L’Association parlementaire canadienne
de l'OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur la visite effectuée à
Londres par la Sous-commission sur les relations économiques transatlantiques,
du 23 au 25 avril 2008. Les membres de la Commission ont consulté des
fonctionnaires, des experts de la politique et des universitaires sur divers
sujets : l’économie de la Russie, la situation en Afghanistan, l’Inde et
la crise financière mondiale. Le Canada était représenté par les députés Leon
Benoit et Roy Cullen.
RUSSIE
Les réunions ont débuté à l'École des
études slaves et est-européennes, par une série d'exposés sur l'économie russe.
La Russie a connu un véritable boum économique au cours de la dernière
décennie. L'augmentation des prix de l'énergie représente le moteur essentiel
de la croissance économique et est à la base d'un boum de la consommation,
entraînant une forte augmentation des importations. Cette croissance a permis à
la Russie de solder l'arriéré des salaires et des retraites, tandis que l'économie
est désormais totalement monétisée. Des signes indiquent également que certains
segments du secteur privé sont devenus plus dynamiques au cours des dernières
années et le budget de la Russie est en bien meilleure forme qu'il y a dix ans.
On relève toutefois également des
signes préoccupants en Russie. L'économie est devenue très dépendante des prix
élevés des ressources naturelles et l'Etat s'est mué en un acteur central des
marchés commerciaux essentiels. Cette situation n'est pas optimale du point de
vue économique. Qui plus est, les secteurs manufacturier et technologique
présentent une indéniable faiblesse. Certes les capitaux affluent dans le pays,
mais principalement sous la forme de prêts. La dette des entreprises est passée
à 400 milliards de dollars. Le secteur des petites et moyennes entreprises au
beaucoup augmenté. La Russie connaît également une grave crise démographique et
de santé publique. La corruption demeure une entrave très critique à la
poursuite de sa croissance.
Lorsqu'un pays passe à un stade de
développement supérieur, comme c'est le cas pour la Russie, les institutions
gagnent en importance et s'avèrent essentielles à la poursuite du
développement. La Russie pourrait être confrontée à une barrière réelle dans la
poursuite de sa croissance si elle ne cherche pas à remédier à ses déficiences
institutionnelles. Son système politico-économique repose sur les relations et
doit se métamorphoser en un ordre basé sur des règlements. Certains analystes
font valoir que, lorsqu'un pays accède à un niveau plus élevé de développement,
la société elle-même exige des structures institutionnelles plus fiables et
sophistiquées. Dans le cas de la Russie, il se pourrait que les actuelles
relations de pouvoir et les structures politiques se conjuguent pour
contrecarrer ces exigences. En outre, il existe une sorte de confusion des
catégories qui n'augure rien de bon pour la modernisation des
institutions. Les grands capitalistes russes ne sont pas nécessairement
des amis du capitalisme. Ils s'opposent à la concurrence ouverte et au libre
marché, qu'ils considèrent comme des menaces. Ils ont le plus grand
intérêt à bloquer les changements institutionnels. Des réseaux de copinage sont
fréquemment structurés pour empêcher l'arrivée de nouveaux venus sur le marché,
dont les investisseurs étrangers. Qui plus est, l'accès à des institutions
fiables n'est pas le même pour tout le monde. Les personnes privilégiées et
ayant des relations politiques peuvent bénéficier d'un accès à des structures
institutionnelles fiables, tandis que ce n'est pas le cas pour le reste de la
société russe. Il en résulte que les droits de propriété varient en fonction de
la proximité avec la structure de pouvoir. Cela n'est pas exclusif à la Russie,
mais représente un grave problème potentiel, notamment parce que les
investisseurs étrangers exigent un certain degré de fiabilité des institutions.
Les investisseurs de capitaux recherchent souvent des institutions solides et
fuient les pays où les institutions présentent des faiblesses.
Le système russe s'articule autour
d'une forme de capital social reposant sur des relations particulières et
nombreux sont ses acteurs importants qui redoutent tout changement d'un système
structuré à leur avantage. Il existe également de véritables obstacles à
l'entrée sur le marché intérieur, ce qui affaiblit l'activité entrepreneuriale.
La protection insuffisante des droits de propriété est souvent invoquée par les
entrepreneurs en puissance comme une véritable barrière à l'entrée sur le
marché. La poursuite du développement économique de la Russie exige une
amélioration institutionnelle qui ouvre le système à davantage de concurrence
et à des règles du jeu plus solides. Actuellement, la stabilité a la préséance
sur la loi
La Russie a également une position
ambivalente sur la scène internationale. Les pays qui parviennent à rattraper
leur retard économique le font en se joignant à l'économie mondiale. C'est
ainsi, par exemple, que la Chine entretient des contacts étroits avec la
communauté internationale. La Russie est beaucoup plus réservée et doit trouver
un moyen de s'ouvrir sur le monde de manière positive. Si elle n'y parvient
pas, elle continuera à fonctionner très en deçà de son potentiel.
LE CAUCASE ET L’ASIE CENTRALE
Des membres de la Faculté de l'École
des études orientales et africaines se sont également adressés à la délégation.
Le premier exposé a porté sur l'évolution du rôle de l'OTAN dans le Caucase et
en Asie centrale. L'Alliance définissait jadis sa mission comme l'édification
d'une Europe entière et libre, mais cette définition est aujourd'hui plus large
et porte sur une Eurasie stable et sûre. Cette transition a naturellement été
motivée par un profond changement stratégique lié au monde de l'après-guerre
froide, avec - comme point culminant de la première phase - le premier
élargissement de l'OTAN. Les préoccupations relatives à l'intégration
institutionnelle sont toutefois désormais moins au centre des préoccupations
que les questions sécuritaires essentielles.
On constate aujourd'hui l'émergence de
l'Organisation de coopération de Shanghai, qui offre à l'Asie centrale un
agenda d'intégration régionale d'un autre type. La Russie et la Chine jouent un
rôle déterminant dans cette organisation, qui - entre autres - cherche à contrer
l'influence de l'Alliance dans la région. La Géorgie demeure cependant très
désireuse d'une intégration euro-atlantique et, à terme, d'une adhésion à
l'OTAN et à l'UE. Elle a à plusieurs reprises apporté la preuve qu'elle
constitue un partenaire fiable et compétent de l'Alliance et fournit des
troupes aux missions en Irak, au Kosovo et en Afghanistan.
Les préoccupations de l'OTAN relatives
à l'Asie centrale sont motivées par un certain nombre de facteurs, incluant des
réseaux terroristes et criminels. Il existe toutefois au sein de l'Alliance une
myriade d'approches nationales de la région, qui vont de l'isolement à
l'engagement et au partenariat. Il existe également des tensions dans les
rapports avec les gouvernements en place et la promotion des droits de
l'homme. La sécurité énergétique représente une autre préoccupation
critique et un nouveau " grand jeu " est apparu. Impossible en outre
d'ignorer le rôle des relations avec la Russie et l'Iran dans les politiques
actuelles en matière d'oléoducs et de gazoducs. Qui plus est, plusieurs pays,
dont la Chine et la Turquie, désirent que des oléoducs et des gazoducs de la
région alimentent directement leurs marchés nationaux.
INDE
L'Inde était également à l'ordre du
jour des discussions menées à l'université. Ceux qui s’intéressent à la
politique indienne doivent d’abord reconnaître qu’il s’agit d’un État fédéral
très décentralisé. Les parlements des États exercent des pouvoirs importants,
ce qui peut conduire à des tensions avec les autorités centrales et à l'incohérence
politique. L'Inde constitue également une démocratie relativement ancienne dans
le monde en développement et ses citoyens connaissent le suffrage universel
depuis 1951. L’histoire a donné tort à ceux qui avaient alors prédit que la
démocratie indienne ne survivrait pas. En matière de démocratie, l'Inde répond
à tous les critères. Elle a un système parlementaire stable, organise
régulièrement des élections libres et équitables, le pourcentage de votants est
élevé, une saine alternance des dirigeants existe, les pouvoirs de l'État sont
importants et la presse est vigoureuse et libre. Parallèlement toutefois, la
prise de décisions est très lente et les réformes ne progressent pas aussi vite
que beaucoup l'espéraient. La distribution équitable des richesses représente
une priorité centrale pour le peuple indien et cela complique le processus des
réformes.
À long terme, le développement
économique sera modelé par plusieurs facteurs non abordés dans le rapport de
l'AP-OTAN : des facteurs démographiques, la grande faiblesse des
infrastructures indiennes et l'éducation. En Inde, les investissements
étrangers directs sont très concentrés sur quelques régions de cet immense
pays. Qui plus est, à l'horizon 2025, l'Inde supplantera probablement la Chine
au rang de pays le plus peuplé du monde. Cette situation va poser d'importants
défis. Les citoyens indiens sont jeunes et beaucoup nourrissent l'espoir d'une
vie meilleure. Or, la plupart des Indiens vivent dans les campagnes et
travaillent dans des secteurs qui ne connaissent pas la croissance. L'Uttar
Pradesh et le Bihar enregistreront la plus forte croissance démographique et
ils sont très pauvres. Ce sont d'ailleurs les régions les plus pauvres de
l'Inde qui devraient connaître la plus forte progression de leur population et,
en Inde, les pauvres ont tendance à voter davantage que les classes moyennes.
L'Inde est susceptible de connaître de graves problèmes au niveau de son
infrastructure et de sa structure sociale, et un clivage entre les villes et
les campagnes semblent très probables. Qui plus est, la demande de produits
énergétiques importés est appelée à fortement progresser, ce qui constituera
également une source de graves tensions économiques et internationales.
Les orateurs du Foreign Office ont expliqué
que le secteur manufacturier se développe certes en Inde, mais à un rythme
considérablement inférieur à celui de la Chine. Celle-ci se classe en 5e
position pour les échanges commerciaux au niveau mondial, tandis que l'Inde
n'est que 24ème. Il n'en demeure pas moins que le niveau des échanges
commerciaux indiens a triplé depuis 2001. En matière d'investissements
étrangers directs, l'Inde se classe 18e la Chine, 3e.
Alors que l'Inde se refuse à adopter
les normes occidentales pour lutter contre le changement climatique et s'est
alignée sur la position de l'administration Bush face au protocole de Kyoto,
les Britanniques s'efforcent d'impliquer les deux pays dans un dialogue sur le
défi posé par le climat. L'Inde est particulièrement menacée par le réchauffement
de la planète et ses citoyens les plus pauvres sont les plus vulnérables. Ses
voisins sont également assaillis par des problèmes économiques et sécuritaires,
et les Britanniques considèrent qu'elle joue un rôle stabilisateur très
important. Cela est particulièrement vrai en Afghanistan, où l'Inde a lancé un
programme substantiel d'aide bilatérale.
AFGHANISTAN
La délégation a également rencontré les
membres de la Commission d'enquête sur le développement de la Chambre des
communes afin d'examiner son récent rapport sur l'Afghanistan. A l'instar du
rapport de la Sous-commission de l'AP-OTAN, celui-ci se penche sur les défis
qui se posent dans ce pays. La Commission s'est rendue en Afghanistan en
octobre. Ses membres considèrent que l'engagement envers ce pays représente une
priorité essentielle.
Les membres se sont ensuite intéressés
au problème de la culture du pavot, en rapide expansion dans le pays.
L'Afghanistan fournit approximativement 90% de l'opium dans le monde et les
agriculteurs peuvent très facilement vendre leur production. Il est d'ailleurs
fréquent que l'opium soit vendu dans les exploitations agricoles mêmes, alors
que la production alimentaire doit être acheminée jusqu'aux marchés, ce qui
entraîne de considérables risques financiers et parfois personnels pour les
agriculteurs. Le maintien de l'ordre représente un autre grave défi. La police
afghane est rongée par la corruption. Ce problème doit être résolu parce qu’il
suscite le mécontentement de la population envers l’État.
L'expérience du Royaume-Uni et des
États-Unis en Afghanistan et en Irak a apporté de nombreux enseignements
militaires. Le principal d'entre eux réside dans la constatation que, lors
d'une lutte anti-insurrectionnelle, la dimension militaire n'est qu'un des
composants d'une approche présentant de nombreux aspects. Le général Petraeus
et l'ambassadeur américain Ryan Crocker l'ont clairement souligné récemment,
lors de leur audition par le Congrès américain. Tout un éventail
d'enseignements tactiques a également apporté de profondes modifications dans
la formation et l'équipement des militaires. Du point de vue opérationnel et
stratégique, ces expériences ont en outre permis de constater la complexité du
défi, ainsi que la mesure dans laquelle les gouvernements et les militaires
occidentaux doivent tenir compte du facteur d'incertitude.
Des échanges de vue sur les défis du
développement avec des représentants du ministère du Développement
international ont souligné la complexité des défis dans le pays. En 2001,
l'Afghanistan n'avait pas de gouvernement à proprement parler et était l'un des
pays les plus pauvres au monde, avec une espérance de vie et un taux
d'alphabétisation extraordinairement bas. Lorsque l'on tient compte de ce point
de départ, on constate que de nombreux progrès ont été accomplis. La mortalité
infantile diminue, des millions d'enfants sont scolarisés, le gouvernement a
acquis la capacité de servir la société, notamment grâce à la sécurisation
d'une grande partie du pays. C'est ainsi que 70% des attaques n'interviennent
que dans 10% des districts afghans. La culture du pavot est en outre désormais
pratiquée dans moins de régions qu'auparavant, bien que son volume n'ait pas
diminué.
Aider à la construction de l'État
afghan représente une priorité essentielle pour le Royaume-Uni et les problèmes
dans ce domaine sont multiples et complexes. La corruption est particulièrement
inquiétante et Transparency International classe l'Afghanistan à la 117ème
place sur 159. Les donateurs sont conscients du problème, mais celui-ci ne doit
pas les dissuader d'œuvrer au renforcement du budget afghan, ni d'acheminer
l'aide par le biais de l'État. La Banque mondiale a procédé à un audit des
dépenses budgétaires et son rapport fait état de signes manifestes
d'amélioration.
Le gouvernement britannique salue la
nomination de Kai Eide pour superviser la coordination globale des efforts
internationaux en Afghanistan. S'il parvient à mener à bien sa mission,
l'efficacité de l'aide devrait en sortir renforcée. Plusieurs pays, dont les
États-Unis, sont aujourd'hui davantage conscients du problème des
doubles-emplois de l'aide et des lacunes liées au financement par le biais du
budget de l'État afghan. Le moment semble donc opportun pour chercher à
parvenir à une meilleure coordination. Les États-Unis, qui constituent le
principal donateur en Afghanistan, semblent désormais désireux de faire
transiter une plus grande partie de leur aide par le biais du Fonds
d'affectation spéciale pour l'Afghanistan, un vecteur international pour l'amélioration
de la coordination en matière d'assistance.
La délégation a également rencontré des
responsables du Foreign Office pour aborder plusieurs thèmes, dont les
relations américano-britanniques. Le Premier ministre Gordon Brown est soucieux
de confirmer les relations particulières que le Royaume-Uni entretient avec les
États-Unis et il a récemment rencontré les trois candidats à la présidence. Les
défis communs essentiels sont, à ses yeux, le changement climatique, l'Irak,
l'Afghanistan, l'Iran et l'Afrique. Il apparaît que les trois candidats à la
présidence américaine considèrent le réchauffement de la planète comme leur
priorité.
TURBULENCES FINANCIÈRES MONDIALES
Les réunions se sont achevées par une
discussion avec des responsables du Trésor britannique, afin d'examiner les
origines et caractéristiques de l'actuelle instabilité financière mondiale.
L'essor du modèle bancaire d' " octroi puis cession " du crédit a
généré des failles au niveau des réglementations, en permettant la sécurisation
de divers ensembles d'opérations de prêts et leur revente sous la forme de
nouvelles valeurs mobilières. Cela a généré de nouveaux flux de revenus pour
les banques et a eu l'effet bénéfique de répartir les risques liés aux prêts
au-delà du secteur bancaire. L'on estimait généralement que cela contribuerait
aussi à stabiliser davantage le système bancaire. Or les liens entre banques et
emprunteurs étaient affaiblis. Des véhicules d'investissement spécialisés ont
alors été de plus en plus utilisés par le système bancaire. Ces produits, qui
permettaient l'arbitrage entre les taux d'intérêt à court et long terme,
exigeaient un niveau élevé de prêts à court terme entre banques. Nombre d'entre
eux bénéficiaient d'une cotation élevée auprès des organismes de cotation, ce
qui ne reflétait pas de manière adéquate leurs risques inhérent.
La crise des crédits hypothécaires à
risques (supprimes) a mis en lumière l'échec du système financier à évaluer les
risques représentés par ces nouveaux produits. Cela a entraîné une crise de
confiance et les banques sont devenues très réticentes à se prêter mutuellement
de l'argent, ce qui a provoqué la paralysie des marchés du crédit. Les banques
n'avaient plus guère confiance dans leurs bilans réciproques. La complexité de
certains des produits d' " octroi puis cession " détenus par les banques
et l'effondrement du marché de l'immobilier aux États-Unis provoquèrent une
sorte de réaction en chaîne. Bear Stearns aux États-Unis et Northern Rock au
Royaume-Uni en ont été les premières victimes et leurs difficultés, de même que
la chute des actions et l'augmentation des prix des matières premières, ont
exacerbé les incertitudes de l'économie mondiale au cours des derniers mois.
C'est pourquoi les banques centrales
ont cherché à calmer le jeu, en fournissant les liquidités si nécessaires à un
marché pratiquement bloqué. Cela a contribué à apaiser les craintes liées au
crédit et à accroître la confiance dans les marchés monétaires. Comme de
nombreux fondamentaux sous-jacents demeurent solides, la confiance est
réapparue. Tout le monde s'accorde désormais à considérer qu'une plus grande
transparence du marché est nécessaire, afin de modérer l'instabilité. Il est
manifestement difficile d'évaluer les risques lorsque les valeurs mobilières
sont morcelées en plus petites unités et " reconditionnées " sous la
forme de valeurs de valeurs. Une meilleure information est nécessaire, afin que
les investisseurs soient en mesure de comprendre les risques qu'ils prennent.
Tant les banques que les organismes de régulation tirent de nombreux
enseignements de cette expérience et des changements dans l'environnement des
réglementations sont très probables.
Respectueusement soumis,
M. Leon Benoit, député
Président
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)