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AMAD Rapport du Comité

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Le gouvernement libéral doit abandonner l’AMM pour les troubles mentaux  

Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir : Opinion complémentaire des conservateurs

Ce rapport complémentaire reflète les opinions des conservateurs qui siègent au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (le « Comité ») : L’honorable Yonah Martin (sénatrice, Colombie-Britannique), Shelby Kramp-Neuman, députée (Hastings-Lennox et Addington), Michael Cooper, député (St. Albert-Edmonton), l’honorable Ed Fast, C.P., député (Abbotsford).

Introduction

Les faits sont clairs. Le Canada n’est pas prêt pour l’expansion de l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué (AMM TM-SPMI). Par conséquent, les conservateurs approuvent la recommandation du Comité selon laquelle le gouvernement ne devrait pas aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI. Toutefois, par souci de clarté, les conservateurs demandent au gouvernement libéral de présenter immédiatement un projet de loi visant à suspendre pour une durée indéfinie l’AMM TM-SPMI. Selon la prépondérance des preuves, l’AMM TM-SPMI ne peut pas être mis en œuvre en toute sécurité.

L’AMM TM-SPMI pose de sérieux problèmes que nous souhaitons développer. Le principal d’entre eux est le fait que (1) il est difficile, voire impossible, de déterminer l’irrémédiabilité d’un trouble mental dans des cas individuels ; et (2) il est difficile pour un clinicien de faire la distinction entre une demande « rationnelle » d’AMM TM-SPMI et une demande motivée par des idées suicidaires. Tant que ces questions ne sont pas résolues, il est impossible de mettre en œuvre l’AMM TM-SPMI en toute sécurité. D’autres problèmes indiquent un manque de préparation, notamment l’inadéquation du matériel de formation et des normes de pratique, ainsi que l’absence de consensus parmi les professionnels de la santé. Ces problèmes, ainsi que d’autres, sont abordés dans ce rapport complémentaire.

D’emblée, nous souhaitons souligner l’incompétence de l’approche adoptée par le gouvernement libéral à l’égard de l’AMM TM-SPMI. Cette approche est tout simplement chaotique. C’est ce que souligne la recommandation du rapport principal, appuyée par tous les partis reconnus à la Chambre des communes, qui demande au gouvernement libéral de ne pas aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI. Nous n’aurions jamais dû en arriver là. C’est la conséquence d’un gouvernement qui a fait passer une idéologie aveugle avant une prise de décision fondée sur des preuves.

Nous nous retrouvons, pour la deuxième fois, à l’approche d’une date limite pour la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI sans être préparés. Nous sommes ici parce que l’ancien ministre de la Justice, David Lametti, a accepté un amendement sénatorial radical de la onzième heure pour lancer l’extension de l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cette décision a été prise en l’absence d’une étude et d’une consultation suffisantes sur ce qui équivaut à une extension significative de l’AMM, ayant un impact sur les personnes les plus vulnérables de la société canadienne. Si une étude adéquate avait eu lieu avant que cette décision ne soit prise, aucun gouvernement responsable ne serait allé de l’avant avec l’AMM TM-SPMI.

Irrémédiabilité

Au cours de l’année écoulée, aucun progrès significatif n’a été réalisé en vue de résoudre l’enjeu fondamental de la détermination précise de l’irrémédiabilité dans le contexte de l’AMM TM-SPMI. Tant que cet enjeu n’est pas résolu, il serait imprudent et dangereux pour le gouvernement libéral d’aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI pour au moins deux raisons. Premièrement, une telle expansion entraînera la mort prématurée de personnes souffrant de troubles mentaux qui, autrement, auraient pu se rétablir. Deuxièmement, la difficulté de déterminer l’irrémédiabilité jette un doute sur la possibilité de mettre en œuvre l’AMM TM-SPMI conformément à la loi. En effet, pour pouvoir bénéficier de l’AMM, une personne doit souffrir d’un état pathologique « grave et irrémédiable ».

L’irrémédiabilité est définie à l’article 241.2(1) du Code criminel comme une condition médicale « incurable » et dans un « déclin avancé et irréversible. »[1] En d’autres termes, pour être admissible, un évaluateur de l’AMM doit être convaincu que l’état de la personne ne s’améliorera pas.

Le rapport de mai 2022 du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale (le « Groupe d’experts ») a reconnu la difficulté de déterminer le caractère irrémédiable d’un trouble mental :

« L’évolution de nombreux troubles mentaux, comme d’autres problèmes de santé chroniques, est difficile à prévoir pour un individu donné. Les connaissances sur le pronostic à long terme de nombreuses maladies sont limitées et il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l’avenir d’un patient donné. »[2] [accent ajouté]

Les difficultés relatives à la détermination de l’irrémédiabilité figuraient parmi les raisons citées dans une lettre de décembre 2022 signée par l’Association of Chairs of Psychiatry in Canada, qui comprend les chefs des départements de psychiatrie des 17 facultés de médecine, demandant au gouvernement de retarder la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI.[3] À la suite de cette lettre, les libéraux ont présenté le projet de loi C-39 visant à retarder la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI d’un an, soit de mars 2023 à mars 2024.

Les preuves présentées au Comité démontrent qu’aucun progrès n’a été réalisé en ce qui concerne la détermination de l’irrémédiabilité. Lorsqu’on a demandé à la Dre Mona Gupta, présidente du groupe d’experts, si quelque chose avait changé depuis que le rapport du groupe d’experts de mai 2022 avait conclu qu’il était « difficile, voire impossible » de prédire l’irrémédiabilité, elle a répondu : « non, rien n'a changé depuis mai 2022 ».[4]

D’autres psychiatres qui ont comparu devant le Comité ont également convenu que rien n’avait changé. Par exemple, lorsqu’on a demandé au Dr Jitender Sareen, directeur du département de psychiatrie de l’Université du Manitoba, si nous étions plus près de déterminer de manière fiable l’irrémédiabilité qu’il y a un an, il a répondu : « rien n'a changé depuis un an ».[5] De même, le Dr Tarek Rajji, médecin-chef du Comité médical consultatif du Centre de toxicomanie et de santé mentale, a dit : « Il n’y a aucune preuve scientifique à l’appui. Nous ne pouvons toujours pas, à l’heure actuelle, déterminer sur le plan individuel si la personne a une maladie irrémédiable ou non. »[6]  Le Dr Sonu Gaind, chef du Département de psychiatrie à Sunnybrook Health Centre à Toronto a dit : « les données produites un peu partout dans le monde démontrent que le caractère irrémédiable ne peut pas être prédit dans le cas des maladies mentales. »[7]

Plusieurs psychiatres de renom ont averti le Comité que cette difficulté signifie que l’AMM TM-SPMI ne peut pas être mise en œuvre en toute sécurité. Les décisions de l’AMM dans le cas d’un trouble mental seront basées sur « de pressentiments et de suppositions qui pourraient être complètement erronés ». [8] Selon le Dr Gaind, les preuves montrent que « les prédictions [sur l’irrémédiabilité] sont erronées dans plus de la moitié des cas ». [9] En tant que tel, le Dr Gaind a affirmé que cela « signifie que [les prestataires de l’AMM offriraient] la mort sous de faux prétextes ». [10]

 Le caractère inapproprié d’aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI, compte tenu de ce niveau d’incertitude, est soulignée par la preuve que les personnes souffrant d’un trouble mental peuvent souvent se rétablir « grâce à des traitements fondés sur des données probantes ».[11] Selon le Dr Sareen :

« Contrairement aux conditions physiques qui déclenchent les demandes d’AMM, nous ne comprenons pas le fondement biologique des troubles mentaux et de la toxicomanie, mais nous savons que ces troubles peuvent être résorbés au fil du temps. »[12]

Les troubles mentaux sont différents des maladies telles que le cancer en phase terminale pour lesquelles les Canadiens peuvent avoir accès à l’AMM. Contrairement au cancer, il est difficile, voire impossible, d’être certain de l’évolution future d’un cas individuel lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.[13]

Bien que le rapport du Groupe d’experts reconnaisse la difficulté de déterminer l’irrémédiabilité, il recommande que les évaluations soient effectuées « au cas par cas », en l’absence de critères objectifs. Le groupe d’experts a recommandé que « le demandeur et les évaluateurs doivent parvenir à une vision commune selon laquelle la personne souffre d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable », y compris en tenant compte des tentatives de traitement antérieures.[14]

Nous soutenons que cette approche est cavalière, inadéquate et qu’elle entraînera la mort prématurée de personnes qui pourraient se rétablir. Elle suppose à tort que parce qu’une personne n’a pas encore été soulagée d’un trouble mental, elle ne peut pas l’être. S’appuyer sur l’accord d’un évaluateur et d’un demandeur « au cas par cas » est particulièrement imprudent face à la rareté des preuves que la personne souffrante n’ira pas mieux.

Le Dr Sareen, s’exprimant au nom de huit chaires de psychiatrie de facultés de médecine du Canada, a dit que « nous recommandons instamment de suspendre durablement l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux troubles mentaux comme seul problème médical invoqué au Canada ». Comme le Dr Sareen l’a succinctement exprimé : « Tout simplement… nous ne sommes pas prêts ». Cette évaluation a été partagée par d’autres éminents psychiatres qui ont comparu devant le Comité.[15]

Les conservateurs sont d’accord. Étant donné que les dispositions de l’AMM du Canada sont destinées à être réservées à ceux qui ne peuvent pas se rétablir, l’AMM TM-SPMI ne peut pas aller de l’avant de manière appropriée avant que la question fondamentale de l’irrémédiabilité ne soit résolue. En outre, il serait juridiquement incohérent, eu égard à la condition préalable de souffrir d’une maladie ou d’une affection irrémédiable pour être admissible à l’AMM.

Suicide

L’ensemble des preuves démontre qu’il est difficile pour les cliniciens de distinguer une demande AMM TM-SPMI « rationnelle » d’une demande motivée par des idées suicidaires. Cette difficulté est soulignée par le fait qu’environ 90 % des personnes qui se suicident souffrent d’un trouble mental pouvant être diagnostiqué. [16] Cette difficulté est cliniquement et socialement problématique. Tant que cette difficulté sera présente, la frontière entre la prévention du suicide et l’assistance au suicide sera floue.[17] 

Le Dr Gaind a expliqué :

« Les données scientifiques démontrent l’impossibilité de distinguer entre les idéations suicidaires causées par la maladie mentale et les conditions qui conduisent à faire une demande d’AMM pour des motifs psychiatriques. Les caractéristiques en commun dans les deux situations laissent entendre qu’il n’y a peut-être aucune distinction à établir. »[18]

Interrogé sur la manière dont les psychiatres sont formés pour séparer les idées suicidaires des demandes d’AMM psychiatriques, le Dr Sareen a répondu :

« Il n’y a pas de définition opérationnelle claire qui permet de faire la différence entre quelqu’un qui demande l’AMM et quelqu’un qui veut se suicider alors qu’il n’est pas mourant. C’est ce qui fait la différence à l’échelle internationale. Si quelqu’un est mourant, on peut considérer qu’il s’agit d’une demande d’AMM. Si ce n’est pas le cas, on parle de suicide. C’est très difficile, et il n’y a pas de définition opérationnelle. »[19]

Dans le même ordre d’idées, le Dr Rajji a fait remarquer :

« Il n’y a pas de moyen évident de cerner les idées suicidaires ou une intention suicidaire dans les demandes d’aide médicale à mourir. Il faut donc tenir des discussions pour parvenir à un consensus et à un accord, entre professionnels, au sujet de la partie de l’histoire d’une personne atteinte d’une maladie qui permettrait de distinguer les deux cas. Ce n’est pas simple. »[20]

Le Dr Sareen a mis en garde contre le fait que l’AMM TM-SPMI facilitera les décès inutiles et sapera les efforts de prévention du suicide.[21]  Il a également souligné le phénomène de contagion des suicides liés à l’AMM :

« Quand une société offre l’AMM, la population croit que c’est un moyen de mettre fin à la souffrance. Dans d’autres pays où l’AMM est possible pour les troubles mentaux, il y a non seulement des décès attribuables à cette procédure, mais il y a aussi des décès attribuables à des suicides non liés à l’AMM. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’un mécanisme de prévention du suicide. […] On va non seulement faire augmenter le nombre de décès par suicide, mais aussi le nombre de décès liés à l’AMM. »[22]

Compte tenu de ce qui précède, les conservateurs détestent l’inévitabilité du fait que l’AMM TM-SPMI conduira à un suicide facilité par l’État. Le Groupe d’experts a rejeté avec désinvolture cette grave préoccupation, en déclarant :

« En autorisant l’AMM dans de tels cas, la société fait le choix éthique de permettre à certaines personnes de bénéficier de l’AMM au cas par cas, peu importe si l’AMM et le suicide soient considérés comme distincts ou non. »[23]

Sans plus, ce raisonnement est moralement pervers et en décalage avec les mœurs éthiques de la plupart des Canadiens. La plupart des Canadiens ne souhaitent pas que l’État facilite le suicide comme solution à la souffrance psychologique.[24] Les conservateurs estiment que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale méritent de l’aide et de l’espoir, et non un suicide facilité par l’État. L’AMM TM-SPMI empêchera la première solution tout en garantissant la seconde. Face à cela, nous estimons que l’adoption de l’AMM TM-SPMI est une erreur et une profonde imprudence.

Normes de pratique et ressources de formation inadéquates

Les partisans de la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI soulignent que l’élaboration de ressources de formation et de normes de pratique démontre l’état de préparation. Plus précisément, ils citent le Programme canadien de formation sur l’AMM élaboré par l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM (ACEPA), ainsi que le Modèle de norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir élaboré par le Groupe de travail nommé par le gouvernement libéral. Les conservateurs ne sont pas d’accord. Ni le développement du programme de formation de l’ACEPA, ni le Modèle de norme de pratique ne sont satisfaisants. Ils n’abordent pas les questions fondamentales de l’irrémédiabilité et de la suicidalité qui, pour les raisons expliquées ci-dessus, sont des conditions préalables à la préparation.

Les témoins du Comité, Julie Campbell, qui a comparu au nom de l’ACEPA, et le Dr Gordon Gubitz, qui a comparu au nom de Nova Scotia Health, ont été incapables d’identifier des critères spécifiques dans le programme de formation de l’ACEPA pour aider les cliniciens à déterminer l’irrémédiabilité.[25] Sans plus, l’absence de critères sur une question aussi importante que l’irrémédiabilité représente un échec complet de la part de l’ACEPA à préparer adéquatement les cliniciens pour l’AMM TM-SPMI.

Dans le même ordre d’idées, le Dr Gaind a qualifié le programme de « tout à fait inadéquat ».[26] En ce qui concerne la suicidalité, le Dr Gaind s’est dit choqué, déclarant que le programme « comprend 10 pages, dont cinq diapositives avec du contenu et un clip audio de quatre minutes et demie. »[27] Il a qualifié cette formation de « dangereuse », car elle conduirait les évaluateurs à croire qu’ils peuvent distinguer la suicidalité d’une demande d’AMM psychiatrique, en l’absence de preuves à l’appui.[28]

Des problèmes similaires existent avec le Modèle de norme de pratique. Le Modèle de norme de pratique n’offre pas de lignes directrices pour déterminer l’irrémédiabilité ou pour distinguer la suicidalité d’une demande d’AMM psychiatrique.

Nous sommes également alarmés par la définition large des « troubles mentaux » prévue par le Modèle de norme de pratique. Il stipule que tout ce qui figure dans le DSM5-TR peut être considéré comme un trouble mental aux fins de l’accès à l’AMM.[29] Le DSM5-TR énumère un large éventail de troubles et de conditions, dont la dépression, l’anxiété, la schizophrénie et les troubles de la personnalité, entre autres.[30] Bien que le contexte législatif sur le Projet de loi C-7 indique que la « maladie mentale » aux fins de l’AMM se réfère généralement « les affections qui relèvent principalement du domaine de la psychiatrie, »[31] il n'existe pas de sauvegardes législatives pour assurer la protection des personnes souffrant de troubles mentaux qui sont généralement traités par des spécialités autres que la psychiatrie, comme les troubles du spectre autistique. Plusieurs témoins ont confirmé que cette définition large pourrait même rendre les personnes souffrant de troubles liés à l’abus de substances éligibles à l’AMM TM-SPMI.[32]

Cette éligibilité radicalement élargie illustre à quel point le Canada est en train de s’engager sur une « pente glissante », prévenue à l’avance mais trop souvent ignorée. Si elle était mise en œuvre, la portée de l’AMM changerait fondamentalement pour s’apparenter à un suicide sanctionné et facilité par l’État, ce qui porterait atteinte à la dignité humaine et au caractère sacré de la vie.

Mettant de côté nos préoccupations de fond concernant le programme de formation de l’ACEPA et le Modèle de norme de pratique, d’autres problèmes liés à la mise en œuvre de ces matériels témoignent d’un manque de préparation. L’adoption du Modèle de norme de pratique a été inégale dans les provinces et les territoires. Nous notons que le Québec a modifié sa loi sur l’AMM pour interdire expressément l’AMM TM-SPMI. Le programme de formation de l’ACEPA a été peu adopté par les professionnels de la santé. Un minuscule deux pour cent des psychiatres du Canada se sont inscrits au programme de formation de l’ACEPA[33] – un programme qui n’a été dévoilé qu’à l’automne 2023.

Les témoignages des membres du Comité ont également souligné l’absence de lignes directrices pour la pratique clinique. Le Dr Rajji, qui a comparu devant le Comité au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale, a déclaré que les professionnels de la santé « disent clairement » au Centre de toxicomanie et de santé mentale qu’il faut « de directives mieux définies ».[34] Toutes ces lacunes pratiques et logistiques démontrent que, indépendamment des mérites de l’AMM-SPMI, le Canada n’est pas prêt à ce que l’AMM-SPMI entre en vigueur en mars 2024. 

Absence de consensus parmi les professionnels de la santé

Notre position selon laquelle l’AMM TM-SPMI ne devrait pas être mis en œuvre est soulignée par l’absence de consensus, et en fait l’opposition générale, de la part des professionnels de la santé. Ce manque de consensus et cette opposition générale ne se limitent pas à la question de l’état de préparation à partir de mars 2024. Elle s’applique également à la pertinence de l’AMM TM-SPMI en général.

Interrogée sur le consensus parmi les psychiatres, la Dre Alison Freeland, représentant l’Association des psychiatres du Canada (APC), n’a pas été en mesure de confirmer l’existence d’un consensus.[35] Le Dr Sareen a noté que « la plupart des sondages attestent que la majorité des psychiatres sont contre l'AMM pour troubles mentaux ».[36]

Une enquête menée en octobre 2023 auprès des psychiatres du Manitoba a révélé que 49 % des psychiatres de cette province s’opposent à la loi légalisant l’AMM TM-SPMI, contre seulement 33 % qui la soutiennent.[37] Le sondage a également révélé qu’une écrasante proportion de 80 % des psychiatres du Manitoba croient que le Canada n’est pas prêt à mettre en œuvre l’AMM TM-SPMI.[38] Un sondage réalisé en octobre 2021 par l’Ontario Medical Association a révélé que 56 % des répondants ne sont pas d’accord ou pas du tout d’accord avec le fait que l’AMM TM-SPMI devrait être disponible, contre seulement 28 % des répondants qui sont d’accord ou tout à fait d’accord.[39]

Ces résultats reflètent l’équilibre des témoignages des témoins experts non militants qui ont comparu devant le Comité. Nous observons que la plupart des témoignages que le Comité a entendus en faveur de la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI provenaient de personnes ayant un passé d’activiste de l’AMM, ainsi qu’une implication dans le développement du programme de formation de l’ACEPA et du Modèle de norme de pratique, qui, sans surprise, « notent favorablement leurs propres devoirs ».

Cette absence de consensus et cette opposition générale devraient faire réfléchir le gouvernement. Nous pensons qu’il doit y avoir quelque chose qui se rapproche d'un consensus professionnel avant que l’AMM TM-SPMI puisse être mise en œuvre. Après tout, l’AMM TM-SPMI implique des décisions de vie ou de mort et aura un impact sur certaines des personnes les plus vulnérables de la société canadienne. Tout ce qui n’est pas un soutien massif de la part des professionnels de la santé jette un doute sérieux sur la pertinence du concept de l’AMM TM-SPMI, sans parler de la question de l’état de préparation.

Autres considérations

L’AMM TM-SPMI n’est pas une obligation constitutionnelle, c’est une décision politique

La mise en œuvre de MAID MD-SUMC est une décision politique de la part gouvernement libéral.

Certains partisans de l’AMM TM-SPMI ont tenté de « brouiller les pistes » en affirmant que l’AMM TM-SPMI est une obligation constitutionnelle. Par exemple, la professeure Jocelyn Downie, une importante militante de l’AMM, a cité au Comité la décision Carter de la Cour suprême du Canada, ainsi que la décision EF de l’Alberta, à l’appui de cette affirmation.[40] L’ancien ministre de la Justice, David Lametti, a affirmé être contraint par les tribunaux lorsqu’il a tenté de justifier cette expansion.

Respectueusement, cette affirmation est sans fondement. Notre point de vue est étayé par l’analyse de 28 professeurs de droit qui ont signé une lettre affirmant que l’AMM TM-SPMI n’est pas constitutionnellement nécessaire.[41]

Les professeurs de droit ont noté que dans Carter, la Cour suprême a explicitement déclaré que l’AMM dans les cas de troubles psychiatriques « ne s'appliqueraient pas » à la décision.[42] Les paramètres de Carter sont limités aux faits précis de cette affaire. Par conséquent, comme l’observent les professeurs : « La Cour suprême du Canada n'a jamais conclu qu'il existe un droit constitutionnel général d'obtenir un suicide assisté par un fournisseur de soins de santé en fin de vie. »

En ce qui concerne EF, la Cour d’appel de l’Alberta a interprété l’arrêt Carter comme n’excluant pas les maladies mentales. Cependant, la décision EF a été rendu avant l’adoption du projet de loi C-14, dont l'effet était d'interdire l’AMM TM-SPMI. De plus, la Cour d’appel de l’Alberta a nuancé sa décision en déclarant : « Les questions qui pourraient être soulevées au sujet de l’interprétation et de la constitutionnalité d’une loi éventuelle devraient évidemment attendre que la loi ait été promulguée. » [43] Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel devant la Cour suprême et aucun autre tribunal ne s’est prononcé sur la question.

En bref, il n’existe aucun précédent contraignant en ce qui concerne l’affaire AMM TM-SPMI. Toute jurisprudence future est purement spéculative. Nous ne pensons pas qu’il soit prudent de mettre en œuvre l’AMM TM-SPMI sur la base d’une telle opinion spéculative, en particulier face aux défis cliniques et éthiques importants qui entourent l’AMM TM-SPMI.

Allégations non étayées concernant l’adoption probablement limitée de l’AMM TM-SPMI

Plusieurs témoins ont tenté de minimiser les inquiétudes concernant l’impact de l’AMM TM-SPMI sur les Canadiens vulnérables, affirmant, sans preuve, que seul un segment infime de la population serait admissible.[44] La praticienne de l’AMM, la Dre Stefanie Green, a audacieusement affirmé que le taux de participation annuel pourrait n’être que « peut-être de quelques dizaines. »[45]

Nous ne sommes pas convaincus que cette expansion sera aussi limitée. Il a été noté que la participation a été relativement faible dans les pays du Benelux.[46] En fait, aux Pays-Bas, seulement environ 5 à 10 % des demandes d’AMM TM-SPMI sont acceptées.[47]

Nous soutenons que les pays du Benelux ne constituent pas un bon point de comparaison, car dans ces pays, les patients doivent légalement épuiser toutes les options de traitement pour se qualifier pour l’AMM TM-SPMI. Le Canada ne dispose pas d’une telle sauvegarde et, chose choquante, le groupe d’experts a recommandé de ne pas ajouter de mesures de sauvegarde législatives supplémentaires. En l’absence de sauvegardes similaires à celles du Benelux, il y a tout lieu de penser que le taux d’utilisation sera considérablement plus élevé au Canada.

Nous notons en outre que le Canada dispose sans doute déjà du régime d’AMM le plus permissif au monde. Conformément à cela, même sans cette expansion, il y a eu une augmentation significative des cas d’AMM au Canada depuis que le projet de loi C-14 est devenu loi en 2016. Les dernières données montrent qu’il y a eu 13 241 décès dus à l’AMM au Canada en 2022, ce qui représente 4,1 % de tous les décès. [48] Cela représente une augmentation assez importante de 31 % par rapport à 2021 et une augmentation stupéfiante de 1 216 % par rapport à la première année où l’AMM était disponible.[49] En revanche, en Californie, qui exige l’auto-administration des médicaments utilisés pour mettre fin à la vie d’une personne, il n’y a eu que 853 décès par AMM en 2022.[50] Nous citons la Californie comme élément de comparaison, car il s’agit d’une juridiction dont la population est similaire à celle du Canada et qui a légalisé l’AMM à peu près au même moment (2016). Ces chiffres sont en eux-mêmes inquiétants et ne permettent pas de croire à l’affirmation selon laquelle l’AMM TM-SPMI sera peu utilisée.

Consultation insuffisante des populations autochtones

La décision politique du gouvernement libéral d’élargir l’AMM TM-SPMI a été prise sans aucune consultation digne de ce nom avec les peuples autochtones. D’après le témoignage de Jocelyne Voisin de Santé Canada, il est évident que la consultation n’a commencé que récemment. Selon Mme Voisin, les résultats de cette consultation seront publiés dans un rapport sur « ce que nous aurons entendu » en 2025, soit un an après l’expansion prévue de l’AMM TM-SPMI.[51]

Ce manque de consultation est inacceptable, en particulier face aux vulnérabilités et aux besoins de santé uniques auxquels sont confrontées les communautés autochtones.[52] Elle souligne le manque de préparation pour la mise en œuvre de l’AMM TM-SPMI.

Des centaines de mémoires négligés

Cette étude a fait l’objet d’une forte mobilisation du public. Près de 900 mémoires ont été soumis au greffier du Comité. Les ressources limitées n’ont pas permis de traduire ces mémoires suffisamment tôt pour qu’ils puissent être considérés comme des éléments de preuve pour le rapport du Comité. Il s’agit là d’un échec profondément décevant et inacceptable pour un Parlement du G7.

Par conséquent, des voix importantes, y compris celles de Canadiens vulnérables qui pourraient être affectés par l’AMM TM-SPMI, n’ont pas pu se faire entendre. Nous pensons que l’équilibre des preuves contenues dans les mémoires aurait renforcé notre position selon laquelle le gouvernement ne devrait pas aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI.

Conclusion

Les problèmes fondamentaux liés à la détermination précise de l’irrémédiabilité et de la suicidalité dans le contexte de l’AMM TM-SPMI sont aussi présents aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a un an. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, l’AMM TM-SPMI ne pourra pas être mise en œuvre en toute sécurité. Par conséquent, il serait imprudent et dangereux pour le gouvernement libéral de permettre à l’AMM TM-SPMI d’aller de l’avant en mars 2024.

Il n’y a aucune raison de croire que ces problèmes fondamentaux seront résolus dans un avenir prévisible. Par conséquent, une autre échéance arbitraire prolongeant la clause de temporisation, bien qu’elle soit préférable à la poursuite du projet, n’est pas la voie à suivre.

Le gouvernement libéral doit plutôt présenter immédiatement un projet de loi visant à modifier le Code criminel afin de prévoir qu’un trouble mental n’est pas une condition médicale pour laquelle une personne pourrait recevoir l’AMM. En d’autres termes, le gouvernement libéral doit abandonner définitivement cette expansion de l’AMM. S’il ne le fait pas, il entraînera inévitablement la mort prématurée de Canadiens vulnérables qui auraient pu se rétablir. Un tel résultat est inacceptable et évitable, mais seulement si le gouvernement libéral agit. Nous l’exhortons à le faire, avant qu’il ne soit trop tard.

Respectueusement soumis,

L’honorable Yonah Martin, sénatrice Colombie-Britannique

Shelby Kramp-Neuman, députée Hastings—Lennox and Addington

Michael Cooper, député St. Albert—Edmonton

L’honorable Ed Fast C.P., député Abbotsford


[1] Code criminel du Canada (L.R.C. 1985, ch.-46), s.241.2(2).

[2] Santé Canada, Rapport final du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, p.9.

[3] Baines, Camille. « Canada should delay MAID for people with mental disorders: psychiatrists » CTV News, 1er décembre 2022

[4] Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Mona Gupta).

[5] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr. Jitender Sareen).

[6] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Tarek Rajji).

[7] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind).

[8] Témoignages : 26 mai 2022 (Dr Mark Sinyor).

[9] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind) ; Nicolini ME, Jardas EJ, Zarate CA, Gastmans C, Kim SYH. Irremediability in psychiatric euthanasia: examining the objective standard. Psychological Medicine. 2023;53(12):5729-5747. doi:10.1017/S0033291722002951

[10] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr. Sonu Gaind).

[11] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr. Jitender Sareen).

[12] Ibidem

[13] Témoignages : 26 mai 2022 (Dr John Maher).

[14] Santé Canada, Rapport final du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, p.13.

[15] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Jitender Sareen) ; Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind).

[16] Témoignages : 25 mai 2022 (Dr Brian Mishara) ; Témoignages : 26 mai 2022 (Dre Georgia Vrakas) ; Conseil des académies canadiennes, L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, p. 47 et 188.

[17] Témoignages : 26 mai 2022 (Dr John Maher) ; Témoignages : 25 mai 2022 (Dr Brian Mishara).

[18] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind).

[19] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Jitender Sareen).

[20] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Tarek Rajji).

[21] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Jitender Sareen).

[22] Ibidem

[23] Santé Canada, Rapport final du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, p.71.

[24] Angus Reid Institute, Mental Health and MAID: Canadians who struggle to get help more likely to support expanding eligibility, 28 septembre 2023.

[25] Témoignages : 21 novembre, 2023 (Mme Julie Campbell) ; Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Gordon Gubitz).

[26] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind).

[27] Ibidem

[28] Ibidem

[29] Santé Canada, Modèle de norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir (AMM), Mars 2023, p.27.

[30] American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.).

[31] Contexte législatif : Projet de loi C-7 : Réponse législative du gouvernement du Canada à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec.

[32] Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Mona Gupta) ; Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Gordon Gubitz).

[33] Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Alison Freeland).

[34] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Tarek Rajji).

[35] Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Alison Freeland).

[36] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dr Jitender Sareen).

[37] Université du Manitoba, Medical Assistance in Dying for Mental Disorders: A Survey of University of Manitoba Faculty and Residents, janvier 2023.

[38] Ibidem

[39] Ontario Medical Association, MAID Survey of OMA Section on Psychiatry Members, octobre 2021.

[40] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dre  Jocelyn Downie).

[41] Dr Trudeau Lemmens et al., Parliament is not forced by the courts to legalize MAID for mental illness: Law Professor’s Letter to Cabinet, 2 février 2023.

[42] Ibidem; Carter c. Canada, 2015 CSC, parag. 111.

[43] Ibid ; Canada (Procureur général) c. E.F., 2016 ABCA 155, parag. 72.

[44] Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Mona Gupta) ; Témoignages : 7 novembre 2023 (Dre Alison Freeland).

[45] Témoignages : 21 novembre 2023 (Dre Stefanie Green).

[46] Témoignages : 7 novembre 2023 (Le senateur dr Stan Kutcher).

[47] Témoignages : 28 novembre 2023 (Dr Sonu Gaind).

[48] Santé Canada, Quatrième rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada 2022, p.5.       

[49] Santé Canada, Premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada 2019, p.19.          

[50] California Department of Public Health, California End of Life Option Act 2022 Data Report, juillet 2023, p.3.

[51] Témoignages : 21 novembre 2023 (Mme Joycelyn Voisin).

[52] Témoignages : 28 novembre 2023 (Professeur Archibald Kaiser).