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Rapport

RÉSUMÉ

Le climat politique fortement polarisé en Bosnie-Herzégovine (BiH) soulève de graves inquiétudes quant à la capacité du pays à créer des institutions publiques capables de fonctionner et à s’engager sur la voie de l’intégration euro-atlantique. Telle est la principale conclusion d’une visite effectuée dans ce pays, du 25 au 27 octobre 2011, par une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.

Le Canada était représenté par Mme Christine Moore, députés, et M. Terence Young, député.

L’incapacité à former un gouvernement central un an après les élections législatives, l’expression de divergences profondes quant aux dispositions constitutionnelles, les retards pris dans la mise en œuvre de réformes essentielles, la corruption et la criminalité endémiques, ainsi que la question, toujours en suspens, de l’enregistrement des biens militaires constituent les manifestations les plus évidentes de la paralysie politique qui prévaut dans le pays. Il reste que les principaux acteurs de la vie politique en Bosnie  continuent à s’arc-bouter sur des positions qui font obstacle à l’édification d’un État capable de fonctionner ; la population de ce pays aux abois payant le prix fort de cet échec.

« Si les hommes politiques en Bosnie-Herzégovine sont sincères lorsqu’ils déclarent souhaiter rejoindre la communauté euro-atlantique, ils doivent être disposés à ne plus camper sur leurs positions », a déclaré Lord Jopling (Royaume-Uni), président de la Commission sur la dimension civile de la sécurité (CDS) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Lord Jopling a évoqué la façon dont les dirigeants politiques en Irlande du Nord ont su abandonner leurs positions les plus radicales, pour montrer qu’il est possible d’instaurer la paix dans des régions instables et profondément troublées d’Europe.

Quinze membres de six pays de l’OTAN, représentant la Commission sur la dimension civile de la sécurité (CDS) et la sous-commission sur la coopération et la convergence économique est-ouest (ESCEW) se sont rendus à Sarajevo et à Banja Luka pour rencontrer des dirigeants politiques et des responsables gouvernementaux, tels Bakir Izetbegovic, le représentant bosniaque au sein de la Présidence de la Bosnie-Herzégovine, les présidents de l’Assemblée nationale et du gouvernement de la Republica Srpska (RS), les responsables de plusieurs organisations internationales de premier plan, ainsi que des experts politiques et des représentants d’ONG.

La révision des structures institutionnelles créées par les accords de Dayton ne peut se faire que dans le cadre d’un dialogue véritable auquel participent activement les dirigeants politiques et les représentants de la société civile, ont déclaré à plusieurs reprises les membres de la délégation de l’OTAN à leurs interlocuteurs de Bosnie. Toute autre méthode ne fera que provoquer une crise économique et politique durable qui, à son tour, aboutirait sans doute à une dégradation de la situation en matière de sécurité. La réforme du secteur de la défense, l’un des rares exemples de réussite que compte la mise sur pied d’institutions publiques en état de fonctionner, offre un modèle potentiel à cet égard.

Les membres de la délégation ont appris qu’il n’existe aucun consensus clair sur le rôle précis que la communauté internationale devrait jouer pour favoriser la réconciliation et les réformes. Le rôle particulier que joue le Bureau du Haut représentant des Nations unies, par exemple, ne fait pas l’unanimité. Certains le jugent essentiel dans un système où le compromis difficile à trouver, alors que d’autres le perçoivent comme servant de prétexte aux membres de la classe politique pour se soustraire aux responsabilités qui leur reviennent. La mission de l’UE en Bosnie-Herzégovine a récemment été renforcée, afin de fournir davantage d’incitations positives pour instaurer une démocratie effective ; mais même cela ne peut se substituer au rôle que les dirigeants et la société civile doivent jouer pour que des changements positifs interviennent.

Enfin, les membres de la délégation de  l’AP-OTAN ont estimé que la communauté internationale devait demeurer fermement engagée en Bosnie-Herzégovine, d’autant que les tensions politiques, économiques et sociales de plus en plus vives pourraient avoir des conséquences effroyables, sur le plan humanitaire et de la sécurité, pour le pays et pour la région dans son ensemble.

SITUATION POLITIQUE SUR LE PLAN INTERNE

La délégation de l’AP-OTAN a rencontré  Bakir IZETBEGOVIC, membre bosniaque de la Présidence de Bosnie-Herzégovine. La crise politique actuelle en Bosnie est ‘le contrecoup de la guerre de 1992-95’, a déclaré le Président. De tels contrecoups sont inévitables mais ils seront d’autant plus inoffensifs que le pays murit sur le plan politique. La réconciliation prend du temps, a-t-il fait observer, mais les citoyens de Bosnie-Herzégovine s’habituent de plus en plus à vivre ensemble. La dernière attaque pour des raisons ethniques a eu lieu il y a sept ans, et ce  niveau de sécurité n’était pas imaginable il y a dix ans. Les trois co-présidents, a-t-il ajouté, ont trouvé le moyen d’unir leurs efforts de manière constructive.

Pour le moment, toutefois, les hommes politiques demeurent prisonniers de promesses antérieures visant à mobiliser et à retenir leurs électeurs, a déclaré le Président Izetbegovic. Certains hommes politiques bosniaques demandent une plus grande centralisation du pays ; certains Serbes de Bosnie aspirent à une souveraineté accrue, voire une sécession de la Republica Srpska, tandis que certains Croates soutiennent que leur communauté a besoin d’avoir une entité territoriale séparée. Aucune de ces options n’est faisable, a souligné M. Izetbegovic : Sarajevo ne prendra pas le pas sur le pays, la Republica Srpska  ne fera pas sécession et il n’y aura pas d’entité croate séparée.

Ouvrant la séance au parlement de Bosnie, Milorad ZIVKOVIC, chef de la délégation de la Bosnie-Herzégovine auprès de l’AP-OTAN, a déclaré que de nombreux résultats ont été obtenus au cours des 16 années écoulées depuis la signature des accords de Dayton, mais que les Bosniens ne les jugent pas suffisants. Si la situation en matière de sécurité est satisfaisante, le pays doit encore relever nombre de défis, dont le blocage politique, une économie en faillite, le trafic de stupéfiants et d’êtres humains, la criminalité organisée et le retard pris dans l’élimination des stocks d’armes et de munitions. Un an après les élections législatives, le pays n’est toujours pas doté d’un conseil des ministres et le budget national pour 2011 n’a pas été adopté. De graves tensions existent non seulement entre la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republica Srpska,  mais également au sein même de la Fédération.

Plusieurs intervenants ont regretté le manque d’espace pour la négociation sur la scène politique bosnienne, un problème qui est devenu encore plus flagrant ces dernières années. Les structures politiques et institutionnelles du pays doivent désormais être modifiées pour donner effet à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rendu dans l’affaire Sejdic‑Finci1. Des députés ont informé la délégation que le processus décisionnel est si compliqué que même des pays développés s’y perdraient. Ceci compromet l’intégration euro-atlantique du pays ainsi que toute tentative de poursuivre des politiques économiques efficaces. Ne pas mettre en place ces réformes fondamentales se traduira par des retards inacceptables dans le processus d’intégration euro-atlantique.

Le système politique, issu des Accords de Dayton, s’est avéré un moyen efficace de mettre un terme à la guerre en 1996. Quasiment toutes les forces politiques conviennent que le système constitutionnel doit être modifié, mais aucun accord ne s’est fait sur la nature de ces changements. Le parlement envisage pour l’heure une douzaine de solutions. Comme l’a dit Srecko LATAL de l’organisation International Crisis Group : "Les Bosniens veulent quelque chose en plus, les Serbes de Bosnie quelque chose en moins, et les Croates de Bosnie veulent quelque chose différent".  Les représentants du Parti social-démocrate de Bosnie-Herzégovine ont plaidé en faveur d’un système  politique basé sur des partis politiques bosniens multiethniques. Tout en visant l’intégration dans le marché européen, la BiH doit avant tout parvenir à une meilleure intégration de son propre marché, ont-ils fait observer. Par ailleurs, la polémique autour de l’enregistrement des biens militaires tient pour l’essentiel à des interprétations différentes de la nature de l’État de la Bosnie-Herzégovine. Malheureusement, les représentants de la communauté croate n’étaient pas présents aux réunions qui ont eu lieu avec la délégation de l’Assemblée.

Plusieurs intervenants craignent que les difficultés politiques et économiques auxquelles se heurte le pays finissent par raviver les conflits interethniques.
M. Latal a décrit la montée de ce qu’il qualifie de discours nationaliste et a déploré qu’aucun scénario d’une éventuelle reprise des violences ne soit envisagé. Des représentants d’organisations de la société civile ont souligné que le système d’éducation en place était déficient et  renforçait le plus souvent les divisions de la société. La ségrégation ethnique des écoles compromet les efforts visant à encourager la réconciliation en BiH, ont fait valoir  Majda BECIREVIC et Zeljka SULC, représentantes de Atlanska inicijativa. La mobilité des citoyens bosniens à l’intérieur de leur propre pays est bien trop restreinte. Cette situation doit changer : des contacts entre habitants de part et d’autre des frontières internes sont essentiels pour construire une culture politique démocratique et homogène. Les organisations de la société civile doivent privilégier des programmes intéressant tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, comme les questions relatives à la sexospécifité ou les droits des enfants. La voie de la réconciliation est plus intéressante que les négociations entre les hommes politiques, ont-elles déclaré.

Les membres de la délégation de l’AP-OTAN ont appris avec la plus grande inquiétude que les principales forces politiques en BiH sont, de toute évidence, incapables de s’entendre sur les principes fondamentaux sur lesquels le pays doit se construire. Selon eux, si les hommes politiques de Bosnie  ne sont pas disposés à faire des concessions et à trouver un compromis, l’intégration euro-atlantique du pays restera une chimère. Les séquelles de la guerre, selon les parlementaires de l’OTAN, demeurent de toute évidence un facteur sensible et une source de conflits politiques.

LE ROLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Les parlementaires bosniens n’étaient visiblement pas d’accord sur le rôle que pourrait jouer la communauté internationale pour faciliter la résolution de la crise politique interne. Certains – notamment ceux représentant le Parti bosnien de l’Action démocratique (SDA) – demandaient instamment à la communauté internationale de jouer un rôle plus actif à l’instar de ce que le Bureau du Haut représentant des Nations unies a fait au cours des dix dernières années. D’autres, particulièrement les députés de la Republica Srpska, étaient convaincus que c’est aux hommes politiques bosniens qu’il revient avant tout de s’attaquer aux défis politiques majeurs qui pèsent sur le pays. Le Président Izetbegovic a déclaré que le Bureau du Haut représentant devra à terme transférer ses fonctions aux institutions de Bosnie-Herzégovine, mais a souligné qu’il faudrait éviter tout vide du pouvoir avant la mise en œuvre des mécanismes destinés à remplacer le Bureau du Haut représentant. 

C’est finalement l’UE qui devra combler ce vide, ont fait valoir la plupart des intervenants. Il n’en reste pas moins que le rôle joué par l’UE dans le pays était jusqu’à présent gigantesque sur le plan financier mais minime sur le plan politique. Certes l’UE a été encouragée à faire jouer ses instruments de manière plus active, mais la communauté internationale pourrait s’immiscer dans la politique quotidienne, ont mis en garde des spécialistes. La scène politique en Bosnie-Herzégovine est un terrain miné, a déclaré M. Latal, et assumer une position claire sur telle ou telle question interne revient inévitablement à se mettre à dos l’une des communautés du pays.

Au Camp Butmir, près de Sarajevo, la délégation de l’Assemblée a rencontré des responsables de haut niveau de plusieurs grandes organisations internationales opérant en Bosnie-Herzégovine. Les représentants de l’OTAN, le brigadier général Gary E. HUFFMAN, Commandant du quartier général de l’OTAN à Sarajevo, et Rohan MAXWELL, Chef de la Section de conseil politico-militaire au quartier général de l’OTAN à Sarajevo, ont fait valoir que l’OTAN n’est pas le seul acteur international présent dans le pays, et que selon l’accord "Berlin plus", les fonctions de sécurité militaire ont été transférées à l’EUFOR. Pour autant, l’OTAN demeure présente : elle aide le pays à mettre en application les aspects militaires de sa réforme du secteur de la sécurité et à atteindre une plus grande interopérabilité avec l’OTAN. L’Alliance soutient la Bosnie sur la voie de l’adhésion à l’OTAN par le biais de plusieurs instruments, dont un Processus de planification et d’examen, un Plan d’action individuel pour le Partenariat et un dialogue intensifié. Comme indiqué, la coopération dans le cadre du plan d’action pour l’adhésion (MAP) sera activée dès que la question des biens immobiliers militaires sera réglée. Le rôle de l’OTAN est important pour faciliter la création d’une structure de forces armées unifiées.

Des représentants de l’OTAN ont souligné que les progrès accomplis sont évidents, mais que d’importants problèmes d’ordre politique, structurel et budgétaire demeurent. Si, sur le plan pratique, la coopération avec la BiH fonctionne bien, aux plus hauts échelons politiques, elle est beaucoup moins  constructive. Hormis l’enregistrement des biens immobiliers militaires, les autres sujets de préoccupation importants pour l’OTAN sont notamment:

·         23 000 tonnes d’armes et de munitions excédentaires, à haut risque, dangereuses ou instables doivent encore être détruites, mais le rythme de destruction n’est pas satisfaisant.

·         Le manque de soutien politique en faveur des propositions faites par les responsables militaires de Bosnie-Herzégovine concernant la Réforme de la défense qui établit le plan à long terme pour l’évolution des forces armées de la BiH d’ici à 2020.

·         Les défis techniques et politiques liés à la description technique précise de la Ligne de démarcation inter-entités.

Le Général de division Bernhard BAIR, commandant de l’EUFOR, a fait remarquer que si l’EUFOR continue à fournir une capacité militaire de dissuasion pour garantir un climat de sécurité et de sûreté en BiH, la mission s’attache désormais à renforcer les capacités et à soutenir la formation des forces armées bosniennes. Les effectifs de l’EUFOR diminuant (moins de 1 400 soldats à ce jour), on s’inquiète de savoir si ces effectifs sont suffisants pour remplir sa mission. Le commandant a remercié la Turquie d’avoir contribué à colmater la brèche.

Le général Bair a également parlé de la possibilité pour l’UE de mettre en place des forces de réaction rapide qui, déployées dans les pays voisins de l’UE, seraient positionnées pour faire face, dans les plus courts délais, à toutes menaces importantes contre la sécurité de la BiH. En raison de leur proximité géographique, ces forces n’auraient même pas besoin de moyens de transport stratégiques. En multipliant les exercices conjoints, la communauté internationale pourrait ainsi faire comprendre à la BiH qu’elle demeure attachée à la sécurité du pays, tout en réduisant progressivement la présence des forces armées étrangères sur le sol bosnien.

Le Bureau du Haut représentant mettant fin à ses activités, l’UE a renforcé considérablement sa présence et est devenue, de fait, la principale organisation internationale opérant en BiH, d’après Mihaela OSORIO, conseillère politique auprès du RSUE (réseau des Représentants spéciaux de l’UE) et du commandant de l’EUFOR, Délégation de l’Union européenne en BiH. En septembre 2011, le Représentant spécial de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine – dans le cadre d’un mandat qui se cumule avec celui du Chef de la délégation de l’UE – a pris ses fonctions.

L’UE est fermement résolue à aider la BiH sur la voie de son intégration européenne mais c’est le peuple de Bosnie qui décidera en fin de compte du rythme auquel avancera ce processus d’intégration. Le principal message que l’UE envoie aux dirigeants bosniens est le suivant : " Nous sommes ici pour aider, non pas pour faire le travail à votre place". En conséquence, l’ordre du jour de l’UE devrait être dissocié des conflits politiques internes d’ordre général, a déclaré Mme Osorio. 

Pour  se rapprocher de l’adhésion à l’UE, le pays doit avant tout remédier à trois problèmes majeurs :

·         Veiller à ce que la constitution du pays se conforme à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdic-Finci.

·         Faire avancer la législation sur l’aide publique. L’adoption en août 2011 de la loi relative à l’aide publique par le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine est une étape positive. Reste désormais à l’Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine à adopter cette loi.

·         La loi sur le recensement de la population au niveau de l’État constitue une priorité et doit être adoptée d’urgence par l’Assemblée parlementaire de la BiH.  Des statistiques fiables et à jour sont nécessaires pour une planification économique rigoureuse et rationnelle, pour la prestation de services publics et pour le développement global du pays.

Malheureusement, d’après le rapport d’étape  2011 de l’UE, publié le 12 octobre 2011, la BiH est le seul pays dans la région n’ayant guère progressé sur la voie de l’intégration à l’UE et en matière de réformes structurelles. L’UE escompte toutefois que la BiH va se remettre sur les rails.

Ambassadeur Fletcher M. BURTON, chef de la mission de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) en Bosnie-Herzégovine, a déclaré que l’OSCE se trouve dans une position tout à fait particulière : la BiH ne cherche pas à devenir membre de cette organisation mais est d’ores et déjà membre à part entière. Les Bosniens considèrent donc l’OSCE comme un partenaire plutôt que comme un objectif. Cette organisation fait tout son possible pour aider le peuple bosnien à surmonter les divisions ethniques et les tensions politiques. 

L’ambassadeur Burton a souligné l’excellent niveau de coopération entre sa mission et l’OTAN. Les deux organisations travaillent de concert sur des questions telles que la destruction des munitions en excédent et le renforcement du contrôle démocratique du secteur de la défense et de la sécurité. Sur ce dernier point, la création du poste de Commissaire militaire parlementaire de la Bosnie-Herzégovine mérite tout particulièrement d’être signalée.

Johannes VIERECK, Chef de la section Pol-Mil du Bureau du Haut représentant, ne s’est pas montré particulièrement optimiste dans l’évaluation qu’il a faite de la situation qui règne dans le pays. Depuis 2006, a-t-il déclaré, le pays n’a fait aucun progrès. Les mesures que le pays doit prendre pour pouvoir prétendre rejoindre l’UE et l’OTAN se font toujours attendre, en grande partie en raison de l’absence d’une culture du compromis chez les hommes politiques. Toute disposition à faire des concessions est malheureusement vue comme une manifestation de faiblesse. Il est nécessaire, a suggéré M. Viereck, de trouver un juste équilibre entre la "carotte" et le "bâton" : aujourd’hui on privilégie la "carotte" et on répugne à utiliser le "bâton" parce que le pays est fragile. La communauté internationale, quant à elle, est divisée et ne fait pas preuve d’une stratégie unifiée pour la Bosnie.

La communauté internationale s’accorde à reconnaître que les plus grandes menaces qui pèsent sur la BiH tiennent à la nature de la vie politique. Le climat régional se serait plutôt considérablement amélioré : la Croatie et la Serbie sont de plus en plus considérées comme un élément décisif de la solution plutôt que comme une source de tension.

RENCONTRES AVEC DES RESPONSABLES DE LA REPUBLICA SRPSKA

La délégation de l’Assemblée s’est rendue à Banja Luka pour rencontrer des responsables du gouvernement et du parlement de cette entité. Le Premier ministre de la République, Alexandar DZOMBIC, a pris la parole en soulignant que les autorités de la Republica Srpska sont résolument en faveur de l’intégration euro-atlantique du pays. Cela étant, vu l’importance de la question de l’adhésion à l’OTAN, elle devrait  faire l’objet d’un référendum, a déclaré le Premier ministre.  Igor RADOJCIC, président de l’Assemblée de la Republica Srpska, pour qui l’intégration euro-atlantique est tout aussi importante, a déclaré qu’il reste encore à rallier l’opinion publique à cette cause et que beaucoup reste à faire pour expliquer la nature véritable de l’Alliance à la population de la République.

Concernant la question des biens immobiliers militaires, les dirigeants de la Republica Srpska ont déclaré que la solution à ce problème devra inclure le droit des forces armées de la BiH à utiliser ces biens à leur guise en cas de besoin, alors que les droits de propriété devront être transférés à l’entité. Il ne s’agit pas seulement d’une question légale, ont-ils fait valoir, mais les conséquences financières seront importantes pour l’entité. Il s’agit d’une approche pragmatique, ont-ils souligné, tout en se disant déterminés à poursuivre les négociations de manière constructive.

Pour ce qui est de l’intégration à l’UE, les dirigeants de la Republica Srpska ont affirmé que leur approche est proactive et qu’ils sont toujours fermement résolus à supprimer les obstacles qui en ralentissent la progression, y compris l’adoption de la loi sur le recensement, et la loi sur l’aide publique. L’entité a également des propositions concrètes sur la façon de résoudre la contradiction entre le système constitutionnel de la BiH et l’arrêt de la CEDH dans le cadre de l’affaire Sejdic-Finci.

Le président de l’Assemblée a fait valoir que l’intégration à l’UE ne demande pas une plus grande centralisation au niveau national. La Belgique, selon lui, pourrait servir de modèle. En Belgique, a-t-il indiqué, chaque entité est dotée d’un ministère de l’agriculture qui lui est propre et pourtant le pays parvient à parler d’une seule voix au Conseil des ministres de l’Union européenne s’agissant des questions agricoles.  Une meilleure coordination entre les entités et non une plus grande centralisation est ce dont la Bosnie-Herzégovine a besoin pour rejoindre l’Union européenne, a fait valoir l’intervenant. 

S’agissant de la crise politique interne, le Premier ministre a fait remarquer que l’accord de paix de Dayton n’avait pas pour seul objectif de mettre un terme à la guerre : il proposait le concept de deux entités et trois peuples constituants comme base de l’État de Bosnie-Herzégovine. Certaines initiatives visant  à changer le dispositif politique du pays dénaturent de toute évidence les principes de répartition de la responsabilité entre la capitale et les entités, posés par l’accord de Dayton. La Republica Srpska refuse de céder davantage de pouvoirs aux institutions centrales. Certains changements constitutionnels sont nécessaires pour adapter l’arrêt rendu par la CEDH, mais ils ne doivent pas porter atteinte aux principes fondamentaux de l’accord de Dayton. Les dirigeants de la République préconisent également que des accords soient conclus au sein de la Bosnie et sans ingérence extérieure, a déclaré le Premier ministre.

Le président de l’Assemblée a expliqué que le principe "une personne – une voix" ne marchera pas en BiH. Appliquer le principe de la majorité simple ferait plus de tort que de bien : les sensibilités des groupes ethniques doivent être prises en compte et il faut maintenir un équilibre subtil pour faire tenir ce pays ensemble, a fait valoir M. Radojcic.

RELATIONS AVEC L’OTAN ET REFORME DU SECTEUR DE LA DEFENSE ET DE LA SECURITE

Selon Selmo CIKOTIC, ministre de la Défense de Bosnie-Herzégovine, la réforme du secteur de la défense représente le succès le plus important de la Bosnie d’après-Dayton. La réforme a créé une structure militaire unifiée, forte aujourd’hui de 10 000 militaires professionnels (dont 5,9 % sont des femmes). Le modèle multiethnique des forces armées (du moins parmi les grandes unités militaires) constitue un atout pour l’intégration dans le pays. Les forces armées de Bosnie-Herzégovine ont, pour l’essentiel, endossé le rôle consistant à garantir la sécurité militaire pour le pays, rôle qu’assumaient auparavant l’EUFOR et l’OTAN. Le ministre Cikotic n’en a pas moins souligné le rôle important et positif que la communauté internationale a joué d’une manière générale et a déclaré que celle-ci doit continuer à assumer ce rôle jusqu’à que les structures de l’État bosnien compétentes fonctionnent de façon autonome. 

Le succès de cette réforme fait d’autant plus ressortir le manque de progrès accomplis dans d’autres domaines. Outre les changements structurels, la réforme favorise l’émergence d’un nouvel état d’esprit chez les Bosniens.  L’idée que les intérêts ethniques sont mieux protégés par des structures étatiques fortes fait son chemin et que les progrès accomplis dans le secteur de la défense devraient servir de modèle pour d’autres domaines de gouvernance. Le vrai problème aujourd’hui est que les autres structures étatiques ne progressent pas au même rythme.

Quant à la Bosnie, il n’y a pas d’alternative à l’adhésion à l’OTAN, a déclaré le ministre Cikotic. Il a également réaffirmé la détermination des autorités bosniennes à trouver une solution, en collaboration avec l’OTAN, à la question, toujours en suspens, de l’inscription des biens immobiliers militaires. Le ministère est disposé à appliquer une décision à ce propos dès qu’elle aura été approuvée au niveau politique. La question des biens militaires fait partie d’un volet plus large que les hommes politiques bosniens sont en train de négocier et son règlement dépend des progrès accomplis dans d’autres domaines. M. Cikotic a fait observer que, dans la pratique, ce problème n’est pas si grave car l’armée utilise d’ores et déjà ces biens. Toutefois, la résolution de ce problème a valeur de test pour les hommes politiques bosniens et il leur reste à le réussir.

La Bosnie fait tout son possible, avec un budget limité et d’autres ressources, pour se conformer aux engagements souscrits envers la communauté euro-atlantique. D’après  Marina PENDES, ministre adjointe chargée de la Gestion des ressources de Bosnie-Herzégovine, les dépenses militaires sont insuffisantes et demeurent très en dessous du niveau requis, à savoir au moins 1,6-1,7 % du PIB. Quoi qu’il en soit, la Bosnie-Herzégovine contribue à la mission de l’ISAF en Afghanistan ainsi qu’à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo. Le major général Miladin MILOJCIC, chef d’État-major des forces armées de la BiH, a également déclaré que la Bosnie envisageait d’envoyer dix formateurs pour appuyer la mission OTAN de formation en Afghanistan.

A Banja Luka, tant le Premier ministre que le président de l’Assemblée de la Republica Srpska ont souligné l’importance de la "démilitarisation" de la  Bosnie-Herzégovine. Ils ont fait observer que l’économie du pays n’était pas assez solide pour maintenir les effectifs actuels de l’armée. M. Radojcic, en particulier, a plaidé en faveur d’une réduction des forces armées de Bosnie-Herzégovine, de 10 000 à environ 2 ou 3 000 soldats. Cette réduction devrait s’accompagner d’un recentrage sur les capacités spécialisées, comme les unités de déminage ou médicales, que le pays pourraient fournir pour les opérations internationales de maintien de la paix, a déclaré l’intervenant. Les parlementaires de l’OTAN ont fait remarquer que si les forces armées, dans les pays de l’OTAN, se réduisent et deviennent plus mobiles et plus souples, il appartient à chaque pays de déterminer si ses effectifs militaires sont suffisants pour garantir sa souveraineté et sa sécurité. Plusieurs membres ont suggéré que les niveaux proposés par des responsables de la  Republica Srbska sont en deçà de ce seuil.

D’après les représentants de l’OTAN, le soutien du public à l’adhésion à l’OTAN est très variable en Bosnie-Herzégovine : alors que 86 % des Bosniaques et 75 % des Croates y sont favorables, le pourcentage tombe à 35 % en Republika Srpska. Des représentants de l’ONG Atlanska inicijativa ont déclaré que selon les enquêtes à domicile, menées par leur organisation en Republika Srpska, 80 % sont contre l’adhésion à l’OTAN et 60 % souhaiteraient être mieux informés sur l’Alliance. Les jeunes et les gens plus âgés ont plus de chances d’être pro-OTAN. Ceux qui ont fait la guerre – beaucoup ayant aujourd’hui autour de quarante ans – sont en majorité contre l’adhésion à l’OTAN. Autre aspect : les gens instruits ont généralement une attitude plus favorable envers l’OTAN.

ECONOMIE ET CORRUPTION

Plusieurs interlocuteurs bosniens ont insisté sur le fait que pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine, la pauvreté, le chômage, le manque de perspectives économiques et la corruption  généralisée constituent les enjeux les plus décisifs auxquels le gouvernement doit faire face. Le taux de chômage officiel est de 47 % (cela étant, si l’on tient compte du marché noir, le taux réel du chômage tourne probablement autour de 25 %).

D’après M. Radojcic, président de l’Assemblée de la Republika Srpska, la répartition actuelle des recettes fiscales entre les entités et le gouvernement central n’est pas équitable. Étant donné les difficultés économiques actuelles, a-t-il déclaré, le gouvernement central devrait faire preuve de davantage de solidarité et partager le fardeau en réduisant ses dépenses.

Lejla IBRANOVIC, représentant l’organisation Transparency International, a déclaré que si la corruption a pénétré tous les niveaux de la société, des actions concrètes doivent être prises pour lutter contre les formes les plus graves de corruption politique. Certes le cadre juridique mis en place pour lutter contre la corruption est satisfaisant, mais le problème est l’absence totale de mécanismes d’exécution efficaces. La Bosnie n’est pas dotée d’institutions solides pour faire appliquer la loi, a-t-elle déclaré. Le système judiciaire est totalement inefficace et les tribunaux sont à la merci de pressions politiques. C’est la corruption et non la sécurité qui est le principal frein à l’investissement dans le pays, a déclaré M. Hadzovic, du Centre des Études de sécurité. Pour autant, d’autres intervenants ont mis en évidence un lien évident entre la pauvreté, la corruption et la sécurité. Des experts de  Atlanska inicijativa ont déclaré que la plupart des citoyens bosniens se méfient des hommes politiques du pays qu’ils jugent, dans l’ensemble, corrompus et incompétents. D’où un sentiment général de colère envers les institutions de l’État et ses dirigeants.

M. Latal a mis en garde contre la possibilité, dans les mois à venir, d’une grave crise économique et sociale vu l’intensification des tensions économiques, financières et sociales. Le déficit budgétaire monte en flèche. Les contestations socio-économiques, d’après lui, pourraient provoquer une recrudescence d’incidents à caractère ethnique. Il a demandé instamment aux hommes politiques bosniens de mettre un terme aux luttes internes et de former un gouvernement capable de s’attaquer aux graves difficultés économiques auxquelles le pays est aujourd’hui confronté.

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1   En 2009, la Cour a jugé discriminatoire envers les autres minorités nationales la norme constitutionnelle selon laquelle seuls ceux appartenant à l’un des trois peuples constituants de la BiH peuvent être élus à la Chambre des peuples ou à la Présidence.  Cette norme résulte des Accords de Paix de Dayton. 

Respectueusement soumis,

L’honorable sénateur Joseph A. Day

Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)

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