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Rapport

France-Canada, une amitié d’avenir

60e anniversaire du Groupe sénatorial France-Canada

L’honorable Jean-Claude Rivest, sénateur, vice-président du Groupe canadien de l’Association interparlementaire Canada-France, a représenté l’Association lors du colloque organisé au Sénat français, à Paris, le 9 novembre 2011, à l’occasion du 60e anniversaire du Groupe sénatorial France-Canada. Deux autres sénateurs canadiens étaient présents lors de cet événement, l’hon. Serge Joyal, c.p., sénateur, et l’hon. Claude Carignan, ce dernier à titre de panéliste. L’Ambassadeur du Canada en France, SE Marc Lortie, était également présent. Serge Pelletier, le secrétaire du Groupe canadien, accompagnait le sénateur Rivest.

Trois débats ont été tenus durant cette journée.  Le premier a porté sur la thématique La France et le Canada face aux défis du « Vivre ensemble » dans des sociétés interculturelles.  Le second lors du déjeuner portait sur les enjeux de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.  Le troisième enfin s’intitulait La France et le Canada : intervenir militairement ensemble : pourquoi?, comment? Les cas de l’Afghanistan et de la Libye.  La journée s’est terminée par un dépôt de gerbe et ranimation de la flamme à l’Arc de triomphe, en présence d’anciens combattants et des hauts gradés de l’Armée française.

 

Ouverture

Le sénateur Marcel-Pierre Cléach, président du Groupe parlementaire France-Canada au Sénat, a ouvert le colloque en rappelant les circonstances de la création du Groupe il y a soixante ans, le 16 février 1951, une initiative du sénateur Robert Brizard. Ce dernier a déclaré à cette occasion : « Je viens demander à tous ceux d’entre nous qui ont gardé le souvenir de ce que le Canada a fait pour nous dans les mauvais jours et qui croient que la profondeur de nos sympathies raciales soudées plus étroitement par l’identité de langue sont une raison suffisante pour constituer un groupe d’amitié,  de vous vouloir me le faire connaître.  » La première réunion organisée le 15 mai 1951 a porté sur la jeunesse et l’enseignement supérieur avec la participation de Mgr Félix-Antoine Savard, alors Doyen de la Faculté des Lettres de l’Université Laval à Québec.  Et l’année suivante, ce sont les questions commerciales qui ont été débattues, en présence de l’attaché commercial canadien à Paris. Le sénateur Cléach a rappelé l’action du sénateur Chauvin qui fut président du Groupe de 1972 à 1986 et qui a initié l’adhésion du Groupe à l’Association interparlementaire France-Canada, donnant à cette organisation un cadre bicaméral. Le sénateur Cléach a rappelé qu’un accord intergouvernemental France-Canada signé en 1998 reconnaît explicitement le rôle de l’Association dans la dynamique des relations bilatérales. Il a souligné la participation sur le sol français des soldats canadiens lors des Première et Deuxième guerres mondiales, et rappelé les thématiques de la dernière réunion annuelle de l’Association qui ont porté sur des dossiers d’actualité communs, notamment le nucléaire et les politiques familiales. Il s’est félicité du dialogue franc, direct et constructif qui s’est instauré entre les parlementaires des deux pays. Le sénateur Cléach a rappelé qu’il préside de Groupe sénatorial depuis 2002 et annonce qu’il quittera bientôt ses fonctions dès qu’un remplaçant sera trouvé. Dans ce rôle, il a souhaité que le Groupe soit à la fois la vigie de l’amitié entre les deux pays, l’aplanisseur de sujets parfois conflictuels, et aussi une boîte à idées pour parlementaires où l’expérience et les modèles français et canadiens se complèteraient.

Le sénateur Jean-Claude Rivest a remercié le sénateur Cléach pour l’organisation du colloque et offert les salutations chaleureuses de la présidente réélue du Groupe canadien de l’Association, l’hon. Claudette Tardif. Le sénateur Rivest note que le Groupe sénatorial France/Canada est particulièrement actif. Il ajoute que la lecture des grands enjeux internationaux dans les deux pays est la même, fondée sur les mêmes valeurs civilisatrices et humanistes.

Pour l’Ambassadeur canadien M. Marc Lortie, les 60 ans du Groupe ça se célèbre, ça se fête. Il rappelle qu’en 2012, on célébrera le 95e anniversaire de Vimy. Abordant les négociations sur l’accord de libre-échange Canada-Union européenne, l’Ambassadeur note que l’échéance approche, que des difficultés persistent. Il souhaite que l’Association suive ce dossier de près. M. Lortie vante la diplomatie parlementaire, la qualifiant d’irremplaçable dans la bonne gestion des relations bilatérales, pour ouvrir de nouvelles avenues, et pour la résolution des difficultés.

 

1.    La France et le Canada face aux défis du « Vivre ensemble » dans les sociétés interculturelles

Le premier débat a été animé par M. François d’Alançon, journaliste au quotidien La Croix.

a)    L’école: réussite, égalité des chances, diversité

Le sénateur Jacques Legendre (UMP-Nord), vice-président de la Commission des affaires culturelles du Sénat, a présenté les conclusions d’une mission d’information de la Commission qu’il a conduite au Canada en 2 avril 2010, et dont les résultats ont fait l’objet d’un rapport publié en décembre de la même année intitulé : De l’éducation au jeu vidéo, pourquoi le Canada est-il parmi les premiers de classe?  La mission a visité des institutions d’éducation dans trois provinces canadiennes, le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique et plusieurs villes. L’objectif de la mission était double : 1) explorer les initiatives canadiennes en matière de rattrapage scolaire, de lutte contre le décrochage et d’accès des minorités à l’éducation; et 2) d’analyser les facteurs de la remarquable adaptation aux nouvelles technologies dans le secteur des industries culturelles. Le sénateur Legendre a concentré sa présentation sur le premier volet.

Dans ses conclusions, la délégation sénatoriale s’est dite impressionnée par les résultats que permettent le volontarisme politique et le pragmatisme des Canadiens en matière d’éducation. Confronté aux défis du multiculturalisme et du multilinguisme, ainsi qu’aux enfants ayant des difficultés au plan scolaire, le Canada arrive néanmoins en deuxième position dans la résolution de ces problèmes selon une enquête de l’OCDE, si on exclut un certain nombre de pays asiatiques. Reconnaissant que la France a un tabou dans ce domaine, le Canada, par exemple, identifie l’origine des élèves en difficulté concernés – francophones, autochtones, immigrants, ruraux – et ciblent ses actions éducatives de façon adaptée.  Par ailleurs, le Canada consacre une proportion de son PIB plus élevée à l’éducation (6,5 %  et 11,8 % des dépenses publiques) que la France (6 %, et 10,6 % des dépenses publiques). La délégation a aussi constaté qu’en Colombie-Britannique, par exemple, la promotion des vertus du multiculturalisme chez les élèves contribue à la limitation de l’échec scolaire. Le décrochage scolaire est un problème réel particulièrement au Québec et chez les garçons, mais il s’agit souvent d’une simple interruption entre deux périodes d’études, et le Gouvernement du Québec a adopté plusieurs mesures de redressement à cet égard. L’Ontario, pour sa part, a développé un réseau d’écoles modèles à l’intention des enfants issus de milieux pauvres. Des écoles apportent des ressources aux parents pour élever leurs enfants – garderies, nutrition, exercices physiques, apprentissage des langues officielles, premiers soins, etc. En conclusion, le modèle canadien de réussite scolaire repose sur l’identification rapide des élèves en difficultés, l’association des familles à l’éducation, la forte implication des directions d’école et des enseignants, les rencontres régulières entre enseignants et parents, une approche globale de l’enfant touchant au travail scolaire, les activités extrascolaires, la santé, l’alimentation, etc., la détection et le traitement rapides des problèmes de vue, d’ouïe et de mauvaise alimentation, le pragmatisme et le partage des bonnes pratiques.

Le professeur Michel Janosz de l’Université de Montréal a présenté les résultats d’une étude intitulée La stratégie d’intervention – Agir autrement (SIAA 2002-2008). Cette étude avait pour but d’établir les moyens de contrer les écarts de réussite entre les élèves des milieux défavorisés et ceux qui sont plus favorisés. L’étude a permis au Gouvernement du Québec de dégager une somme de 25 millions de dollars sur cinq ans à partir de 2008, pour améliorer la réussite scolaire au niveau de l’école secondaire, ciblant 30,000 élèves, 4,000 membres du personnel et 70 écoles en particulier. Les situations vécues en milieu défavorisé sont complexes et liées à plusieurs facteurs tels que la vie scolaire des élèves (échecs, retards, faible motivation); des facteurs personnels et interpersonnels (habitudes de vie à risque, toxicomanie; relations difficiles avec les pairs et les adultes, violence); la famille (faible scolarité des parents, pauvreté, peu de valeur accordée à l’école, isolement, encadrement limité des enfants); des facteurs sociaux (manque d’encadrement des jeunes dans la communauté, services peu connus ou peu utilisés); et enfin l’école elle-même (mobilité du personnel, climat de l’école, gestion des apprentissages et des comportements, collaboration entre l’école, la famille et la communauté). À ces problèmes s’ajoute l’éloignement de l’école, du milieu de résidence et du milieu de vie. Trois ans après la mise-en-œuvre du programme, M. Janosz estime que le climat dans les écoles s’est  là où la stratégie a été appliquée, l’indiscipline et la violence scolaire ont diminué, et le soutien aux élèves n difficulté s’est accru. La délinquance, l’indiscipline et la consommation de drogues ont aussi diminué. Par contre, les pratiques éducationnelles n’ont pas changé. Le programme n’a eu aucun effet sur les apprentissages et la motivation.  Le programme a connu des ratés là où il y a eu précipitation, là où les écoles n’ont pas obtenu le soutien anticipé, là où on a multiplié les objectifs, là où l’expertise n’était pas disponible, et là où la mobilité du personnel a été élevée. Le professeur Jonasz a tenu a préciser que ce n’est pas une question d’argent à saupoudrer. Seule une coordination optimale mais difficile entre le ministère de l’Éducation, les commissions scolaires, les directions scolaires, les communautés, les enseignants, les parents et les élèves est gage de la réussite du programme, a conclu l’expert en éducation.

b)   Logement social et mixité

Le sénateur Cléach (UMP- Sarthe) a fait la présentation sur ce sujet. Après avoir fait un survol de parc immobilier français qui a triplé depuis la fin de la 2e Guerre mondiale. Il a estimé que 3 millions de Français sont mal logés, et 30 000 sont sans domicile fixe.  Les Français consacrent en moyenne 30 % de leurs revenus à leur logement. Le concept de logement social s’est développé en Europe après 1945 pour lutter contre la pénurie de logements et il visait les ménages aux revenus modestes.  Aujourd’hui, compte tenu du niveau général des salaires et des plafonds de revenus fixés pour se voir attribuer un logement social, près de 80 % de la population française peut prétendre à un logement social. Le sénateur Cléach qui a présidé de 1995 à 2010 l’OPAC Sarthe Habitat rattaché au Conseil général du département, note que 58 % des ménages locataires disposent de revenus mensuels inférieurs à 1 150 euros.  Contrairement à ce que l’on peut entendre, la proportion de gens aisés logés en HLM est infime et le logement social respecte donc sa raison d’être qui est de loger des ménages moins favorisés. Il note que le secteur privé contribue à loger beaucoup de citoyens défavorisés. À cet égard, il affirme que les logements sociaux du patrimoine ancien rénové, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, s’équivalent. Il note que les efforts devront continuer dans ce sens en intégrant dans les rénovations à venir, les mesures en matière d’économies d’énergie et de rejets de CO2.  Un autre objectif pour le logement social du futur est celui de la mixité sociale. Mais le coût du foncier, qui est fonction de l’emplacement, détermine le niveau des prix et des loyers et constitue un obstacle insurmontable à la réalisation de cet objectif. Il ajoute qu’avec l’urbanisation et l’immigration croissantes, les cités de banlieue se sont refermées jusqu’à vivre sur elles-mêmes, avec leurs propres règles. Le chômage a contribué à la généralisation du non-paiement des loyers, diminuant les ressources des propriétaires pour améliorer les immeubles. Les locataires ont fui les parcs publics de logement, de plus en plus abandonnés aux réseaux de criminalité. Pour ces raisons, l’objectif de mixité sociale a échoué.  Le sénateur Cléach s’interroge, citant un rapport récent : c’est peut-être que la mixité implique aussi une communauté de mœurs, un degré d’éducation, un sens de la mesure et de la responsabilité, vertus rares aujourd’hui. On ne pouvait demander au logement social des miracles. Il ne les a pas faits. Mais il faut relativiser ce jugement, car les banlieues à problème ne constituent qu’une partie de l’actif immobilier social et le mouvement HLM a eu souvent des réalisations remarquables dans certaines parties du territoire national. Par exemple, à l’opposé du secteur privé, les mouvements HLM ont ajouté à leur mission des activités importantes d’assistance et de médiation sociale, facteur de stabilisation sociale. En conclusion, la mixité sociale non seulement n’est pas réalisée, mais le mot lui-même n’est plus prononcé.

c)    La ville : espace partagé ou anomique?

Le sénateur de Seine St-Denis, M. Claude Dilain (Parti socialiste, Seine St-Denis), ancien maire de Clichy-sous-Bois, a dressé un portrait assez noir de la situation de cette ville jeune, enclavée, où habitent 30,000 personnes, les plus pauvres du département (60 % sont sous le seuil de la pauvreté), et où il y a peu d'entreprises. La copropriété privée est une des sources des problèmes.  Il y a peu de logements sociaux à Clichy-sous-Bois. Le taux d’abstention aux élections est de plus de 70 % et des discours anti-scolaires, anti-polices et anti-institutionnel fleurissent.  On y observe un refuge identitaire religieux et la volonté d’accommodements raisonnables n’existe pas. 

Pour sa part, Mme Anie Samson, mairesse de l’arrondissement St-Michel sur l’île de Montréal, comprenant les quartiers Villeray, St-Michel et Parc Extension – trois mondes à part a-t-elle expliqué – a présenté les problèmes de ce territoire urbain densément peuplé de 150,000 habitants, dont la moitié est âgée de moins de 30 ans, et où cohabitent 100 communautés culturelles, dont la communauté maghrébine très importante. L’arrondissement est vieillissant et les mouvements ou associations communautaires foisonnent. Des problèmes d’intégration, de décrochage scolaire et de gangs de rue ont caractérisé cet arrondissement, mais 10 ans d’efforts impliquant les autorités municipales, les associations communautaires et la police ont réussi à diminuer la criminalité et la délinquance. L’accent est mis sur la prévention plus que sur la répression, via une police communautaire de proximité.  Par exemple, les policiers sont souvent entraîneurs d’équipes sportives et c’est ainsi qu’un dialogue s’est instauré entre eux et les jeunes. L’arrondissement cherche à occuper les jeunes, à mêler les communautés.  Un conflit ouvert entre Maghrébins et Italiens, par exemple, a largement été résolu en reconnaissant « un petit Maghreb » sur une des rues de l’arrondissement. Au fil du temps, on a noté une participation électorale accrue des diverses communautés ethnoculturelles.

d)   Garantir la sécurité, deux expériences de terrain

Monsieur Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse, ancien député (Parti socialiste – Val d’Oise), a brossé un tableau de sa commune, assez semblable à celle de Clichy-sous-Bois à bien des égards. En qualité de maire, il a travaillé étroitement avec la police et contre le décrochage scolaire. Il estime que le débat sécuritaire en France a été instrumentalisé par les politiques. À son avis, il y a nécessité d’un plus grand consensus dans la classe politique entre laxisme et sécurité. Depuis la Loi de 2007 sur la sécurité, il y a eu inflation législative. Le maire devient un pilote virtuel sur lequel on se repose trop facilement. Selon lui, la police française est trop réactive, alors qu’elle devrait être proactive. La police de proximité est à la charge des municipalités. La vidéo-protection est croissance, mais selon M. Blazy, on ne peut remplacer le policier et l’éducateur. La judiciarisation est selon lui excessive. En conclusion, ce qu’il faut faire c’est équilibrer prévention et répression, prévenir l’échec scolaire, agir sur la santé et la pauvreté et balancer l’individualisme et le collectif.

Le sénateur canadien, l’honorable Claude Carignan, occupait récemment le poste de maire de St-Eustache, en banlieue nord-ouest de Montréal. Aux problèmes de sécurité dans les communautés, le sénateur Carignan propose quatre éléments de solution: 1) la concertation de tous les acteurs; 2) la responsabilisation de tous et chacun; 3) la continuité dans l’action, qu’il s’agisse de prévention ou de répression; et 4) le leadership des élus à tous les niveaux (municipal, provincial et fédéral). St-Eustache est une municipalité de 45,000 habitants composée essentiellement de famille et où il y a peu d’immigrants. Il a donné un exemple d’un type d’intervention publique qui a eu du succès dans sa municipalité. Le Vieux St-Eustache a connu à une période de vandalisme perpétré par des jeunes, des sans-domiciles fixes et des sans-emploi; la ville leur a proposé un projet de peinture de quinze maisons échelonné sur trois étés.  Résultat : le vandalisme a cessé. Une autre initiative a été d’identifier les problèmes de sécurité et de consulter les citoyens sur leur perception de l’insécurité, pour se rendre compte que certains comportements (vêtements, vandalisme, graffitis, etc.) inquiétaient les gens, et que par ailleurs, plusieurs incidents n’étaient pas rapportés. Selon l’ex-maire, tous les programmes municipaux, que ce soit l’urbanisme, les travaux publics, les loisirs, doivent prendre en compte la question sécuritaire. Par exemple, en matière de loisirs, la municipalité a créé un programme de gratuité pour les sports collectifs. Elle a créé un observatoire de criminalité, afin de géo-référencer la criminalité sur le territoire. Enfin, il a mentionné que le Parti conservateur du Canada qu’il représente au Sénat a mis de l’avant dans son projet de loi C-10, plusieurs mesures législatives en faveur de la sécurité. 

Sur l’ensemble de ces sujets, un débat s’est engagé entre les intervenants. Le sénateur Dilain a expliqué qu’à Clichy-sous-Bois, en 2005, il n’y avait pas de poste de polices, pas de gendarmes, etc. La République y était absente. La mairesse Samson a insisté sur la nécessité d’une présence des politiques sur le terrain. Le sénateur Carignan a suggéré des réaffectations de personnel, par exemple en remplaçant 1 policier par 3 travailleurs de rue.  Plusieurs intervenants ont souligné le manque de moyens pour confronter les problèmes, avec la conséquence d’une ghettoïsation sociale et économique.

 

2.    Déjeuner-Débat sur Les enjeux de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne

Le Groupe d’amitié a organisé au Sénat un déjeuner-débat sur le thème Les enjeux de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Près d’une centaine de personnes ont été conviées à cet événement, dont de nombreux parlementaires français, le Délégué général du Québec, le Président de la Chambre de commerce France-Canada, des hauts fonctionnaires et des gens d’affaires. Le sénateur Cléach et l’ambassadeur Lortie ont introduit le sujet et M. Philipp Dupuis, négociateur adjoint pour la Commission européenne.  Le sénateur Cléach a souligné que l’accord en négociation est d’une importance considérable pour les entreprises françaises et canadiennes qui ont tant besoin de se renforcer à l‘export par la conquête de nouveaux marchés. Cet accord soulève des inquiétudes, notamment le traitement des biens culturels en français, la reconnaissance des indications géographiques protégées, ou encore la prise en compte de particularités des deux pays et territoires, dont St-Pierre-et-Miquelon.

M. Dupuis a fait un survol des négociations et un bilan actualisé des résultats atteints. Il a passé un message constructif sur les bénéfices de l’accord pour l’Europe.  Il a rappelé que le Canada et les pays de l’UE ont une histoire, des relations et des intérêts économiques communs. Le Canada à un PIB supérieur à celui de la moyenne européenne et est très riche en ressources. Le potentiel du développement des échanges commerciaux sont considérables. Le Canada est le 4e investisseur étranger en Europe et l’UE est le 2e investisseur au Canada. Les données du commerce bilatéral seraient multipliées par 5 si on tient compte des ventes des succursales. Des études sur les conséquences économiques d’un éventuel accord prévoient une augmentation du PIB de l’UE de 20 milliards d’euros et une augmentation de 25 % des exportations européennes. L’idée d’un accord de libre-échange a émergé en 2007 suite à une étude conjointe qui a révélé le potentiel au niveau des marchés publics et le la propriété intellectuelle. L’Union recherche un accès aux marchés publics nationaux et provinciaux, aux services et aux investissements. Elle souhaite protéger les appellations contrôlées, réduire les droits de douane sur certains produits (produits laitiers et produits agricoles transformés, par exemple). Le Canada cherche avec l’UE à diversifier ses marchés d’exportation, à exporter ses industries de services, à accéder au marché agricole, et à accroître la mobilité des professionnels et la reconnaissance mutuelle des compétences professionnelles. À une question de l’audience, M. Dupuis a confirmé que l’UE ne demandera pas le démantèlement de la Société des alcools du Québec et de la LCBO ontarienne. 

Après deux ans de négociation, les parties ont complété neuf rondes et sont entrées en ligne finale. L’objectif pour la signature d’un accord est maintenant établi à pour le milieu de l’année 2012. Le travail sur texte normatif est avancé et la difficulté actuelle est l’harmonisation des règles d’origine, règles plus strictes au Canada. L’accès aux marchés a fait l’objet d’une grande ouverture mutuelle impressionnante, mais quelques difficultés demeurent. M. Dupuis a tenu à rassurer l’auditoire au sujet des services culturels : la diversité culturelle n’est pas remise en cause et les subsides à la culture ne seront pas touchés, les contenus et la propriété culturelle seront respectés. Au sujet des indications géographiques portant sur des produits comme le vin, les fromages, les charcuteries, les négociations se poursuivent. Des membres de l’audience ont posé des questions à M. Dupuis sur certains aspects de l’accord.

 

3.    La France et le Canada : Intervenir militairement ensemble : pourquoi? comment?  Les cas de l’Afghanistan et de la Libye

Le débat de l’après-midi a porté sur la thématique La France et le Canada : Intervenir militairement ensemble : pourquoi? comment?  Les cas de l’Afghanistan et de la Libye. Pour l’occasion, une brochette de hauts gradés des armées française et canadienne a été invitée, ainsi que des experts des deux pays.

Madame Suzan Sachs, journaliste du quotidien canadien le Globe and Mail, a animé le débat. 

a)    Intervenir : quelle légitimité?  Question d’intérêts ou de principes? Real politick ou responsabilité de protéger?

L’ex-diplomate canadien Jeremy Kinsman, professeur à l’Université de Berkeley (Californie) a traité du nouveau concept international de la « responsabilité de protéger ». Le professeur Kinsman a défendu la politique étrangère canadienne en Afghanistan et en Libye. Il a noté avec satisfaction la collaboration militaire bilatérale entre les deux pays, un nouveau champ d’action. Il constate un effet miroir entre Ottawa et Paris en la matière, visant la transformation et la transformation des stratégies et moyens militaires. Les interventions en Afghanistan et en Libye constituent deux précédents d’intervention militaire sous l’article 5 de la Charte des Nations-Unies, et repose sur une nouvelle doctrine invoquée par la France, soit la responsabilité d’intervention. L’intervention de la coalition en Lybie a été un succès.  S’agissait-il de protéger les civils et leur cause?  S’agissait-il de sauvegarder la démocratie?  L’intervention constitue-t-elle une perversion du rôle humanitaire? Ces questions se sont posées, car la société libyenne constitue un cas particulier: une population civile menacée directement de tuerie par le régime dictatorial en place et son armée, l’absence d’organisations civiles, et l’incapacité de l’armée à stopper l’insurrection sont autant d’éléments spécifiques dont la coalition a dû tenir compte dans son action.  Après le Kosovo, après le Rwanda, l’expérience a démontré que la non-ingérence n’est plus acceptable, ce qui a conduit à des actions anticipatoires, la nécessité de convaincre des pays réticents et des interventions au cas par cas. À cet égard, la stratégie du président américain Barak Obama de laisser la place au Royaume-Uni, à la France et au Canada lors de l’intervention en Libye a été déterminante pour le succès de l’opération. À l’avenir, l’intérêt international du Canada et de la France repose sur la consistance, c'est-à-dire le respect des droits de la personne.

Monsieur Patrice Paoli, directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères de la France a corroboré l’unité de vues entre la France et le Canada en ce qui concerne la Libye. Il a élaboré sur le concept de droit et de devoir d’ingérence. L’occupation du Koweït par l’Irak a donné naissance en 2005 à ce concept.  Si un pays refuse de protéger sa population civile, la communauté internationale, via le Conseil de sécurité, a`le droit et le devoir d’intervenir. M. Paoli a suggéré que l’Occident n’a pas de leçon à donner : ce qu’il peut faire c’est aider à la démocratisation et à la stabilisation via des partenariats. Les situations en Syrie et au Yémen présentent des particularités qui empêchent une action coalisée comme en Libye, notamment à cause de véto de certains pays au Conseil de sécurité, mais des sanctions ont été prises contre ces pays par la Ligue arabe, la Commission des Droits de l’homme des Nations-Unies, et le Conseil de l’Union européenne, et d’autres alternatives sont considérées comme l’envoi d’observateurs ou d’un rapporteur spécial des Nations-Unies. Des questions épineuses ressortent toutefois du conflit libyen: que sommes-nous prêts à faire pour améliorer la future gouvernance? Comment construire les bases d’une démocratie dans un pays sans tradition de participation de la société civile?

b)   Libye; l’action en coalition

Le vice-amiral Denis Rouleau, représentant militaire du Canada à l’OTAN, le colonel T. Aigubelle, le colonel A. Michel et le capitaine de vaisseau Rey, tous Français, ont fait des présentations sur la coopération militaire entre les deux pays dans le cadre de l’opération en Libye. Le vice-amiral Rouleau a expliqué que l’épine dorsale de l’opération a été l’OTAN, organisation militaire qui, après la Guerre froide, repose désormais sur la défense des valeurs de la démocratie, de l’État de droit, de la liberté et de la responsabilité de protéger les citoyens. L’action de l’OTAN repose à la fois sur la « puissance douce » et sur la « puissance forte ». En Libye, ce fut la puissance forte qui fut appliquée, mais le vice-amiral a expliqué que la Libye n’est pas un modèle des interventions futures. Les dommages collatéraux ont été minima et les frappes autorisées ont intentionnellement évité des zones protégées comme les égouts, les édifices, les infrastructures, les aéroports, etc.

Pour sa part, le colonel Michel a ciblé sa présentation sur l’action aérienne de la coalition, fondée sur une volonté politique, militaire, stratégique et opérationnelle commune. Plusieurs conditions de succès ont été atteintes : 1) les capacités en matière de mobilité, de connaissance du terrain et d’anticipation; 2) l’interopérabilité en matière de ravitaillement, d’identification positive des cibles, de règles d’engagement et d’estimation des dégâts collatéraux; et 3) la confidentialité, via des réseaux de communication cryptés. Le capitaine de vaisseau Rey a expliqué le rôle spécifique de la frégate Le Forbin au large de la Libye pour la défense des villes de Benghazi et Misurata. Le colonel Aiguebelle a donné des détails sur les opérations aériennes, soit 40 missions, 320 sorties, 430 missiles, 13,500 obus, 1550 roquettes, 600 cibles détruites, toujours sans dommages collatéraux chez les civils. Il a aussi parlé des messages audio et tracts destinés aux troupes de Khadafi.

 

c)    Afghanistan, l’expérience d’un commandant de terrain

Le colonel B. Gardy, ancien chef de corps du 7è Bataillon de chasseurs alpins, a témoigné sur son expérience personnelle récente en Afghanistan. Après 10 mois de préparation, le bataillon de 800 militaires français qu’il a dirigé a passé six mois pour des opérations en Afghanistan, dans la zone dévolue à la France dans l’est de l’Afghanistan. Ce fut une expérience difficile, sur le terrain, avec des batailles quotidiennes. La stratégie globale était d’affaiblir l’insurrection, mais avant tout, il s’agissait de protéger la population, et développer plutôt que détruire. Il a souligné le caractère local de la lutte contre l’insurrection, les insurgés étant mêlés à la population et trouvant refuge au besoin dans les villages ou la montagne toute proche. Posséder une arme en Afghanistan est normal. La zone d’opération dont il avait la responsabilité n’est jamais pu être conquise, soit par les Britanniques, soit par les Soviétiques, ou la Coalition de l’OTAN. L’insurrection se nourrit de la pauvreté, de l’analphabétisme. La population est assise sur la barrière, en attente de basculer du côté du plus fort.  Selon le colonel Gardy, la situation progresse lentement mais sûrement. Ultimement, la solution sera politique et non militaire. Le principal handicap de la Coalition de l’OTAN présentement est le manque de temps, avec un retrait des troupes annoncé pour 2014. Le colonel a souligné le courage des soldats, car les risques sont réels. Deux soldats sont morts durant la mission, 4 ont été sévèrement atrophiés, plusieurs souffrent de blessures psychologiques. Mais il ajoute que les soldats le savaient avant de partir ils étaient volontaires, passionnés, croyant en leur mission, comme s’ils défendaient la population française.

Une période de questions a suivi les différents exposés.

La conclusion du colloque sur la coopération franco-canadienne en Libye et en Afghanistan est la convergence sur la question de la protection des civils dans les opérations militaires, la valorisation de l’action en coalition qui permet d’exploiter au mieux les forces spécifiques de chacun des partenaires. Dans le cas particulier de la Libye, l’expérience positive a permis de renforcer la coopération entre les deux pays.

 

4.    Dépôt de gerbe et ranimation de la flamme

Les sénateurs Rivest et Joyal ont accompagné une délégation de parlementaires français - dont le sénateur Marcel-Pierre Cléach et le député Georges Colombier- et d’anciens combattants à l’Arc de Triomphe, pour une cérémonie de dépôt de gerbe et de ranimation de la flamme dans le cadre de la semaine du Souvenir et au nom de l’Association interparlementaire France-Canada.

 

5.    Conclusion

Le colloque a été un vif succès tant au niveau de la participation des parlementaires et autres personnalités qu’au niveau de la qualité des divers intervenants. Un véritable échange d’informations de première importance a eu lieu sur la coopération bilatérale, en matières militaire, économique et sociale, confortant ainsi l’excellence des rapports entre la France et le Canada.

 

 

Respectueusement soumis,

 

 

 

L’honorable Claudette Tardif, sénatrice
Présidente de l’Association interparlementaire Canada-France

 

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