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Rapport

Les priorités de la Turquie en matière de politique étrangère et de sécurité, ainsi que les problèmes de sécurité régionale, l’Afghanistan, la situation au Moyen-Orient et l’OTAN après le Sommet de Lisbonne ont constitué les principales questions débattues lors de la visite de la Sous-commission sur les relations transatlantiques en Turquie, du 14 au 16 mars. Durant ces trois jours de réunions, les 15 parlementaires de dix États membres de l’OTAN ont rencontré de hauts responsables du gouvernement et de l’armée turcs. La délégation de la Sous-commission sur les relations transatlantiques dirigée par Sergio de Gregorio (Italie) et la vice-présidente de l’Assemblée, Jadwiga Zakrewska (Pologne), a été accueillie par le chef de la délégation turque auprès de l’Assemblée, Vahit Erdem. Le programme incluait également une réunion avec des étudiants de l’Université Bilkent. Lors d’un débat animé et vif, les parlementaires ont parlé aux étudiants du nouveau Concept stratégique de l’OTAN, adopté par l’Alliance lors du Sommet de Lisbonne en novembre 2010.

I. PRINCIPAUX DEFIS POUR LA SECURITE

Les interlocuteurs du pays hôte ont rappelé à la délégation que la Turquie est située dans la région la plus instable du monde. Pour le général Ümit Dündar, sous-secrétaire à la Défense nationale, le terrorisme, les cyber-attaques, la prolifération des armes de destruction massive (ADM), les conflits régionaux et les régions instables, ainsi que la lutte contre l’immigration illégale et les menaces asymétriques constituent les principaux défis sécuritaires auxquels la Turquie est confrontée.

Le sous-secrétaire a expliqué que le principe de base de la politique de défense de la Turquie consiste à « apporter la contribution maximale à la réduction du terrorisme international ».

La délégation a appris que la Turquie mène une politique « zéro problème » envers ses voisins et que, lorsque des problèmes surviennent, elle cherche à les résoudre pacifiquement. Le général Aslan Güner, chef adjoint de l’État-major général, a ajouté que la Turquie désire renforcer la coopération et l’amitié avec les pays de la région et au-delà.

II. LES RELATIONS DE LA TURQUIE AVEC L’OTAN

Au cours des réunions, la délégation a appris que l’OTAN demeure la clef de la sécurité de la Turquie et qu’Ankara reste un partisan crucial des politiques et missions de l’Alliance. Egemen Bagis, ministre d’État, a souligné que l’OTAN est plus importante que jamais. Tous les interlocuteurs officiels ont mis l’accent sur les contributions importantes de la Turquie à l’Alliance au fil des décennies. Le général Aslan Güner a rappelé que la Turquie joue un rôle actif dans la défense collective, de même que dans la promotion de la stabilité dans la région et au-delà. Pour ce faire, la Turquie apporte sa contribution à la série d’opérations dirigées par l’OTAN, telles la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan (avec 1 828 soldats actuellement déployés), la Force pour le Kosovo (KFOR – avec 504 soldats déployés), l’Opération « Active Endeavour » (OAE) en Méditerranée (avec une frégate, une corvette et d’autres ressources navales) et l’Opération « Ocean Shield » dans le golfe d’Aden (avec une frégate). Le général a rappelé que la contribution turque aux opérations de soutien de la paix s’est considérablement accrue après la fin de la Guerre froide et que la Turquie fournit actuellement quelque 3 400 soldats à des opérations dirigées par l’OTAN, l’Union européenne ou les Nations unies.

Les orateurs du pays hôte considèrent généralement que l’OTAN s’est bien adaptée à l’environnement sécuritaire en mutation, mais qu’elle doit poursuivre son processus d’adaptation. Pour les responsables turcs, le Sommet de Lisbonne est un grand succès. L’ambassadeur Tacan Ildem a brièvement parlé des décisions prises par les chefs d’Etat et de gouvernement, notamment du rôle important des partenariats de l’OTAN et de son engagement envers des organisations internationales, d’autant plus pertinents en raison de l’approche globale adoptée par l’Alliance envers la sécurité. Il a ajouté que cette approche globale exige une coopération bien rôdée avec d’autres organisations internationales. Pour l’ambassadeur, la mise en œuvre des accords de Lisbonne devrait permettre à l’OTAN d’assurer l’équilibre entre le nombre probablement en augmentation de missions d’une part et des ressources peu abondantes d’autre part. Il a ajouté que la Turquie soutient fermement la politique de la Porte ouverte de l’Alliance.

Il va de soi que les débats à Ankara ont également porté sur la situation actuelle en Afghanistan, le plus important théâtre d’opérations de l’OTAN. Dans ce pays, la Turquie dirige deux Équipes de reconstruction provinciale (PRT) dans la province septentrionale de Jowzjan et dans la province de Wardak ; ces équipes comptent respectivement 93 et 77 membres. La Turquie assure également la formation de sous-officiers des Forces nationales de sécurité de l’Afghanistan (FNSA) au Centre de formation militaire de Ghazi (CFMG), près de Kaboul. La délégation a appris qu’à ce jour, 797 sous-officiers ont achevé leur formation et que le centre compte actuellement 400 élèves. D’après l’ambassadeur Tacan ILDEM, le nombre de soldats formés par la Turquie dépasse les 5 500 hommes par an. Il ajoute que son pays assure également la formation de 1 000 soldats à Sivas.

La Turquie a accru la formation militaire et sécuritaire qu’elle fournit à l’Afghanistan. D’après le général Güner, à l’heure actuelle, 157 officiers turcs, soit environ 10% de tous les formateurs déployés en Afghanistan, servent d’instructeurs auprès de l’armée et de la police afghanes. Qui plus est, comme l’a indiqué le général, le contingent turc assure le fonctionnement d’un hôpital militaire à Kaboul et l’agence turque de développement est très active en Afghanistan, où elle gère des projets dans 26 provinces. La priorité est donnée aux programmes d’éducation et de santé. L’ambassadeur et d’autres responsables ont souligné de manière répétée qu’un engagement à long terme est indispensable en Afghanistan. Aussi, d’après l’ambassadeur, quel que soit le calendrier fixé pour la transition, il ne doit pas être considéré comme une stratégie de sortie. Pour lui, la bonne gouvernance est peut-être plus importante encore et doit faire l’objet de toute l’attention du gouvernement Karzaï.

L’ambassadeur a souligné la nécessité d’assurer la sécurité de l’environnement en Afghanistan et dans la région. Bien que le soutien manifesté en Turquie par l’opinion publique aux opérations en Afghanistan soit relativement élevé en raison de la haute sensibilité des Turcs au terrorisme, il est nécessaire d’expliquer les raisons de cet engagement à la population. Il est, dès lors, indispensable de souligner publiquement que la sécurité de la Turquie est étroitement liée à celle de la région.

III. LA SECURITE DANS LES BALKANS

La délégation a été informée que la stabilité et la sécurité dans les Balkans continuent à figurer en bonne place à l’ordre du jour de la politique étrangère et sécuritaire de la Turquie. Ses interlocuteurs officiels ont fait remarquer que des progrès importants ont été accomplis en matière de stabilisation, tout en reconnaissant qu’il reste encore beaucoup à faire. Conscient des lacunes des accords existants et de leur mise en œuvre, l’ambassadeur Ildem n’a pas hésité à déclarer que la communauté internationale a engendré « une sorte de monstre » (c.-à-d. les accords de paix de Dayton), dont elle est désormais l’otage. Pour le général Güner, la perspective de l’adhésion à l’UE représente le plus important incitant au renforcement de la paix et de la stabilité dans la région. Il considère avec d’autres responsables que la situation est désormais apaisée en Bosnie-Herzégovine et que la mise en œuvre du Plan d’action pour l’adhésion (MAP) est importante. Autre point positif : 75 pays reconnaissent désormais le Kosovo comme un pays indépendant. Les responsables turcs ont également souligné que la Serbie, essentielle pour la région, ne doit pas être exclue de l’Europe.

IV. LE CAUCASE

Au cours des échanges de vues, la délégation a également brièvement débattu de la situation dans le Caucase du Sud. Il lui a été précisé à plusieurs reprises que la Turquie est également très intéressée par une solution au conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les orateurs du pays hôte qui se sont exprimés sur la question ont souligné la nécessité d’une solution diplomatique, de préférence sous les auspices du Conseil de sécurité des Nations unies. Le général Aslan Güner a expliqué que la Turquie est désireuse de normaliser ses relations avec l’Arménie. L’ambassadeur Ildem a indiqué que la Turquie entretient des relations exemplaires avec la Géorgie et qu’elle aimerait que celle-ci intègre les structures euro-atlantiques. Il a ajouté que la guerre qui a eu lieu en Géorgie confirme l’opinion d’Ankara suivant laquelle des « conflits gelés » peuvent rapidement dégénérer en conflits larvés et qu’il est nécessaire de leur trouver des solutions.

V. LA TURQUIE ET LES PAYS VOISINS D’ASIE MINEURE

En raison de la situation géographique de la Turquie, et de ses relations étroites et de longue date avec la région, il n’est pas surprenant que les événements récents dans un certain nombre de pays arabes aient figuré parmi les premiers points à l’ordre du jour lors de la visite de la délégation. Le général Ümit Dündar, sous-secrétaire de la Défense nationale, a souligné la nécessité d’un règlement équitable et durable du conflit israélo-palestinien. Il a déclaré que la Turquie est fortement en faveur du processus de paix au Proche-Orient. Qui plus est, la Turquie soutient également et contribue au processus diplomatique visant au règlement du différend nucléaire avec l’Iran. Dans ce contexte, il a déclaré que son pays préconise une zone exempte d’ADM au Moyen-Orient, qui pourrait contribuer à engendrer à terme un monde exempt d’armes nucléaires. Le général Aslan Güner a fait remarquer que les relations bilatérales turco-israéliennes se sont récemment détériorées et qu’elles sont actuellement à un niveau minimal. Les deux pays se renvoient mutuellement la responsabilité du raid israélien de l’année dernière contre la flottille humanitaire sous direction turque à destination de la bande de Gaza. L’incident du 31 mai 2010 a fortement tendu les relations entre les deux anciens alliés. Au cours de ce raid, des commandos israéliens ont en effet tué neuf citoyens turcs.

En ce qui concerne l’Irak, les interlocuteurs turcs, dont le général Güner, ont souligné l’importance du maintien de l’unité politique et de la souveraineté nationale de ce pays. Le général a ajouté qu’un éclatement ou une plus grande fragmentation de l’Irak serait contreproductive, non seulement pour le pays lui-même, mais pour la sécurité régionale dans son ensemble. Le sous-secrétaire Ümit Dündar a pour sa part déclaré qu’il est vital de contrôler l’existence et les manœuvres des membres du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan), en particulier dans la partie septentrionale de l’Irak. Un autre interlocuteur a fait part de ses préoccupations quant à l’influence de l’Iran sur l’Irak, en particulier face au soutien apporté par l’Iran à la position kurde en faveur de l’indépendance de la province de Kirkouk en contradiction avec la position turque favorable à un Irak unifié.

Plus généralement, les orateurs du pays hôte ont tenu à souligner que la Turquie préfère entretenir des relations constructives et de coopération avec Téhéran. Les contentieux, et en particulier la question du programme nucléaire iranien, devraient être résolus par les voies diplomatique et politique. A cet égard, l’ambassadeur Tacan Ildem a rappelé à la délégation que la Turquie fait office de pays facilitateur et qu’elle a récemment accueilli une réunion entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies plus l’Allemagne (P5+1) et l’Iran. Le diplomate turc a souligné qu’une « option militaire » n’est pas envisageable pour la Turquie. Qui plus est, Ankara ne considère pas que des sanctions constituent un instrument adéquat. Il a ajouté que, par le passé, la Turquie a subi d’énormes dommages financiers à la suite de sanctions et de conflits, mais que, bien qu’en désaccord, elle se soumet au régime de sanctions internationales mis en place à l’encontre de l’Iran. La Turquie ne veut pas d’un Iran disposant de l’arme nucléaire, notamment parce que cela déstabiliserait la région. L’ambassadeur a expliqué que son pays a appelé à de nombreuses reprises l’Iran à coopérer avec la communauté internationale et qu’il continuera à le faire.

Le général Aslan Güner et d’autres responsables ont en outre déclaré que la Turquie souhaite entretenir des relations constructives avec la Syrie et que le rapprochement de celle-ci avec l’Occident doit être encouragé. Comme le général l’a expliqué, la Turquie soutient également l’unité et la souveraineté du Liban.

VI. LE MOYEN-ORIENT ET L’AFRIQUE DU NORD

Les interlocuteurs turcs considèrent comme importants les récents événements qui se sont déroulés dans un certain nombre de pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le général Dündar a fait remarquer que la Tunisie et l’Égypte se sont lancées sur une voie irréversible de changements et de transformations. A l’instar d’autres orateurs, il regrette par contre la poursuite des violences et du recours à la force en Libye. Le général Aslan Güner constate que les événements dans ces pays reflètent les exigences et désirs du peuple et que les forces extérieures doivent se garder d’intervenir.

L’ambassadeur Tacan Ildem a souligné que les mouvements qui visent à instaurer la démocratie devraient être encouragés par les Alliés de l’OTAN. Il a expliqué que ces pays n’éprouvent en règle générale aucun sentiment anti-occidental ou anti-américain. Ce que les protestataires désirent, c’est bien plutôt la liberté et la démocratie. Il a toutefois averti que la démocratie et la liberté ne s’obtiennent pas du jour au lendemain. C’est pourquoi les Alliés de l’OTAN et la communauté internationale doivent prendre toutes les dispositions nécessaires. L’ambassadeur Tacan Ildem conseille cependant aux Alliés de l’OTAN la plus extrême prudence. Il note que, dans ce contexte, des plans de circonstances de l’Alliance seraient chose normale. Il avertit qu’une intervention militaire de l’Alliance en l’absence d’un large soutien international s’avérerait dangereuse, car les forces islamistes extrémistes n’auraient alors aucune difficulté à présenter de manière inexacte les actions de l’OTAN. Il explique que, dans de nombreux pays musulmans, la perception de l’Alliance par l’opinion publique est négative. Le diplomate a ajouté que la résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations unies a envoyé un signal fort aux dirigeants et au peuple libyens, mais que toute action supplémentaire de l’OTAN exigerait un instrument de légitimité additionnel, un nouveau mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. L’OTAN devrait d’abord et avant tout se concentrer sur la fourniture d’une aide humanitaire et elle devrait le faire dans le cadre d’un large effort international.

L’ambassadeur conclut en déclarant qu’il est clair que, dans de nombreux pays arabes, on constate un net soutien de l’opinion publique en faveur du mouvement contre les régimes répressifs, principalement dans les rangs de la jeune génération. Il n’existe toutefois aucune solution facile et « le voyage sera long ». Il est d’avis que des élections, en particulier si elles ne sont pas bien préparées, ne sont pas un remède à la situation. Ce qu’il faut, a-t-il déclaré, c’est l’engagement de la communauté internationale.

VII. LES RELATIONS DE LA TURQUIE AVEC L’UNION EUROPENNE

Les interlocuteurs turcs, dont Egemen Bagis, ministre d’État des Affaires européennes, blâment l’UE pour avoir changé les règles du jeu de l’adhésion. Plusieurs décennies après avoir posé sa candidature à l’Union, la Turquie n’a ouvert que moins de la moitié des chapitres qui composent les pourparlers d’adhésion et la plupart des chapitres restants sont bloqués, principalement en raison de l’occupation par la Turquie d’environ un tiers de l’île de Chypre, membre de l’UE depuis 2004. Seuls la politique sociale et l’emploi, les marchés publics et la politique de concurrence sont actuellement ouverts à la discussion.

Attirant l’attention sur le fait que plus de cinq millions de Turcs vivent déjà dans des pays membres de l’Union, sur les réformes ininterrompues de la Turquie et sur l’importance politique et économique croissante de celle-ci dans la région et au-delà, le ministre Egemen Bagis a fait part de son optimisme de voir son pays bientôt adhérer à l’UE. Il a également souligné que celle-ci a besoin de la Turquie plus que la Turquie n’a besoin d’elle. Il a déclaré que la Turquie peut représenter une source d’inspiration, déplorant que le principal problème entravant les progrès pour l’adhésion soit les préjugés et que l’UE se soit laissée prendre en otage par la question chypriote. M. Bagis a également constaté que le processus décisionnel est devenu plus pesant à la suite de l’élargissement. Le ministre a cependant fait part de son optimisme quant à une prochaine adhésion à l’UE, éventuellement même dès 2013. Il a conclu en déclarant que la Turquie deviendra membre de l’Union, parce qu’il y va de l’intérêt de l’Europe.

La délégation a également rencontré le ministre de l’Intérieur Osman Gunes, qui a longuement évoqué la manière dont la Turquie combat le terrorisme et le trafic de stupéfiants. A ses yeux, à de nombreux égards, la Turquie peut déjà être considérée comme un pays membre de l’UE ; en matière de taux de criminalité par habitant, son pays est plus sûr que de nombreux États européens. Il a expliqué que le trafic illégal de drogues, en particulier de l’héroïne et de la cocaïne, pose un problème de sécurité à la Turquie. Celle-ci agit comme un rempart contre l’afflux de drogues dans l’UE, a-t-il souligné, car la quantité d’héroïne interceptée en Turquie est deux fois supérieure environ à celle interceptée dans l’ensemble de l’UE. La coopération internationale dans la lutte contre le trafic de drogues et contre les groupes terroristes actifs au niveau international est essentielle pour l’orateur, qui a ajouté que la Turquie attend une aide des États membres de l’OTAN et de l’UE dans son combat contre les groupes terroristes.

La délégation s’est également rendue à l’Université Bilkent, où elle a participé à un débat avec des étudiants sur le nouveau Concept stratégique de l’OTAN. Cette très intéressante visite s’est achevée par une visite à l’école militaire de l’armée turque. La Sous-commission continuera à surveiller la situation dans le voisinage de la Turquie, car cette région est d’une importance cruciale pour l’OTAN et les pays membres de l’Alliance.

Respectueusement soumis,

L’honorable Raynell Andreychuk, sénatrice
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)

 

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