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Rapport

 

L’Assemblée parlementaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (AP-OTAN) a organisé le Forum parlementaire transatlantique annuel, qui s’est tenu au début de décembre à Washington, D.C., avec l’Université nationale de la Défense des États-Unis (NDU) et le Conseil de l’Atlantique des États-Unis (ACUS). Le Forum parlementaire transatlantique procure aux parlementaires membres de l’OTAN une occasion d’examiner les politiques de sécurité nationale des États-Unis ayant une incidence sur les affaires de l’Alliance.

Les 8 et 9 décembre 2014, les parlementaires ont eu l’occasion de participer à un dialogue avec de hauts fonctionnaires du gouvernement Obama, des spécialistes en politiques et des journalistes établis à Washington pour tenter de mieux comprendre la teneur des priorités stratégiques des États-Unis et les façons dont les politiques intérieures de ce pays façonnent sa vision internationale.

Le Canada était représenté au Forum par M. Cornelìu Chisu, député, M. Jack Harris, député,  et Mme Joyce Murray.

 

RÉSUMÉ DES DISCUSSIONS

En 2014, les événements en Ukraine et la détérioration de la sécurité au Moyen-Orient ont figuré en bonne place à l’ordre du jour des questions de sécurité et de politique étrangère des États-Unis comme, d’ailleurs, de la plupart des autres Alliés. Les discussions ont fait apparaître un consensus autour de l’importance cruciale de l’OTAN dans l’élaboration d’une réponse efficace à l’attitude dominatrice de la Russie vis-à-vis de ses voisins occidentaux. Par ailleurs, l’élimination de la menace que font peser les groupes djihadistes radicaux sur le territoire même des Alliés requiert une étroite coopération au sein de ces derniers et de la communauté internationale.

RUSSIE ET UKRAINE

Les participants se sont largement accordés à penser que les menées déstabilisatrices de la Russie en Ukraine constituaient le défi le plus grave qui ait été lancé à l’ordre et à la stabilité en Europe. L’Occident avait cru que la fin de la Guerre froide permettrait l’avènement d’une Europe unie, libre et en paix. De plus, on avait espéré que chaque pays européen reconnaîtrait la souveraineté de tous les autres et leur droit de choisir leurs alliances sans ingérence extérieure, respecterait leurs frontières et s’abstiendrait de recourir à la force.

Les participants ont souligné le fait qu’en annexant la Crimée le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, avait clairement indiqué qu’il ne souscrivait pas à cette vision. Au contraire, il semble vouloir rebâtir un nouvel empire russe. Ses propos, dans lesquels il a assimilé l’effondrement de l’Union soviétique à « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », reflètent cette vision, comme l’a rappelé un intervenant du Forum.

La Russie dispose déjà de considérables moyens de pression sur le Bélarus, le Kazakhstan et d’autres pays issus de l’ancienne URSS. Cependant, M. Poutine estime que la reconstruction de la sphère d’influence russe requiert le contrôle de l’Ukraine. De ce point de vue, il ne saurait tolérer un resserrement des relations entre Kyiv et l’Occident. Bien plutôt, il doit ramener l’Ukraine dans l’orbite de la Russie. Lorsqu’il définit l’Ukraine comme une question existentielle pour la Russie, une « asymétrie des intérêts en jeu » se fait jour, a-t-il été noté : autrement dit, l’Ukraine intéresse plus directement la Russie qu’elle n’intéresse l’Occident, et Moscou peut exercer sur elle des pressions économiques plus fortes. Si la Russie ne parvenait pas à contrôler entièrement l’Ukraine, M. Poutine voudrait sans doute, à tout le moins, maintenir cette dernière dans une position instable entre la Russie et l’Occident, a-t-on fait valoir. Un participant a fait observer que cela expliquait probablement pourquoi le président russe semblait désormais ranger l’Union européenne aux rangs de ses « ennemis », au même titre que les pays européens qui souhaitent se rapprocher de celle-ci. Auparavant, la Russie ne manifestait aucune appréhension au regard de l’élargissement de l’Union européenne.

Les participants ont estimé que l’Ukraine pouvait très bien ne pas être la dernière victime du comportement agressif de la Russie, dès lors que M. Poutine tend à devenir plus ambitieux lorsqu’il ne rencontre pas d’opposition. Les discussions ont donc fait apparaître un consensus général quant à la nécessité de faire payer plus cher à la Russie son intervention. Il faut pour cela une direction et une stratégie transatlantique composée d’un ensemble complexe de politiques. L’Europe et les États-Unis ont de multiples atouts qui l’emportent de loin sur les moyens de M. Poutine. La question est de savoir s’ils veulent les utiliser. D’un autre côté, il sera plus facile pour la Russie de déstabiliser ses voisins que pour les Alliés de les stabiliser. Une riposte faible face à l’attitude dominatrice de la Russie peut engendrer un risque de guerre, a-t-il été mentionné. En même temps, les Alliés doivent éviter de donner à M. Poutine un prétexte pour intervenir. Les pays membres de l’OTAN où vivent des minorités russes doivent intégrer celles-ci autant que possible.

Par conséquent, les participants ont insisté sur le fait que pour prévenir toute tentation de la part de Moscou d’adopter un comportement agressif vis-à-vis d’un des leurs, les membres de l’OTAN doivent veiller à ce que l’Ukraine prospère en tant que pays indépendant et souverain. Aujourd’hui, l’Ukraine est confrontée à de nombreux problèmes : c’est avant tout la conséquence de 20 années de piètre gouvernance. L’intervenant a ajouté que les agissements de la Russie et, singulièrement, l’annexion de la Crimée ont ravivé chez les Ukrainiens leur attachement à leur identité nationale, attachement qui se double désormais, malheureusement, d’un fort sentiment anti-russe. Les élections législatives d’octobre 2014 ont engendré une coalition gouvernementale qui dispose presque de la majorité constitutionnelle. Mais, comme elle regroupe cinq partis, il se peut qu’elle ait du mal à trouver des compromis. Le succès du nouveau gouvernement dépendra essentiellement de sa capacité de se mettre au travail et de s’attaquer aux problèmes économiques très concrets qui l’attendent, dont celui d’une corruption omniprésente. Faute de réels progrès de la part des Ukrainiens, l’Occident finira par perdre patience, a indiqué un expert. Celui-ci a cependant jugé encourageant que les autorités de Kyiv réfléchissent à des stratégies de lutte contre la corruption. Il a ajouté que, dès à présent, il était évident que le pays aurait besoin d’une aide financière allant au-delà de celle que lui fournirait le Fonds monétaire international, d’une part, et que l’Occident devrait prêter main-forte, d’autre part. Un participant a contesté la notion selon laquelle apporter de l’aide à l’Ukraine aurait des conséquences négatives pour la reprise économique dans les pays de l’Union européenne. En tant que signataires du Mémorandum de Budapest, les États-Unis et le Royaume-Uni ont des responsabilités particulières à assumer vis-à-vis de l’Ukraine. Les participants ont appris qu’aux États-Unis, républicains et démocrates étaient d’accord pour dire que l’Occident devait en faire davantage pour aider l’Ukraine.

Les intervenants ont été catégoriques : à en juger par les informations disponibles, la Russie n’applique pas les dispositions de l’accord de Minsk du 5 septembre 2014. Il semble que le Kremlin ne veuille pas d’un véritable règlement et préfère un « conflit gelé » et une Ukraine perpétuellement instable.

Les participants ont admis que la meilleure solution à la crise en Ukraine serait un règlement négocié. La Russie dispose d’un trop grand nombre de moyens de pression sur l’Ukraine et cette dernière ne connaîtra jamais de retour à la normale si la Russie ne souhaite pas conclure un accord. Compte tenu de la situation actuelle, une solution pourrait être d’octroyer à toutes les régions du pays une forme d’autonomie qui leur permettrait d’exercer leurs propres droits et de protéger leur héritage culturel à l’intérieur des frontières actuelles de l’Ukraine. L’idée a été émise que cette démarche pourrait également englober une réflexion sur l’octroi au russe du statut de langue officielle. Une question plus vaste est de savoir comment l’Ukraine peut se rapprocher de l’Occident sans pour autant rompre les intenses relations économiques qu’elle entretient avec la Russie. Au moins un intervenant a estimé qu’il convenait de laisser en suspens pour un certain temps l’entrée éventuelle de l’Ukraine dans l’OTAN. De la même façon, il y aurait lieu de mettre provisoirement de côté le débat sur la Crimée, débat qui devra toutefois reprendre à un moment donné, a ajouté cet intervenant.

Indépendamment de l’Ukraine, il a été noté qu’il ne fallait pas permettre à M. Poutine d’appliquer avec succès sa stratégie des « conflits gelés » en Moldova, en Transcaucasie et dans les Balkans occidentaux. Les conflits non résolus existants ne doivent pas empêcher les Alliés de collaborer étroitement avec leurs partenaires. Notamment, l’Europe doit se tourner vers l’Est et offrir aux pays de la région des accords d’association et, à plus long terme, leur ouvrir ses portes, a-t-on fait valoir.

Pour ce qui est de la sécurité des Alliés eux-mêmes, l’idée a été émise que l’Europe devait indiquer au président russe qu’elle n’acceptera pas son comportement, d’autant que celui-ci exploite tout signe de faiblesse comme un éventuel créneau d’opportunité. Par exemple, l’abandon de la défense anti-missile balistique serait précisément considéré comme une reculade. L’OTAN doit donc prouver que les dispositions de l’article 5 continuent à former la pierre angulaire de l’Alliance. Aussi les Alliés doivent-ils revitaliser l’OTAN : pour cela, ont insisté des intervenants américains, les Alliés européens doivent investir davantage dans la défense. L’Alliance doit aussi mettre au point une stratégie de lutte contre la subversion. Il conviendrait en outre que des troupes américaines soient déployées dans la région de la Baltique et dans les Balkans, où elles feraient notamment office de facteur de dissuasion. Au moment où la Russie conteste l’idée que les Balkans fassent partie des structures euro-atlantiques, les États-Unis doivent accorder plus d’importance à cette région, a souligné un intervenant.

Plusieurs participants ont estimé que les sanctions infligées à la Russie avaient donné les résultats qu’elles pouvaient et que l’accent mis sur l’énergie l’avait été à bon escient. Pourtant, si elles touchent la Russie sur le plan économique, elles n’ont pas atteint leur objectif politique, a-t-on fait observer. Certes, les sanctions doivent être maintenues aussi longtemps que les dirigeants russes ne respecteront pas les accords, mais les Alliés doivent aussi se concentrer sur d’autres éléments stratégiques, ont affirmé les experts.  Les sanctions nuisent également aux milieux d’affaires russes, qui préfèrent s’intégrer dans l’économie mondiale, et amènent M. Poutine à détacher la Russie de l’Occident, ont-ils indiqué.

Des intervenants ont invité les Alliés européens à élaborer une nouvelle stratégie énergétique qui réduise leur dépendance vis-à-vis de la Russie et qui comporte, entre autres, une réflexion autour de l’exploitation du gaz de schiste. De leur côté, les États-Unis pourraient adapter leur législation pour autoriser l’exportation de ce type de gaz.

Indépendamment de la sécurité européenne, il existe d’autres domaines dans lesquels la Russie et l’Occident ont des intérêts communs, a-t-on fait valoir. Par exemple, même si la Russie a jusqu’ici armé et aidé le régime de Bachir el-Assad, elle pourrait jouer un grand rôle dans l’arrêt de la guerre civile en Syrie. De la même manière, Washington et Moscou continuent, malgré des propos enflammés et bien que des progrès substantiels soient peu probables, à discuter de la maîtrise des armements nucléaires.

Les participants ont estimé que les relations américano-russes étaient, à l’heure actuelle, plus mauvaises qu’elles ne l’avaient jamais été avant Mikhaïl Gorbatchev et qu’elles semblaient maintenant appelées à traverser une très longue période d’antagonisme. Il a été souligné qu’elles avaient été marquées par des problèmes récurrents au cours de ces 22 dernières années et qu’il s’était révélé impossible de discuter avec Moscou d’intérêts communs dans l’espace post‑soviétique. Depuis juillet 2013, trois grands événements ont eu des répercussions sur les relations américano-russes : les révélations d’Edward Snowden, la crise syrienne (dans le contexte de laquelle les États-Unis ont coopéré avec la Russie) et l’Ukraine. Evoquant l’avenir, un intervenant a déclaré que Washington en reviendrait à des notions pratiques d’endiguement de la Russie, comme du temps de la Guerre froide, et se pencherait sur des questions telles que la guerre hybride ou la guerre de l’information. Quelques sujets autour desquels la Russie et les États-Unis peuvent coopérer demeurent inscrits à l’ordre du jour international, mais il est vraisemblable que les relations américano-russes restent au point mort jusqu’à la fin du mandat de M. Obama.

Les événements en Ukraine ont rappelé qu’en dépit de tous ses efforts l’Occident n’avait pu mettre en place, à la fin de la Guerre froide, une architecture de sécurité à laquelle la Russie serait associée. Les participants ont souligné la nécessité d’éviter une nouvelle division de l’Europe et de revitaliser l’idée d’une Europe unie et libre au sein de laquelle la Russie trouverait son rôle dans la paix. La question est de savoir comment persuader le président russe qu’une Europe travaillant sous le signe de la coopération est une Europe qui fonctionne mieux. M. Poutine reproche à l’Occident tout ce qui va mal en Russie. Conséquence d’une intense propagande, les Russes ont maintenant une image très majoritairement négative des pays occidentaux ; par exemple, plus de 70 % d’entre eux estiment que les États-Unis sont un adversaire de leur pays.

Les discussions ont fait apparaître un consensus autour de la nécessité de ne pas fermer les voies de communication avec la Russie et, singulièrement, avec le peuple russe. Il serait utile de disposer de possibilités de dialogue supplémentaires. Cependant, il n’est pas facile de s’adresser aux Russes et de concevoir une stratégie capable de faire pièce aux campagnes de désinformation auxquelles les soumettent des médias contrôlés par le Kremlin. Cette situation n’est pas uniquement le fait des autorités russes, qui restreignent les activités des organismes indépendants : elle s’explique aussi par l’attitude des gouvernements occidentaux, qui ont réduit le financement de nombreuses organisations œuvrant dans ce domaine. À court terme, M. Poutine a peut-être pu rassembler la majorité des Russes derrière son nom, mais reste à voir s’il sera capable de conserver longtemps sa popularité, ont fait observer les participants.

ADAPTATION DE L’OTAN AUX MUTATIONS DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE

Dans l’ensemble, les participants ont estimé qu’il y a peu encore les Alliés s’accordaient à penser qu’une menace directe contre le territoire européen était une éventualité peu probable ; toutefois, les récents événements ont battu cette idée en brèche. Si les intervenants qui ont soulevé cette question ont admis que les pays membres de l’OTAN étaient confrontés à d’énormes problèmes sur les flancs Est et Sud, la plupart d’entre eux ont cependant fait montre d’optimisme, jugeant que l’Alliance serait capable de venir à bout desdits problèmes. L’OTAN a réussi à s’adapter à l’après-Guerre froide et les politiques arrêtées par ses membres – dont celle de l’élargissement – ont beaucoup contribué à faire de l’Europe un endroit plus sûr. Les solides réseaux de partenariat que l’OTAN a créés jouent un rôle majeur pour la sécurité euro-atlantique et améliorent la souplesse et l’interopérabilité de l’OTAN, ont également estimé les participants.

Le Sommet du Pays de Galles de 2014 a marqué le franchissement d’une nouvelle étape : entre autres résultats, il faut retenir l’accord intervenu au sujet de 78 tâches majeures qui accroîtront l’état de préparation des forces de l’OTAN. Par ailleurs, les domaines où l’OTAN doit faire des progrès, tels que les activités de renseignement conjointes ou le soutien médical, ont été recensés. Les opérations conduites par l’OTAN en Afghanistan, en Libye et sur d’autres théâtres ont fait apparaître des déficits capacitaires. Les participants ont admis que les coupes pratiquées par de nombreux Alliés dans leur budget de la défense avaient eu des répercussions néfastes sur l’état de préparation et l’endurance générale. Pour beaucoup de pays alliés, le problème consiste donc à conserver ou à développer une combinaison de capacités qui leur permette de résoudre les défis lancés à la sécurité à la périphérie de l’OTAN, défis très nombreux, de l’avis des participants. De plus, et par contraste avec la menace monolithique que représentait l’Union soviétique – laquelle avait des motivations « aisément compréhensibles » –, le paysage qu’offre aujourd’hui la sécurité est en constante mutation et se caractérise par une multitude de dangers et d’acteurs différents. Comme l’a dit un intervenant, le système westphalien perd du terrain, tandis que d’autres acteurs, y compris des particuliers dont la fortune personnelle dépasse le produit intérieur brut de petits pays, gagnent en importance.

L’un des atouts de l’Alliance est son aptitude à coopérer et à s’adapter à un nouvel environnement. Elle réfléchit donc à la façon de recourir à l’innovation pour permettre à ses forces armées de l’emporter sur l’ennemi dans de futurs conflits. L’un des grands domaines d’avenir est, à cet égard, le cyberespace. Aussi l’OTAN travaille-t-elle à l’élaboration d’un système global de cyberdéfense. De plus, les Alliés multiplient les exercices pour conserver le niveau d’interopérabilité atteint pendant la campagne afghane. En 2015, l’OTAN organisera Trident Juncture 2015, un exercice de grande ampleur qui mettra en œuvre plus de 25 000 hommes et qui se déroulera en Italie, au Portugal et en Espagne. Quant à la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF), de création récente, elle apportera des capacités nouvelles propres à améliorer considérablement l’aptitude de l’OTAN à faire face aux crises survenant sur ses flancs Est et Sud. Par ailleurs, il a été indiqué aux participants que Resolute Support, la mission de suivi menée en Afghanistan par l’OTAN, démontrerait clairement que cette dernière demeure capable de contribuer à la sécurité de ce pays et entend continuer à le faire.

SYRIE, IRAQ ET SÉCURITÉ DE LA RÉGION DU MOYEN-ORIENT ET DE L’AFRIQUE DU NORD

La montée en puissance aussi inopinée que rapide du soi-disant « Etat islamique en Iraq et au Levant » (EIIL) – dit aussi « Etat islamique (EI) – a été l’un des événements les plus importants de 2014 et la menace qui en découle pour la stabilité régionale et pour la sécurité des membres de l’OTAN a été l’un des principaux thèmes de discussion.

Comme son nom ne l’indique pas, l’EI n’est pas islamique et n’est pas non plus un État, a-t-il été souligné ; il n’existe que par la terreur, l’intimidation, l’extorsion et le pillage. Ce n’est pas non plus une conséquence du Printemps arabe, mais plutôt une réaction à la riposte brutale que des régimes autocratiques ont opposée aux manifestations. La Syrie offre un bon exemple de ce phénomène : la répression par Bachir el-Assad des mouvements de protestation suit le modèle instauré par le père du président syrien plus de 20 ans auparavant. Une réponse différente du régime aux revendications des manifestants aurait très vraisemblablement donné des résultats différents. L’EIIL présent en Iraq depuis dix ans, vient de trouver une nouvelle jeunesse grâce à la guerre civile en Syrie.

Dans l’ensemble, les participants ont estimé que les moyens dont disposaient les États-Unis et les autres pays occidentaux pour influer sur le cours des événements en Syrie étaient limités. Les Américains s’occupent avant tout d’accroître les capacités de l’opposition modérée et d’encourager d’autres pays à les imiter. Jusqu’ici, ils ont versé quelque 300 millions de dollars au titre de l’aide civile. En outre, ils épaulent l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, dans ses efforts pour obtenir des combattants sur le terrain des cessez-le-feu locaux.

En dernière analyse, seule une transition politique peut mettre un terme au conflit syrien, ont convenu les participants. Le régime d’el-Assad ne peut faire partie de la coalition luttant contre l’EI, même s’il se présente désormais comme tel ; les participants ont appris qu’en fait il ne combattait l’EI que depuis très peu de temps.

En Iraq, un communautarisme confessionnel toujours plus vivace a facilité l’essor de l’EIIL. Pour en venir à bout, les autorités de Bagdad doivent obtenir des tribus baasistes et sunnites qu’elles rompent avec lui, a-t-il été affirmé. De plus, les forces de sécurité iraquiennes, minées par la corruption, doivent faire l’objet d’une réforme. Une première grande étape consisterait à rétablir les fonctions de commandement. Les États-Unis sont résolus à soutenir le gouvernement et déploieront quelque 1 500 hommes dans le pays. L’assistance fournie englobe la formation des forces armées et le soutien des forces de l’ordre. Les intervenants ont souligné que la communauté internationale devait aider l’Iraq, mais qu’elle devait également exiger des autorités de Bagdad qu’elles tiennent leurs engagements quant à l’association à la vie politique de toutes les parties concernées. Malheureusement, les appels à l’aide restent très fréquemment lettre morte, ce qui tend à prouver l’existence d’une certaine « lassitude de la part des pays donateurs », ont déploré les intervenants. Les gouvernements occidentaux devraient considérer leur assistance à l’Iraq comme un investissement, a-t-on fait valoir. En aidant ce pays à vaincre l’EIIL, les Alliés agissent dans leur propre intérêt. Plus de 16 000 combattants sont venus du monde entier pour grossir les rangs de l’EISL et on constate déjà un débordement des événements de Syrie et d’Iraq dans les pays voisins.

Soucieux de prévenir toute nouvelle expansion de l’EISL et de défaire ce dernier, les États-Unis coopèrent étroitement avec leurs partenaires dans la région et avec les autres pays alliés. Dans ce contexte, les participants ont souligné le rôle de l’Arabie saoudite, qui apporte son soutien au programme « Formation & Equipement » de l’opposition syrienne ; les autorités saoudiennes offrent à cette dernière une assistance considérable. Cependant, les relations entre Washington et Riyad sont influencées par d’autres facteurs, y compris les négociations entre Téhéran et le groupe P 5+1 ; l’Arabie saoudite craint que ces négociations ne débouchent sur un marché qui conforterait l’Iran dans ses ambitions. Des participants américains ont indiqué que, même en cas d’accord sur le programme nucléaire, certaines questions controversées, comme le rôle de l’Iran en Syrie et au Liban, subsisteraient sans doute.

Les intervenants ont pressé les pays de la région prendre en considération les besoins de la jeunesse pour pouvoir venir à bout de l’EIIL et, plus généralement, de l’instabilité qui règne au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Un système éducatif offrant à la jeune génération de bonnes chances de réussir revêt ici une importance cruciale. Cependant, les experts ont estimé que les gouvernements arabes n’étaient pas capables de faire face à l’explosion démographique. Plus de la moitié des habitants de la région ont moins de 25 ans et le taux de chômage des jeunes est d’environ 20 %. Pour de nombreux jeunes Arabes, le fossé s’élargit entre leurs aspirations et la réalité. Malheureusement, ont indiqué les experts, les réformes imposées d’en haut dans les pays concernés n’ont pas donné de bons résultats dans le passé. Il faut de la part des autorités une plus grande ouverture, laquelle se fait attendre.

Les experts ont fait insisté sur le fait que les gouvernements arabes devaient préserver l’équilibre entre les mesures destinées à résoudre des problèmes de sécurité et le respect des droits humains et des libertés fondamentales et que cela n’était pas tâche facile. Hélas, certaines des méthodes employées pour parer à la menace de l’extrémisme islamiste donnent des résultats contraires à ce qui était escompté. Les mesures tendant à restreindre le pluralisme dans les sociétés, à criminaliser l’action non violente ou à étouffer les médias d’une manière sans précédent risquent d’accroître le pouvoir de séduction des organisations islamistes, plutôt que de l’atténuer, ont ajouté les experts, qui ont également demandé aux gouvernements occidentaux de ne pas faire mine de ne rien voir. Cela est d’autant plus important que, dans les pays de la région, de nombreux jeunes sont réceptifs au message de l’EIIL, un message très « hostile au pouvoir établi ». Comme l’a dit un intervenant, l’Occident sous-estime les répercussions d’une situation dans laquelle 250 000 Syriens se font massacrer par leur gouvernement sous le regard passif de la communauté internationale. Dans ce sens, les pays occidentaux n’ont pu relever le défi en 2011 et  2012, ont dit les experts, à un moment où ils étaient préoccupés par la crise financière et où, après les campagnes iraquienne et afghane, ils hésitaient à s’engager militairement.

Les intervenants ont également fait observer qu’en Afrique du Nord et au Moyen-Orient les gouvernements devaient se dresser contre les djihadistes et que les dignitaires religieux devaient s’exprimer ouvertement et dénoncer l’hypocrisie et les crimes des mouvements islamistes adeptes de la violence tels que l’EIIL. Il faudra du temps pour triompher de l’EIIL ; la traque et l’élimination de ses sources de financement sont un aspect majeur du combat contre cette organisation terroriste. D’une manière plus générale, les Alliés doivent prouver que leur modèle, fondé sur les valeurs démocratiques et le marché libre, est toujours valable. Il incombe à l’Occident de redorer son blason au moment où une nouvelle ère de compétition idéologique se profile à l’horizon. Dans leur ensemble, les experts ont fait observer que les moyens de mener ce combat existaient, mais qu’ils devaient être développés et utilisés plus efficacement.

Aujourd’hui, la Tunisie est le seul pays de la région à avoir entamé un processus de démocratisation, processus qui a donné de bons résultats jusqu’ici, mais elle reste vulnérable en raison de ses difficultés économiques. Par contre, l’autoritarisme a fait son retour en Egypte, et la Libye, où la situation est très dangereuse, pourrait bien devenir « la Syrie de l’Afrique du Nord », ont averti les experts.

LES ÉTATS-UNIS ET L’AFRIQUE

Des événements tels que la crise malienne ou la pandémie d’Ebola ont réintroduit à l’ordre du jour la sécurité en Afrique. À ce jour, les États-Unis ont consacré 703 millions de dollars pour faire face à l’épidémie d’Ebola et M. Obama a demandé au Congrès 6,2 milliards supplémentaires. En Afrique, les grandes priorités de l’administration américaine sur le plan de la sécurité sont le maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme et la consolidation du secteur de la sécurité des pays partenaires. À cette fin, le département de la Défense et le département d’Etat ont accordé aux pays africains une aide d’environ 800 millions de dollars pour l’année budgétaire 2013. Les États-Unis soutiennent le travail de plus de 60 000 agents du maintien de la paix de l’Union africaine et des Nations unies en Afrique. Les forces de maintien de la paix déployées comptent plus de 60 % d’Africains.

Le sommet qui s’est tenu en août 2014 et qui a réuni les dirigeants des États-Unis et des pays africains a permis de développer encore la coopération. À ce sommet, Washington et six Etats africains (Ghana, Kenya, Mali, Niger, Nigéria et Tunisie) ont conclu une Initiative sur la gouvernance en matière de sécurité (SGI), laquelle consiste en une stratégie globale pour l’amélioration de la gouvernance du secteur de la sécurité et de la capacité de ce dernier de parer aux menaces. La SGI est une réponse au péril que les djihadistes représentent pour le développement de l’Afrique ; elle est conçue de manière à rendre les pays africains plus sûrs pour les investisseurs étrangers. Les États-Unis ont approuvé une première dotation de 65 millions de dollars.

Autre initiative lancée lors de ce sommet : le Partenariat d’intervention rapide des forces africaines de maintien de la paix (APRRP ou A-Prep), qui vise à combler les lacunes des forces de maintien de la paix basées en Afrique et qui, plus spécifiquement, se concentrera sur l’octroi d’une aide et d’une formation aux forces armées du Sénégal, du Ghana, d’Ethiopie, du Rwanda, de Tanzanie et de l’Ouganda. Washington prévoit au titre de ce programme le versement de quelque 110 millions de dollars par an sur une période de trois à cinq ans.

Les intervenants ont estimé que, dans l’ensemble, l’Afrique avait accompli ces dernières années des progrès considérables dans le domaine de la gouvernance, ce qui se reflète, entre autres, dans la diminution du nombre de coups d’État et de conflits armés sur ce continent. Cependant, des problèmes subsistent et il sera intéressant de suivre l’évolution de la situation jusqu’en 2016, période pendant laquelle douze pays africains convoqueront une élection présidentielle. Les tentatives de suppression du nombre de mandats de responsables gouvernementaux sont préoccupantes.

Les responsables américains ont insisté sur les possibilités que l’Afrique présentait en matière d’échanges commerciaux et d’investissements. La plupart des pays connaissant les taux de croissance économique les plus rapides au monde se trouvent sur ce continent, même si la majeure partie de la croissance en Afrique provient de petits pays ou de pays qui, au départ, se caractérisaient par un faible développement économique. Une intensification des interactions économiques avec l’Afrique offre de bonnes possibilités de création d’emplois, tant en Afrique même qu’à l’extérieur. En 2013, les investissements directs étrangers sur le continent ont atteint 56 milliards de dollars. Les États-Unis aident les pays et organisations régionales africains à élargir leurs échanges et à promouvoir la croissance. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA) met en place un important programme grâce auquel les produits des pays africains signataires accèdent au marché américain en profitant d’un régime d’exemption de taxes. Il stimule la création d’emplois et permet aux signataires d’exporter. Il doit s’achever en septembre 2015, mais l’administration Obama compte le proroger. Par ailleurs, Washington soutient les efforts accrus déployés pour combattre la corruption, qui coûte chaque année des milliards aux pays d’Afrique.

Des participants ont fait observer qu’il pouvait y avoir un rôle pour l’Alliance en Afrique. Les pays africains apprécieraient certainement la possibilité de bénéficier de l’expérience de l’OTAN dans divers domaines, dont l’intégration de forces armées au sein d’une organisation internationale ou le déploiement rapide de forces. L’intervention française au Mali est un bon exemple de réaction rapide, car elle a empêché une aggravation de la crise grâce au déploiement d’un contingent de taille moyenne dès les premiers stades de celle-ci. Un resserrement de la coopération entre les Alliés et les pays africains bénéficierait aux deux parties, qui sont confrontées à des problèmes similaires, tels que les activités d’organisations djihadistes violentes comme al-Qaïda ou al-Chabab, la piraterie et les trafics illicites. En Somalie, les États-Unis, l’Union européenne et l’OTAN ont joué un rôle crucial dans le renforcement de la sécurité et leur action contre la piraterie maritime dans l’océan Indien a connu un relatif succès, a-t-il été indiqué aux participants. De surcroît, l’OTAN a déjà jeté les fondements d’une coopération avec l’Union africaine en ouvrant un bureau de liaison au siège de celle-ci, à Addis-Abeba.

Quoi qu’il en soit, la demande des pays africains en formation et en équipements ira en augmentant. Cela s’explique par les insuffisances des forces africaines et par le fait qu’aujourd’hui les opérations de maintien de la paix doivent faire face à des problèmes totalement différents. S’il existe un certain degré de coopération autour de l’Afrique entre Washington et d’autres capitales alliées (en particulier, Paris et Londres), la situation à cet égard peut être amélioré en ce qui concerne, par exemple, les processus de mobilisation de ressources. La surveillance et l’évaluation de programmes font partie intégrante des actions que mèneront les États-Unis et les autres pays alliés.

ÉTATS-UNIS : ÉLECTIONS ET QUESTIONS DE POLITIQUE INTÉRIEURE

La dernière session du Forum a été consacrée à la politique intérieure américaine. Certains participants ont indiqué que le système politique des États-Unis était soumis à de fortes tensions et que la polarisation de l’échiquier politique s’était poursuivie au point que les partis donnaient désormais l’impression d’être devenus des partis parlementaires. La polarisation idéologique n’est pas forcément synonyme de blocage, mais elle a dégénéré en un « tribalisme » qui débouche parfois sur un « pragmatisme impitoyable » dont la devise pourrait être : « Si vous êtes pour, je suis contre. » Le concept de « l’alternance de saisons politiques clairement définies » – en vertu duquel un semestre de campagne était suivi d’un semestre de gouvernance » – a disparu. Le rôle que jouent les médias dans le débat public a aggravé le problème, dès lors que c’est dans un climat de tribalisme que le modèle commercial desdits médias donne les meilleurs résultats, ont fait observer les experts. Désormais, tout est examiné à travers le prisme de la politique. Ce blocage entraîne une perte de confiance de la population dans le gouvernement, a-t-il été noté. Les changements observés dans le paysage politique ne se confinent pas aux États-Unis : on constate une prolifération de nouveaux pouvoirs, tel le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, phénomène qui transforme les démocraties en « vetocraties ». À bien des égards, on assiste à un « rajeunissement de la politique » lorsque de nouveaux acteurs font leur apparition ; malheureusement, ceux-ci ne s’attellent pas à la résolution des problèmes, ont déploré les experts. Aussi bien, le blocage politique a pris une ampleur quasi mondiale et les gouvernements se voient entravés dans leur action.

M. Obama est critiqué par ses opposants politiques, certes, mais aussi par certaines sphères de son propre parti. Cette situation, à laquelle vient s’ajouter le fait que le président passe maintenant pour un « canard boiteux », restreint plus que jamais les pouvoirs présidentiels. Cela pourrait également avoir des effets négatifs sur la concrétisation des accords commerciaux en cours de négociation. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement contribue grandement à l’approfondissement des relations transatlantiques, notamment parce qu’il favorise l’emploi et la croissance économique, ont souligné les experts.

Les intervenants ont fait observer que le rapport intitulé « Etude du programme de la CIA en matière de détention et d’interrogatoire » de la commission du Sénat s’occupant des services de renseignement reflétait l’existence d’un nombre considérable de divisions au sein du pays et que le débat transcendait les frontières partisanes. Les discussions tournent autour de l’équilibre entre le respect de la vie privée et la sécurité.

Pour ce qui est du rôle des États-Unis dans le monde, l’avis selon lequel Washington deviendrait plus isolationniste impliquerait qu’il ait effectivement la possibilité de s’isoler du reste du monde, ont fait valoir les experts. Or le monde n’autorise pas les États-Unis à devenir isolationnistes, pas plus que les États-Unis ne peuvent se permettre d’opter pour l’isolationnisme. La reprise de l’économie américaine, le dollar fort et la baisse des tarifs énergétiques influent sur de nombreuses questions intérieures et internationales. L’un des participants a soutenu que l’événement le plus important de l’année 2014 était l’effondrement des prix du pétrole. Cela correspond à l’un des transferts de recettes les plus massifs de l’histoire. Les consommateurs américains économiseront cette année 110 milliards de dollars. Grâce à une augmentation de 80 % de sa production en 2013, les États-Unis sont devenus un pays pétrolier. Cependant, les considérables restrictions budgétaires imposent aussi des limites aux initiatives et aux engagements du pays. En outre, les campagnes d’Iraq et d’Afghanistan ont rendu les Américains las de la guerre, dont l’opinion publique connaît le prix sur le double plan financier et humain.

 

Respectueusement soumis,

 

 

Madame Cheryl Gallant, députée
Présidente de l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)

 

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