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AMAD Rapport du Comité

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Ce rapport se veut complémentaire, mais je tiens à soulever certaines interrogations quant au libellé de la recommandation finale et des réserves quant à la méthodologie et l’organisation de nos travaux afin de nous acquitter de notre tâche (par exemple siéger et délibérer par extension de délais) et ce depuis le début des travaux du Comité spécial mixte (CSM) sur l’AMM. Je tiens à saluer le personnel de la Bibliothèque du Parlement pour l’investissement dont ils ont fait preuve et le travail qu’ils ont accompli au cours de cette étude, et surtout je remercie tous les témoins qui ont participé à cette étude quelle qu’en soit la manière, en témoignant et/ou en envoyant un mémoire.

  • La source du problème
  • 1-      Nous déplorons qu’en matière d’AMM le gouvernement fédéral, et ce depuis l’Arrêt Carter[1], se traine les pieds ce qui contraint les parlementaires à toujours travailler à la « va vite » à l’intérieur d’échéanciers souvent irréalistes dans des conditions qui sont loin d’être optimales tant du point de vue méthodologique que de l’organisation du travail. Nos dernières assises en sont un exemple manifeste.
  • De prolongation en prolongation
  • 2-      Prolonger un délai sans changer pour autant, une fois le délai obtenu, l’organisation du travail, initialement bancale à cause du peu de temps, ne fait que perpétuer un prolongement bancal du travail. Qu’on pense aux demandes d’extension de délais depuis l’ARRÊT CARTER. D’autre part, il suffit de colliger, tout au long des travaux du Comité spécial mixte, toutes les fois au cours desquelles, dans le mot de clôture d’un panel ou d’une séance, les présidents du comité, s’adressant aux témoins, s’excusaient du peu de temps que nous leur avions consacré. À titre d’exemple, recevoir dans une même heure trois spécialistes en ne leur donnant que 5 minutes de présentation, sans avoir reçu en amont leur mémoire (parfois parce que convoqué à la dernière minute ou par manque de temps pour la traduction) afin de mieux préparer les échanges. Ou encore, placer trois panélistes experts par heure, dont certains seront à peine questionnés parce que le témoin n’intéresse pas les autres partis… C’est loin d’être optimal. Il eut fallu s’inspirer de la méthodologie exemplaire des travaux de l’ASSNAT (Assemblée nationale du Québec) en matière d’AMM.
  • 3-      L’autre source du problème est liée au fait que contrairement à l’ASSNAT, le Parlement canadien ne sera jamais le théâtre d’une démarche consensuelle ou transpartisane quant à l’organisation des travaux, parce que les Conservateurs sont incapables de ne pas être partisans lorsqu’il s’agit d’AMM. Tous les moyens sont bons pour mettre les bâtons dans les roues.
  • 4-      Pendant qu’à Ottawa on était incapable de proactivité et d’une démarche transpartisane, l’Assemblée nationale du Québec (ASSNAT) amorçait en 2012 des travaux transpartisans et des consultations qui allaient conduire trois ans plus tard à la première « loi concernant les soins de fin de vie[2] ». Quant au gouvernement canadien et à la Chambre des communes, ils refusaient d’être proactifs en matière d’AMM en rejetant par exemple les projets de loi de Francine Lalonde et en ne présentant aucun projet de loi émanant du gouvernement en la matière.
  • 5-      D’ailleurs, en matière d’AMM, c’est la Cour suprême qui a obligé la Chambre des communes en 2015 à modifier le Code criminel afin de répondre aux demandes des patients qui voyaient leurs droits constitutionnels bafoués.
  • 6-      Quant à nos récents travaux en lien avec la recommandation 13 du rapport du Comité spécial mixte (CSM) sur l’AMM déposé en février 2023[3], il est clair que l’hésitation du gouvernement à reconstituer le comité dès la fin septembre pour que le CSM siège dès le début octobre aura eu pour effet de limiter l’échéancier des séances de travail et de se doter d’une méthodologie plus adéquate. Il faut déplorer que nous n’ayons pas eu accès aux mémoires des principaux témoins experts en lien direct avec le mandat spécifique à l’étude ni eu accès aux compléments d’information demandés pour établir la pertinence de certains témoignages.
  • Sur le fond : la nécessité d’ouvrir l’aide médicale à mourir (AMM) aux TM comme SPMI
  • 7-      Le Bloc québécois est d’avis que l’arrêt Carter et le jugement Beaudoin[4] justifient l’ouverture de l’AMM aux personnes aux prises avec un TM-SPMI dont la souffrance chronique est devenue intolérable.
  • 8-      Les tribunaux (Arrêt Carter, Jugement Beaudoin) ont établi que, sur le fond, une interdiction absolue de l’AMM pour les personnes aux prises avec un trouble mental comme seul problème médical invoqué (TM-SPMI) serait discriminatoire et injustifiée. Au nom de quoi l’État devrait — il porter atteinte ou restreindre le droit à l’autodétermination d’une personne atteinte d’un TM alors que sa capacité décisionnelle n’est pas affectée ?
  • 9-      Le rôle de l’État ce n’est pas de prétendre (en matière aussi intime que sa propre mort), savoir mieux que la personne aux prises avec des souffrances intolérables ce qui est son bien (bienfaisance). Le rôle de l’État est d’assurer les conditions d’exercice d’un choix libre et éclairé de la personne.  
  • 10-  Le droit et l’éthique clinique ont déjà reconnu au patient le droit à l’autodétermination de sa personne. Le consentement libre et éclairé, la décision éclairée, l’exercice de la capacité décisionnelle du patient lorsqu’elle a bien été établie selon les règles de l’art, s’oppose au paternalisme médical. Ainsi, la littérature de bioéthique explique que nous sommes passés de l’acharnement thérapeutique à la reconnaissance du droit de mourir. À partir de ce moment, l’acharnement curatif motivé par un paternalisme médical a dû faire de la place à la volonté du patient et au droit du patient de se prévaloir des soins palliatifs, des soins de confort et plus tard de l’AMM. D’autre part, ce respect de l’autonomie et du droit à l’autodétermination de la personne du patient souffrant aura mené, dans la pratique clinique et le droit, à la reconnaissance du refus d’un traitement vital et la cessation de traitement comme éléments d’une bonne pratique médicale.
  • 11-  Pourquoi en serait-il autrement pour certains patients aux prises avec un Trouble Mental dont la souffrance est devenue intolérable et dont la chronicité a été établie dans le temps et dont le dossier médical démontre sans l’ombre d’un doute que tous les traitements disponibles ont été dispensés sans une amélioration permanente ou un allègement significatif de la souffrance devenue intolérable ?
  • Faire une demande ne signifie pas être admissible
  • 12-  Le Rapport du groupe d’experts[5] qui a suggéré les conditions à partir desquelles l’AMM pourrait s’étendre aux TM — SPMI sont claires. Ce n’est pas parce qu’un patient fait une demande qu’il sera éligible.
  • 13-  Selon Stéphanie Green[6], est non éligible une personne :
  • a)      En crise suicidaire
  • b)      Nouvellement prise en charge et diagnostiquée
  • c)      Dont la demande repose sur des vulnérabilités structurelles
  • d)      Qui refuse sans justifications tous les traitements qui pourraient améliorer sa condition
  • e)      S’il existe des traitements accessibles et efficaces
  • f)       Si les évaluateurs ne peuvent se prononcer sur tout ou une partie des critères
  • 14-  Parce qu’on reconnait que pour les TM l’irrémédiabilité et l’incurabilité ne sont pas toujours aussi faciles à établir que pour les maladies de la voie 1 (bien que l’intensité de la souffrance puisse être similaire), et que les idéations suicidaires doivent être distinguées d’une volonté réfléchie et constante d’AMM, le Collège des médecins du Québec a élaboré des balises, cinq conditions pour éviter toute dérive[7] :
  • a)      Premièrement, la décision d’accorder l’aide médicale à mourir dans un cas de trouble mental ne doit pas s’inscrire uniquement dans un épisode de soins, mais doit être prise au terme d’une évaluation globale et juste de la situation de la patiente ou du patient.
  • b)      Deuxièmement, il ne doit pas y avoir d’idéation suicidaire, comme dans un cas de trouble dépressif majeur.
  • c)      Troisièmement, la souffrance psychique intense et continue, confirmée par des symptômes graves et une atteinte du fonctionnement global, est présente sur une longue période et enlève à la patiente ou au patient tout espoir d’allègement quant à la lourdeur de sa situation. Cela l’empêche de se réaliser dans un projet de vie et fait perdre toute signification à son existence.
  • d)      Quatrièmement, on doit être en présence d’un long parcours de soins avec des suivis appropriés, des essais multiples de thérapies disponibles et reconnues comme efficaces, de même qu’un accompagnement psychosocial soutenu et éprouvé.
  • e)      Cinquièmement, une évaluation multidisciplinaire des demandes doit avoir été faite en présence essentielle du médecin ou de l’infirmière-praticienne spécialisée en santé mentale ayant assumé le suivi de la personne, et celle d’un psychiatre consulté dans le cadre précis de la demande d’aide médicale à mourir.
  • 15-      Et de conclure le CMQ :
  • a)      Nous estimons que, si ces balises étaient respectées, les personnes souffrant d’un trouble grave et irréversible de santé mentale pourraient bénéficier, elles aussi, de l’aide médicale à mourir. Il faut éviter que les personnes qui n’ont pas accès aux soins appropriés, qui ne jugent pas acceptables les services offerts, par exemple l’hébergement prolongé sans perspective de regagner davantage d’autonomie, optent, en désespoir de cause, pour l’aide médicale à mourir.
  • L’État de préparation pour une application sure et efficace
  • 16-  La preuve d’une accessibilité de fait liée à un degré de préparation uniforme sur tout le territoire canadien pour une application sure et adéquate de l’AMM pour le TM-SPMI n’a pas été démontrée parce que le CSM (Comité spécial mixte) n’a pas entendu toutes les autorités réglementaires d’un océan à l’autre. Toutefois, on ne peut pas ne pas considérer le fait que le Québec a décidé de ne pas aller de l’avant avec l’AMM pour les TM-SPMI et que le Collège des médecins, tout en étant favorable à l’AMM pour les TM - SPMI a bien indiqué en réponse aux questions de la sénatrice Mégie qu’il en était encore au niveau de la participation à la conversation, et qu’au Québec du travail restait à faire, tout en réaffirmant qu’il serait souhaitable « un jour » que l’AMM pour les TM-SPMI soit accessible aux patients[8].
  • La résistance dans les milieux de soins et la souffrance des patients
  • 17-  Les psychiatres sont divisés sur la question de l’AMM pour les TM-SPMI pratiquement en deux groupes principalement sur la question de l’irrémédiabilité et de l’irréversibilité. On ne peut pas laisser les patients aux prises avec les conséquences potentielles de ces résistances terrain. À titre d’exemple, rappelons-nous les leçons de l’Arrêt Morgentaler[9], les rapports Badgley et Powel sur les limitations provinciales et institutionnelles de l’accessibilité aux mesures disculpatoires qui devenaient illusoires en pratique et le tort que cela a pu causer aux patientes. Le Comité n’a pas eu la possibilité d’explorer les conséquences cliniques, pratico-pratiques, concrètes que ses résistances auraient sur les patients.
  • a)      Force est de constater que le « consensus social » que l’on considère qu’il soit ou non nécessaire pour aller de l’avant n’est clairement pas au rendez-vous quand on le compare aux problèmes neurocognitifs dégénératifs (démences, Alzheimer…).
  • b)      Tant dans les milieux médicaux que dans la population en générale, les demandes de consentement anticipées d’AMM pour les maladies cognitives dégénératives font consensus.
  • c)      Pourtant à ce jour, le gouvernement n’a pas donné signe de la moindre intention de déposer un projet de loi d’ici la fin de cette législation pour aller de l’avant avec les demandes anticipées, alors que l’ASSNAT du Québec vient d’adopter une loi et que d’un océan à l’autre il y a un large consensus en la matière avec des taux d’approbation, selon les sondages, allant de + ou — 87 à 60 %. C’était une recommandation importante du précédent rapport du CSM . Le gouvernement est-il encore en train de se trainer les pieds ? Devrons-nous attendre que des patients se suicident et mettent fin à leur vie prématurément ?
  • Le rapport du CSM
  • 18-  Ainsi, si le rapport traduit effectivement ce que nous avons entendu et ce qui était à notre disposition (les témoignages lors des auditions) pour parvenir à faire des recommandations, le libellé bancal de la recommandation finale et le flou quelle introduit quant aux délais requis pour rendre accessible l’AMM aux TM-SPMI traduits fidèlement l’incapacité du Comité à trancher la question. Toutefois, il demeure un fait incontournable, même si on doit reconnaitre que du travail a été fait, même si le gouvernement fédéral a fait faire du travail en amont, avec la mise en place du Groupe de travail sur les normes de pratiques conformément à la recommandation du groupe d’experts, il n’a pas su donner le temps nécessaire au Comité spécial mixte pour effectuer un travail rigoureux et méthodologiquement valable pour trancher la question au-delà de la conviction que le degré de préparation n’est pas uniforme sur tout le territoire et qu’il reste du travail à faire.
  • a)      La conséquence malheureuse de cette situation c’est qu’entre temps, dans la vraie vie, il est vraisemblable, encore une fois, que des patients atteints de TM comme SPMI se retrouve devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits constitutionnels.
  • b)     Pourquoi laisser ce fardeau sur les épaules des patients souffrants ? Pourquoi ne pas demander à la Cour Suprême dès maintenant de clarifier et de trancher spécifiquement cette question.
  • 19-  Réserve quant au libellé de la seule recommandation du CSM
  • « Considérant que le comité constate que le système au Canada n’est pas prêt pour L’Aide médicale à Mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué (ci-après « AMM TM-SPMI »), il recommande :
  • a.      Que l’AMM TM-SPMI ne soit pas disponible au Canada tant que le que le ministre de la Santé et le ministre de la Justice ne seront pas d’avis, sur la base des recommandations de leurs ministères respectifs et en consultation avec leurs homologues provinciaux et territoriaux respectifs et avec les peuples autochtones, qu’elle peut être administrée de manière sécuritaire et adéquate.
  • b.      Qu’un an avant la date où l’on prévoit que l’AMM TM-SPMI sera permise, conformément à l’alinéa (a), la Chambre des communes et le Sénat rétablissent le comité spécial sur l’Aide Médicale à Mourir afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sure et adéquate de l’AMM TM-SPMI. »
  • a)      Il n’y a pas « un système de santé », il y a des systèmes de santé au Canada dont les soins sont sous la responsabilité des territoires, des provinces et du Québec.
  • b)      Le Code Criminel est de compétence fédérale mais les soins de santé sont dispensés par le Québec, les provinces et les territoires. On ne peut éluder cette réalité.
  • c)      Il revient au législateur et à la Chambre de se prononcer sur l’AMM TM-SPMI. Or, le libellé de la motion renvoie cette responsabilité au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif via les ministres de la Santé et de la Justice et les fonctionnaires de leurs ministères. Ceci rend pour le moins flou la suite des choses quant à l’application de la loi au 17 mars 2024. Quels sont les délais induits ici ?
  • d)      Et si par hasard ces ministres de la Santé et de la Justice (avant ou après la prochaine élection ?) décidaient que le fruit est tout à coup mûr, le comité spécial mixte devrait être reconstitué au moins un an avant l’application de cette décision pour mesurer l’état de préparation du terrain pour une application sûre et adéquate de l’AMM pour les TM-SPMI. On en serait rendu à un report de combien d’années ?
  • e)      Le libellé de la recommandation témoigne de l’incapacité du comité en trois séances de travail à pouvoir statuer sérieusement sur autre chose que le fait que nous ne sommes pas en mesure de prendre une décision ni de recommander quoi que ce soit à la Chambre. Mise à part une conviction, le terrain n’est pas uniformément prêt sur tout le territoire.
  • f)       En ce sens, le Bloc considère que le terrain n’est pas près. Le degré de préparation n’est pas le même d’un océan à l’autre. D’ailleurs, en ce qui concerne le Québec, le témoignage du Collège des médecin en tant qu’organisme réglementaire chargé de produire non seulement des balises en lien avec les normes de pratiques produites par le groupe de travail fédéral, mais aussi des lignes directrices pour encadrer la pratique nous a clairement indiqué qu’il restait du travail à faire et qu’on en était encore au niveau de la participation à la discussion même si on souhaitait un jour que soit possible l’AMM pour les TM-SPMI.

[1] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5.  

[2] Québec, Loi concernant les soins de fin de vie, ch. S-32.0001, 40e législature, 1re session.

[4] Truchon c. Procureur général du Canada, Procureur général du Canada. 2019, QCCS 3792.

[6] Stephanie Green, Mémoire écrit au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (AMM) Concernant notre état de préparation à permettre l’accès à l’AMM pour les personnes dont le seul problème médical sous-jacent est un trouble mental (MD-SUMC), novembre 2023.

[7] Collège des médecins, Témoignage - AMAD-no.40-Parlement du Canada, 28 novembre 2023.

[8] Collège des médecins, Témoignages - AMAD (44-1) - no 40 - Parlement du Canada, 28 novembre 2023.