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Rapport

L’Association parlementaire Canadienne de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport concernant sa participation aux réunions de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, tenues au Missouri et à Washington, D.C. du 9 au 14 juillet 2010.  Le Canada a été représenté par la Sénatrice Jane Cordy. 

Une délégation conjointe composée de membres de la Commission sur la dimension civile de la sécurité (CDS) et de la Sous-commission de la Commission politique sur les relations transatlantiques (PCTR) s’est rendue aux Etats-Unis du 9 au 14 juillet 2010. Cette délégation, qui avait à sa tête Jo Ann Emerson (Etats-Unis), présidente de la CDS, et José Luis Arnaut (Portugal), rapporteur f.f. de la PCTR, comptait 31 membres de pays membres et membres associés de l’AP-OTAN. A Washington, ceux-ci ont pu rencontrer des hauts représentants des départements d’Etat, de la Défense et de la Sécurité intérieure ainsi que plusieurs experts indépendants. Les discussions ont eu pour thèmes principaux l’Afghanistan, les relations transatlantiques, ainsi que la situation en Iran et en Irak. Le groupe a également entendu des exposés relatifs à l’évolution de la situation en Russie et en Ukraine.  Quelques jours auparavant, du 9 au 11 juillet 2010, Mme Emerson avait accueilli la délégation de la CDS à Saint-Louis et à Rolla, au Missouri. Ce fut l’occasion, pour les membres, de rencontrer des représentants de firmes de premier plan dans les domaines de la défense et des technologies, de recueillir des informations sur plusieurs projets de recherche de pointe menés par la Missouri University of Science and Technology et de s’entretenir de sécurité maritime et aérienne avec des responsables du Corps du génie de l’armée de terre des Etats-Unis (USACE), de l’aéroport Lambert de Saint-Louis et de l’Administration pour la sécurité des transports (TSA).

MISSOURI, DU 9 AU 11 JUILLET 2010 (seulement pour les membres de la CDS )

Au cours de la visite effectuée par les membres de la CDS au Missouri, la délégation a rencontré des cadres supérieurs de deux firmes de défense basées dans cet Etat, à savoir Boeing Defense, Space and Security, et DRS technologiesSustainment Systems Inc. (DRS-SSI), ainsi que les directions de Brewer Science et de World Wide Technology, deux firmes de premier plan dans le domaine des technologies de pointe. Les informations rassemblées à l’occasion de cette visite seront exploitées par la Commission aux fins des travaux qu’elle mène actuellement sur la sécurité intérieure et la protection civile.

Les délégués se sont rendus sur les lignes de production des appareils F-18 et F-15 que construit Boeing, et les cadres de DRS-SSI leur ont donné des informations sur certains des produits de la compagnie, comme le chargeur de fret aérien Turner 60K, les unités de conditionnement et d’épuration de l’eau en conditions expéditionnaires (EWPS et EWRS), la plate‑forme d’intégration de systèmes Armored Knight et un radar de surveillance terrestre portatif.

La délégation a également parcouru les installations de Brewer Science et a reçu des informations sur le produit-phare de cette compagnie, à savoir un revêtement anti-reflet pour puces à semiconducteur. Les responsables de World Wide Technology ont pour leur part présenté les services qu’offre leur firme dans les domaines de la gestion de la chaîne d’approvisionnement et de la cybersécurité.

La délégation a effectué une visite guidée du campus de la Missouri University of Science and Technology (Missouri S&T), où elle a également pu se rendre dans plusieurs laboratoires. Les membres ont notamment appris que la Missouri S&T, avec ses quelque 6 800 étudiants et un corps enseignant de 460 membres environ, figure parmi les cinq premiers établissements de recherche technologique des Etats-Unis. Plusieurs projets de pointe de l’Université, dont certains sont menés en coopération avec le secteur privé ou le département de la Défense, leur ont été présentés. Les délégués ont notamment recueilli des informations sur les travaux en cours sur la détection et la neutralisation des engins explosifs improvisés (IED), la réparation et la remise en état des infrastructures bâties ainsi que la mise au point d’un système d’imagerie à ondes millimétriques.

La délégation a eu des échanges de vues sur la sécurité des voies d’eau intérieures avec des représentants de l’USACE, des garde‑côtes américains et du secteur de la navigation rencontrés à Melvin Price Lock and Dam, à Alton (Illinois). Tous les intervenants ont mis en exergue l’importance vitale que revêt le Mississippi en tant que corridor de transport fluvial pour l’économie locale et nationale. La délégation a ainsi appris que plus de 60% des exportations céréalières américaines, 22% environ du pétrole/dérivés pétroliers produits dans le pays et 20% du charbon utilisé aux fins de la production électrique transitent par les voies de navigation intérieures. Il est dès lors essentiel d’assurer la sûreté et la sécurité de la navigation sur ces dernières.

L’USACE joue dans ce contexte trois rôles de premier plan, à savoir soutien au développement des ressources hydriques, prestations du génie et appui à la sécurité nationale. Plus précisément, le Corps du génie est chargé de maintenir une profondeur de navigation de 9 pieds tout au long du tronçon du Mississippi compris entre Saint-Paul et la Nouvelle-Orléans. Il est également actif dans la gestion des risques d’inondations et la remise en état de l’écosystème et accomplit des missions de gérance environnementale. Le district de Saint-Louis de l’USACE coïncide avec une zone présentant une importance stratégique particulière, au confluent de quatre grands fleuves : le Mississippi, l’Illinois, le Missouri et l’Ohio. Il fait appel à un effectif composé de 750 civils et de 2 militaires.

Le document sur lequel repose la politique générale en matière de sûreté maritime est le Maritime Transportation Security Act (MTSA) de 2002. Ce texte prévoit la mise sur pied de comités de sûreté maritime de secteur rassemblant toutes les parties prenantes, ainsi que l’adoption de plans de sûreté pour les bateaux et des installations. Il fixe également les niveaux de sécurité maritime, et définit une procédure à suivre pour l’adoption des évaluations des risques.

Le complexe Melvin Price est un élément clé du système de navigation sur le Mississippi. Il se compose d’une écluse principale longue de 1 200 pieds environ et d’une écluse auxiliaire de 600 pieds. La délégation a appris que l’éclusage d’un train de poussée de 15 chalands sur une distance de 1 200 pieds n’y prend que 30 minutes environ ; il faut néanmoins savoir que la plupart des écluses sur le cours supérieur du Mississippi sont longues de 600 pieds, soit un temps de passage de deux heures et demie pour le même nombre de bateaux.

La délégation a également visité un autre site de référence dans la région, à savoir l’aéroport Lambert de Saint-Louis. Avec 12,8 millions de passagers en 2009, il s’agit du 33e aéroport le plus fréquenté d’Amérique du Nord. Il gère 237 vols quotidiens et 14 compagnies aériennes y sont représentées. On espère qu’il deviendra un aéroport plaque tournante pour le transport de fret en provenance de la Chine et en direction de cette dernière.

La délégation a noté, au cours de sa rencontre avec les représentants de l’aéroport et de la TSA, que la sécurité de cette infrastructure est une prérogative assurée conjointement par les transporteurs aériens, les exploitants de l’aéroport et la TSA, qui est compétente à l’échelon fédéral.

Les deux principales missions de la TSA sont l’établissement de réglementations et le contrôle de la sécurité. C’est elle qui est chargée de fixer le cadre réglementaire applicable à la sûreté de l’aviation et du fret.  C’est ainsi que la TSA a promulgué tout récemment une réglementation qui obligera les aéroports à contrôler la totalité du fret à partir du 1er août 2010. La TSA commence aussi à se rapprocher des opérateurs actifs dans le domaine du transport fluvial dans le but de nouer avec eux des partenariats dans le domaine de la sécurité.

Enfin, la TSA est chargée du contrôle des passagers et des bagages. Selon ses représentants, les engins explosifs improvisés restent la principale menace pesant sur les appareils de transport de passagers. De nouvelles technologies de détection d’explosifs sont désormais disponibles, comme les « scanners du corps entier », qui font appel à la rétrodiffusion ou aux ondes millimétriques. La police de l’aéroport Lambert comprend également neuf équipes canines spécialisées dans la détection des explosifs. A côté de la détection d’explosifs, la TSA et la police aéroportuaire font aussi appel à des techniques d’observation pour déceler les comportements suspects.

WASHINGTON DC, du 12 au 14 JUILLET 2010

AFGHANISTAN

Tant les orateurs officiels que les experts indépendants ont reconnu que la sécurité en Afghanistan restait fragile et que la situation demeurerait tendue au cours des prochains mois. Anthony Cordesman, titulaire de la chaire Arleigh A. Burke au Centre d’Etudes stratégiques et internationales (CSIS), a rappelé aux participants que l’insurrection était passée à la vitesse supérieure. Selon lui, le gouvernement n’exercerait pas de véritable présence dans la plus grande partie du pays. Des « gouvernements fantômes », encore inexistants en 2003, avaient été formés par les talibans dans 11 provinces en 2005 ; en 2009, ce nombre était passé à 33 (sur les 34 provinces que compte le pays). Dans l’ensemble, la violence s’est intensifiée dans le pays à raison de 88% depuis mai de l’an dernier. Les niveaux de violence et de sécurité varient selon les régions ; c’est ainsi que les zones les plus difficiles se situent dans l’est et dans le sud du pays, même si, toujours d’après cet expert indépendant, on peut également constater un regain de violence dans le nord.

Le département de la Défense a averti que l’on pouvait s’attendre à voir augmenter les pertes au fur et à mesure que la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) progresserait dans les zones d’où elle a été jusqu’à présent absente. Les engins explosifs improvisés (IED), notamment, font peser une lourde menace sur les forces de la FIAS, a souligné M. Cordesman. On a assisté, durant la période comprise entre janvier et avril 2010, à une augmentation de 94% du nombre d’incidents en rapport avec les IED. Selon le général Stéphane Abrial, commandant suprême allié Transformation (SACT), la majorité des pertes en vies humaines subies par les troupes de la coalition en Afghanistan depuis 2008 sont à mettre sur le compte des IED. Il a indiqué à la délégation que pour contrer le défi posé par les IED, le Commandement allié Transformation (ACT) a mis au point un plan d’action spécifique censé mettre en échec l’ensemble du système - planification, financement et logistique  - venant à l’appui des IED. Le général Abrial a par ailleurs présenté un aperçu des activités de l’ACT et annoncé au groupe que ce dernier avait déployé en partenariat avec le Commandement de forces interarmées des Etats-Unis le « Afghanistan Mission Network », un système permettant de transmettre les informations en continu et en toute sécurité d’un réseau national à l’autre.

Quarante-six pays - au nombre desquels figurent non seulement tous les pays membres de l’OTAN, mais également des partenaires comme le Japon, qui apporte une aide économique déterminante - sont actuellement engagés en Afghanistan. Les membres de l’Alliance et les partenaires de la coalition ont engagé 9 700 soldats supplémentaires, portant ainsi le nombre de soldats non américains présents sur place à plus de 50 000. Selon les représentants du département de la Défense, deux-tiers environ de ces forces supplémentaires sont d’ores et déjà sur place et le tiers restant devrait arriver sur le terrain d’ici à août 2010. Vers la même date, les Etats-Unis auront bouclé le déploiement de quelque 30 000 soldats supplémentaires, portant ainsi l’effectif américain présent dans le pays à 100 000 hommes environ, soit trois fois plus que début 2009.

Les responsables du département de la Défense et du département d’Etat ont indiqué qu’afin de compléter cette montée en puissance militaire, les Etats-Unis avaient multiplié par trois le nombre d’experts civils présents en Afghanistan, portant leur nombre à un millier environ. Le nombre d’experts civils continuera à augmenter, reflétant l’approche de l’administration américaine axée sur un effort civilo-militaire pleinement intégré. La première priorité non militaire est l’agriculture, tant au niveau des provinces que des districts, a indiqué Dan Feldman, représentant adjoint pour l’Afghanistan et le Pakistan au département d’Etat américain. La culture du pavot reste un défi de toute première importance, et les liens entre stupéfiants et insurgés sont évidents. La remise sur pied du secteur agricole et le développement de programmes de subsistance alternatifs contribueront à priver les insurgés de leur soutien et à rétablir le lien entre les agriculteurs et le gouvernement.

Les orateurs officiels et indépendants ont mis en exergue les progrès considérables accomplis en Afghanistan, que ce soit sur le plan de la sécurité ou du point de vue de la reconstruction. Dans le sud, les forces de la FIAS et des Etats-Unis ont repris les sanctuaires où les insurgés trouvaient refuge, les forçant à se disperser. Les troupes de la coalition n’ont certes pas remporté tous les succès escomptés, comme dans la province de Marjah, mais l’approche consistant à axer les efforts sur les populations fonctionne dans les autres régions du sud, selon M. Cordesman. Près de sept millions d’enfants afghans ont en outre retrouvé le chemin de l’école, alors qu’ils étaient moins d’un million à recevoir un enseignement il y a une décennie, lorsque le pays était aux mains des talibans. Les taux de vaccination des enfants ont très nettement augmenté, pour se situer aujourd’hui entre 70 et 90%. L’usage du téléphone portable s’est répandu dans un pays où cette technologie était pratiquement absente à l’époque des talibans, a précisé M. Cordesman, ajoutant que des routes, des ponts et d’autres infrastructures avaient été réparés, ou construits.

Les orateurs ont souligné que l’engagement militaire privilégie une approche contre‑insurrectionnelle centrée sur la population, avec pour objectif de tuer les insurgés, les capturer et les maintenir à l’écart des populations. Un représentant du département de la Défense a assuré à la délégation que le changement de commandement des forces de la FIAS n’aurait pas de retombées sur la mise en oeuvre du plan pour l’Afghanistan, étant donné que le général Petraeus, nouveau commandant de la force, avait été étroitement associé à l’établissement de celui-ci. La stratégie de campagne que pratiquent les forces alliées sous l’autorité du général Petraeus tient compte de la complexité de la situation sur le terrain et doit permettre d’« atteindre un degré de développement raisonnable » dans le pays, a souligné M. Cordesman. Cette stratégie, a-t-il déclaré, repose sur les grands axes ci-après :

·         protéger la population (en agissant en priorité dans les zones densément peuplées où les groupes d’insurgés opèrent essentiellement avec des populations pachtounes  marginalisées) ;

·         doter les forces de sécurité nationale afghanes (ANSF) de moyens facilitateurs (en privilégiant une accélération et un élargissement de la mise sur pied de capacités et de moyens et en nouant des partenariats à tous les échelons) ;

·         neutraliser « les influences malignes » (en détectant et en dénonçant la corruption ; en aidant à la mise sur pied d’une gouvernance responsable et qui rende des comptes) ;

·         oeuvrer à l’extension du champ d’action de l’autorité publique (en gagnant le soutien actif des Afghans, et pour ce faire, en déléguant à des leaders légitimes au niveau sub-national la prise de mesures efficaces destinées à protéger les populations) ;

·         soutenir le développement socio-économique (en gagnant le soutien actif de la population et, à cette fin, en ménageant des conditions de sécurité propices à la conduite de projets de développement communautaire).

Les intervenants se sont accordés à dire que les membres de l’OTAN et la communauté internationale doivent se fixer des objectifs réalistes assortis d’échéances raisonnables. Les représentants du département d’Etat et du département de la Défense ont souligné que les objectifs principaux de la campagne afghane restent inchangés, à savoir démanteler, désorganiser et vaincre Al-Qaïda et les talibans et faire en sorte que l’Afghanistan ne redevienne jamais un sanctuaire pour le terrorisme. M. Cordesman a toutefois fait remarquer que les attentes de la coalition et les échéances de la campagne ne coïncidaient pas forcément. Les intervenants ont admis qu’un certain temps s’écoulera avant que l’on sache si la nouvelle stratégie, conçue à l’origine par le général Stanley McCrystal, portera ses fruits. D’après l’expert du CSIS, il faudra attendre la mi-2011 pour pouvoir juger du succès de ces nouvelles tactiques et stratégie.

Pour ce qui concerne les ANSF, M. Cordesman a laissé entendre que les Alliés commencent à peine à mettre sur pied des forces afghanes efficaces. Le taux d’attrition parmi les ANSF reste très élevé - pas moins de 70% dans certains cas. Il a regretté que dans le passé, jusqu’en 2008 et 2009, on n’ait pas investi suffisamment d’efforts dans la formation de l’armée et de la police afghane. Un responsable du département de la Défense a également reconnu, de son côté, que les moyens déployés en Afghanistan avaient été beaucoup trop longtemps insuffisants, tant du point de vue financier qu’humain. De plus, la coalition s’est montrée plus réactive que proactive, et ce alors que l’Afghanistan, un des pays les plus pauvres du monde avant la guerre, se retrouve exsangue après 30 ans de conflit. Les ressources mobilisées au titre de la formation ont certes augmenté de manière significative, mais il reste difficile, selon l’expert indépendant, de recruter des effectifs pour la Mission OTAN de formation – Afghanistan (NTM-A). D’après M. Feldman, la mission en Afghanistan a encore besoin de 420 formateurs supplémentaires ainsi que de personnes aptes à assurer le mentorat de la police ; remédier au manque de formateurs constitue dès lors une priorité essentielle. Plusieurs responsables du département de la Défense ont rappelé que l’effort de formation déployé pour les ANSF ne devait pas se concentrer seulement sur le nombre de recrues, mais aussi sur leurs compétences ; actuellement, l’entité officielle la plus respectée dans le pays est l’armée nationale afghane (ANA).

Dans l’ensemble, les intervenants partageaient le point de vue selon lequel plusieurs années s’écouleront avant que les forces afghanes ne soient véritablement en mesure d’accomplir seules les tâches de sécurité dans le pays. Par conséquent, M. Cordesman considère que la réalisation des objectifs fixés pour l’Afghanistan exigera un effort soutenu qui s’étendra bien au-delà de 2010 ou 2011. Un transfert de responsabilités à grande échelle de responsabilités vers les ANSF ne pourra commencer qu’à partir du moment où les forces auront atteint le niveau de préparation voulu, c’est-à-dire, selon lui, d’ici à la fin 2012 dans le meilleur des cas. Les orateurs étaient d’accord pour dire que le retrait des forces armées américaines et alliées devait être très progressif et assorti de conditions, et que les ANSF auraient encore besoin du financement et de moyens facilitateurs alliés pendant un temps relativement long. Ils ont aussi souligné que le début de la phase de transfert, en juillet 2011, ne devait pas être une course vers la sortie. L’ouverture de cette étape de transition marquera une évolution dans la mission de la FIAS, a déclaré M. Feldman, et non pas sa fin.

Un représentant du département de la Défense a souligné combien il était nécessaire d’associer les citoyens à la recherche d’une solution. La délégation a noté que l’accent mis sur la population par la coalition dans sa lutte contre l’insurrection populo-centrique avait eu pour résultat une nette diminution du nombre de victimes civiles au cours des derniers mois. Toutefois, comme l’a rappelé M. Cordesman, il est aussi difficile de s’assurer le soutien des populations que de combattre les insurgés. L’absence de bonne gouvernance au niveau national, provincial et des districts reste particulièrement problématique. L’expert du CSIS a rappelé combien il était nécessaire que chaque opération débouche sur des progrès immédiats, qu’il s’agisse de la bonne gouvernance, d’une justice réactive ou de la création d’emplois ou d’opportunités économiques. La mise en place d’autorités locales plus efficaces exigera encore beaucoup de temps vu la corruption et l’incompétence qui sévissent à ce niveau, a déclaré M. Cordesman. Les Etats-Unis concentrent plus leur aide financière sur les provinces et fournissent une assistance en priorité aux districts les plus importants. De récents sondages ont montré que 83% des Afghans considèrent que la corruption au niveau gouvernemental fait sentir ses effets sur leur vie quotidienne. Mais en dépit de l’amertume suscitée par la corruption du pouvoir, ces mêmes sondages montrent que la confiance des Afghans envers leur gouvernement remonte lentement.

M. Cordesman a par ailleurs avancé que dans de très nombreux cas, la corruption était imputable aux bailleurs de fonds internationaux ainsi qu’aux forces armées qui, au fil des ans, avaient dépensé des sommes considérables sans pour autant instaurer une redevabilité et une transparence efficaces. D’après lui, les Etats-Unis, la FIAS, la Mission d’Assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) et les organismes d’assistance internationaux doivent lancer une réflexion sur le rôle qu’ils ont joué dans la corruption et le gaspillage de moyens. Il faut également, a-t-il ajouté, que, plus qu’auparavant, l’aide déployée par les Nations unies, les pays et les ONG soit consacrée en priorité à la satisfaction de besoins validés, tienne compte du ressenti des Afghans et des paramètres d’efficacité et privilégie la passation de marchés selon des critères honnêtes. M. Feldman a admis que la corruption restait un grave problème, ajoutant que l’administration américaine s’emploie à mettre en place un maximum de mécanismes solides de contrôle. C’est ainsi, a-t-il encore déclaré, que les Etats-Unis font désormais moins appel à de grosses firmes extérieures, car ce mode de collaboration limite les possibilités de supervision des sous-traitants.

Toujours d’après M. Cordesman, l’assistance financière a en outre privilégié les dépenses pour achats au détriment du lancement de projets. D’après lui, les Nations unies ne sont toujours pas en mesure de mesurer de manière fiable le degré d’efficacité des efforts dans le domaine civil. De même, on ne dispose pas de paramètres fiables pour évaluer l’effort militaire, a-t-il ajouté. Et de constater : « Il aura fallu près de huit ans pour comprendre exactement où en sont les choses ». L’orateur a résumé son point de vue sur l’aide internationale fournie à l’Afghanistan en disant « n’avoir jamais vu ailleurs qu’en Afghanistan autant d’efforts internationaux se concentrer sur un seul et unique projet avec si peu d’efficacité. »

·         De l’avis de toutes les personnes qui se sont exprimés au sujet de l’Afghanistan, une amélioration de la situation passe par un renforcement de la coordination civilo-militaire. L’unité d’effort est toujours absente, a déclaré M. Cordesman, et de nombreuses entités militaires ne concertent pas leur action avec celle de leurs organismes d’aide nationaux. Toujours selon lui, la fracture entre civils et militaires participant à la campagne « nettoyer-tenir-construire » reste également un gros problème. La coopération entre forces armées et équipes de reconstruction provinciale (PRT) doit elle aussi être renforcée et gagner en pertinence du point de vue opérationnel. Trop peu de pays gèrent leurs PRT de manière efficace et souvent, les officiers et experts ne restent pas assez longtemps sur place.

Les Alliés savent bien que ces améliorations sont nécessaires. Le général Abrial a indiqué à ce titre que l’ACT avait été chargé d’épauler l’ambassadeur Sedwill, haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan, pour ce qui concerne les enseignements à tirer de l’intégration des différents intervenants civils et militaires à l’œuvre en Afghanistan. Il importe, en premier lieu, d’instaurer un esprit de coopération entre les forces armées, les organismes gouvernementaux, les organisations internationales, les ONG et certains acteurs du secteur privé, a-t-il expliqué. Cet état d’esprit doit être suffisamment inclusif pour tenir compte des cultures opérationnelles d’intervenants très différents mais rester par ailleurs assez cohérent pour produire ses effets. Et de conclure que le mot clé est ‘unité d’effort’, et non pas ‘unité de commandement’.  Le général Abrial a également mentionné que l’ACT travaille depuis un certain temps à l’élaboration d’une doctrine OTAN de contre-insurrection, qui est actuellement à l’examen au niveau des Alliés.

Les responsables des départements d’Etat et de la Défense ont également souligné l’importance de la conférence des ministres des Affaires étrangères prévue à Kaboul le 20 juillet, au cours de laquelle l’on procédera à une évaluation des acquis mais également des défis. M. Feldman a rappelé que cette rencontre, à laquelle doivent participer 40 ministres des Affaires étrangères, sera la plus grande manifestation internationale tenue depuis la fin des années 70. La conférence sera l’occasion, pour le gouvernement afghan, de faire un point des différentes avancées. Le gouvernement de Kaboul en profitera pour communiquer des informations au sujet de son programme de réformes, qui doit permettre d’instaurer un système placé sous le signe de la bonne gouvernance, de la justice et de la redevabilité et s’appuyant sur une administration au service des intérêts de la population.

Les intervenants tant officiels qu’indépendants ont mis en exergue le rôle central que doit jouer le Pakistan dans la stabilisation de l’Afghanistan. Ils ont rappelé combien il était important d’encourager Islamabad à en faire plus pour que la situation en Afghanistan s’améliore et donc, d’aider ce pays à se doter des moyens de combattre les insurgés. M. Cordesman a indiqué que 130 000 soldats pakistanais étaient actuellement déployés dans les zones tribales administrées au niveau fédéral (FATA) et la Province de la frontière du nord-ouest (NWFP), qui seraient utilisées par les insurgés comme sanctuaires. Le déploiement de troupes sur la frontière occidentale du Pakistan est le plus important jamais opéré dans l’histoire du pays, et plus de 100 000 hommes ont été rappelés depuis la frontière orientale avec l’Inde.

Les Etats-Unis, a rappelé M. Feldman, ont développé avec le Pakistan une relation solide et durable qui dépasse la problématique afghane. Signe de l’importance que les parties accordent à cette relation, le dialogue américano-pakistanais se déroule dorénavant au niveau ministériel. À ce jour, 13 groupes de travail coprésidés par les deux parties ont été mis sur pied. Leurs champs d’étude dépassent les considérations strictement militaires et sécuritaires pour s’étendre également à des questions comme la gestion hydrique, la santé, l’agriculture, l’enseignement, l’économie et la finance, l’accès aux marchés, l’énergie, les sciences et les technologies, les télécommunications, les questions relatives aux femmes et le maintien de l’ordre, a expliqué M. Feldman. Tout en reconnaissant que les Pakistanais sont nombreux à ne pas apprécier les Etats‑Unis, il a dit souhaiter que l’aide mobilisée par Washington pour permettre au Pakistan de s’attaquer à ses problèmes économiques et sociaux ferait évoluer les choses. A côté de l’aide apportée au Pakistan pour lutter contre l’insurrection, les Etats-Unis envisageront également des solutions innovantes destinées à faciliter les relations entre civils et militaires dans le pays. Les Etats-Unis ne parviendront pas à eux seuls à aider le Pakistan à surmonter ses problèmes, a-t-il déclaré. Il s’agit là d’une entreprise exigeant un effort authentiquement international. Dans ce contexte, il a fait état de la mise sur pied d’un Fonds d’affectation spéciale multidonateurs (MDTF) destiné à financer la remise en état des infrastructures, des services et des viabilités dans la Province de la frontière du nord-ouest ainsi que dans les zones tribales touchées par le conflit. Il a toutefois reconnu que la reconstruction dans les zones tribales se heurtait à d’énormes difficultés. Des pays comme la Turquie et les Émirats arabes unis peuvent y faire toute la différence, notamment en matière de réforme de l’enseignement, a-t-il déclaré.

M. Feldman a souligné l’importance de la stratégie de stabilisation régionale, aujourd’hui en cours de révision. Un des objectifs poursuivis par les Etats-Unis au travers de leur stratégie régionale consiste notamment à faire en sorte que les voisins de l’Afghanistan abandonnent l’esprit de concurrence pour privilégier désormais la coopération. Répondant à une question de la délégation, M. Feldman a déclaré que le mandat du représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan n’englobait pas le Cachemire. Il a toutefois ajouté que les Etats-Unis se félicitaient de la tenue de réunions de haut niveau réunissant l’Inde et le Pakistan sur cette question.

L'OTAN ET LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES

Les réunions tenues à Washington ont également porté sur les relations transatlantiques et les questions en rapport avec l’OTAN. Dans l’ensemble, les orateurs qui se sont exprimés sur ces sujets considéraient, pour reprendre les propos de Paul Belkin, du Service de recherche du Congrès (CRS), que l’Europe reste un acteur important. Les Etats-Unis reconnaissent qu’ils ne peuvent faire face seuls à tous les défis de sécurité et, par conséquent, continuent à considérer l’Europe comme un partenaire de premier plan, si ce n’est le partenaire clé, pour la prise en charge des défis sécuritaires, a-t-il déclaré. Les Etats-Unis et leurs alliés partagent les mêmes valeurs et continuent à poser le même regard sur les défis, a-t-il encore ajouté. John Rollins (CRS) a souligné que l’administration Obama avait adopté en matière de sécurité une approche clairement élargie, comme en témoigne la stratégie de sécurité nationale (NSS). Par contraste avec la « stratégie du temps de guerre » pratiquée par l’administration précédente, l’administration Obama met dorénavant l’accent sur le rétablissement du leadership planétaire, a-t-il ajouté. Par conséquent, la NSS en vigueur aujourd’hui privilégie, entre autres lignes directrices, une collaboration et une coopération plus poussées avec les partenaires internationaux. Heather Conley, maître de recherche et directrice du Programme Europe du CSIS, a fait remarquer que les relations Europe/Etats-Unis sont entrées dans une phase de transition, principalement du fait qu’elle sont moins déterminées par la politique – autrement dit, par des fractures idéologiques opposant, par exemple, liberté et communisme – et aussi parce que le pouvoir est passé aux mains d’une nouvelle génération. Selon elle, la relation transatlantique est régie par quatre grands paramètres, à savoir la crise économique mondiale, la remise à zéro de la politique Etats-Unis/Russie, le Moyen-Orient (en particulier l’Iran, mais aussi l’évolution de la politique étrangère turque) et la manière dont les Alliés conçoivent leur stratégie de communication pour l’Afghanistan.

Dans l’ensemble, les orateurs considéraient qu’un lien étroit entre l’OTAN et l’UE est nécessaire, et ce tant dans la perspective des défis sécuritaires du futur que sous l’angle des relations avec la Russie. Ils ont néanmoins relevé que cette relation devait s’améliorer, en particulier du point de vue politique. Mme Conley a averti qu’un resserrement des liens serait difficile, principalement en raison des divisions en Europe, qui rendent l’avènement d’une unité transatlantique encore plus problématique. S’agissant de l’évolution future de l’UE, elle voyait se dégager trois scénarios différents pour l’Europe, à savoir une poursuite de l’intégration, une désintégration de l’eurozone ou un affaiblissement de la coopération entre membres de l’UE. M. Belkin a quant à lui indiqué que si les Etats-Unis se montrent aujourd’hui plus que jamais favorables à l’éclosion d’une identité européenne de sécurité, une certaine confusion n’en subsiste pas moins, à Washington, quant au positionnement à adopter vis-à-vis de l’UE.

L’instauration d’un partenariat étroit entre les Etats-Unis et l’Europe se heurte, entre autres défis, au profond fossé qui les sépare – et qui s’approfondit de plus en plus – en termes de dépenses de défense. Alors que les Etats-Unis consacrent près de 35% de leurs dépenses de défense aux investissements (soit près du double du pourcentage mobilisé à ce titre par leurs partenaires de l’OTAN), les Alliés sont en train de revoir leurs dépenses à la baisse. Il en va de même pour les technologies de défense, domaine où le décalage entre les Etats-Unis et leurs Alliés pourrait également tendre la relation transatlantique. D’après Mme Conley, ces facteurs vont déboucher sur un atlantisme d’intérêt qui poussera les Etats-Unis à se tourner vers d’autres partenaires pour s’attaquer aux questions qui les préoccupent.

Mme Conley a fait remarquer que l’OTAN est confrontée à de nombreux défis. Selon elle, l’unité transatlantique sera particulièrement mise à l’épreuve par deux questions, à savoir l’Afghanistan et l’Iran. D’après d’autres intervenants, certains considèrent, aux Etats-Unis, que la solidarité de l’Alliance se mesurera une fois pour toutes à la capacité qu’aura l’OTAN d’atteindre ses objectifs en Afghanistan. On imagine difficilement, selon M. Belkin, que l’OTAN puisse jamais s’engager encore dans une opération de ce type par pur esprit de solidarité : tout engagement de cette nature devra également être porté par des intérêts communs. Il faudra par ailleurs, a avancé Mme Conley, que les Alliés « repensent l’élargissement », car on ne doit pas trop s’attendre à ce que l’OTAN relancent l’initiative de la politique de la porte ouverte dans un avenir immédiat. Cette politique demeure certes d’actualité, mais les perspectives pour l’Ukraine et la Géorgie sont peu claires. Pour ce qui concerne les armes nucléaires tactiques, cette spécialiste du CSIS était d’avis que les Alliés réunis au sein de l’OTAN reviendraient probablement sur la question du « partage de la charge nucléaire ». De l’avis du général Abrial et de M. Belkin, la mise à jour du Concept stratégique de l’OTAN, qui doit être approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement au sommet de Lisbonne en novembre 2010, redynamisera l’Alliance. Selon eux, le nouveau Concept devrait renforcer l’article 5 et mettre en exergue la pertinence des partenariats.

IRAK

La délégation a aussi entendu des exposés sur la région du Golfe, et notamment sur les derniers développements survenus en Irak et en Iran. Selon Kenneth Pollack, directeur du Centre Saban pour la politique au Moyen-Orient (Brookings Institution), la communauté internationale est loin d’accorder à l’Irak toute l’attention voulue. En effet, ce qui s’y passe est crucial non seulement pour le pays lui-même, mais aussi pour la région dans son ensemble. L’Irak d’aujourd’hui a radicalement changé depuis 2006/2007 et l’on a assisté au cours de l’année écoulée à une multiplication des signaux positifs, a déclaré M. Pollack. La sécurité continue de se renforcer en Irak où les insurgés, à défaut d’avoir été battus à plate couture, sont néanmoins considérablement affaiblis. Les attaques dirigées contre les forces américaines et irakiennes, et même les attentats contre les civils, ont encore diminué par rapport aux chiffres déjà peu élevés de l’an dernier.

Mais si l’Irak est effectivement devenu plus sûr qu’il ne l’était il y a quelques années encore, on ne peut encore le qualifier de pays « normal », et ce même en fonction des normes de sécurité en vigueur dans le monde arabe. La violence intercommunautaire continue à faire chaque mois de nombreuses victimes. La corruption et la criminalité organisée continuent en outre à se développer, tandis que les infrastructures, principalement dans les secteurs de l’eau et de l’énergie, sont frappées par la décrépitude et ne fonctionnent plus de manière satisfaisante après 20 années de dégradations et de négligence. Autrement dit, la question irakienne n’est, de l’avis de l’orateur, « absolument pas résolue » et il existe un risque réel de voir le pays basculer à nouveau dans une guerre civile à grande échelle semblable à celle qui a sévi de 2005 à 2007. Des études universitaires sur les guerres civiles intercommunautaires ont montré que la moitié des Etats ayant connu des conflits civils semblables à celui qui a ravagé l’Irak sont exposés à un risque bien réel de voir se rallumer les différends, souvent dans les cinq ans, a déclaré M. Pollack. Si le pays en question possède en outre des ressources naturelles recherchées - diamants, or ou pétrole -, ce risque s’aggrave encore. Il faut donc conclure que l’Irak reste particulièrement vulnérable à un retour de la guerre civile.

M. Pollack a qualifié les élections législatives de début mars de véritable succès et d’ « immense victoire pour le peuple irakien », ce dernier ayant voté, dans sa grande majorité, pour les deux partis considérés comme les plus laïques, les moins liés aux milices officielles et les moins influencés par le sectarisme vicieux de la guerre civile. Les Irakiens se sont massivement prononcés en faveur du changement en ne réélisant que 64 parlementaires sur les 325 que compte le Conseil des représentants. Le scrutin reflète également le souhait de la population de voir s’instaurer la stabilité et le progrès aux plans politique, économique et social. Mais plus de quatre mois après les élections, le pays n’a toujours pas de gouvernement tandis qu’une « bataille furieuse se poursuit pour la formation de ce dernier », a indiqué l’orateur. Les politiciens sont nombreux à ne pas croire en la démocratie ; s’ils le pouvaient, il en reviendrait à leur « bonne vieille politique d’autrefois ».  Par contraste, le peuple irakien dans sa grande majorité a monté clairement qu’il voulait un gouvernement représentatif et transparent à même de répondre à ses besoins, et qu’il souhaitait le retour de l’Etat de droit. Dès lors, a souligné M. Pollack, il serait très dangereux de voir s’imposer le sentiment selon lequel le résultat du scrutin a été « confisqué » par les manœuvres politiciennes qui l’ont suivi. En conclusion, M. Pollack a déclaré que ces élections avaient créé certains précédents que l’on n’oublierait pas de sitôt et que la communauté internationale devait s’intéresser de plus près à ce qui sortira, en fin de compte, de ce scrutin.

Bien que les investissements étrangers soient en hausse, notamment dans le secteur pétrolier, l’économie du pays reste faible et le chômage, trop élevé. Malheureusement, vu la structure des contrats que l’Irak a signés avec différentes compagnies pétrolières, il ne faut pas s’attendre avant 2014 à une remontée massive des recettes dans ce domaine d’activité. L’Irak devrait dès lors connaître de sérieux problèmes entre 2011 et 2014, quand le peuple Irakien exigera que les infrastructures soient modernisées alors que les moyens financiers nécessaires seront tout simplement absents.

L’influence de Washington diminue en Irak mais reste toutefois très marquée ; vu le blocage politique, elle est d’ailleurs en train de se renforcer à nouveau, a déclaré l’orateur, car de nombreux Irakuiens voient dans les Etats-Unis un médiateur susceptible de les sortir de la situation actuelle. Même si les forces Irakuiennes gagnent en efficacité, la présence de troupes américaines reste vitale pour la stabilité et la tranquillité du pays. Un coup d’Etat sera peu probable aussi longtemps que les Etats-Unis y maintiendront des troupes de combat. La peur et la colère restent omniprésentes et la réduction des troupes américaines à quelque 50 000 soldats pour la fin août 2010 suscite des craintes parmi de nombreux Irakuiens, car ceux-ci appréhendent une reprise des combats après le retrait complet des forces américaines qui, selon l’Accord de sécurité en vigueur entre Bagdad et Washington, devrait intervenir en décembre 2011.  Une nouvelle plongée de l’Irak dans la guerre civile serait catastrophique, tant pour le pays lui-même que pour toute la région du Golfe, car les conflits civils ont tendance à déborder sur les pays voisins, a averti M. Pollack.

IRAN

D’après M. Pollack, les élections présidentielles iraniennes de juillet 2009 et les événements qui ont suivi ont changé le pays en profondeur. Les Iraniens sont nombreux à penser que les élections ont été truquées, a-t-il déclaré, ajoutant que l’élite politique iranienne avait été secouée par un véritable débat quant à la réaction à adopter face aux protestations.  Une fois la situation reprise en mains par les tenants de la ligne dure, le régime avait exercé une répression féroce à l’encontre des protestataires, privant les modérés de leur influence sur le processus de décision national. D’après M. Pollack, le régime iranien est redevenu aussi radical qu’en 1981 et adopte aujourd’hui une ligne nettement plus agressive, suscitant de réelles craintes parmi ses voisins et au sein de la communauté internationale. La conclusion d’un accord diplomatique avec l’Iran sur son programme nucléaire est par conséquent devenue plus difficile, car même à supposer que le régime en place ne cherche pas à doter le pays d’un programme de production d’armes nucléaires, le climat est désormais à la méfiance.

Toute tentative de l’Iran visant à mettre en place un programme d’armement nucléaire « sonnerait le glas » du Traité de non-prolifération (TNP), a averti M. Pollack.  Si une telle hypothèse venait à se vérifier, les pays du Golfe et l’Egypte développeraient en effet à leur tour leur propre dispositif nucléaire, ., Et dès lors que l’on envisage difficilement de sanctionner l&a, mp;, #8217;Iran pour son programme nucléaire, il serait carrément inimaginable de prendre de telles mesures à l’encontre de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et d’autres pays du Golfe. M. Pollack a souligné que l’administration américaine s’était véritablement efforcée de dégager un règlement pacifique avec Iran sur la question de son programme nucléaire, , mais que Téhéran avait refusé la solution proposée. L’offre pacifique qui a été faite à l’Iran a également été pour beaucoup dans l’obtention du soutien de la Russie et de la Chine en faveur d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La proposition relative à un échange de combustible formulée par le Brésil, la Turquie et l’Iran est intervenue trop tardivement dans le processus diplomatique pour débloquer la situation, a-t-il encore ajouté.

S’agissant du régime de sanctions imposé à Téhéran par la dernière résolution en date du Conseil de sécurité des Nations unies, M. Pollack a relevé que les mesures prises n’avaient pas suffisamment mis en exergue la question des droits de l’homme. Il a également ajouté que l’on pouvait tirer des enseignements des sanctions prises à l’époque contre l’Afrique du sud. Selon lui, l’administration américaine a décidé « de s’acheter un an pour voir si les sanctions seront porteuses d’effet », mais, a-t-il averti, ce délai pourrait finalement être plus court vu le nombre élevé de parties concernées (tant aux Etats-Unis qu’à l’étranger) ayant chacune son propre agenda. On peut difficilement prédire ce que si passerait la prochaine fois si le régime iranien devait continuer à défier la communauté internationale. L’administration américaine, qui a déployé des « efforts diplomatiques titanesques » pour arriver à un accord diplomatique avec Téhéran, pourrait décider de faire jouer son capital politique ailleurs. Finalement, trois attitudes possibles sont envisageables vis-à-vis du régime iranien et de ses provocations, à savoir encourager un changement de régime, recourir à l’option militaire ou pratiquer une politique d’endiguement. Selon M. Pollack, la première option – le changement de régime – aurait peu de chances de se concrétiser, car le régime iranien reste bien trop fort face à un Mouvement vert trop faible.  

SECURITE INTERIEURE

Terrorisme

Rick “Ozzie” Nelson, directeur du Programme Sécurité intérieure et terrorisme au CSIS, a fait le point de la menace que représentent actuellement Al-Qaïda et les mouvements apparentés. Il a incité à la prudence, car si le nombre de ses membres actifs a diminué, notamment en Afghanistan (où, d’après une estimation récente de la CIA, on ne compterait plus que 60 à 100 combattants), Al-Qaïda continue à faire peser une lourde menace et doit rester au centre de l’attention. Autrefois centralisée, l’organisation a progressivement laissé la place à une nébuleuse composée d’une série de groupes régionaux motivés par des objectifs à leur échelle et par l’aspiration partagée d’œuvrer à l’agenda mondial d’Al-Qaïda. On peut citer, entre autres groupes idéologiquement proches d’Al-Qaïda, des mouvements comme Lashkar-e-Taïba au Pakistan, Al‑Qaïda en Irak, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al Shabaab en Somalie ainsi que l’Union du Jihad islamique et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan en Asie centrale. La radicalisation de certains jeunes en Europe et aux Etats-Unis suscite par ailleurs des inquiétudes de plus en plus vives, tout comme le phénomène de « terrorisme domestique ».

Considérant cette évolution, M. Nelson préconise que les gouvernements occidentaux axent leurs efforts sur les priorités ci-après :

·         poursuivre les efforts menés actuellement pour dégrader le noyau d’Al-Qaïda ;

·         maintenir le Pakistan au centre des priorités et poursuivre l’amélioration des relations avec ce pays ;

·         ne pas permettre que l’Afghanistan et l’Irak détournent l’attention de ce qui peut se passer ailleurs ; le fait que les tentatives d’attentat les plus récentes aient été ourdies au Yémen et au Nigéria est significatif à cet égard ;

·         rester attentif à l’utilisation de l’Internet en tant qu’instrument de radicalisation et continuer à porter ses efforts sur l’interception des intermédiaires ;

·         contrer la stratégie de communication de Al-Qaïda, qui accuse les Etats-Unis et l’Occident d’être en guerre contre l’islam et de tuer des musulmans innocents ; en fait, 75% voire 90% des victimes d’Al-Qaïda sont des musulmans, et ce fait mériterait d’être mis en évidence ;

·         accepter que l’on ne se débarrassera pas facilement du terrorisme et se préparer à un long combat contre ce dernier ;

·         reconnaître que la coopération et les partenariats sont plus importants que jamais, et privilégier à nouveau l’approche policière dans la lutte contre le terrorisme

Bart Johnson, premier adjoint du sous-secrétaire au Renseignement et à l’analyse du Département de la Sécurité intérieure, est lui aussi revenu sur le problème que pose la radicalisation de certains jeunes Américains. Il a signalé à la délégation que Al-Qaïda avait récemment publié une version anglaise de son magazine, qui pourrait être utilisée en guise de support pour atteindre de nouveaux groupes de jeunes en rupture avec la société. Repérer ce type d’individus est extrêmement difficile, surtout lorsqu’il s’agit de solitaires de retour aux Etats-Unis après avoir suivi un entraînement à l’étranger. Il est donc indispensable de travailler avec des entités enracinées dans les différentes communautés de manière à détecter les signaux d’alarme dès que possible et d’essayer d’intégrer ces individus au niveau local avant qu’ils ne deviennent violents. Le gouvernement américain s’est également donné pour priorité absolue de consolider les synergies entre les très nombreuses agences de maintien de l’ordre à l’œuvre dans le pays. C’est là le principal objectif attribué aux nouveaux « centres de fusion ». M. Johnson a par ailleurs souligné la nécessité d’établir au plan international, et notamment entre pays membres de l’OTAN, une coopération étroite qui permette de lutter contre la menace que font peser les groupes terroristes actifs par-delà les frontières.

Menaces biologiques

Au cours du déjeuner organisé par Emergent BioSolutions, principal partenaire du gouvernement fédéral des Etats-Unis pour le développement, la fabrication et la fourniture de contremesures médicales essentielles de biodéfense, la délégation a entendu un exposé de M. Robert Kladec, directeur de PRTM Biodefense et de Public Health Practice, qui a évoqué les menaces biologiques actuelles et les mesures envisagées par les Etats-Unis pour y faire face.

M. Kladec a expliqué que les menaces biologiques peuvent prendre la forme de pandémies naturelles ou d’actes délibérés. Bien qu’il s’agisse de menaces différentes contre lesquelles on ne mobilisera pas les mêmes capacités, elles n’en présentent pas moins certaines convergences. Les politiques en vigueur aux Etats-Unis ont acté cette réalité et la Stratégie nationale 2009 de lutte contre les menaces biologiques prend comme point de départ des initiatives lancées dans le passé pour faire face tant aux pandémies naturelles qu’aux actes délibérés.

M. Kladec a rappelé que l’on avait commencé à prendre conscience de la gravité de la menace représentée par le bioterrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et l’envoi de lettres contaminées à la bactérie du charbon. En fait, Al-Qaïda avait déjà décidé dès 1999 de porter ses efforts sur le bioterrorisme. D’après certains analystes, une attaque biologique serait  aujourd’hui plus plausible qu’une attaque nucléaire. Certains groupes terroristes ont clairement manifesté leur intention de se procurer des armes biologiques, a rappelé M. Kladec. Les conséquences d’un tel attentat seraient catastrophiques : il suffit en théorie de 1 à 2 kg d’un agent infectieux dispersé par aérosol pour contaminer 450 000 personnes et en tuer 380 000. D’après les estimations de M. Kladec, une telle attaque coûterait à l’économie américaine plus de 1,8 trillion USD. Il a déploré le financement insuffisant des programmes de défense biologique (5,4 milliards USD en 2008), dont le niveau reste toujours bien en-deça des crédits alloués aux programmes nucléaires (54,4 milliards USD en 2008, capacités offensives et défensives confondues) ou à la cyberdéfense (11,4 milliards USD en 2008, chiffre qui devrait être porté à 30 milliards USD en 2010).

M. Kladec a expliqué qu’il convenait, pour atténuer le risque biologique, de miser avant tout sur la vitesse de réaction : certaines pertes sont évitables si la menace est détectée et identifiée à temps, et à condition de distribuer le traitement et de l’administrer dans les deux jours suivant l’attaque. Plus généralement, étant donné que les événements catastrophiques sont extrêmement difficiles à prédire, les politiques de biodéfense devraient se donner pour objectif stratégique de promouvoir la résilience.

Cyberdéfense

Mitch Komaroff et Don Davidson, de l’Equipe spéciale Globalisation du département de la Défense, ont présenté aux parlementaires un exposé sur les cybermenaces actuelles et les mesures adoptées par les Etats-Unis pour y faire face. Les orateurs ont rappelé  combien les infrastructures essentielles de leur pays reposaient sur le cyberespace, et, par conséquent, étaient vulnérables aux cyberattaques. Ils ont fait observer que le degré de sophistication toujours plus élevé des outils malveillants et le niveau toujours plus bas de compétence requis chez leurs utilisateurs se conjuguent pour faire exploser le nombre d’attaques de par le monde. La criminalité organisée est elle aussi de plus en plus représentée et active dans le cyberespace, ont-ils averti. Les attaques menées contre les sites estoniens en 2007 et contre les sites géorgiens durant le conflit avec la Russie en 2008 ont eu pour effet de raviver l’intérêt de la communauté internationale pour ce problème, et fait ressortir la nécessité d’une réponse à l’échelle mondiale.

Les orateurs ont indiqué à la délégation que le plan stratégique du gouvernement américain pour 2009 visait à préserver la liberté d’action dans le cyberespace tout en permettant aux Etats-Unis de conserver une supériorité technologique et les meilleures cyberdéfenses au monde. Le plan fixait quatre grands objectifs, à savoir : s’organiser en faveur d’objectifs communs et privilégier la vitesse d’action ; mettre en place un accès aux informations et aux services qui soit protégé et axé sur la mission ; anticiper et prévenir la conduite d’attaques efficaces contre les données et les réseaux ; et prendre les dispositions nécessaires pour être en mesure d’opérer en cas de cyberdégradation ou d’attaque.

Les intervenants ont aussi mentionné l’Initiative globale de cybersécurité 2007-2008 qui porte entre autres sur la protection de la chaîne d’approvisionnement. Ce programme, ont-ils expliqué, doit développer des outils en vue de l’incorporation de l’assurance système dans l’ingénierie système, le but étant d’atténuer le risque tout au long du cycle de vie des produits informatiques. Les Etats-Unis s’emploient aujourd’hui à faire adopter des normes internationales relatives à la gestion des risques pesant sur la chaîne d’approvisionnement. Etant donné que 85% des infrastructures essentielles des Etats-Unis appartiennent au secteur privé, il faut faire en sorte que ces propriétaires et exploitants privés adoptent eux aussi les meilleures pratiques, ont souligné les orateurs.

Réponse aux catastrophes et marée noire dans le Golfe du Mexique

Robert Fenton, administrateur adjoint délégué au département Réponses en cas de catastrophe de l’Administration fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA), a présenté un exposé sur la mission et le mode de fonctionnement de la FEMA. La FEMA est une des composantes opérationnelles du département de la Sécurité intérieure. Elle a pour mission « d’appuyer les citoyens et intervenants de première ligne de sorte qu’en tant que pays, nous œuvrions de concert à la constitution, au maintien et à l’amélioration des capacités devant nous permettre de nous préparer aux dangers de toutes sortes, de nous protéger et de réagir à ces derniers, de pallier leurs conséquences et enfin, de les atténuer. »

Le cadre national d’intervention (ou National Response Framework - NRF) est le document‑cadre organisant les secours au niveau fédéral en cas de catastrophe majeure. Le NRF définit 15 fonctions essentielles (par ex., transports, communications, énergie) et désigne une organisation responsable pour chacune d’entre elles. Cette structuration par fonction permet de regrouper en différentes catégories les ressources et capacités fédérales mobilisables à l’appui des intervenants au niveau fédéral et des Etats ainsi qu’au niveau local. Les opérations de secours en cas de catastrophe sont coordonnées via le Centre national de coordination des réponses (National Response Coordination Center).

M. Fenton a souligné que le NRF n’est activé qu’en cas d’incident national grave, et à la demande des autorités locales. Les situations dans lesquelles le Président décide de faire remonter au niveau fédéral la responsabilité pour la réponse aux catastrophes restent très rares. Ce ne fut même pas le cas après l’ouragan Katrina.

La FEMA a réparti des moyens clés dans ses 10 zones opérationnelles. Au nombre de ces capacités figurent 16 équipes d’aide à la gestion des incidents, dont trois spécialisées dans le traitement des incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN). Déployables dans les trois heures suivant l’incident et autonomes durant 72 heures, ces équipes assurent une présence fédérale initiale sur le terrain et viennent appuyer les autorités locales dans la planification des mesures d’urgence et des secours en cas de catastrophe. Parmi les autres capacités importantes de soutien, on peut mentionner les équipes de recherche et de secours en milieu urbain, les détachements affectés aux communications d’urgence en cas de catastrophe et les équipements prépositionnés. M. Fenton a indiqué à la délégation que la FEMA attache de plus en plus d’importance à la planification préalable en prévision des catastrophes.

La délégation a également discuté des efforts actuellement déployés pour contenir la marée noire qui s’étend dans le Golfe du Mexique. Jonathan Ramseur, du Service de recherche du Congrès, a décrit l’ampleur du désastre : dans les 85 jours qui ont suivi l’incident, 30 à 60 000 barils de pétrole se sont répandus quotidiennement dans l’océan, ce qui représente en tout entre 3 et 5 millions de barils ou encore entre 125 et 214 gallons de pétrole. Il s’agissait de la pire marée noire qu’aient connue les Etats-Unis depuis le naufrage de l’Exxon Valdez en 1989, incident dont les conséquences avaient été nettement plus limitées (la quantité de pétrole déversée n’avait pas dépassé 11 millions de gallons). La marée noire dans le Golfe du Mexique a forcé 35% des sociétés de pêche de la région à cesser leurs activités. L’intervention a consisté à déployer 7 000 navires et 600 systèmes de récupération du pétrole (« skimmers »), soit la flotte la plus conséquente de cette nature jamais mobilisée de par le monde.

D’après M. Ramseur, la marée noire dans le Golfe du Mexique aura soulevé plusieurs questions majeures de politique générale, à savoir :

·         la réglementation des activités en haute mer ;

·         l’articulation des responsabilités et le régime des compensations ;

·         le ratio risques/avantages inhérent à l’exploitation des ressources du plateau continental ;

·         les limitations des technologies disponibles, et

·         l’organisation des secours au niveau fédéral.

Au sujet de ce dernier point, M. Fenton a indiqué que les garde-côtes des Etats-Unis étaient la principale agence fédérale chargée des interventions dans le cadre de cette marée noire, la FEMA se limitant à assurer un rôle de soutien.

POINT DE LA SITUATION EN RUSSIE, EN UKRAINE, DANS LE CAUCASE ET EN ASIE CENTRALE

Ukraine

L’ambassadeur Steven Pifer, maître de recherche en politique étrangère au Centre sur les Etats-Unis et l’Europe (CUSE) du Brookings Institute, a présenté l’Ukraine d’aujourd’hui sous deux éclairages différents. Il a commencé par exposer un scénario sombre où dominaient une série de décisions remettant en question la souveraineté de l’Ukraine et les inquiétudes que suscitent notamment les atteintes à la liberté de la presse. Le second scénario, moins pessimiste, mettait en exergue certaines déclarations de dirigeants ukrainiens selon lesquelles le pays souhaite nouer une coopération étroite avec l’OTAN (sans pour autant adhérer à cette dernière) et ne rejoindra pas l’union douanière Russie-Kazakhstan-Bélarus au motif qu’une telle démarche pourrait compromettre l’adhésion de Kiev à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’ambassadeur Pifer a lancé un appel aux gouvernements occidentaux, demandant qu’ils adressent à l’Ukraine un message dans lequel il serait question non seulement des retombées bénéfiques d’un engagement, mais aussi de l’éventuelle réduction du soutien occidental que pourrait entraîner l’adoption de nouvelles mesures hypothéquant les libertés fondamentales ou limitant la souveraineté nationale.

D’après l’ambassadeur Pifer, il est évident que les Ukrainiens sont, dans leur grande majorité, opposés à une adhésion à l’OTAN. Mais si, d’autre part, 80% des Ukrainiens tiennent à garder de bonnes relations avec Moscou, seule une frange réduite de la population souhaite que l’Ukraine unisse son destin à celui de la Russie. Le gouvernement ukrainien a d’ailleurs rappelé clairement qu’il ne cherchait pas à rejoindre la Communauté des Etats indépendants (CEI) ou l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). On constate avec étonnement que 55 à 60% des Ukrainiens sont favorables à une adhésion à l’Union européenne (UE). Bien que la majorité d’entre eux ne soient pas au fait des exigences attachées à la qualité de membre de l’UE, cette prise de position confère à l’Union un certain poids. L’ambassadeur Pifer a toutefois regretté que l’UE n’ait pas, à ce jour, offert à l’Ukraine une perspective d’adhésion à terme.

Russie

Fiona Hill, directrice du CUSE, a rappelé que l’administration Obama avait hérité d’une relation très conflictuelle avec la Russie et que la politique de “remise à zéro” devait être considérée comme un instrument destiné à apaiser les outrances verbales et à baliser le terrain en vue de la conclusion d’accords sur un certain nombre de questions clés. Ceci dit, l’administration ne se fait aucune illusion quant à une évolution possible en Russie.

Mme Hill a néanmoins indiqué que Moscou avait récemment adopté un ton et une attitude plus ouverts. On ignore toutefois si cette attitude est une simple conséquence de la crise économique mondiale ou si elle reflète une réorientation plus substantielle de la politique étrangère russe. La Russie a évolué au fil du temps, en raison notamment de son exposition et de son adaptation aux normes européennes. Ainsi, certaines décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont eu des retombées significatives sur son système judiciaire. La conclusion, avec l’UE, d’accords visant à faciliter l’octroi de visas pourrait également avoir des incidences positives sur le pays, a avancé Mme Hill.

Il faudra toutefois que Moscou prenne des mesures nettement plus énergiques pour que l’on puisse parler de véritable changement. Mme Hill entendait par là :

·         des dispositions destinées à lutter contre l’opacité actuelle du système centralisé de gouvernance de la Russie ;

·         des mesures visant à accroître la transparence dans le secteur économique ;

·         de véritables progrès en matière de scrutins et de gouvernance locale ;

·         une politique étrangère plus équitable, c’est-à-dire qui ne privilégie pas un pays aux dépens d’un autre ;

·         plus de transparence dans l’enquête sur la catastrophe aérienne de Katyn, et

·         un réchauffement des relations avec le Royaume-Uni.

L’évolution que connaît la Russie s’explique également par l’évolution de sa démographie, ont souligné Mme Hill et l’ambassadeur Pifer. D’après certaines études, les Russes de souche ne représenteront plus que 65% de la population d’ici 25 à 30 ans (contre 80% aujourd’hui). L’évolution démographique, dans la partie orientale et dans le sud de la Russie notamment, va de pair avec certains défis. Les migrations répétées en direction du sud ont eu pour effet de fragiliser plus encore la situation dans cette région déjà volatile. Ce phénomène a également amené le gouvernement russe à s’intéresser de plus en plus près aux régions du Caucase et de la mer  Noire, ce qui pose des questions géopolitiques importantes.

Mme Hill a également évoqué le projet de la nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe que défend le président Medvedev. Si la proposition initiale puisait ses racines dans le Concert européen du 19ème siècle – un modèle n’ayant vraiment rien pour plaire aux gouvernements européens –, Moscou a depuis lors revu sa copie. De l’avis de Mme Hill, la Russie cherche avant tout à faire entendre sa voix dans le débat sur la sécurité européenne, ou à se faire une place dans un nouveau processus d’Helsinki.

La délégation a également entendu un exposé sur le débat en cours au Sénat des Etats-Unis sur le nouveau Traité de réduction des armes stratégiques (« New START »). D’après Amy Woolf, spécialiste au CRS, on ignore, vu la polarisation politique qui caractérise actuellement le Sénat et le programme de travail bien rempli de ce dernier, si le Traité pourra être ratifié avant l’élection de mi-mandat de novembre prochain. Au cours des auditions menées au Sénat, les membres ont soulevé un certain nombre de questions relatives au Traité ou extérieures à ce dernier, comme la défense antimissile et le programme américain de modernisation des armements.

Caucase du Sud

D’après Mme Hill, les Etats-Unis ont manqué de réalisme en ne tenant pas compte de la problématique azerbaïdjanaise dans leurs tentatives de réaliser un rapprochement entre l’Arménie et la Turquie. Bakou réalise actuellement, entre les grandes puissances de la région, un véritable numéro d’équilibrisme qu’un accord turco-arménien aurait mis en péril. Les relations entre l’Iran et l’Arménie ont également pesé dans la balance, car l’ouverture de la frontière entre cette dernière et la Turquie fragiliserait probablement la position de Téhéran. Entretemps, les tentatives de Washington visant à redynamiser le processus de Minsk sur le conflit du Haut Karabakh ont échoué, les deux parties en présence s’empressant de faire du Groupe de Minsk un bouc émissaire responsable de l’absence de progrès dans les négociations.

Asie centrale

Mme Hill a fait remarquer que les événements en cours en Asie centrale contrastent fortement avec la situation du début des années 90, lorsque toutes les grandes puissances aspiraient à intervenir.  On dirait au contraire que depuis la crise au Kirghistan, plus aucun acteur clé ne sait dans quel sens agir ou ne parvient à trouver une bonne raison de le faire. Entretemps, bien sûr, la situation reste très fragile, a averti Mme Hill, et le Tadjikistan pourrait lui aussi connaître une crise du même type. Suite à la crise économique mondiale, ces deux pays ont vu s’effondrer les envois de fonds de leurs ressortissants travaillant à l’étranger. Une nouvelle déstabilisation de la région pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’OTAN, du fait notamment qu’elle se repose sur l’Asie centrale pour la logistique de ses opérations en Afghanistan.

La délégation a également eu la possibilité, au cours de cette visite, de rencontrer des membres américains de la délégation de l’AP-OTAN ainsi que d’autres membres de la Chambre des représentants. Cette visite, au cours de laquelle furent abordées de nombreuses questions de sécurité, a permis aux participants de rassembler de nouvelles informations pertinentes sur les aspects de la sécurité qui seront couverts dans les rapports de l’Assemblée cette année ainsi que dans les années à venir.

Respectueusement soumis,

L’honorable Sénatrice Jane Cordy
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)

 

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