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Rapport

Le 11 et 12 décembre 2006, la National Defense University accueillait une fois de plus le Forum parlementaire transatlantique, qui est organisé conjointement par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN et le Conseil atlantique des États-Unis. Quelque 80 parlementaires étaient présents cette année, ainsi que divers responsables gouvernementaux et des experts en politiques basés à Washington.  Le Canada était représenté par le Sénateur Joseph A. Day et par M. Claude Bachand, député.  La Délégation canadienne était accompagnée par M. James Cox, analyste auprès du Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement et par le secrétaire de l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN, M. Denis Robert.

Cette réunion s'est tenue à un moment critique pour les responsables de la politique étrangère tant aux États-Unis qu'en Europe. Non seulement les élections de novembre au Congrès ont-elles permis au parti démocrate de s'emparer des deux chambres mais, au moment même où se déroulait le Forum, les débats à Washington ne parlaient que du Rapport du groupe d'étude sur l'Irak et du bien-fondé de sa feuille de route destinés à résoudre la crise en Irak. Les chefs de gouvernement de l'OTAN venaient à peine de conclure le Sommet de Riga qui, bien qu'officiellement consacré à la transformation de l'OTAN, avait été largement dominé par les graves difficultés auxquelles se heurte l'Alliance en Afghanistan. Ces sujets ont resurgi régulièrement tout au long des réunions.

Mme Nancy Pelosi, la nouvelle présidente de la Chambre des Représentants, a souhaité la bienvenue aux parlementaires de l'Assemblée, premier groupe de visiteurs avec lequel elle s'entretenait depuis les élections. La Présidente a déclaré qu'en tant qu'ancienne membre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, elle était consciente de l'importance de sa mission et qu'elle lui apporterait un soutien sans réserve ainsi qu'au chef de la délégation américaine, John Tanner, membre du Congrès. Le réchauffement de la planète ainsi que la sécurité énergétique seront deux priorités clés du prochain Congrès, a-t-elle précisé.

LE POINT SUR LES RELATIONS ETATS-UNIS - EUROPE

Les relations entre les États-Unis et l'Europe se sont considérablement améliorées depuis les débats passionnés qui ont précédé la guerre en Irak. Ces différends ont été mis de côté afin d'apporter une solution à toute une série de questions très préoccupantes. L'Europe et les États-Unis ont par conséquent réussi à dégager un consensus clair à propos de l'Iran et de la Corée du Nord et parlent désormais d'une même voix. Une même vision commune des choses aidera les pays alliés à forger une stratégie commune face à la situation au Darfour, qui pose un grave défi tant moral qu'humanitaire à la communauté internationale. Les pays alliés reconnaissent par ailleurs la gravité de plusieurs autres grands défis, notamment le problème du sida en Afrique, l'atténuation de la pauvreté, la nécessité d'encourager un dialogue pacifique entre le Pakistan et l'Inde ainsi que la nécessité d'engager un dialogue avec la Chine.

La toute première mission prolongée de combat de l'OTAN se déroule en Afghanistan, et un échec est tout simplement hors de question étant donné que c'est la crédibilité même de l'Alliance qui est en jeu. 20 000 soldats américains et 12 000 soldats européens opèrent dans des conditions très dangereuses. Il faudra, pour assurer le succès de cette mission, des renforts et un soutien accru des Alliés aux contingents britannique, néerlandais, estonien, canadien, roumain, américain et aux autres troupes appartenant à de nombreux autres pays qui interviennent sur les lignes de front ainsi que la levée des obstacles au déploiement de troupes, qui mettent en péril la solidarité des Alliés. Il n'y a aucune raison que quatre ou cinq pays seulement supportent la totalité ou presque du fardeau face à une menace qui concerne l'ensemble de la communauté.

L'AFGHANISTAN

L'Afghanistan a été présent tout au long du Forum, et le sentiment général était que la dégradation rapide des conditions de sécurité dans le sud mettait la crédibilité de l'Alliance en jeu. Certains orateurs ont même suggéré que, vu les derniers événements, l'OTAN pourrait perdre la main si aucun changement radical n'intervient rapidement. Les enjeux sont à l'image de la crise que traverse actuellement la relation transatlantique, dont le manque apparent de solidarité des Alliés, la notion d'avantage sans contrepartie ou de risque inégalement partagé, l'absence de financement commun des opérations, et le manque de coordination avec les organisations civiles y compris avec l'UE.

Les difficultés éprouvées actuellement en Afghanistan ont de quoi surprendre étant donné les progrès enregistrés jusqu'à l'année dernière. La communauté internationale était non seulement parvenue à aider une coalition de forces afghanes à faire tomber le régime extrêmement dangereux des taliban qui opprimait la population, mais elle avait également établi les conditions propres à mettre en place un gouvernement légitime et à lancer la reconstruction économique. Ce succès reposait sur une unité apparente des actions menées, sur l'importance des contributions militaires à la cause et sur la poursuite sans relâche des opérations sur le terrain, un travail particulièrement important étant réalisé par les équipes de reconstruction provinciale (PRT) et les agences de développement. Il y avait une bonne coordination entre les équipes civiles et militaires, et des politiques de développement social, des opérations de police et des actions de sécurité militaire ont été intégrées par la suite. Cette intégration ne fut pas seulement théorique : des militaires furent ainsi chargés de collaborer avec des spécialistes du développement. Fin 2005, on avait le sentiment que l'Afghanistan était bien engagé sur la voie de la stabilité interne et du développement économique stable.

Cette embellie fut de courte durée. Les structures hiérarchiques claires qui étaient en place en 2005 ont cédé la place à la confusion, une présence militaire aux prises avec de multiples restrictions nationales, des discussions à n'en plus finir sur les stratégies de sortie, et un gouvernement de plus en plus impopulaire jugé incompétent. L'Occident a privilégié la remise sur pied de l'armée afghane au détriment des besoins fondamentaux en matière de développement comme la construction de routes et même la réforme de la police. Cette absence de réforme a eu des effets très préjudiciables vu que c'est la clé de la légitimité de l'État afghan à peine constitué. Les forces talibanes se sont empressées de s'engouffrer dans la brèche et obtiennent aujourd'hui l'adhésion des Afghans hostiles dans le sud et le sud-est.

Le Pakistan pose également problème, et les soulèvements dans les deux pays ont des liens étroits. Les dirigeants du Pakistan ont bien sûr conscience de l'avantage que représente un Afghanistan stable dirigé par le président Karzai, mais ses forces de sécurité jouent sur les deux tableaux en maintenant des liens avec les talibans avec lesquels ils collaboraient étroitement dans le passé. Qui plus est, l'État pakistanais n'a pas réussi à affirmer sa souveraineté sur les régions contrôlées par les tribus pachtounes près de la frontière de l'Afghanistan. Le rôle que joue le Pakistan qui ne fait que renforcer l'instabilité de l'Afghanistan est par conséquent une source de difficultés considérables.

La forte augmentation de la production d'opium en Afghanistan n'est pas sans rapport avec ces problèmes très graves qui pèsent sur la sécurité, l'économie et l'édification de l'État. L'urgence qu'il y avait à lutter contre les talibans a souvent pris le pas sur le travail patient qui est nécessaire pour édifier un appareil judiciaire efficace. Or l'absence d'un régime de droit n'a fait qu'envenimer le conflit. La production de drogues est désormais à la fois un symptôme et une cause d'insécurité. Cultiver le pavot est une activité qui présente peu de risque dans une société à haut risque. Il n'est pas possible de s'attaquer à ce problème sans augmenter les risques liés à la culture et à la vente d'opium tout en aggravant la situation misérable et les conditions de sécurité dans lesquelles vit la population afghane. Les cultivateurs de pavot doivent pouvoir accéder à des marchés licites qui leur offrent des revenus fiables, alors que les forces de police et les forces militaires devront pourchasser les trafiquants qui bénéficient souvent de haute protection au sein de l'appareil d'État.

LE MOYEN-ORIENT

Le rapport du Groupe d'étude sur l'Irak, publié juste avant le Forum, dresse un bilan remarquable et sincère de la situation en Irak. Ce rapport prend la mesure des énormes difficultés inhérentes à un conflit religieux dans lequel les sunnites, qui ont dominé la vie politique dans la région depuis cinq cents ans, se sont retrouvés du jour au lendemain marginalisés sur le plan politique. Mais d'après un orateur, la Commission a commis une erreur en préconisant une offensive diplomatique de premier plan pour encourager la Syrie et l'Iran à soutenir les efforts de la coalition en Irak. Les relations avec l'Iran et l'Irak doivent être le résultat d'une stratégie de négociation très prudente reposant sur une vision claire s'agissant des moyens et des fins. Il y a bien peu d'arguments susceptibles, aux yeux des dirigeants iraniens, de l'emporter sur l'avantage de disposer d'une capacité nucléaire. Cela dit, les États-Unis ne sont pas sans moyens de pression sur l'Iran, tout simplement parce qu'un effondrement total de l'autorité de l'État en Irak serait un fardeau considérable pour l'État iranien.

Le véritable enjeu de la paix réside à l'intérieur de l'Irak et non au-delà de ses frontières. On risque en soutenant le contraire d'exagérer le poids de la Syrie et de l'Iran, ce qui n'est pas vraiment ce que les négociateurs américains doivent faire à ce stade. L'affirmation figurant à la page 44 du rapport selon laquelle les problèmes de l'Irak ne peuvent pas être résolus sans apporter une solution aux problèmes de plus grande envergure du Moyen-Orient et, plus particulièrement, au conflit israélo-palestinien est donc hypothétique et accorde trop d'importance à la relation entre les deux problèmes. Le gouvernement américain procède aujourd'hui à un examen approfondi de la stratégie en Irak. La Maison blanche elle-même a demandé une étude interministérielle, et le Pentagone et plusieurs autres agences réalisent des études séparées. Des points communs se font jour. Tout d'abord, la volonté commune de voir les autorités irakiennes davantage en mesure d'asseoir leur propre autorité et d'accélérer cette transition. On s'accorde également à reconnaître que la division du pays selon des clivages ethniques/religieux ne pourra que fomenter la violence et aboutir au chaos général - ce que de toute évidence les dirigeants américains veulent à tout prix éviter. Le gouvernement américain doit soutenir les protagonistes modérés du système politique irakien, tout en évitant d'exacerber le conflit lourd de dangers entre sunnites et chiites, que certains appellent déjà une guerre civile. On se trouve en présence d'une grave détérioration générale de l'ordre public, et tout est source de conflits en l'absence d'une autorité centrale. Le nettoyage ethnique est en cours. A certains endroits, les forces de la police font véritablement partie du problème, notamment là où des forces de la milice ont infiltré les rangs de la police, ce qui met en péril la crédibilité déjà faible de l'État. La situation est par ailleurs très contrastée, l'essentiel de la violence frappant la région de Bagdad tandis que les régions kurdes, en particulier, demeurent relativement calmes. L'Iran comme la Syrie ne font rien pour arranger les choses, des auteurs d'attentat suicide franchissant leurs frontières pour frapper l'Irak.

Étant donné leur manque d'engagement dans le processus de paix ces dernières années, les États-Unis ne sont pas en position de jouer un rôle de médiateur dans le conflit du monde arabe. Ne pas intervenir dans le conflit israélo-arabe a affaibli leur pouvoir de négociation et a contribué à la situation extrêmement instable qui règne dans les territoires palestiniens. En effet, alors que le conflit inter-palestinien prend une acuité particulière, Gaza est au bord de l'anarchie. En somme, aucun slogan ou conférence de grande envergure ne peut déboucher ne serait-ce que sur un début de règlement du conflit israélo-palestinien sans un engagement déterminé et patient des États-Unis et un sens aigu de la façon dont doit se dérouler un processus de négociation. Chaque avancée dans le processus de paix au Moyen-Orient fut le résultat d'un nombre incalculable de rencontres et cette administration, d'après certains, n'a pas encore fait preuve de la volonté nécessaire à ce sujet.

Les diplomates américains disposent de plusieurs options qui doivent progresser sans tarder si l'on veut garder la moindre chance de succès. L'une consisterait à négocier un cessez-le-feu durable mettant un terme à toutes les attaques transfrontalières et à la contrebande d'armes dans les territoires occupés. De son côté, Israël devrait accepter de mettre un terme à ses incursions transfrontalières et à sa politique d'arrestations massives. Les négociations devront définir avec précision la nature des violations possibles : quelles pourraient être les implications de ces violations et comment devraient-elles être sanctionnées. Ce qui en soi demande déjà beaucoup de diplomatie empreinte de patience et de prudence.

Une deuxième option permettant de dissiper les malentendus consisterait à proposer un référendum à la population palestinienne leur demandant d'accepter ou de rejeter l'idée d'une solution étatique dans le cadre de laquelle un gouvernement palestinien serait ensuite habilité à négocier des conditions définitives. Ce qui pourrait isoler le Hamas, mais cela demandera également un long et patient travail diplomatique pour obtenir le concours des acteurs régionaux.

Troisième option possible : encourager les Syriens à ne plus soutenir le Hezbollah et le Hamas. Il n'est pas impossible cependant que les dirigeants syriens demandent à jouer un rôle plus important dans les affaires libanaises comme condition de tout accord, ce qui serait inacceptable. Pour autant, leur souhait d'exercer leur souveraineté sur les hauteurs du Golan pourrait être un moyen de pression. Ne soyons pas naïfs au point de croire que les Syriens modèrent leur position sans la perspective d'en tirer un bénéfice ou la menace d'une sanction dans le cas contraire.

Le front du refus gagne du terrain au Moyen-Orient, et c'est en partie dû au fait que le processus de paix ne progresse pas d'un pouce. Les responsables américains doivent s'emparer de ce problème, mais doivent également démontrer de façon convaincante que l'Iran ne représente pas la menace du futur. De nouveau, la solution pour y parvenir n'est pas simple, seule toute une série de mesures bien conçues et patiemment mises en œuvre peut jeter les bases d'un véritable processus de paix. Il faut saisir sans hésiter les moindres occasions de faire avancer le processus au lieu de les négliger, voire de les rejeter comme ce fut le cas ces dernières années.


LA CHINE

Le fait que la Chine plane sur tant de calculs stratégiques émanant de ministères de la défense témoigne de la formidable montée en puissance de ce pays ces dix dernières années. Le dernier Examen quadriennal de la défense donne des précisions sur la multitude de défis et d'opportunités que représente la Chine pour les États-Unis. Les responsables américains envisagent surtout la Chine sous l'angle d'une alliance bilatérale et régionale. Mais son système d'alliance dans la région est radicalement différent du système de l'OTAN. Il s'agit d'un modèle en étoile composé d'une série d'alliances bilatérales conclues avec le Japon, la République de Corée, l'Australie, les Philippines et la Thaïlande ainsi que de relations de coopération étroites avec des pays comme Singapour. La Chine elle-même cherche désormais à tisser son propre réseau de relations politiques et de sécurité dans la région, lequel vise, entre autres choses, à exclure les États-Unis. Contrer cet aspect de la  politique chinoise en matière de sécurité est l'un des objectifs que poursuivent les États-Unis dans la région.

Les relations en matière de sécurité entre les États-Unis et le Japon se sont intensifiées ces dernières années, en raison notamment des efforts que déploie la Corée du Nord pour acquérir des armes nucléaires. La défense anti-missile balistique a donc constitué un aspect particulièrement important de cette coopération. Les rôles, missions et capacités du Japon font l'objet d'un bilan au moment où les dirigeants du pays calibrent leurs structures militaires afin de répondre aux nouveaux défis de la sécurité. La relation entre les États-Unis et la Corée connaît également des changements, et les effectifs américains sont tombés de 35 000 à 25 000 dans le cadre de la nouvelle position des États-Unis dans la région.

La relation des États-Unis avec la Chine à proprement parler est extrêmement complexe et a fait l'objet de discussions approfondies avec les alliés et les partenaires des États-Unis dans la région, chacun d'entre eux entretenant une relation spéciale avec la Chine. Les Coréens, par exemple, voient la Chine comme un partenaire décisif face à la Corée du Nord et collaborent étroitement avec celle-ci pour calmer le jeu dans la péninsule coréenne.

De son côté, la politique américaine envers la Chine doit mettre en balance des considérations de sécurité nationale et toute une série d'enjeux économiques. La politique étrangère de la Chine, quant à elle, est dominée par une série tout aussi complexe d'objectifs stratégiques. Son besoin croissant en énergie et autres matières premières comme le cuivre, l'acier et le ciment, la nécessité d'entretenir de bonnes relations commerciales avec les États-Unis, ainsi que son désir d'acquérir des technologies de pointe, tous ces ingrédients entrent dans les calculs qui président à l'élaboration des politiques. Les dirigeants chinois veulent par ailleurs empêcher des puissances externes de freiner l'essor de la Chine. Ils tissent un vaste réseau de partenariats mondiaux dans ce but. La Chine cherche également à isoler Taïwan sur le plan politique, à limiter le rôle du Japon sur la scène internationale et à bâtir de nouveaux liens avec toute une série de pays en développement. Elle veut bien évidemment augmenter ses exportations de biens et de main-d'œuvre, ce qui justifie toute une série d'actions visant à édifier des entreprises nationales très performantes et à acquérir des technologies de pointe qui lui permettront d'être au sommet de la courbe de production.

La Chine a plusieurs atouts pour atteindre ces objectifs, et la montée en puissance de son économie est le plus important. Les États-Unis tout comme l'Europe doivent accéder au vaste marché chinois à croissance rapide, ce qui confère à la Chine une influence certaine. La Chine tire parti des systèmes multilatéraux et participe à toutes sortes d'organismes régionaux et internationaux où son influence se fait de plus en plus sentir. Elle reconnaît de toute évidence la valeur de la " méthode douce ". La Chine est peu exigeante en matière de droits de l'homme face à ses interlocuteurs des pays en développement, ce qui la met en concurrence directe avec les gouvernements occidentaux qui se préoccupent beaucoup plus des questions des droits de l'homme. Dans des régions où l'Occident n'est guère présent, la Chine cherche à renforcer son influence. La Chine est également très active en matière de diplomatie militaire et envoie beaucoup plus de délégations militaires à l'étranger qu'auparavant. Pour autant, elle n'a pas le rang de puissance militaire mondiale et ne peut pas encore projeter des forces au-delà de sa proche région. Les dirigeants chinois, toutefois, nourrissent des ambitions de grande envergure et veulent étendre leur capacité aux fins de projection de forces.

Pour autant, la Chine se heurte à de nombreux obstacles liés à toute une série de contradictions internes. Son système politique est corrompu, notamment dans les régions, il se heurte à des problèmes environnementaux, et les violations des droits de l'homme ont un prix tant au niveau interne que sur le plan international. Il y a par ailleurs peu de contact entre les autorités locales et les autorités nationales. La Chine n'offre pas un modèle idéologique particulièrement attrayant, ce qui compromet également le rôle qu'elle pourrait jouer sur la scène internationale.

L'Occident doit réussir à composer avec la Chine, tout en la mettant en cause dans les domaines où, comme celui des droits de l'homme,  il y a un conflit d'intérêts évident. Les efforts qu'elle déploie à la recherche d'énergie, par exemple, sont sans nul doute légitimes ; néanmoins des garanties supplémentaires sont nécessaires si elle veut devenir un consommateur d'énergie et un intervenant normal sur le marché mondial. Le Congrès américain, quant à lui, s'est plus particulièrement attaché à la position de la Chine dans le cadre du système monétaire et des échanges internationaux, et les débats sur la colline du Capitole ont davantage porté sur le gigantesque déficit commercial américain avec la Chine, que nombre d'hommes politiques américains ont tendance à mettre au compte de pratiques commerciales déloyales. Les déficits américains bien évidemment ne sont pas la faute de la Chine. Il faut qu'à terme l'épargne intérieure des États-Unis augmente de manière à équilibrer progressivement le déficit commercial. Cela dit, il sera sans doute nécessaire pour y parvenir de modifier le taux de change dollar/renminbi, ce qui demandera beaucoup de prudence étant donné que l'économie des États-Unis tout comme celle de la Chine serait durement éprouvée si le dollar chutait de manière brutale.

LA DÉFENSE NATIONALE TRANSATLANTIQUE

Nombre de consommateurs des grands médias seraient surpris d'apprendre que le ministère américain de la Sécurité nationale a tissé des relations profondes et fructueuses avec ses homologues européens. Alors que la presse insiste souvent sur les débats passionnés qui opposent les deux côtés de l'Atlantique, à vrai dire, les intérêts communs transatlantiques dans des domaines liés à la sécurité du territoire l'emportent de loin sur les sujets qui prêtent à controverse.

Les cinq premières années du ministère ont été extrêmement difficiles. Gérer le plus vaste remaniement de services administratifs américains a demandé d'intégrer 22 agences dotées de missions et de cultures totalement opposées. Cinq années sont encore nécessaires pour mener à bien cette fusion. L'ancien ministre, Tom Ridge, a réussi à mettre au point les structures de base du Ministère mais n'avait pas les ressources suffisantes pour asseoir le pouvoir central. Les conséquences sont devenues manifestes au lendemain de l'ouragan Katrina. Le ministre actuel, Michael Chertoff, a disposé de davantage de ressources que son prédécesseur pour dégager des synergies au sein du département. Il a également mis sur pied un service central de renseignement efficace au sein du ministère.

Ce ministère a pour principale mission d'empêcher les marchandises et les personnes dangereuses de pénétrer sur le territoire national. Son Programme de sécurité aérienne et l'Initiative de sécurité du fret sont les deux principaux mécanismes destinés à atteindre cet objectif. Le ministère collabore avec ses partenaires européens pour mettre au point un système d'identification des passagers qui concilie sécurité et vie privée et a conçu un système facultatif qui diminuera la charge qui pèse sur les gouvernements. Les responsables américains sont également en train de mettre au point un programme d'exemption de visa qui a été annoncé au sommet de Riga. Des mesures sont prises pour que toutes les conditions de sécurité soient en place avant l'application du programme. Renforcer la surveillance des employés et des voyageurs constitue une autre priorité, alors que la protection des infrastructures essentielles en matière de transport, d'énergie, de produits chimiques et de ressources hydrauliques représente un quatrième ensemble de priorités.

La vulnérabilité des infrastructures essentielles est un problème auquel sont confrontés aussi bien les États-Unis que l'Europe. Ces infrastructures sont détenues et sont protégées, pour l'essentiel, par le secteur privé, mais une concertation beaucoup plus étroite entre les secteurs privé et public est nécessaire pour déterminer la meilleure manière de défendre des liaisons sensibles.

Les opérations de l'OTAN étant menées dans des pays de plus en plus lointains, il y a un risque que sa mission essentielle qui consiste à défendre les sociétés alliées contre des menaces stratégiques de grande ampleur soit négligée. Étant donné que la nature de ces menaces a totalement changé, il faut réfléchir de façon plus approfondie à la manière dont l'Alliance peut faire face aux nouveaux défis qui se posent en matière de sécurité. Si les dirigeants des pays alliés peuvent désormais dire que les défenses occidentales commencent dans l'Hindu Kush, le métro de Washington ou le marché d'Istanbul doivent également être vus comme des lignes de front possibles. Les opinions publiques occidentales, quant à elles, doivent comprendre que l'Alliance examine soigneusement ces enjeux et prépare des défenses appropriées. Un échec de sa part pourrait lui faire perdre le soutien politique dont elle bénéficie. La conception traditionnelle des relations d'État à État est de moins en moins vraie : les groupes terroristes ne cherchent pas à s'emparer d'un territoire mais à désorganiser, voire à détruire les sociétés occidentales. En effet, il suffirait qu'un nœud vital de transports, de communications ou de services publics soit d'une manière ou d'une autre neutralisé pour que ces sociétés soient réduites à l'impuissance. Il s'agit là d'un danger réel que n'a pas encore totalement intégré l'Occident. L'OTAN comme l'UE doivent réfléchir plus sérieusement à ces vulnérabilités et ajouter à leur réflexion stratégique une dimension sociale plus importante.

Les pays alliés et les partenaires ont beaucoup à apprendre les uns des autres sur la manière de faire face aux menaces. Les systèmes de mobilisation collective auxquels recourent certains petits pays neutres, par exemple, restent valables, alors même que les menaces liées à la guerre froide ont radicalement changé de  nature. De nouveaux types de réseaux transfrontaliers sont nécessaires pour lutter contre les menaces internes qui se font jour. Le fait que les pays membres de l'UE n'aient pas réussi à concevoir des stocks communs de vaccins montre à quel point certains modèles de défense nationale sont dépassés. L'OTAN peut de toute évidence jouer un rôle dans l'édification de ces réseaux, et elle doit le faire en étroite collaboration avec d'autres organisations internationales, et notamment avec l'UE. Le dosage entre dépenses militaires et dépenses de santé pose également de graves problèmes, notamment à la lumière des menaces que fait peser le bioterrorisme, mais il est aussi important que le corps médical, la communauté scientifique et les spécialistes de la sécurité trouvent de nouveaux moyens de communiquer entre eux.

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DES ÉTATS-UNIS ET LE NOUVEAU CONGRÈS

C'est un principe de la vie américaine qu'il n'y a de politique que nationale, sauf en temps de guerre. D'ailleurs, si l'Irak a dominé les élections du mois de novembre, l'autre enjeu était la compétence de l'Administration et du Congrès qui, pour de nombreux électeurs, n'ont pas su gérer tant la guerre en Irak que la catastrophe de l'ouragan Katrina. La compétence du gouvernement a donc été l'un des leitmotivs des élections.

Même si les dernières élections du Congrès ont montré clairement ce que les électeurs américains ne veulent pas, aucun mandat clair et net n'est sorti des urnes. Et ce en partie parce que le parti démocrate victorieux n'a pas défendu des positions tranchées durant sa campagne. Le protectionnisme toutefois fut une exception dans nombre de campagnes victorieuses du parti démocrate, et il est très probable qu'en conséquence le pouvoir du président en matière de négociations commerciales ne sera pas autorisé de nouveau - ce qui mettra un terme au cycle de Doha des négociations de l'OMC. La membre du Congrès Mme Pelosi et d'autres membres démocrates ont fait campagne sur le thème d'un redéploiement responsable de l'armée en Irak, mais reste à définir avec précision ce que cela veut dire. Ce qui témoigne de l'ambiguïté du mandat électoral des démocrates. Pour autant, le résultat des élections va peser sur la façon dont le gouvernement américain va s'efforcer de résoudre la crise en Irak car le pouvoir est désormais partagé de fait entre les deux partis.

D'une certaine façon, le rapport Baker-Hamilton a aidé le parti démocrate même si, aux dires de certains, la politique qu'il préconise est incohérente. C'est néanmoins une véritable aubaine pour ceux qui sont opposés à la guerre. La nouvelle majorité démocrate qui règne au Capitole n'est toutefois pas suffisante pour lui permettre d'engager des changements radicaux. La majorité va probablement avancer à pas feutrés, même si les démocrates vont ouvrir des enquêtes à propos de ce qu'ils appellent le fiasco des politiques de l'Administration. Le parti ne manquera pas non plus d'invoquer son internationalisme progressiste traditionnel. Des membres du Congrès de premier plan comme Tom Lantos, Ike Skelton, Joe Biden et Carl Levin sont tous issus de cette tradition. Or, sur les quatre, seul Carl Levin s'est opposé à la guerre. Nancy Pelosi a également voté contre, mais elle a déjà écarté l'idée d'utiliser le pouvoir dévolu au Congrès en matière budgétaire pour couper les fonds destinés à la guerre en Irak. Elle n'a pas non plus laissé entendre que le Congrès pourrait invoquer la motion relative aux pouvoirs du temps de guerre et demander le retrait. Du point de vue politique, les démocrates saisissent la moindre occasion de critiquer l'administration sans assumer véritablement la responsabilité de se sortir de ce faux pas. Bien entendu, ils vont organiser des auditions et sans doute se rallier au rapport Baker-Hamilton, mais on est encore loin d'une remise en cause claire de la politique menée en Irak par l'Administration.

Enfin, l'Amérique ne court pas le risque de connaître une situation comparable à l'après-Vietnam. Si l'on s'accorde à dire que la situation en Irak est un gâchis, cela n'a pas donné lieu à une remise en question de la vocation et du bien-fondé de l'autorité américaine. En fait, il est évident que le déploiement en Afghanistan suscite l'adhésion d'un grand nombre, et la plupart des Américains conviennent que le terrorisme pose un défi très grave face auquel il n'est pas possible de battre en retraite. Aussi ceux qui s'attendent à une forme ou une autre de retrait global à présent que les démocrates ont repris le Congrès seront probablement déçus. Il faut enfin savoir qu'il existe un soutien fortement bipartisan en faveur de l'Alliance au Capitole. Les défis et les problèmes communs ne feront que donner plus de prix à la relation transatlantique dans les années à venir. Dans ce sens, les récents différends transatlantiques sont davantage une aberration passagère, due en partie à la qualité et au style des responsables alliés, que le début d'une tendance de fond vers la dissolution de l'Alliance.

 

Respectueusement soumis,

 

Mr. Leon Benoit, M.P.
Chair
Canadian NATO Parliamentary
Association (NATO PA)



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