreux à ne pas apprécier les Etats‑Unis, il a dit
souhaiter que l’aide mobilisée par Washington pour permettre au Pakistan de
s’attaquer à ses problèmes économiques et sociaux ferait évoluer les choses. A
côté de l’aide apportée au Pakistan pour lutter contre l’insurrection, les
Etats-Unis envisageront également des solutions innovantes destinées à
faciliter les relations entre civils et militaires dans le pays. Les Etats-Unis
ne parviendront pas à eux seuls à aider le Pakistan à surmonter ses problèmes,
a-t-il déclaré. Il s’agit là d’une entreprise exigeant un effort
authentiquement international. Dans ce contexte, il a fait état de la mise sur pied
d’un Fonds d’affectation spéciale multidonateurs (MDTF) destiné à financer la
remise en état des infrastructures, des services et des viabilités dans la
Province de la frontière du nord-ouest ainsi que dans les zones tribales
touchées par le conflit. Il a toutefois reconnu que la reconstruction dans les
zones tribales se heurtait à d’énormes difficultés. Des pays comme la Turquie
et les Émirats arabes unis peuvent y faire toute la différence, notamment en
matière de réforme de l’enseignement, a-t-il déclaré.
M. Feldman a souligné l’importance de
la stratégie de stabilisation régionale, aujourd’hui en cours de révision. Un
des objectifs poursuivis par les Etats-Unis au travers de leur stratégie
régionale consiste notamment à faire en sorte que les voisins de l’Afghanistan
abandonnent l’esprit de concurrence pour privilégier désormais la coopération.
Répondant à une question de la délégation, M. Feldman a déclaré que le mandat
du représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan n’englobait
pas le Cachemire. Il a toutefois ajouté que les Etats-Unis se félicitaient de
la tenue de réunions de haut niveau réunissant l’Inde et le Pakistan sur cette
question.
L'OTAN
ET LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES
Les réunions tenues à Washington ont
également porté sur les relations transatlantiques et les questions en rapport
avec l’OTAN. Dans l’ensemble, les orateurs qui se sont exprimés sur ces sujets
considéraient, pour reprendre les propos de Paul Belkin, du Service de
recherche du Congrès (CRS), que l’Europe reste un acteur important. Les
Etats-Unis reconnaissent qu’ils ne peuvent faire face seuls à tous les défis de
sécurité et, par conséquent, continuent à considérer l’Europe comme un
partenaire de premier plan, si ce n’est le partenaire clé, pour la prise en
charge des défis sécuritaires, a-t-il déclaré. Les Etats-Unis et leurs alliés
partagent les mêmes valeurs et continuent à poser le même regard sur les défis,
a-t-il encore ajouté. John Rollins (CRS) a souligné que l’administration Obama
avait adopté en matière de sécurité une approche clairement élargie, comme en
témoigne la stratégie de sécurité nationale (NSS). Par contraste avec la
« stratégie du temps de guerre » pratiquée par l’administration
précédente, l’administration Obama met dorénavant l’accent sur le
rétablissement du leadership planétaire, a-t-il ajouté. Par conséquent, la NSS
en vigueur aujourd’hui privilégie, entre autres lignes directrices, une
collaboration et une coopération plus poussées avec les partenaires
internationaux. Heather Conley, maître de recherche et directrice du
Programme Europe du CSIS, a fait remarquer que les relations Europe/Etats-Unis
sont entrées dans une phase de transition, principalement du fait qu’elle sont
moins déterminées par la politique – autrement dit, par des fractures
idéologiques opposant, par exemple, liberté et communisme – et aussi parce que
le pouvoir est passé aux mains d’une nouvelle génération. Selon elle, la
relation transatlantique est régie par quatre grands paramètres, à savoir la
crise économique mondiale, la remise à zéro de la politique Etats-Unis/Russie,
le Moyen-Orient (en particulier l’Iran, mais aussi l’évolution de la politique
étrangère turque) et la manière dont les Alliés conçoivent leur stratégie de
communication pour l’Afghanistan.
Dans l’ensemble, les orateurs
considéraient qu’un lien étroit entre l’OTAN et l’UE est nécessaire, et ce tant
dans la perspective des défis sécuritaires du futur que sous l’angle des
relations avec la Russie. Ils ont néanmoins relevé que cette relation devait
s’améliorer, en particulier du point de vue politique. Mme Conley a averti
qu’un resserrement des liens serait difficile, principalement en raison des
divisions en Europe, qui rendent l’avènement d’une unité transatlantique encore
plus problématique. S’agissant de l’évolution future de l’UE, elle voyait se
dégager trois scénarios différents pour l’Europe, à savoir une poursuite de
l’intégration, une désintégration de l’eurozone ou un affaiblissement de la
coopération entre membres de l’UE. M. Belkin a quant à lui indiqué que si
les Etats-Unis se montrent aujourd’hui plus que jamais favorables à l’éclosion
d’une identité européenne de sécurité, une certaine confusion n’en subsiste pas
moins, à Washington, quant au positionnement à adopter vis-à-vis de l’UE.
L’instauration d’un partenariat étroit
entre les Etats-Unis et l’Europe se heurte, entre autres défis, au profond
fossé qui les sépare – et qui s’approfondit de plus en plus – en termes de
dépenses de défense. Alors que les Etats-Unis consacrent près de 35% de leurs
dépenses de défense aux investissements (soit près du double du pourcentage
mobilisé à ce titre par leurs partenaires de l’OTAN), les Alliés sont en train
de revoir leurs dépenses à la baisse. Il en va de même pour les technologies de
défense, domaine où le décalage entre les Etats-Unis et leurs Alliés pourrait
également tendre la relation transatlantique. D’après Mme Conley, ces facteurs
vont déboucher sur un atlantisme d’intérêt qui poussera les Etats-Unis à se
tourner vers d’autres partenaires pour s’attaquer aux questions qui les
préoccupent.
Mme Conley a fait remarquer que l’OTAN
est confrontée à de nombreux défis. Selon elle, l’unité transatlantique sera
particulièrement mise à l’épreuve par deux questions, à savoir l’Afghanistan et
l’Iran. D’après d’autres intervenants, certains considèrent, aux Etats-Unis,
que la solidarité de l’Alliance se mesurera une fois pour toutes à la capacité
qu’aura l’OTAN d’atteindre ses objectifs en Afghanistan. On imagine
difficilement, selon M. Belkin, que l’OTAN puisse jamais s’engager encore dans
une opération de ce type par pur esprit de solidarité : tout engagement de
cette nature devra également être porté par des intérêts communs. Il faudra par
ailleurs, a avancé Mme Conley, que les Alliés « repensent
l’élargissement », car on ne doit pas trop s’attendre à ce que l’OTAN
relancent l’initiative de la politique de la porte ouverte dans un avenir
immédiat. Cette politique demeure certes d’actualité, mais les perspectives
pour l’Ukraine et la Géorgie sont peu claires. Pour ce qui concerne les armes
nucléaires tactiques, cette spécialiste du CSIS était d’avis que les Alliés
réunis au sein de l’OTAN reviendraient probablement sur la question du
« partage de la charge nucléaire ». De l’avis du général Abrial et de
M. Belkin, la mise à jour du Concept stratégique de l’OTAN, qui doit être
approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement au sommet de Lisbonne en
novembre 2010, redynamisera l’Alliance. Selon eux, le nouveau Concept devrait
renforcer l’article 5 et mettre en exergue la pertinence des partenariats.
IRAK
La
délégation a aussi entendu des exposés sur la région du Golfe, et notamment sur
les derniers développements survenus en Irak et en Iran. Selon Kenneth Pollack,
directeur du Centre Saban pour la politique au Moyen-Orient (Brookings
Institution), la communauté internationale est loin d’accorder à l’Irak
toute l’attention voulue. En effet, ce qui s’y passe est crucial non seulement
pour le pays lui-même, mais aussi pour la région dans son ensemble. L’Irak
d’aujourd’hui a radicalement changé depuis 2006/2007 et l’on a assisté au cours
de l’année écoulée à une multiplication des signaux positifs, a déclaré M.
Pollack. La sécurité continue de se renforcer en Irak où les insurgés, à défaut
d’avoir été battus à plate couture, sont néanmoins considérablement affaiblis.
Les attaques dirigées contre les forces américaines et irakiennes, et même les
attentats contre les civils, ont encore diminué par rapport aux chiffres déjà
peu élevés de l’an dernier.
Mais si l’Irak est effectivement devenu
plus sûr qu’il ne l’était il y a quelques années encore, on ne peut encore le
qualifier de pays « normal », et ce même en fonction des normes de
sécurité en vigueur dans le monde arabe. La violence intercommunautaire continue
à faire chaque mois de nombreuses victimes. La corruption et la criminalité
organisée continuent en outre à se développer, tandis que les infrastructures,
principalement dans les secteurs de l’eau et de l’énergie, sont frappées par la
décrépitude et ne fonctionnent plus de manière satisfaisante après 20 années de
dégradations et de négligence. Autrement dit, la question irakienne n’est, de
l’avis de l’orateur, « absolument pas résolue » et il existe un
risque réel de voir le pays basculer à nouveau dans une guerre civile à grande
échelle semblable à celle qui a sévi de 2005 à 2007. Des études universitaires
sur les guerres civiles intercommunautaires ont montré que la moitié des Etats
ayant connu des conflits civils semblables à celui qui a ravagé l’Irak sont
exposés à un risque bien réel de voir se rallumer les différends, souvent dans
les cinq ans, a déclaré M. Pollack. Si le pays en question possède en
outre des ressources naturelles recherchées - diamants, or ou pétrole -, ce
risque s’aggrave encore. Il faut donc conclure que l’Irak reste
particulièrement vulnérable à un retour de la guerre civile.
M. Pollack a qualifié les élections
législatives de début mars de véritable succès et d’ « immense
victoire pour le peuple irakien », ce dernier ayant voté, dans sa grande
majorité, pour les deux partis considérés comme les plus laïques, les moins
liés aux milices officielles et les moins influencés par le sectarisme vicieux
de la guerre civile. Les Irakiens se sont massivement prononcés en faveur du
changement en ne réélisant que 64 parlementaires sur les 325 que compte le
Conseil des représentants. Le scrutin reflète également le souhait de la
population de voir s’instaurer la stabilité et le progrès aux plans politique,
économique et social. Mais plus de quatre mois après les élections, le pays n’a
toujours pas de gouvernement tandis qu’une « bataille furieuse se poursuit
pour la formation de ce dernier », a indiqué l’orateur. Les politiciens
sont nombreux à ne pas croire en la démocratie ; s’ils le pouvaient, il en
reviendrait à leur « bonne vieille politique d’autrefois ». Par
contraste, le peuple irakien dans sa grande majorité a monté clairement qu’il
voulait un gouvernement représentatif et transparent à même de répondre à ses
besoins, et qu’il souhaitait le retour de l’Etat de droit. Dès lors, a souligné
M. Pollack, il serait très dangereux de voir s’imposer le sentiment selon
lequel le résultat du scrutin a été « confisqué » par les manœuvres
politiciennes qui l’ont suivi. En conclusion, M. Pollack a déclaré que ces
élections avaient créé certains précédents que l’on n’oublierait pas de sitôt
et que la communauté internationale devait s’intéresser de plus près à ce qui
sortira, en fin de compte, de ce scrutin.
Bien que les investissements étrangers
soient en hausse, notamment dans le secteur pétrolier, l’économie du pays reste
faible et le chômage, trop élevé. Malheureusement, vu la structure des contrats
que l’Irak a signés avec différentes compagnies pétrolières, il ne faut pas
s’attendre avant 2014 à une remontée massive des recettes dans ce domaine
d’activité. L’Irak devrait dès lors connaître de sérieux problèmes entre 2011
et 2014, quand le peuple Irakien exigera que les infrastructures soient
modernisées alors que les moyens financiers nécessaires seront tout simplement
absents.
L’influence de Washington diminue en
Irak mais reste toutefois très marquée ; vu le blocage politique, elle est
d’ailleurs en train de se renforcer à nouveau, a déclaré l’orateur, car de
nombreux Irakuiens voient dans les Etats-Unis un médiateur susceptible de les
sortir de la situation actuelle. Même si les forces Irakuiennes gagnent en
efficacité, la présence de troupes américaines reste vitale pour la stabilité
et la tranquillité du pays. Un coup d’Etat sera peu probable aussi longtemps
que les Etats-Unis y maintiendront des troupes de combat. La peur et la colère
restent omniprésentes et la réduction des troupes américaines à quelque
50 000 soldats pour la fin août 2010 suscite des craintes parmi de
nombreux Irakuiens, car ceux-ci appréhendent une reprise des combats après le
retrait complet des forces américaines qui, selon l’Accord de sécurité en
vigueur entre Bagdad et Washington, devrait intervenir en décembre 2011.
Une nouvelle plongée de l’Irak dans la guerre civile serait catastrophique,
tant pour le pays lui-même que pour toute la région du Golfe, car les conflits
civils ont tendance à déborder sur les pays voisins, a averti M. Pollack.
IRAN
D’après M. Pollack, les élections
présidentielles iraniennes de juillet 2009 et les événements qui ont suivi ont
changé le pays en profondeur. Les Iraniens sont nombreux à penser que les
élections ont été truquées, a-t-il déclaré, ajoutant que l’élite politique
iranienne avait été secouée par un véritable débat quant à la réaction à
adopter face aux protestations. Une fois la situation reprise en mains
par les tenants de la ligne dure, le régime avait exercé une répression féroce
à l’encontre des protestataires, privant les modérés de leur influence sur le
processus de décision national. D’après M. Pollack, le régime iranien est
redevenu aussi radical qu’en 1981 et adopte aujourd’hui une ligne nettement
plus agressive, suscitant de réelles craintes parmi ses voisins et au sein de
la communauté internationale. La conclusion d’un accord diplomatique avec
l’Iran sur son programme nucléaire est par conséquent devenue plus difficile,
car même à supposer que le régime en place ne cherche pas à doter le pays d’un
programme de production d’armes nucléaires, le climat est désormais à la méfiance.
Toute tentative de l’Iran visant à
mettre en place un programme d’armement nucléaire « sonnerait le
glas » du Traité de non-prolifération (TNP), a averti M. Pollack. Si
une telle hypothèse venait à se vérifier, les pays du Golfe et l’Egypte
développeraient en effet à leur tour leur propre dispositif nucléaire, ., Et
dès lors que l’on envisage difficilement de sanctionner l&a, mp;,
#8217;Iran pour son programme nucléaire, il serait carrément inimaginable de
prendre de telles mesures à l’encontre de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes
unis et d’autres pays du Golfe. M. Pollack a souligné que l’administration
américaine s’était véritablement efforcée de dégager un règlement pacifique
avec Iran sur la question de son programme nucléaire, , mais que Téhéran avait
refusé la solution proposée. L’offre pacifique qui a été faite à l’Iran a
également été pour beaucoup dans l’obtention du soutien de la Russie et de la
Chine en faveur d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations
unies. La proposition relative à un échange de combustible formulée par le
Brésil, la Turquie et l’Iran est intervenue trop tardivement dans le processus
diplomatique pour débloquer la situation, a-t-il encore ajouté.
S’agissant du régime de sanctions
imposé à Téhéran par la dernière résolution en date du Conseil de sécurité des
Nations unies, M. Pollack a relevé que les mesures prises n’avaient pas
suffisamment mis en exergue la question des droits de l’homme. Il a également
ajouté que l’on pouvait tirer des enseignements des sanctions prises à l’époque
contre l’Afrique du sud. Selon lui, l’administration américaine a décidé
« de s’acheter un an pour voir si les sanctions seront porteuses
d’effet », mais, a-t-il averti, ce délai pourrait finalement être plus court
vu le nombre élevé de parties concernées (tant aux Etats-Unis qu’à l’étranger)
ayant chacune son propre agenda. On peut difficilement prédire ce que si
passerait la prochaine fois si le régime iranien devait continuer à défier la
communauté internationale. L’administration américaine, qui a déployé des
« efforts diplomatiques titanesques » pour arriver à un accord
diplomatique avec Téhéran, pourrait décider de faire jouer son capital
politique ailleurs. Finalement, trois attitudes possibles sont envisageables
vis-à-vis du régime iranien et de ses provocations, à savoir encourager un
changement de régime, recourir à l’option militaire ou pratiquer une politique
d’endiguement. Selon M. Pollack, la première option – le changement de régime –
aurait peu de chances de se concrétiser, car le régime iranien reste bien trop
fort face à un Mouvement vert trop faible.
SECURITE INTERIEURE
Terrorisme
Rick “Ozzie” Nelson, directeur du Programme Sécurité intérieure et terrorisme au CSIS,
a fait le point de la menace que représentent actuellement Al-Qaïda et les
mouvements apparentés. Il a incité à la prudence, car si le nombre de ses
membres actifs a diminué, notamment en Afghanistan (où, d’après une estimation
récente de la CIA, on ne compterait plus que 60 à 100 combattants), Al-Qaïda
continue à faire peser une lourde menace et doit rester au centre de
l’attention. Autrefois centralisée, l’organisation a progressivement laissé la
place à une nébuleuse composée d’une série de groupes régionaux motivés par des
objectifs à leur échelle et par l’aspiration partagée d’œuvrer à l’agenda
mondial d’Al-Qaïda. On peut citer, entre autres groupes idéologiquement proches
d’Al-Qaïda, des mouvements comme Lashkar-e-Taïba au Pakistan, Al‑Qaïda en
Irak, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al Shabaab en Somalie ainsi que l’Union du
Jihad islamique et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan en Asie centrale. La
radicalisation de certains jeunes en Europe et aux Etats-Unis suscite par
ailleurs des inquiétudes de plus en plus vives, tout comme le phénomène de
« terrorisme domestique ».
Considérant cette évolution, M. Nelson
préconise que les gouvernements occidentaux axent leurs efforts sur les
priorités ci-après :
·poursuivre les efforts menés actuellement pour
dégrader le noyau d’Al-Qaïda ;
·maintenir le Pakistan au centre des priorités et
poursuivre l’amélioration des relations avec ce pays ;
·ne pas permettre que l’Afghanistan et l’Irak
détournent l’attention de ce qui peut se passer ailleurs ; le fait que les
tentatives d’attentat les plus récentes aient été ourdies au Yémen et au
Nigéria est significatif à cet égard ;
·rester attentif à l’utilisation de l’Internet en
tant qu’instrument de radicalisation et continuer à porter ses efforts sur
l’interception des intermédiaires ;
·contrer la stratégie de communication de
Al-Qaïda, qui accuse les Etats-Unis et l’Occident d’être en guerre contre
l’islam et de tuer des musulmans innocents ; en fait, 75% voire 90% des
victimes d’Al-Qaïda sont des musulmans, et ce fait mériterait d’être mis en
évidence ;
·accepter que l’on ne se débarrassera pas
facilement du terrorisme et se préparer à un long combat contre ce
dernier ;
·reconnaître que la coopération et les
partenariats sont plus importants que jamais, et privilégier à nouveau
l’approche policière dans la lutte contre le terrorisme
Bart Johnson,
premier adjoint du sous-secrétaire au Renseignement et à l’analyse du
Département de la Sécurité intérieure, est lui aussi revenu sur le problème que
pose la radicalisation de certains jeunes Américains. Il a signalé à la
délégation que Al-Qaïda avait récemment publié une version anglaise de son
magazine, qui pourrait être utilisée en guise de support pour atteindre de
nouveaux groupes de jeunes en rupture avec la société. Repérer ce type
d’individus est extrêmement difficile, surtout lorsqu’il s’agit de solitaires
de retour aux Etats-Unis après avoir suivi un entraînement à l’étranger. Il est
donc indispensable de travailler avec des entités enracinées dans les
différentes communautés de manière à détecter les signaux d’alarme dès que
possible et d’essayer d’intégrer ces individus au niveau local avant qu’ils ne
deviennent violents. Le gouvernement américain s’est également donné pour
priorité absolue de consolider les synergies entre les très nombreuses agences
de maintien de l’ordre à l’œuvre dans le pays. C’est là le principal objectif
attribué aux nouveaux « centres de fusion ». M. Johnson a
par ailleurs souligné la nécessité d’établir au plan international, et
notamment entre pays membres de l’OTAN, une coopération étroite qui permette de
lutter contre la menace que font peser les groupes terroristes actifs par-delà
les frontières.
Menaces biologiques
Au cours du déjeuner organisé par
Emergent BioSolutions, principal partenaire du gouvernement fédéral des
Etats-Unis pour le développement, la fabrication et la fourniture de
contremesures médicales essentielles de biodéfense, la délégation a entendu un
exposé de M. Robert Kladec,directeur de PRTM Biodefense et de Public Health Practice, qui a
évoqué les menaces biologiques actuelles et les mesures envisagées par les
Etats-Unis pour y faire face.
M. Kladec a expliqué que les menaces
biologiques peuvent prendre la forme de pandémies naturelles ou d’actes
délibérés. Bien qu’il s’agisse de menaces différentes contre lesquelles on ne
mobilisera pas les mêmes capacités, elles n’en présentent pas moins certaines
convergences. Les politiques en vigueur aux Etats-Unis ont acté cette réalité
et la Stratégie nationale 2009 de lutte contre les menaces biologiques prend
comme point de départ des initiatives lancées dans le passé pour faire face
tant aux pandémies naturelles qu’aux actes délibérés.
M. Kladec a rappelé que l’on avait
commencé à prendre conscience de la gravité de la menace représentée par le
bioterrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et l’envoi de lettres
contaminées à la bactérie du charbon. En fait, Al-Qaïda avait déjà décidé dès
1999 de porter ses efforts sur le bioterrorisme. D’après certains analystes,
une attaque biologique serait aujourd’hui plus plausible qu’une attaque
nucléaire. Certains groupes terroristes ont clairement manifesté leur intention
de se procurer des armes biologiques, a rappelé M. Kladec. Les conséquences
d’un tel attentat seraient catastrophiques : il suffit en théorie de 1 à 2
kg d’un agent infectieux dispersé par aérosol pour contaminer 450 000
personnes et en tuer 380 000. D’après les estimations de M. Kladec, une telle
attaque coûterait à l’économie américaine plus de 1,8 trillion USD. Il a
déploré le financement insuffisant des programmes de défense biologique
(5,4 milliards USD en 2008), dont le niveau reste toujours bien en-deça
des crédits alloués aux programmes nucléaires (54,4 milliards USD en 2008,
capacités offensives et défensives confondues) ou à la cyberdéfense (11,4
milliards USD en 2008, chiffre qui devrait être porté à 30 milliards USD
en 2010).
M. Kladec a expliqué qu’il convenait,
pour atténuer le risque biologique, de miser avant tout sur la vitesse de
réaction : certaines pertes sont évitables si la menace est détectée et identifiée
à temps, et à condition de distribuer le traitement et de l’administrer dans
les deux jours suivant l’attaque. Plus généralement, étant donné que les
événements catastrophiques sont extrêmement difficiles à prédire, les
politiques de biodéfense devraient se donner pour objectif stratégique de
promouvoir la résilience.
Cyberdéfense
Mitch Komaroff
et Don Davidson, de l’Equipe spéciale Globalisation du département de la
Défense, ont présenté aux parlementaires un exposé sur les cybermenaces
actuelles et les mesures adoptées par les Etats-Unis pour y faire face. Les
orateurs ont rappelé combien les infrastructures essentielles de leur
pays reposaient sur le cyberespace, et, par conséquent, étaient vulnérables aux
cyberattaques. Ils ont fait observer que le degré de sophistication toujours
plus élevé des outils malveillants et le niveau toujours plus bas de compétence
requis chez leurs utilisateurs se conjuguent pour faire exploser le nombre
d’attaques de par le monde. La criminalité organisée est elle aussi de plus en
plus représentée et active dans le cyberespace, ont-ils averti. Les attaques
menées contre les sites estoniens en 2007 et contre les sites géorgiens durant
le conflit avec la Russie en 2008 ont eu pour effet de raviver l’intérêt de la
communauté internationale pour ce problème, et fait ressortir la nécessité
d’une réponse à l’échelle mondiale.
Les orateurs ont indiqué à la
délégation que le plan stratégique du gouvernement américain pour 2009 visait à
préserver la liberté d’action dans le cyberespace tout en permettant aux
Etats-Unis de conserver une supériorité technologique et les meilleures
cyberdéfenses au monde. Le plan fixait quatre grands objectifs, à savoir :
s’organiser en faveur d’objectifs communs et privilégier la vitesse d’action ;
mettre en place un accès aux informations et aux services qui soit protégé et
axé sur la mission ; anticiper et prévenir la conduite d’attaques
efficaces contre les données et les réseaux ; et prendre les dispositions
nécessaires pour être en mesure d’opérer en cas de cyberdégradation ou
d’attaque.
Les intervenants ont aussi mentionné
l’Initiative globale de cybersécurité 2007-2008 qui porte entre autres sur la
protection de la chaîne d’approvisionnement. Ce programme, ont-ils expliqué,
doit développer des outils en vue de l’incorporation de l’assurance système
dans l’ingénierie système, le but étant d’atténuer le risque tout au long du
cycle de vie des produits informatiques. Les Etats-Unis s’emploient aujourd’hui
à faire adopter des normes internationales relatives à la gestion des risques
pesant sur la chaîne d’approvisionnement. Etant donné que 85% des
infrastructures essentielles des Etats-Unis appartiennent au secteur privé, il
faut faire en sorte que ces propriétaires et exploitants privés adoptent eux
aussi les meilleures pratiques, ont souligné les orateurs.
Réponse aux catastrophes et marée noire
dans le Golfe du Mexique
Robert Fenton,
administrateur adjoint délégué au département Réponses en cas de
catastrophe de l’Administration fédérale de gestion des situations
d’urgence (FEMA), a présenté un exposé sur la mission et le mode de
fonctionnement de la FEMA. La FEMA est une des composantes opérationnelles du
département de la Sécurité intérieure. Elle a pour mission « d’appuyer les
citoyens et intervenants de première ligne de sorte qu’en tant que pays, nousœuvrions de concert à la constitution, au
maintien et à l’amélioration des capacités devant nous permettre de nous
préparer aux dangers de toutes sortes, de nous protéger et de réagir à ces
derniers, de pallier leurs conséquences et enfin, de les atténuer. »
Le cadre national d’intervention (ou National
Response Framework - NRF) est le document‑cadre organisant les
secours au niveau fédéral en cas de catastrophe majeure. Le NRF définit 15
fonctions essentielles (par ex., transports, communications, énergie) et
désigne une organisation responsable pour chacune d’entre elles. Cette
structuration par fonction permet de regrouper en différentes catégories les
ressources et capacités fédérales mobilisables à l’appui des intervenants au
niveau fédéral et des Etats ainsi qu’au niveau local. Les opérations de secours
en cas de catastrophe sont coordonnées via le Centre national de coordination
des réponses (National Response Coordination Center).
M. Fenton a souligné que le NRF n’est
activé qu’en cas d’incident national grave, et à la demande des autorités
locales. Les situations dans lesquelles le Président décide de faire remonter
au niveau fédéral la responsabilité pour la réponse aux catastrophes restent très
rares. Ce ne fut même pas le cas après l’ouragan Katrina.
La FEMA a réparti des moyens clés dans
ses 10 zones opérationnelles. Au nombre de ces capacités figurent 16 équipes
d’aide à la gestion des incidents, dont trois spécialisées dans le traitement des
incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN).
Déployables dans les trois heures suivant l’incident et autonomes durant 72
heures, ces équipes assurent une présence fédérale initiale sur le terrain et
viennent appuyer les autorités locales dans la planification des mesures
d’urgence et des secours en cas de catastrophe. Parmi les autres capacités
importantes de soutien, on peut mentionner les équipes de recherche et de
secours en milieu urbain, les détachements affectés aux communications
d’urgence en cas de catastrophe et les équipements prépositionnés. M. Fenton a
indiqué à la délégation que la FEMA attache de plus en plus d’importance à
la planification préalable en prévision des catastrophes.
La délégation a également discuté des
efforts actuellement déployés pour contenir la marée noire qui s’étend dans le
Golfe du Mexique. Jonathan Ramseur, du Service de recherche du Congrès, a
décrit l’ampleur du désastre : dans les 85 jours qui ont suivi l’incident,
30 à 60 000 barils de pétrole se sont répandus quotidiennement dans
l’océan, ce qui représente en tout entre 3 et 5 millions de barils ou encore
entre 125 et 214 gallons de pétrole. Il s’agissait de la pire marée noire
qu’aient connue les Etats-Unis depuis le naufrage de l’Exxon Valdez en 1989,
incident dont les conséquences avaient été nettement plus limitées (la quantité
de pétrole déversée n’avait pas dépassé 11 millions de gallons). La marée noire
dans le Golfe du Mexique a forcé 35% des sociétés de pêche de la région à cesser
leurs activités. L’intervention a consisté à déployer 7 000 navires et
600 systèmes de récupération du pétrole (« skimmers »),
soit la flotte la plus conséquente de cette nature jamais mobilisée de par le
monde.
D’après M. Ramseur, la marée noire dans
le Golfe du Mexique aura soulevé plusieurs questions majeures de politique
générale, à savoir :
·la réglementation des activités en haute
mer ;
·l’articulation des responsabilités et le régime
des compensations ;
·le ratio risques/avantages inhérent à l’exploitation
des ressources du plateau continental ;
·les limitations des technologies disponibles, et
·l’organisation des secours au niveau fédéral.
Au sujet de ce dernier point, M. Fenton
a indiqué que les garde-côtes des Etats-Unis étaient la principale agence fédérale
chargée des interventions dans le cadre de cette marée noire, la FEMA se
limitant à assurer un rôle de soutien.
POINT DE LA SITUATION EN RUSSIE, EN
UKRAINE, DANS LE CAUCASE ET EN ASIE CENTRALE
Ukraine
L’ambassadeur Steven Pifer, maître de recherche en politique étrangère au Centre sur les
Etats-Unis et l’Europe (CUSE) du Brookings Institute, a présenté
l’Ukraine d’aujourd’hui sous deux éclairages différents. Il a commencé par
exposer un scénario sombre où dominaient une série de décisions remettant en
question la souveraineté de l’Ukraine et les inquiétudes que suscitent
notamment les atteintes à la liberté de la presse. Le second scénario, moins
pessimiste, mettait en exergue certaines déclarations de dirigeants ukrainiens
selon lesquelles le pays souhaite nouer une coopération étroite avec l’OTAN
(sans pour autant adhérer à cette dernière) et ne rejoindra pas l’union
douanière Russie-Kazakhstan-Bélarus au motif qu’une telle démarche pourrait
compromettre l’adhésion de Kiev à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
L’ambassadeur Pifer a lancé un appel
aux gouvernements occidentaux, demandant qu’ils adressent à l’Ukraine un
message dans lequel il serait question non seulement des retombées bénéfiques
d’un engagement, mais aussi de l’éventuelle réduction du soutien occidental que
pourrait entraîner l’adoption de nouvelles mesures hypothéquant les libertés
fondamentales ou limitant la souveraineté nationale.
D’après l’ambassadeur Pifer, il est
évident que les Ukrainiens sont, dans leur grande majorité, opposés à une
adhésion à l’OTAN. Mais si, d’autre part, 80% des Ukrainiens tiennent à garder
de bonnes relations avec Moscou, seule une frange réduite de la population
souhaite que l’Ukraine unisse son destin à celui de la Russie. Le gouvernement
ukrainien a d’ailleurs rappelé clairement qu’il ne cherchait pas à rejoindre la
Communauté des Etats indépendants (CEI) ou l’Organisation du Traité de sécurité
collective (OTSC). On constate avec étonnement que 55 à 60% des Ukrainiens sont
favorables à une adhésion à l’Union européenne (UE). Bien que la majorité
d’entre eux ne soient pas au fait des exigences attachées à la qualité de
membre de l’UE, cette prise de position confère à l’Union un certain poids.
L’ambassadeur Pifer a toutefois regretté que l’UE n’ait pas, à ce jour, offert
à l’Ukraine une perspective d’adhésion à terme.
Russie
Fiona Hill,
directrice du CUSE, a rappelé que l’administration Obama avait hérité d’une
relation très conflictuelle avec la Russie et que la politique de “remise à
zéro” devait être considérée comme un instrument destiné à apaiser les
outrances verbales et à baliser le terrain en vue de la conclusion d’accords
sur un certain nombre de questions clés. Ceci dit, l’administration ne se fait
aucune illusion quant à une évolution possible en Russie.
Mme Hill a néanmoins indiqué que Moscou
avait récemment adopté un ton et une attitude plus ouverts. On ignore toutefois
si cette attitude est une simple conséquence de la crise économique mondiale ou
si elle reflète une réorientation plus substantielle de la politique étrangère
russe. La Russie a évolué au fil du temps, en raison notamment de son
exposition et de son adaptation aux normes européennes. Ainsi, certaines
décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont eu des retombées
significatives sur son système judiciaire. La conclusion, avec l’UE, d’accords
visant à faciliter l’octroi de visas pourrait également avoir des incidences
positives sur le pays, a avancé Mme Hill.
Il faudra toutefois que Moscou prenne
des mesures nettement plus énergiques pour que l’on puisse parler de véritable
changement. Mme Hill entendait par là :
·des dispositions destinées à lutter contre
l’opacité actuelle du système centralisé de gouvernance de la Russie ;
·des mesures visant à accroître la transparence dans
le secteur économique ;
·de véritables progrès en matière de scrutins et de
gouvernance locale ;
·une politique étrangère plus équitable,
c’est-à-dire qui ne privilégie pas un pays aux dépens d’un autre ;
·plus de transparence dans l’enquête sur la catastrophe
aérienne de Katyn, et
·un réchauffement des relations avec le Royaume-Uni.
L’évolution que connaît la Russie
s’explique également par l’évolution de sa démographie, ont souligné Mme Hill
et l’ambassadeur Pifer. D’après certaines études, les Russes de souche ne
représenteront plus que 65% de la population d’ici 25 à 30 ans (contre 80%
aujourd’hui). L’évolution démographique, dans la partie orientale et dans le
sud de la Russie notamment, va de pair avec certains défis. Les migrations
répétées en direction du sud ont eu pour effet de fragiliser plus encore la
situation dans cette région déjà volatile. Ce phénomène a également amené le
gouvernement russe à s’intéresser de plus en plus près aux régions du Caucase
et de la mer Noire, ce qui pose des questions géopolitiques
importantes.
Mme Hill a également évoqué le projet
de la nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe que défend le président
Medvedev. Si la proposition initiale puisait ses racines dans le Concert
européen du 19ème siècle – un modèle n’ayant vraiment rien pour plaire aux
gouvernements européens –, Moscou a depuis lors revu sa copie. De l’avis de Mme
Hill, la Russie cherche avant tout à faire entendre sa voix dans le débat sur
la sécurité européenne, ou à se faire une place dans un nouveau processus
d’Helsinki.
La délégation a également entendu un
exposé sur le débat en cours au Sénat des Etats-Unis sur le nouveau Traité de
réduction des armes stratégiques (« New START »). D’après Amy
Woolf, spécialiste au CRS, on ignore, vu la polarisation politique qui
caractérise actuellement le Sénat et le programme de travail bien rempli de ce
dernier, si le Traité pourra être ratifié avant l’élection de mi-mandat de
novembre prochain. Au cours des auditions menées au Sénat, les membres ont
soulevé un certain nombre de questions relatives au Traité ou extérieures à ce
dernier, comme la défense antimissile et le programme américain de
modernisation des armements.
Caucase du Sud
D’après Mme Hill, les Etats-Unis ont
manqué de réalisme en ne tenant pas compte de la problématique azerbaïdjanaise
dans leurs tentatives de réaliser un rapprochement entre l’Arménie et la
Turquie. Bakou réalise actuellement, entre les grandes puissances de la région,
un véritable numéro d’équilibrisme qu’un accord turco-arménien aurait mis en
péril. Les relations entre l’Iran et l’Arménie ont également pesé dans la
balance, car l’ouverture de la frontière entre cette dernière et la Turquie
fragiliserait probablement la position de Téhéran. Entretemps, les tentatives de
Washington visant à redynamiser le processus de Minsk sur le conflit du Haut
Karabakh ont échoué, les deux parties en présence s’empressant de faire du
Groupe de Minsk un bouc émissaire responsable de l’absence de progrès dans les
négociations.
Asie centrale
Mme Hill a fait remarquer que les
événements en cours en Asie centrale contrastent fortement avec la situation du
début des années 90, lorsque toutes les grandes puissances aspiraient à
intervenir. On dirait au contraire que depuis la crise au Kirghistan,
plus aucun acteur clé ne sait dans quel sens agir ou ne parvient à trouver une
bonne raison de le faire. Entretemps, bien sûr, la situation reste très
fragile, a averti Mme Hill, et le Tadjikistan pourrait lui aussi connaître une
crise du même type. Suite à la crise économique mondiale, ces deux pays ont vu
s’effondrer les envois de fonds de leurs ressortissants travaillant à
l’étranger. Une nouvelle déstabilisation de la région pourrait avoir des
conséquences néfastes pour l’OTAN, du fait notamment qu’elle se repose sur
l’Asie centrale pour la logistique de ses opérations en Afghanistan.
La
délégation a également eu la possibilité, au cours de cette visite, de
rencontrer des membres américains de la délégation de l’AP-OTAN ainsi que
d’autres membres de la Chambre des représentants. Cette visite, au cours de
laquelle furent abordées de nombreuses questions de sécurité, a permis aux
participants de rassembler de nouvelles informations pertinentes sur les
aspects de la sécurité qui seront couverts dans les rapports de l’Assemblée
cette année ainsi que dans les années à venir.
Respectueusement
soumis,
L’honorable Sénatrice Jane Cordy
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)