Le 11 et 12 décembre 2006, la National
Defense University accueillait une fois de plus le Forum parlementaire
transatlantique, qui est organisé conjointement par l'Assemblée parlementaire
de l'OTAN et le Conseil atlantique des États-Unis. Quelque 80 parlementaires
étaient présents cette année, ainsi que divers responsables gouvernementaux et
des experts en politiques basés à Washington. Le Canada était représenté par
le Sénateur Joseph A. Day et par M. Claude Bachand, député. La Délégation
canadienne était accompagnée par M. James Cox, analyste auprès du Service de
recherche de la Bibliothèque du Parlement et par le secrétaire de l’Association
parlementaire canadienne de l’OTAN, M. Denis Robert.
Cette réunion s'est tenue à un moment
critique pour les responsables de la politique étrangère tant aux États-Unis
qu'en Europe. Non seulement les élections de novembre au Congrès ont-elles
permis au parti démocrate de s'emparer des deux chambres mais, au moment même
où se déroulait le Forum, les débats à Washington ne parlaient que du Rapport
du groupe d'étude sur l'Irak et du bien-fondé de sa feuille de route destinés à
résoudre la crise en Irak. Les chefs de gouvernement de l'OTAN venaient à peine
de conclure le Sommet de Riga qui, bien qu'officiellement consacré à la
transformation de l'OTAN, avait été largement dominé par les graves difficultés
auxquelles se heurte l'Alliance en Afghanistan. Ces sujets ont resurgi
régulièrement tout au long des réunions.
Mme Nancy Pelosi, la nouvelle
présidente de la Chambre des Représentants, a souhaité la bienvenue aux
parlementaires de l'Assemblée, premier groupe de visiteurs avec lequel elle
s'entretenait depuis les élections. La Présidente a déclaré qu'en tant
qu'ancienne membre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, elle était
consciente de l'importance de sa mission et qu'elle lui apporterait un soutien
sans réserve ainsi qu'au chef de la délégation américaine, John Tanner, membre
du Congrès. Le réchauffement de la planète ainsi que la sécurité énergétique
seront deux priorités clés du prochain Congrès, a-t-elle précisé.
LE POINT SUR LES RELATIONS
ETATS-UNIS - EUROPE
Les relations entre les États-Unis et
l'Europe se sont considérablement améliorées depuis les débats passionnés qui
ont précédé la guerre en Irak. Ces différends ont été mis de côté afin
d'apporter une solution à toute une série de questions très préoccupantes.
L'Europe et les États-Unis ont par conséquent réussi à dégager un consensus
clair à propos de l'Iran et de la Corée du Nord et parlent désormais d'une même
voix. Une même vision commune des choses aidera les pays alliés à forger une
stratégie commune face à la situation au Darfour, qui pose un grave défi tant
moral qu'humanitaire à la communauté internationale. Les pays alliés
reconnaissent par ailleurs la gravité de plusieurs autres grands défis,
notamment le problème du sida en Afrique, l'atténuation de la pauvreté, la
nécessité d'encourager un dialogue pacifique entre le Pakistan et l'Inde ainsi
que la nécessité d'engager un dialogue avec la Chine.
La toute première mission prolongée de
combat de l'OTAN se déroule en Afghanistan, et un échec est tout simplement
hors de question étant donné que c'est la crédibilité même de l'Alliance qui
est en jeu. 20 000 soldats américains et 12 000 soldats européens opèrent dans
des conditions très dangereuses. Il faudra, pour assurer le succès de cette
mission, des renforts et un soutien accru des Alliés aux contingents
britannique, néerlandais, estonien, canadien, roumain, américain et aux autres
troupes appartenant à de nombreux autres pays qui interviennent sur les lignes
de front ainsi que la levée des obstacles au déploiement de troupes, qui
mettent en péril la solidarité des Alliés. Il n'y a aucune raison que quatre ou
cinq pays seulement supportent la totalité ou presque du fardeau face à une
menace qui concerne l'ensemble de la communauté.
L'AFGHANISTAN
L'Afghanistan a été présent tout au
long du Forum, et le sentiment général était que la dégradation rapide des
conditions de sécurité dans le sud mettait la crédibilité de l'Alliance en jeu.
Certains orateurs ont même suggéré que, vu les derniers événements, l'OTAN
pourrait perdre la main si aucun changement radical n'intervient rapidement.
Les enjeux sont à l'image de la crise que traverse actuellement la relation
transatlantique, dont le manque apparent de solidarité des Alliés, la notion
d'avantage sans contrepartie ou de risque inégalement partagé, l'absence de
financement commun des opérations, et le manque de coordination avec les
organisations civiles y compris avec l'UE.
Les difficultés éprouvées actuellement
en Afghanistan ont de quoi surprendre étant donné les progrès enregistrés
jusqu'à l'année dernière. La communauté internationale était non seulement
parvenue à aider une coalition de forces afghanes à faire tomber le régime
extrêmement dangereux des taliban qui opprimait la population, mais elle avait
également établi les conditions propres à mettre en place un gouvernement
légitime et à lancer la reconstruction économique. Ce succès reposait sur une
unité apparente des actions menées, sur l'importance des contributions
militaires à la cause et sur la poursuite sans relâche des opérations sur le
terrain, un travail particulièrement important étant réalisé par les équipes de
reconstruction provinciale (PRT) et les agences de développement. Il y avait
une bonne coordination entre les équipes civiles et militaires, et des
politiques de développement social, des opérations de police et des actions de
sécurité militaire ont été intégrées par la suite. Cette intégration ne fut pas
seulement théorique : des militaires furent ainsi chargés de collaborer avec
des spécialistes du développement. Fin 2005, on avait le sentiment que
l'Afghanistan était bien engagé sur la voie de la stabilité interne et du
développement économique stable.
Cette embellie fut de courte durée. Les
structures hiérarchiques claires qui étaient en place en 2005 ont cédé la place
à la confusion, une présence militaire aux prises avec de multiples
restrictions nationales, des discussions à n'en plus finir sur les stratégies
de sortie, et un gouvernement de plus en plus impopulaire jugé incompétent.
L'Occident a privilégié la remise sur pied de l'armée afghane au détriment des
besoins fondamentaux en matière de développement comme la construction de
routes et même la réforme de la police. Cette absence de réforme a eu des
effets très préjudiciables vu que c'est la clé de la légitimité de l'État
afghan à peine constitué. Les forces talibanes se sont empressées de
s'engouffrer dans la brèche et obtiennent aujourd'hui l'adhésion des Afghans
hostiles dans le sud et le sud-est.
Le Pakistan pose également problème, et
les soulèvements dans les deux pays ont des liens étroits. Les dirigeants du
Pakistan ont bien sûr conscience de l'avantage que représente un Afghanistan
stable dirigé par le président Karzai, mais ses forces de sécurité jouent sur
les deux tableaux en maintenant des liens avec les talibans avec lesquels ils
collaboraient étroitement dans le passé. Qui plus est, l'État pakistanais n'a
pas réussi à affirmer sa souveraineté sur les régions contrôlées par les tribus
pachtounes près de la frontière de l'Afghanistan. Le rôle que joue le Pakistan
qui ne fait que renforcer l'instabilité de l'Afghanistan est par conséquent une
source de difficultés considérables.
La forte augmentation de la production
d'opium en Afghanistan n'est pas sans rapport avec ces problèmes très graves
qui pèsent sur la sécurité, l'économie et l'édification de l'État. L'urgence
qu'il y avait à lutter contre les talibans a souvent pris le pas sur le travail
patient qui est nécessaire pour édifier un appareil judiciaire efficace. Or
l'absence d'un régime de droit n'a fait qu'envenimer le conflit. La production
de drogues est désormais à la fois un symptôme et une cause d'insécurité.
Cultiver le pavot est une activité qui présente peu de risque dans une société
à haut risque. Il n'est pas possible de s'attaquer à ce problème sans augmenter
les risques liés à la culture et à la vente d'opium tout en aggravant la
situation misérable et les conditions de sécurité dans lesquelles vit la
population afghane. Les cultivateurs de pavot doivent pouvoir accéder à des
marchés licites qui leur offrent des revenus fiables, alors que les forces de
police et les forces militaires devront pourchasser les trafiquants qui
bénéficient souvent de haute protection au sein de l'appareil d'État.
LE MOYEN-ORIENT
Le rapport du Groupe d'étude sur
l'Irak, publié juste avant le Forum, dresse un bilan remarquable et sincère de
la situation en Irak. Ce rapport prend la mesure des énormes difficultés
inhérentes à un conflit religieux dans lequel les sunnites, qui ont dominé la
vie politique dans la région depuis cinq cents ans, se sont retrouvés du jour
au lendemain marginalisés sur le plan politique. Mais d'après un orateur, la
Commission a commis une erreur en préconisant une offensive diplomatique de
premier plan pour encourager la Syrie et l'Iran à soutenir les efforts de la
coalition en Irak. Les relations avec l'Iran et l'Irak doivent être le résultat
d'une stratégie de négociation très prudente reposant sur une vision claire
s'agissant des moyens et des fins. Il y a bien peu d'arguments susceptibles,
aux yeux des dirigeants iraniens, de l'emporter sur l'avantage de disposer
d'une capacité nucléaire. Cela dit, les États-Unis ne sont pas sans moyens de
pression sur l'Iran, tout simplement parce qu'un effondrement total de
l'autorité de l'État en Irak serait un fardeau considérable pour l'État
iranien.
Le véritable enjeu de la paix réside à
l'intérieur de l'Irak et non au-delà de ses frontières. On risque en soutenant
le contraire d'exagérer le poids de la Syrie et de l'Iran, ce qui n'est pas
vraiment ce que les négociateurs américains doivent faire à ce stade.
L'affirmation figurant à la page 44 du rapport selon laquelle les problèmes de
l'Irak ne peuvent pas être résolus sans apporter une solution aux problèmes de
plus grande envergure du Moyen-Orient et, plus particulièrement, au conflit
israélo-palestinien est donc hypothétique et accorde trop d'importance à la
relation entre les deux problèmes. Le gouvernement américain procède
aujourd'hui à un examen approfondi de la stratégie en Irak. La Maison blanche
elle-même a demandé une étude interministérielle, et le Pentagone et plusieurs
autres agences réalisent des études séparées. Des points communs se font jour.
Tout d'abord, la volonté commune de voir les autorités irakiennes davantage en
mesure d'asseoir leur propre autorité et d'accélérer cette transition. On
s'accorde également à reconnaître que la division du pays selon des clivages
ethniques/religieux ne pourra que fomenter la violence et aboutir au chaos
général - ce que de toute évidence les dirigeants américains veulent à tout
prix éviter. Le gouvernement américain doit soutenir les protagonistes modérés
du système politique irakien, tout en évitant d'exacerber le conflit lourd de
dangers entre sunnites et chiites, que certains appellent déjà une guerre
civile. On se trouve en présence d'une grave détérioration générale de l'ordre
public, et tout est source de conflits en l'absence d'une autorité centrale. Le
nettoyage ethnique est en cours. A certains endroits, les forces de la police
font véritablement partie du problème, notamment là où des forces de la milice
ont infiltré les rangs de la police, ce qui met en péril la crédibilité déjà
faible de l'État. La situation est par ailleurs très contrastée, l'essentiel de
la violence frappant la région de Bagdad tandis que les régions kurdes, en
particulier, demeurent relativement calmes. L'Iran comme la Syrie ne font rien
pour arranger les choses, des auteurs d'attentat suicide franchissant leurs
frontières pour frapper l'Irak.
Étant donné leur manque d'engagement
dans le processus de paix ces dernières années, les États-Unis ne sont pas en
position de jouer un rôle de médiateur dans le conflit du monde arabe. Ne pas
intervenir dans le conflit israélo-arabe a affaibli leur pouvoir de négociation
et a contribué à la situation extrêmement instable qui règne dans les
territoires palestiniens. En effet, alors que le conflit inter-palestinien
prend une acuité particulière, Gaza est au bord de l'anarchie. En somme, aucun
slogan ou conférence de grande envergure ne peut déboucher ne serait-ce que sur
un début de règlement du conflit israélo-palestinien sans un engagement
déterminé et patient des États-Unis et un sens aigu de la façon dont doit se
dérouler un processus de négociation. Chaque avancée dans le processus de paix
au Moyen-Orient fut le résultat d'un nombre incalculable de rencontres et cette
administration, d'après certains, n'a pas encore fait preuve de la volonté
nécessaire à ce sujet.
Les diplomates américains disposent de
plusieurs options qui doivent progresser sans tarder si l'on veut garder la
moindre chance de succès. L'une consisterait à négocier un cessez-le-feu
durable mettant un terme à toutes les attaques transfrontalières et à la
contrebande d'armes dans les territoires occupés. De son côté, Israël devrait
accepter de mettre un terme à ses incursions transfrontalières et à sa
politique d'arrestations massives. Les négociations devront définir avec
précision la nature des violations possibles : quelles pourraient être les
implications de ces violations et comment devraient-elles être sanctionnées. Ce
qui en soi demande déjà beaucoup de diplomatie empreinte de patience et de
prudence.
Une deuxième option permettant de
dissiper les malentendus consisterait à proposer un référendum à la population
palestinienne leur demandant d'accepter ou de rejeter l'idée d'une solution
étatique dans le cadre de laquelle un gouvernement palestinien serait ensuite
habilité à négocier des conditions définitives. Ce qui pourrait isoler le
Hamas, mais cela demandera également un long et patient travail diplomatique
pour obtenir le concours des acteurs régionaux.
Troisième option possible : encourager
les Syriens à ne plus soutenir le Hezbollah et le Hamas. Il n'est pas
impossible cependant que les dirigeants syriens demandent à jouer un rôle plus
important dans les affaires libanaises comme condition de tout accord, ce qui
serait inacceptable. Pour autant, leur souhait d'exercer leur souveraineté sur
les hauteurs du Golan pourrait être un moyen de pression. Ne soyons pas naïfs
au point de croire que les Syriens modèrent leur position sans la perspective
d'en tirer un bénéfice ou la menace d'une sanction dans le cas contraire.
Le front du refus gagne du terrain au
Moyen-Orient, et c'est en partie dû au fait que le processus de paix ne
progresse pas d'un pouce. Les responsables américains doivent s'emparer de ce
problème, mais doivent également démontrer de façon convaincante que l'Iran ne
représente pas la menace du futur. De nouveau, la solution pour y parvenir
n'est pas simple, seule toute une série de mesures bien conçues et patiemment
mises en œuvre peut jeter les bases d'un véritable processus de paix. Il faut
saisir sans hésiter les moindres occasions de faire avancer le processus au
lieu de les négliger, voire de les rejeter comme ce fut le cas ces dernières
années.
LA CHINE
Le fait que la Chine plane sur tant de
calculs stratégiques émanant de ministères de la défense témoigne de la formidable
montée en puissance de ce pays ces dix dernières années. Le dernier Examen
quadriennal de la défense donne des précisions sur la multitude de défis et
d'opportunités que représente la Chine pour les États-Unis. Les responsables
américains envisagent surtout la Chine sous l'angle d'une alliance bilatérale
et régionale. Mais son système d'alliance dans la région est radicalement
différent du système de l'OTAN. Il s'agit d'un modèle en étoile composé d'une
série d'alliances bilatérales conclues avec le Japon, la République de Corée,
l'Australie, les Philippines et la Thaïlande ainsi que de relations de
coopération étroites avec des pays comme Singapour. La Chine elle-même cherche
désormais à tisser son propre réseau de relations politiques et de sécurité
dans la région, lequel vise, entre autres choses, à exclure les États-Unis.
Contrer cet aspect de la politique chinoise en matière de sécurité est
l'un des objectifs que poursuivent les États-Unis dans la région.
Les relations en matière de sécurité
entre les États-Unis et le Japon se sont intensifiées ces dernières années, en
raison notamment des efforts que déploie la Corée du Nord pour acquérir des
armes nucléaires. La défense anti-missile balistique a donc constitué un aspect
particulièrement important de cette coopération. Les rôles, missions et
capacités du Japon font l'objet d'un bilan au moment où les dirigeants du pays
calibrent leurs structures militaires afin de répondre aux nouveaux défis de la
sécurité. La relation entre les États-Unis et la Corée connaît également des
changements, et les effectifs américains sont tombés de 35 000 à 25 000 dans le
cadre de la nouvelle position des États-Unis dans la région.
La relation des États-Unis avec la
Chine à proprement parler est extrêmement complexe et a fait l'objet de
discussions approfondies avec les alliés et les partenaires des États-Unis dans
la région, chacun d'entre eux entretenant une relation spéciale avec la Chine.
Les Coréens, par exemple, voient la Chine comme un partenaire décisif face à la
Corée du Nord et collaborent étroitement avec celle-ci pour calmer le jeu dans
la péninsule coréenne.
De son côté, la politique américaine
envers la Chine doit mettre en balance des considérations de sécurité nationale
et toute une série d'enjeux économiques. La politique étrangère de la Chine,
quant à elle, est dominée par une série tout aussi complexe d'objectifs
stratégiques. Son besoin croissant en énergie et autres matières premières
comme le cuivre, l'acier et le ciment, la nécessité d'entretenir de bonnes
relations commerciales avec les États-Unis, ainsi que son désir d'acquérir des
technologies de pointe, tous ces ingrédients entrent dans les calculs qui
président à l'élaboration des politiques. Les dirigeants chinois veulent par
ailleurs empêcher des puissances externes de freiner l'essor de la Chine. Ils
tissent un vaste réseau de partenariats mondiaux dans ce but. La Chine cherche
également à isoler Taïwan sur le plan politique, à limiter le rôle du Japon sur
la scène internationale et à bâtir de nouveaux liens avec toute une série de
pays en développement. Elle veut bien évidemment augmenter ses exportations de
biens et de main-d'œuvre, ce qui justifie toute une série d'actions visant à
édifier des entreprises nationales très performantes et à acquérir des
technologies de pointe qui lui permettront d'être au sommet de la courbe de
production.
La Chine a plusieurs atouts pour
atteindre ces objectifs, et la montée en puissance de son économie est le plus
important. Les États-Unis tout comme l'Europe doivent accéder au vaste marché
chinois à croissance rapide, ce qui confère à la Chine une influence certaine.
La Chine tire parti des systèmes multilatéraux et participe à toutes sortes
d'organismes régionaux et internationaux où son influence se fait de plus en
plus sentir. Elle reconnaît de toute évidence la valeur de la " méthode
douce ". La Chine est peu exigeante en matière de droits de l'homme face à
ses interlocuteurs des pays en développement, ce qui la met en concurrence
directe avec les gouvernements occidentaux qui se préoccupent beaucoup plus des
questions des droits de l'homme. Dans des régions où l'Occident n'est guère
présent, la Chine cherche à renforcer son influence. La Chine est également
très active en matière de diplomatie militaire et envoie beaucoup plus de
délégations militaires à l'étranger qu'auparavant. Pour autant, elle n'a pas le
rang de puissance militaire mondiale et ne peut pas encore projeter des forces
au-delà de sa proche région. Les dirigeants chinois, toutefois, nourrissent des
ambitions de grande envergure et veulent étendre leur capacité aux fins de
projection de forces.
Pour autant, la Chine se heurte à de
nombreux obstacles liés à toute une série de contradictions internes. Son
système politique est corrompu, notamment dans les régions, il se heurte à des
problèmes environnementaux, et les violations des droits de l'homme ont un prix
tant au niveau interne que sur le plan international. Il y a par ailleurs peu
de contact entre les autorités locales et les autorités nationales. La Chine
n'offre pas un modèle idéologique particulièrement attrayant, ce qui compromet
également le rôle qu'elle pourrait jouer sur la scène internationale.
L'Occident doit réussir à composer avec
la Chine, tout en la mettant en cause dans les domaines où, comme celui des
droits de l'homme, il y a un conflit d'intérêts évident. Les efforts
qu'elle déploie à la recherche d'énergie, par exemple, sont sans nul doute
légitimes ; néanmoins des garanties supplémentaires sont nécessaires si elle
veut devenir un consommateur d'énergie et un intervenant normal sur le marché
mondial. Le Congrès américain, quant à lui, s'est plus particulièrement attaché
à la position de la Chine dans le cadre du système monétaire et des échanges
internationaux, et les débats sur la colline du Capitole ont davantage porté
sur le gigantesque déficit commercial américain avec la Chine, que nombre
d'hommes politiques américains ont tendance à mettre au compte de pratiques
commerciales déloyales. Les déficits américains bien évidemment ne sont pas la
faute de la Chine. Il faut qu'à terme l'épargne intérieure des États-Unis
augmente de manière à équilibrer progressivement le déficit commercial. Cela
dit, il sera sans doute nécessaire pour y parvenir de modifier le taux de change
dollar/renminbi, ce qui demandera beaucoup de prudence étant donné que
l'économie des États-Unis tout comme celle de la Chine serait durement éprouvée
si le dollar chutait de manière brutale.
LA DÉFENSE NATIONALE TRANSATLANTIQUE
Nombre de consommateurs des grands
médias seraient surpris d'apprendre que le ministère américain de la Sécurité
nationale a tissé des relations profondes et fructueuses avec ses homologues
européens. Alors que la presse insiste souvent sur les débats passionnés qui
opposent les deux côtés de l'Atlantique, à vrai dire, les intérêts communs
transatlantiques dans des domaines liés à la sécurité du territoire l'emportent
de loin sur les sujets qui prêtent à controverse.
Les cinq premières années du ministère
ont été extrêmement difficiles. Gérer le plus vaste remaniement de services
administratifs américains a demandé d'intégrer 22 agences dotées de missions et
de cultures totalement opposées. Cinq années sont encore nécessaires pour mener
à bien cette fusion. L'ancien ministre, Tom Ridge, a réussi à mettre au point
les structures de base du Ministère mais n'avait pas les ressources suffisantes
pour asseoir le pouvoir central. Les conséquences sont devenues manifestes au
lendemain de l'ouragan Katrina. Le ministre actuel, Michael Chertoff, a disposé
de davantage de ressources que son prédécesseur pour dégager des synergies au
sein du département. Il a également mis sur pied un service central de
renseignement efficace au sein du ministère.
Ce ministère a pour principale mission
d'empêcher les marchandises et les personnes dangereuses de pénétrer sur le
territoire national. Son Programme de sécurité aérienne et l'Initiative de
sécurité du fret sont les deux principaux mécanismes destinés à atteindre cet
objectif. Le ministère collabore avec ses partenaires européens pour mettre au
point un système d'identification des passagers qui concilie sécurité et vie
privée et a conçu un système facultatif qui diminuera la charge qui pèse sur
les gouvernements. Les responsables américains sont également en train de
mettre au point un programme d'exemption de visa qui a été annoncé au sommet de
Riga. Des mesures sont prises pour que toutes les conditions de sécurité soient
en place avant l'application du programme. Renforcer la surveillance des
employés et des voyageurs constitue une autre priorité, alors que la protection
des infrastructures essentielles en matière de transport, d'énergie, de
produits chimiques et de ressources hydrauliques représente un quatrième
ensemble de priorités.
La vulnérabilité des infrastructures
essentielles est un problème auquel sont confrontés aussi bien les États-Unis
que l'Europe. Ces infrastructures sont détenues et sont protégées, pour
l'essentiel, par le secteur privé, mais une concertation beaucoup plus étroite
entre les secteurs privé et public est nécessaire pour déterminer la meilleure
manière de défendre des liaisons sensibles.
Les opérations de l'OTAN étant menées
dans des pays de plus en plus lointains, il y a un risque que sa mission
essentielle qui consiste à défendre les sociétés alliées contre des menaces
stratégiques de grande ampleur soit négligée. Étant donné que la nature de ces
menaces a totalement changé, il faut réfléchir de façon plus approfondie à la
manière dont l'Alliance peut faire face aux nouveaux défis qui se posent en
matière de sécurité. Si les dirigeants des pays alliés peuvent désormais dire
que les défenses occidentales commencent dans l'Hindu Kush, le métro de
Washington ou le marché d'Istanbul doivent également être vus comme des lignes
de front possibles. Les opinions publiques occidentales, quant à elles, doivent
comprendre que l'Alliance examine soigneusement ces enjeux et prépare des
défenses appropriées. Un échec de sa part pourrait lui faire perdre le soutien
politique dont elle bénéficie. La conception traditionnelle des relations
d'État à État est de moins en moins vraie : les groupes terroristes ne
cherchent pas à s'emparer d'un territoire mais à désorganiser, voire à détruire
les sociétés occidentales. En effet, il suffirait qu'un nœud vital de
transports, de communications ou de services publics soit d'une manière ou
d'une autre neutralisé pour que ces sociétés soient réduites à l'impuissance.
Il s'agit là d'un danger réel que n'a pas encore totalement intégré l'Occident.
L'OTAN comme l'UE doivent réfléchir plus sérieusement à ces vulnérabilités et
ajouter à leur réflexion stratégique une dimension sociale plus importante.
Les pays alliés et les partenaires ont
beaucoup à apprendre les uns des autres sur la manière de faire face aux menaces.
Les systèmes de mobilisation collective auxquels recourent certains petits pays
neutres, par exemple, restent valables, alors même que les menaces liées à la
guerre froide ont radicalement changé de nature. De nouveaux types de
réseaux transfrontaliers sont nécessaires pour lutter contre les menaces
internes qui se font jour. Le fait que les pays membres de l'UE n'aient pas
réussi à concevoir des stocks communs de vaccins montre à quel point certains
modèles de défense nationale sont dépassés. L'OTAN peut de toute évidence jouer
un rôle dans l'édification de ces réseaux, et elle doit le faire en étroite
collaboration avec d'autres organisations internationales, et notamment avec
l'UE. Le dosage entre dépenses militaires et dépenses de santé pose également
de graves problèmes, notamment à la lumière des menaces que fait peser le
bioterrorisme, mais il est aussi important que le corps médical, la communauté
scientifique et les spécialistes de la sécurité trouvent de nouveaux moyens de
communiquer entre eux.
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DES
ÉTATS-UNIS ET LE NOUVEAU CONGRÈS
C'est un principe de la vie américaine
qu'il n'y a de politique que nationale, sauf en temps de guerre. D'ailleurs, si
l'Irak a dominé les élections du mois de novembre, l'autre enjeu était la
compétence de l'Administration et du Congrès qui, pour de nombreux électeurs,
n'ont pas su gérer tant la guerre en Irak que la catastrophe de l'ouragan
Katrina. La compétence du gouvernement a donc été l'un des leitmotivs des
élections.
Même si les dernières élections du
Congrès ont montré clairement ce que les électeurs américains ne veulent pas,
aucun mandat clair et net n'est sorti des urnes. Et ce en partie parce que le
parti démocrate victorieux n'a pas défendu des positions tranchées durant sa campagne.
Le protectionnisme toutefois fut une exception dans nombre de campagnes
victorieuses du parti démocrate, et il est très probable qu'en conséquence le
pouvoir du président en matière de négociations commerciales ne sera pas
autorisé de nouveau - ce qui mettra un terme au cycle de Doha des négociations
de l'OMC. La membre du Congrès Mme Pelosi et d'autres membres démocrates ont
fait campagne sur le thème d'un redéploiement responsable de l'armée en Irak,
mais reste à définir avec précision ce que cela veut dire. Ce qui témoigne de
l'ambiguïté du mandat électoral des démocrates. Pour autant, le résultat des
élections va peser sur la façon dont le gouvernement américain va s'efforcer de
résoudre la crise en Irak car le pouvoir est désormais partagé de fait entre
les deux partis.
D'une certaine façon, le rapport
Baker-Hamilton a aidé le parti démocrate même si, aux dires de certains, la
politique qu'il préconise est incohérente. C'est néanmoins une véritable
aubaine pour ceux qui sont opposés à la guerre. La nouvelle majorité démocrate
qui règne au Capitole n'est toutefois pas suffisante pour lui permettre
d'engager des changements radicaux. La majorité va probablement avancer à pas
feutrés, même si les démocrates vont ouvrir des enquêtes à propos de ce qu'ils
appellent le fiasco des politiques de l'Administration. Le parti ne manquera
pas non plus d'invoquer son internationalisme progressiste traditionnel. Des
membres du Congrès de premier plan comme Tom Lantos, Ike Skelton, Joe Biden et
Carl Levin sont tous issus de cette tradition. Or, sur les quatre, seul Carl
Levin s'est opposé à la guerre. Nancy Pelosi a également voté contre, mais elle
a déjà écarté l'idée d'utiliser le pouvoir dévolu au Congrès en matière
budgétaire pour couper les fonds destinés à la guerre en Irak. Elle n'a pas non
plus laissé entendre que le Congrès pourrait invoquer la motion relative aux
pouvoirs du temps de guerre et demander le retrait. Du point de vue politique,
les démocrates saisissent la moindre occasion de critiquer l'administration
sans assumer véritablement la responsabilité de se sortir de ce faux pas. Bien
entendu, ils vont organiser des auditions et sans doute se rallier au rapport
Baker-Hamilton, mais on est encore loin d'une remise en cause claire de la
politique menée en Irak par l'Administration.
Enfin, l'Amérique ne court pas le
risque de connaître une situation comparable à l'après-Vietnam. Si l'on
s'accorde à dire que la situation en Irak est un gâchis, cela n'a pas donné
lieu à une remise en question de la vocation et du bien-fondé de l'autorité
américaine. En fait, il est évident que le déploiement en Afghanistan suscite
l'adhésion d'un grand nombre, et la plupart des Américains conviennent que le
terrorisme pose un défi très grave face auquel il n'est pas possible de battre
en retraite. Aussi ceux qui s'attendent à une forme ou une autre de retrait
global à présent que les démocrates ont repris le Congrès seront probablement
déçus. Il faut enfin savoir qu'il existe un soutien fortement bipartisan en
faveur de l'Alliance au Capitole. Les défis et les problèmes communs ne feront
que donner plus de prix à la relation transatlantique dans les années à venir.
Dans ce sens, les récents différends transatlantiques sont davantage une
aberration passagère, due en partie à la qualité et au style des responsables
alliés, que le début d'une tendance de fond vers la dissolution de l'Alliance.
Respectueusement soumis,
Mr. Leon Benoit, M.P.
Chair Canadian NATO Parliamentary
Association (NATO PA)