Passer au contenu

SJNS Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.


OPINION DISSIDENTE SUR LA MODIFICATION
CONSTITUTIONNELLE RELATIVE AU SYSTÈME SCOLAIRE DE TERRE-NEUVE

Pour la seconde fois en moins de trois ans, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador demande au Parlement d’approuver une modification à la Clause 17 des Conditions de l’union de Terre-Neuve avec le Canada. Deux référendums ont été tenus dans la province. À l’issue du premier, le Parlement a adopté la modification proposée, 54,8 p. 100 des électeurs l’ayant appuyée.

La mise en oeuvre du nouveau système d’éducation n’est pas une affaire simple, car elle requiert l’intégration de divers systèmes confessionnels, la création de nouvelles commissions scolaires dotées de comités consultatifs, la fermeture d’écoles et la mise à pied de 500 enseignants. Les groupes catholique et pentecôtiste ont fait appel aux tribunaux et obtenu une injonction interlocutoire pour empêcher l’application des dispositions de l’Education Act.

Le gouvernement de Terre-Neuve aurait pu les obliger à lui intenter un procès en bonne et due forme ou amender son projet de loi de manière à simplifier le processus d’application de la nouvelle clause 17. Il a plutôt opté pour un second référendum. Le tribunal a rendu son jugement le 8 juillet, et le référendum a été appelé le 31 du même mois. Avant d’annoncer le référendum, le gouvernement n’a ordonné aucun débat à l’assemblée législative et n’a tenu aucune audience sur la modification proposée.

Le libellé de la nouvelle clause 17 n’a été dévoilé que deux jours avant le jour du scrutin par anticipation et une semaine avant celui du scrutin. Les Catholiques et les Pentecôtistes ayant soutenu que le texte de la question ne reflétait pas celui de la clause proposée, il faut douter que l’électorat en général et les minorités concernés en particulier aient avalisé la proposition en connaissance de cause. La question faisait état des « possibilités d’enseignement religieux » alors que la nouvelle clause ne garantit qu’« un enseignement religieux qui ne vise pas une religion en particulier ». Pour ces deux groupes, des cours prescrits pour tous et ne portant pas sur les principes spécifiques à leur foi propre n’équivalent pas à l’enseignement religieux que les électeurs avaient à l’esprit lorsqu’ils ont lu la question.

La nouvelle clause 17 a recueilli 73 p. 100 des suffrages, soit beaucoup plus que la première modification proposée, et elle a été appuyée dans 47 des 48 circonscriptions de la province. Dans les circonstances, en dépit de certaines réserves sur la direction même du référendum et du peu de temps que les adversaires de la proposition ont eu pour se mobiliser, nous concluons que le premier critère appliqué par le Parti réformiste pour décider de souscrire ou non à la modification constitutionnelle proposée, à savoir l’appui démocratique de la majorité des personnes touchées par la modification, a été respecté.

De plus, comme la clause 17 s’applique clairement à une seule province, elle peut être modifiée aux termes de l’article 43, relatif à la formule de modification bilatérale. En fait, la province a déjà obtenu deux modifications à la clause 17 aux termes du même article, une fois pour y faire état des Pentecôtistes et une autre pour remanier le texte de la clause. Les auteurs de l’action en justice qui a précipité la tenue du second référendum ne contestaient pas la validité de la nouvelle clause 17, mais le processus établi dans la loi pour permettre la création du nouveau système scolaire. Nous présumons donc volontiers que la nouvelle clause 17 respecte le critère de la primauté du droit.

Mais le problème n’est pas réglé pour autant. Comme dans le cas de la modification demandée récemment par le Québec pour modifier son système scolaire, le Parlement doit être convaincu que la modification proposée sert l’intérêt national. Si elle altère des droits garantis dans la Constitution, comme c’est très clairement le cas en l’occurrence, le Parlement doit veiller tout particulièrement à ce que l’appui manifesté englobe l’aval clairement exprimé de ceux et celles qui, parmi les titulaires de ces droits, seront touchés. Lorsqu’une modification élargit des droits, on est en droit de présumer que les personnes touchées y consentent. Or, dans le cas présent, il est indéniable qu’elle leur est préjudiciable. Les confessions nommées perdront le contrôle de leurs écoles et ce, même si la nouvelle clause 17 accorde quelques droits nouveaux que les parents, et non les groupes confessionnels, pourront exercer.

Étant donné la complexité de la situation à Terre-Neuve et au Labrador, il est difficile d’établir avec certitude l’étendue de l’appui que la modification a obtenu chez les membres des groupes confessionnels protégés. La clause 17 garantit l’enseignement religieux aux huit groupes confessionnels qui y sont expressément nommés. Or, dans la pratique, plusieurs de ces groupes administrent des écoles conjointement afin d’obtenir suffisamment d’élèves pour les rentabiliser. Au cours de nos audiences, il n’a été question que du consentement des Catholiques et des Pentecôtistes.

Lors des audiences du Comité, la question de savoir si une majorité de Catholiques avait voté en faveur de la modification proposée a suscité des analyses divergeantes des résultats du référendum. La hiérarchie catholique s’y est certainement opposée, et il est généralement admis que chez les Pentecôtistes, groupe relativement restreint (7,1 p. 100 de l’électorat), une écrasante majorité a voté contre.

Si l’on part du principe que l’actuelle clause 17 vise collectivement tous les groupes confessionnels qui y sont nommés, il est possible de conclure que ces deux groupes ont appuyé la modification. Si l’on considère, au contraire, qu’elle confère des garanties à chacun de ces groupes à titre individuel, il faut conclure qu’au moins un des groupes touchés a rejeté la modification, et peut-être même deux.

Le gouvernement de Terre-Neuve demande au Parlement de retirer de la clause 17 toutes les garanties relatives à l’enseignement religieux et d’y garantir que sera dispensé un « enseignement religieux qui ne vise pas une religion en particulier » et que « l’observance d’une religion sera permise dans une école [donnée] si les parents le demandent ». Ces modifications s’imposent-elles absolument? Dans son mémoire, le ministre de l’Éducation de Terre-Neuve a fait valoir que « l’excellence de l’éducation et la responsabilité financière » exigent la modernisation du système scolaire. Nous souscrivons certes de tout coeur à ces objectifs, mais nous ne sommes pas certains qu’il soit impossible de les atteindre sous le régime de l’actuelle clause 17. En effet, le gouvernement de Terre-Neuve aurait quand même réformé le système scolaire, fermé des écoles et réalisé des économies.

Comme une minorité s’oppose à la modification constitutionnelle proposée, nous sommes d’avis qu’il incombe à chaque député et sénateur de décider s’il est dans l’intérêt national du Canada de l’approuver, car elle met en cause des valeurs contradictoires, dont la protection des droits des minorités lorsqu’une forte majorité vote en faveur de leur abolition. Le ministre des Affaires intergouvernementales, M. Dion, a fait valoir que le droit en cause n’est pas un « droit fondamental » — comme la liberté de mouvement ou de religion, qu’un simple vote majoritaire ne suffit pas à abolir —, mais la distinction qu’il a faite et le précédent que le Parlement créerait en approuvant la modification proposée nous apparaissent troublants.

Comme le vote sur la modification constitutionnelle relative au système scolaire de Terre-Neuve est censé être un « vote libre », nous ne recommandons pas d’appuyer ou de rejeter la modification proposée; nous laissons simplement les arguments et les préoccupations énoncés ici au bon jugement de chaque député.