L’Assemblée parlementaire de l’Organisation du
Traité de l’Atlantique Nord (AP-OTAN) a organisé le Forum parlementaire
transatlantique annuel, qui s’est tenu au début de décembre à Washington, D.C.,
avec l’Université nationale de la Défense des États-Unis (NDU) et le Conseil de
l’Atlantique des États-Unis (ACUS). Le Forum parlementaire transatlantique
procure aux parlementaires membres de l’OTAN une occasion d’examiner les
politiques de sécurité nationale des États-Unis ayant une incidence sur les
affaires de l’Alliance.
Les 2 et 3 décembre 2013, 80 parlementaires de 20
pays de l’OTAN et de 2 pays partenaires ont eu l’occasion de participer à un
dialogue avec de hauts fonctionnaires du gouvernement Obama, des spécialistes
en politiques et des journalistes établis à Washington pour tenter de mieux
comprendre la teneur des priorités stratégiques des États-Unis et les façons
dont les politiques intérieures de ce pays façonnent sa vision internationale.
Le Canada était représenté au Forum par les
députés Cheryl Gallant, Jack Harris, Cornelìu Chisu, Élaine Michaud, et Joyce
Murray.
Le major général Gregg F. Martin, président de la
NDU, et Frances G. Burwell, vice-présidente et directrice du programme sur les
relations transatlantiques à l’ACUS, ont accueilli les délégués, parlé
brièvement du rôle de leur établissement respectif et souligné l’importance du
dialogue interparlementaire dans le renforcement des fondements de l’Alliance.
Hugh Bayley, président de l’Assemblée parlementaire (AP) de l’OTAN, a remercié
la NDU et l’ACUS de leur soutien continu, et les délégués, de leur présence à
la réunion. Il a souligné que l’Europe et l’Amérique du Nord sont plus fortes
quand elles s’expriment d’une seule voix et qu’elles sont solidaires. Pourtant,
on ne peut tenir ce partenariat pour acquis. Comme la fin de la mission de
combat de l’OTAN en Afghanistan et le Sommet de l’OTAN de 2014 approchent,
l’Alliance doit élaborer un récit solide que les citoyens peuvent comprendre et
avec lequel ils peuvent établir un lien. Il a exprimé sa conviction qu’il
était indispensable que la relation transatlantique soit au centre de ce récit.
La réunion a été menée selon la Règle de Chatham House.
RÉSUMÉ DES DISCUSSIONS
L’ÉTAT DU PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE
Les relations américano-européennes sont solides
et efficaces, mais les deux camps doivent regarder vers l’avenir. Dans cet
esprit, les États-Unis ont récemment mis en avant l’idée d’une
« Renaissance transatlantique ». Comme Victoria Nuland, secrétaire
d’État adjointe aux affaires européennes et eurasiennes, l’a déclaré récemment
lors d’une conférence de l’ACUS, « nos économies commencent à émerger de
cinq années de récession, mais cette reprise ne suffit pas. Ce qu’il faut,
c’est une “Renaissance transatlantique”, un nouvel élan d’énergie, de
confiance, d’innovation et de générosité, ancrées dans nos valeurs et nos
idéaux démocratiques. »
Aujourd’hui, les États-Unis sont attirés vers
différentes avenues sur la scène mondiale. La région de l’Asie-Pacifique ainsi
que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord posent des défis particulièrement
importants. Cependant, même dans leur propre hémisphère, les États-Unis sont
confrontés à bien des problèmes et des possibilités. En Europe, de graves
problèmes subsistent dans les Balkans et le Caucase, en Moldavie, à Chypre et
au sein de l’Union européenne elle-même. La Russie demeure un partenaire
difficile, bien qu’essentiel, des États-Unis : un engagement continu est
important en présence d’intérêts communs. Néanmoins, les États-Unis doivent
également exprimer leurs inquiétudes au sujet des politiques russes qui sont
problématiques. Des questions comme l’insécurité alimentaire, les problèmes
d’eau potable, les défis environnementaux et le terrorisme devraient également
retenir l’attention des États-Unis. En dépit de leurs vastes intérêts en
matière de sécurité et des révélations d’Edward Snowden, qui ont sans aucun
doute une incidence sur la relation entre les États-Unis et certains
gouvernements, les responsables américains veulent faire savoir à l’Europe qu’ils
demeurent leur partenaire mondial de premier recours. En effet, ils
reconnaissent que les intérêts et les objectifs des États-Unis et de l’Europe
ont tendance à coïncider. Si l’Europe est forte, par extension, cela renforcera
les États-Unis.
Depuis la fin de la guerre froide, l’Alliance de
l’Atlantique Nord est passée d’une stratégie fondée sur la défense territoriale
à une stratégie exigeant un engagement accru dans le monde. Cependant, aux
États-Unis, bien des décideurs font valoir que leurs alliés européens
n’assument pas suffisamment la part qui leur revient en matière de défense
collective pour maintenir la vigueur de l’OTAN. Les autorités américaines
comprennent bien que les réalités budgétaires minent les dépenses militaires en
Europe. Des pressions similaires sont toutefois exercées sur les dépenses
militaires des États-Unis, bien que le gouvernement américain semble désireux
de maintenir le statu quo ou, du moins, limite les coupures tout en s’assurant
que celles-ci sont réfléchies. Néanmoins, les décideurs politiques américains
soulignent que l’Europe doit respecter ses engagements et maintenir ses
capacités de défense, qui sont d’une importance vitale. L’Alliance doit être
prête à répondre aux appels à l’action militaire lancés à court préavis, comme
elle l’a fait en Libye en 2011, surtout étant donné la situation précaire dans
le voisinage de l’Europe. Pour maintenir et améliorer les capacités de l’OTAN,
les alliés doivent dépenser plus intelligemment et plus collectivement pour se
doter de capacités dignes du XXIe siècle, y compris des programmes
de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, et des moyens de
commandement, de contrôle et de communication, de même que des capacités de
frappes. Les décideurs politiques américains ont récemment précisé clairement
qu’il importait peu que ces capacités soient élaborées sous les auspices du
pays, de l’OTAN ou de l’UE.
LES NÉGOCIATIONS DU PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE DE
COMMERCE ET D’INVESTISSEMENT
Une pièce essentielle du casse-tête que représente
le renforcement des deux côtés de l’Atlantique et ainsi de la relation
transatlantique est le Partenariat transatlantique de commerce et
d’investissement proposé. Les relations commerciales avec l’autre côté de
l’Atlantique sont déjà profondes et intégrées. Elles représentent près de la
moitié de la production mondiale, le tiers du commerce mondial, 4 billions de
dollars US en investissements directs étrangers mutuels, et 13 millions
d’emplois. Néanmoins, selon les dirigeants américains et européens, le
Partenariat entraînerait d’autres avantages : il permettrait d’augmenter
le commerce et l’investissement bilatéraux, la croissance économique et la
compétitivité internationale, et de créer plus d’emplois. Un accord sur le
Partenariat jouerait également un rôle stratégique important dans divers enjeux
économiques mondiaux et pourrait représenter la dernière et la meilleure chance
d’établir un programme de commerce mondial libéral.
Tous les décideurs et les négociateurs se rendent
compte que le Partenariat dépend de sa logique économique sous-jacente.
Cependant, il renforcerait également la relation transatlantique en rapprochant
les économies des pays d’Europe et d’Amérique du Nord, en approfondissant le
partenariat et en faisant progresser les normes internationales auxquelles les
États-Unis et l’UE souscrivent. Le Partenariat fait face à des négociations
difficiles, avec des hauts et des bas. Néanmoins, tous les États conviennent
que l’idée est excellente si elle est bien réalisée. Depuis le début des négociations,
le rythme est rapide et le demeurera, avec trois séries de pourparlers prévus
en 2013. Toutefois, on ne s’est pas fixé d’échéance pour la conclusion des
négociations.
Certains des objectifs les plus importants du
Partenariat sont d’éliminer les droits de douane sur l’ensemble des échanges de
biens outre-Atlantique afin de permettre d’ouvrir des débouchés aux
fournisseurs de services et aux investisseurs, d’accroître les possibilités
d’investissement dans un vaste éventail de domaines et de disciplines, et
gommer les différences entre les régimes de réglementation et de normalisation.
En effet, les différences entre les règlements et les normes constituent
aujourd’hui l’obstacle le plus décourageant au commerce et à l’investissement.
Il s’agit donc d’un important sujet de préoccupation pour les négociateurs.
Toutes les parties soulignent qu’il faut trouver à ces différences une solution
compatible avec les normes élevées en matière de santé, de sécurité et de
protection de l’environnement auxquelles les citoyens américains et européens
sont en droit de s’attendre. Aucune partie ne veut que la réglementation se
conforme au plus petit dénominateur commun.
Le Partenariat doit aussi ouvrir la voie à des
moyens nouveaux et plus efficaces de régler les préoccupations communes de pays
tiers et du système commercial mondial même. Il doterait l’Europe et les
États-Unis des outils nécessaires pour améliorer l’architecture commerciale
mondiale, introduire de nouvelles règles du marché et régler la conduite de l’ordre
commercial multilatéral. Cela contrerait la recrudescence du protectionnisme
qui résulte de la récession mondiale.
Les deux parties aux négociations sur le
Partenariat tiennent à la transparence tout au long des négociations et à
l’inclusion d’un large éventail d’intervenants. En effet, avant même la mise en
branle des pourparlers officiels, il y a eu trois séries de commentaires de la
part d’intervenants du secteur privé, qui comptaient des pays tiers qui
pourraient être touchés par le Partenariat.
LES DÉFIS TRANSATLANTIQUES AU MOYEN-ORIENT
Le Moyen-Orient continue de revêtir une importance
cruciale pour l’Alliance. L’OTAN continuera probablement d’aborder la région
avec prudence. Cependant, l’instabilité régionale aura des conséquences pour
l’Alliance. Lors du Forum parlementaire de cette année, on a relevé à la fois
le défi nucléaire iranien et celui de la crise en Syrie.
L’Iran est depuis très longtemps une puissance
dans la région. Beaucoup d’experts sont d’avis que les programmes nucléaires et
les programmes de missiles actuels de l’Iran ainsi que ses ambitions régionales
ne sont pas tout simplement des produits de l’islamisme de la région, mais
plutôt l’expression d’une tradition nationale de longue date qui vise à assurer
la grandeur de la région. Parmi ses objectifs les plus importants, le régime
compte l’assurance de sa propre stabilité et le règlement des problèmes de
sécurité régionale. Les sanctions sévères mises en place contre l’Iran, qui
frappent durement l’économie nationale, ont certainement influencé la décision
de passer à la table de négociation. Néanmoins, en dépit de ces sanctions, le
gouvernement semble être assez sûr.
De nombreux experts avertissent que le nouveau
premier ministre élu, Hassan Rohani, et l’entente provisoire sur le programme
nucléaire signée en novembre 2013 risquent de ne pas être à la hauteur des
grands espoirs de certains analystes et décideurs occidentaux. En effet,
l’Europe et les États-Unis ont tendance à ne pas avoir la même perception, ce
qui pourrait compliquer les efforts en vue de mettre au point une politique
« occidentale » durable à l’égard de l’Iran.
La plupart des spécialistes conviennent qu’une
solution négociée au problème nucléaire iranien serait optimale, pourvu qu’elle
rejoigne les préoccupations de ceux qui craignent que l’Iran soit au bord de la
crise. Pourtant, certains autres spécialistes sont d’avis qu’il est improbable
qu’on en arrive à une telle solution. Si les négociations aboutissent, le
statut de l’Iran dans la région s’améliorera. Cela crée un grand malaise parmi
les autres puissances régionales. Toutefois, les décideurs politiques
américains continuent de souligner que le pays ne laissera pas ses amitiés
traditionnelles dans la région se détériorer à cause de la diminution des
frictions avec le régime iranien.
À la suite de ce que nous avons appelé le
printemps arabe, la question clé de la légitimité politique a de nouveau surgi.
Sous l’Empire ottoman, cette légitimité était conférée au sultan et reposait
sur lui. Cependant, après l’effondrement de cet empire, les États successeurs
ont lutté pour remplacer cette notion de légitimité par une solution de
rechange viable. L’expérience en Syrie et en Égypte en témoigne : en
Syrie, le gouvernement a écrasé un mouvement de protestation pacifique, à la
suite de quoi, l’opposition politique s’est radicalisée; en Égypte, le
président élu, Mohamed Morsi, a voulu gouverner à la façon d’un pharaon et a
été déposé, l’armée ayant tenté par la suite de rétablir sa propre légitimité
politique. Selon de nombreux experts, la région ne redeviendra stable qu’une
fois que la légitimité politique sera rétablie. Il faudra pour cela beaucoup de
temps, et les puissances extérieures, dont les États-Unis, sont peu en mesure
d’être le moteur de ce changement.
L’administration Obama a été accusée de mal gérer
la crise syrienne, ayant d’abord cru que le président Bachar al-Assad tomberait
rapidement, ce qui ne s’est pas concrétisé. Ses détracteurs disent que cette
indécision. L’indécision de l’administration Obama est compréhensible dans une
certaine mesure, compte tenu de la réticence de la population américaine à
appuyer de nouvelles interventions militaires. En rétrospective, toutefois,
l’administration américaine aurait probablement géré la crise différemment si
elle avait pu prévoir la situation actuelle. Beaucoup soutiennent que le
printemps de 2012 aurait été le moment idéal pour exprimer un appui vigoureux
aux rebelles modérés de la Syrie. Néanmoins, ce moment est maintenant passé.
Aujourd’hui, tous les recours sont empreints d’incertitude et susceptibles de
produire des résultats qui ne plaisent pas à tous. Les nationalistes modérés de
la Syrie se battent sur deux fronts : contre le régime Assad et contre les
islamistes extrémistes.
À Washington, certains font maintenant valoir que
la signature avec l’Iran d’un véritable accord sur les réacteurs nucléaires,
qu’Israël risque d’approuver, inciterait peut-être l’Iran à cesser d’appuyer le
régime Assad. D’aucuns prétendent aussi que les liens entre la Syrie et l’Iran
ne sont peut-être pas aussi étroits qu’on les présente souvent.
Il est illusoire d’espérer que la conférence de
Genève II sur la Syrie sera très fructueuse, d’autant plus qu’aujourd’hui,
l’opposition est terriblement fragmentée. Certains analystes laissent entendre
que le véritable choix consiste aujourd’hui à accepter la probabilité qu’Assad
conserve son contrôle de l’État syrien ou à s’engager à soutenir sérieusement
les rebelles. Ces deux options sont très risquées. Si la situation actuelle
persiste, elle pourrait ressembler à celle qui avait cours en Afghanistan avant
l’effondrement du régime taliban.
REPENSER LA RÉACTION TRANSATLANTIQUE AU TERRORISME
Depuis la mort d’Oussama ben Laden, le terrorisme
djihadiste a évolué considérablement. Le président Obama a rectifié le discours
souvent hargneux de la « guerre mondiale contre le terrorisme »,
véhiculé sous la règle du président Bush, et récrit la stratégie antiterroriste
des États-Unis. Certaines personnes estiment que le long combat contre Al-Qaïda
est maintenant terminé, mais beaucoup d’autres affirment que le visage du
terrorisme islamique a tout simplement changé. Sans aucun doute, la menace
immédiate d’une attaque dans le genre de celle du 11 septembre n’est pas
aussi imminente. Toutefois, cela ne veut pas dire que la communauté
internationale ne fait pas face à une menace permanente de terrorisme inspiré
de l’Islam. Le terrorisme est en train de se transformer, et les experts n’ont
pas encore trouvé ce que les récents changements signifieront. Un des
changements cruciaux est qu’Al-Qaïda n’est plus centralisée, ce qui rend les
cellules terroristes bien plus difficiles à détecter et à infiltrer.
Trois grandes tendances se dessinent.
Premièrement, le champ de bataille est en train de changer radicalement. En
Afghanistan et en Irak, les États-Unis comprennent très bien les modes de
fonctionnement des terroristes. Cependant, comme ils ne sont plus présents en
Irak, et qu’on ne sait pas encore vraiment s’ils le seront en Afghanistan après
2014, il sera beaucoup plus difficile de surveiller les cellules terroristes
dans les deux pays. Des éléments d’Al-Qaïda voient des occasions d’exploiter
l’instabilité en Syrie et en Irak pour redynamiser et réorganiser
l’organisation. Deuxièmement, une grave crise de la gouvernance se fait sentir
dans plusieurs régions du monde, et particulièrement au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord. En effet, une poignée de gouvernements y contrôlent de vastes
régions à l’extérieur des centres urbains, et les territoires sans lois offrent
aux terroristes des possibilités de s’organiser. Les États-Unis devraient
plutôt aider les gouvernements à mieux contrôler les régions périphériques. En
même temps, des révolutions politiques ont balayé d’anciens réseaux de
renseignement souvent fiables. La Syrie constitue désormais le pôle le plus
important pour les combattants étrangers, et l’on craint vivement que les
djihadistes étrangers retournent vivre dans leur propre société et travaillent
à la déstabiliser. Troisièmement, les terroristes sont maintenant moins
orientés vers les États-Unis et nourrissent des ambitions plus locales, ce qui
induit un changement de tactiques, les groupes islamistes extrémistes utilisant
maintenant une approche plus douce dans les régions où ils s’implantent. Ces
nouvelles tactiques sont particulièrement flagrantes dans certaines parties de
la Syrie et font effectivement de ces groupes une menace plus redoutable dans
la mesure où ceux-ci sont dotés de meilleurs outils politiques. De plus, en
agissant à titre de groupe de rebelles en Syrie, ils sont en voie d’atteindre
un certain niveau de légitimité, ce qui pourrait les rendre plus puissants à
long terme.
La nouvelle stratégie antiterroriste américaine
emploie encore tous les outils à sa disposition : outils militaires,
diplomatiques, informationnels et économiques, veille stratégique, forces de
l’ordre, outils juridiques, etc. La destruction des dirigeants terroristes, le
refus de l’asile et l’élimination des espaces servant au recrutement de
terroristes sont autant d’objectifs clés de la lutte contre le terrorisme par
les responsables de la politique américaine. Cependant, ce sont des objectifs
difficiles à atteindre. Le gouvernement américain a instauré un cadre juridique
complet tout en comblant des lacunes de la stratégie antérieure, y compris en
élaborant de nouvelles procédures concernant les frappes de drones et en menant
des opérations militaires encourageant les forces du pays partenaire à diriger
effectivement les opérations. Il a également amélioré la résilience au pays,
notamment au moyen de la formation intensive des premiers intervenants publics,
comme on a pu le voir lors des attentats de Boston.
L’APPROCHE AMÉRICAINE EN MATIÈRE DE CYBERSÉCURITÉ
Les questions de cybersécurité constituaient un
autre thème du Forum de cette année. Dans les débats publics sur la
cybersécurité, on semble souvent supposer qu’il s’agit d’un phénomène nouveau.
Or, ce n’est pas le cas. Il y a eu des cas de cyberespionnage dès 1986, lorsque
des pirates informatiques allemands ont cherché à voler de l’information sur la
défense antimissile des États-Unis pour la vendre à l’Union soviétique. Le
problème aujourd’hui, bien sûr, est beaucoup plus complexe. D’importantes
cyberattaques ont été lancées contre l’Estonie en 2007 et la Géorgie en 2008,
et ce que l’on appelle des pirates militants provenant de groupes comme
Anonymous posent également des problèmes de sécurité. Toutefois, il n’y a aucun
consensus sur les définitions en ce qui concerne cette menace. Certains y
voient essentiellement un problème des gouvernements, tandis que d’autres se
concentrent sur les dimensions de la sécurité publique. Le problème avec les
cybermenaces, c’est qu’elles relèvent des deux domaines, ce qui exige un
important changement de mentalité pour que l’intervention soit suffisante, et
les moyens de défense, efficaces.
Aujourd’hui, beaucoup de personnes ne sont pas au
courant des normes de protection des réseaux. Une défense solide commence par
une bonne gestion des systèmes des secteurs public et privé. Les forces de
l’ordre peuvent, de toute évidence, également jouer un rôle important.
Cependant, il faut comprendre que, si les systèmes gouvernementaux sont
vulnérables, ils sont beaucoup moins omniprésents que les réseaux privés. Il
s’agit d’un changement de paradigme quant à la façon d’envisager la sécurité,
qui exige un diagnostic clair ainsi que de nombreux débats publics.
Une importante discussion porte actuellement sur
le fait de savoir si la mise au point de capacités de cyberinfraction est une composante
légitime d’une stratégie globale de défense. Aux États-Unis, presque toutes les
entreprises ont déjà été l’objet de cyberattaques, et celles qui ne l’ont pas
été le seront probablement. On manifeste de plus en plus d’intérêt pour la
« riposte ». Néanmoins, cela peut s’avérer extrêmement dangereux,
puisqu’une telle attaque pourrait bien détruire des réseaux internes. L’espace
cybernétique est simplement trop interconnecté.
Les gouvernements et les citoyens occidentaux
doivent également s’attaquer à la question de confiance du public. Les
populations occidentales sont en colère et ont perdu confiance dans les médias,
les entreprises, les banques et le gouvernement, et le cyberproblème alimente
cette colère. La confidentialité et les droits civils sont aussi en jeu. Les
sociétés occidentales devront faire face à la tension qui existe entre la
protection de la vie privée et la sécurité. Les opinions de l’Europe sur toutes
ces questions diffèrent de celles des États-Unis, ce qui crée des frictions sur
plusieurs fronts. Une chose est claire : les gouvernements ne peuvent
gérer de vastes efforts sur le plan de la cyberdéfense comme ils gèrent les
autres programmes militaires. La nature de la menace est tout simplement trop
globale pour que cette question soit limitée aux ministères de la Défense et
aux forces armées nationales. En effet, la plus importante contre-mesure
défensive consiste en bonne partie à protéger les réseaux à la fois publics et
privés contre les vulnérabilités. Toutefois, encore là, il y a beaucoup de
travail à faire.
Les gouvernements et les parlements doivent aussi
tenir compte des questions budgétaires. Il importe d’établir le niveau adéquat
de dépenses publiques et privées liées à la cyberdéfense, et les dirigeants
doivent établir un véritable équilibre entre ces deux types de dépenses.
Cependant, encore une fois, les priorités les plus impérieuses sont de protéger
correctement les réseaux et de limiter les autorisations administratives, ce
qui est un exercice assez simple. C’est ce qu’on appelle en affaires
« l’hygiène de base »; ironiquement, on la perd souvent de vue.
Enfin, pour demeurer réaliste, on doit accepter le fait que les gouvernements
recueilleront des données. Néanmoins, les populations occidentales exigeront que,
ce faisant, ils soient guidés par des règles efficaces et fassent l’objet d’une
surveillance démocratique adéquate.
QUE NOUS A APPRIS L’EXPÉRIENCE AFGHANE?
La mission en Afghanistan occupe toujours une
place centrale pour les États-Unis. Alors que la mission actuelle de la Force
internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) tire à sa fin, le Forum
parlementaire transatlantique a examiné l’expérience américaine et alliée dans
ce pays et cherché à tirer plusieurs leçons de cette expérience.
En 2014, le retrait des troupes de la FIAS se
poursuivra, tout comme la rationalisation et les fermetures des bases aux
quatre coins du pays. Les élections, auxquelles la coalition ne fournira pas
d’aide directe, pourraient s’avérer déstabilisantes, surtout si un second tour
de scrutin est nécessaire. Ce tour coïnciderait probablement avec le stade
final du retrait de la coalition, à l’automne 2014. Dans le cadre de
l’opération Soutien résolu, les forces de la coalition contribueront à former,
à conseiller ainsi qu’à aider leurs homologues afghans, mais la nature de la
mission dépendra du nombre de soldats sur le terrain. Certains soutiennent que
le nombre éventuel serait de 9 500 soldats, qui seraient déployés en
cercles concentriques. Le soutien des ministères, notamment de ceux de la
Défense et de l’Intérieur, devrait être la priorité. Ensuite, il faudra doter
du personnel adéquat les installations de formation établies à Kaboul. Au-delà
de cela, il faudrait donner des conseils à long terme et établir des
partenariats d’aide au quartier général du corps d’armée régional afghan, et
éventuellement fournir aux brigades des conseils spécialisés sur les lieux, si
le nombre de soldats le permet. Le maintien de la coalition est donc vital.
Sinon, l’Afghanistan pourrait se trouver confronté aux mêmes difficultés que le
régime de Najibullah après l’effondrement de l’Union soviétique, dont les
conseillers et l’argent ont énormément aidé le régime à conjurer les
moudjahidines. Il est également essentiel de contrer le récit des talibans de la
« capitulation occidentale ». Cela permettrait aussi de rassurer le
Pakistan, qui craint d’être encerclé par l’Inde. La dispute actuelle au sujet
de l’accord bilatéral sur la sécurité entre les États-Unis et l’Afghanistan
vient compliquer la planification de la mission au-delà de 2014.
Un grand défi pour 2014 réside dans
l’opération de retrait, consistant à rapporter d’Afghanistan l’équipement
appartenant aux forces alliées : on avait apporté beaucoup de matériel
dans ce pays, mais pas beaucoup ne l’avait quitté au cours des dix dernières
années. Lors d’un récent inventaire, les États‑Unis seulement ont compté
60 000 véhicules et 100 000 conteneurs excédentaires.
Depuis deux ans, on a assisté à des progrès dans
l’avancement de la Force de sécurité nationale afghane (FSNA) vers une position
prédominante, et la FIAS a mis en œuvre des structures adéquates pour
conseiller la FSNA. Surtout en 2013, cette dernière a bien réussi les
opérations dans lesquelles elle avait pris les devants, malgré le fait qu’elle
ait subi de lourdes pertes. La coalition avait travaillé très fort à
diversifier la composition de la FSNA, de sorte que celle-ci comprenait les
Pachtounes du Sud. Elle comptera 350 000 soldats jusqu’en 2018.
D’énormes investissements dans l’économie afghane
seront nécessaires entre 2016 et 2018 pour contrebalancer les
compressions des dépenses de la coalition dans l’économie intérieure, alors que
cette économie subira certainement les contrecoups externes d’un choc qui la
secouera considérablement, car elle a longtemps été dénaturée par la présence
de milliers de forces militaires étrangères.
En ce qui concerne les leçons retenues pour les
opérations futures, les spécialistes donnent amplement de conseils. D’abord, il
est temps que la coalition aligne ses objectifs et ses attentes sur la
situation sur le terrain. Il est important à cet égard qu’elle comprenne le
capital humain et les structures de la gouvernance. La coordination des
messages stratégiques, le maintien de solides capacités d’intervention en cas de
crise, la constitution d’une capacité administrative, l’amélioration de la
gouvernance sous‑régionale et de la coordination pendant toute la
campagne et la compréhension de la corruption sont d’autres secteurs dans
lesquels elle a beaucoup à apprendre. Finalement, une force rebelle comme les
talibans constitue un problème tactique, mais les questions entourant la
gouvernance et, surtout, la corruption représentent des menaces existentielles
dont il faut tenir compte.
Il existe un danger à codifier les leçons
apprises. On devrait être conscient que l’on pourrait être accusé du fait que
cela vient renforcer la tendance qu’ont les militaires à refaire la dernière
guerre plutôt qu’à s’adapter à la mission à accomplir. Il n’en demeure pas
moins que les experts ont tiré trois leçons. Premièrement, les dirigeants
doivent comprendre les différences qui existent entre la politique énoncée et
les mécanismes de mise en œuvre. Washington est une ville d’élaboration de
politiques : dès qu’une politique ne fonctionne pas, on doit prévoir
l’adoption d’une nouvelle approche. Il est par contre possible que la politique
en tant que telle ne soit pas à blâmer, mais plutôt le fait qu’elle ne soit pas
mise en œuvre de façon appropriée, parce qu’il faut du temps pour cela. Lorsque
le gouvernement formule de nouvelles politiques, il faut trouver de nouvelles
définitions de la réussite, ce qui complique l’évaluation des progrès
accomplis. Deuxièmement, les États-Unis et leurs alliés ont besoin de meilleurs
« établissements d’enseignement » pour mieux discerner si ce qu’ils
font est bien ou non et s’ajuster en conséquence. Un facteur critique est la
vitesse de roulement du personnel militaire. Celui-ci devrait demeurer sur le
terrain plus longtemps. Certains prétendent que les États-Unis n’ont pas mené
une guerre de 12 ans en Afghanistan, mais 12 guerres d’un an.
Troisièmement, les futures coalitions doivent apprendre à respecter les
cultures étrangères et adopter des politiques en conséquence. Cela entraîne des
difficultés pour les États-Unis et est la cause de plusieurs blessures qu’ils
se sont infligées eux-mêmes.
Même après la fin de la mission de la FIAS, les
refuges d’Al-Qaïda poseront des problèmes, et le pays continuera à affronter
une importante insurrection. Sa façon de gérer la transition actuelle
déterminera dans une large mesure sa capacité de s’en sortir à long terme.
L’ESSOR DU PÉTROLE ET DU GAZ PROVENANT DE SOURCES
NON CLASSIQUES : RÉPERCUSSIONS SUR LA POLITIQUE DES ÉTATS-UNIS EN MATIÈRE
D’AFFAIRES EXTÉRIEURES ET DE SÉCURITÉ
Le meilleur exemple de politique énergétique
internationale est peut-être l’essor du pétrole et du gaz des États-Unis
provenant de sources non classiques, qui semble parti pour modifier le flux
d’énergie mondial. Il n’y a pas si longtemps, les ressources énergétiques des
États-Unis étaient insuffisantes pour soutenir le marché intérieur. Or, la
production de gaz naturel et de pétrole est en pleine progression grâce à la
fracturation hydraulique et aux techniques de forage latéral. Les États-Unis
sont en voie d’atteindre 90 % d’autosuffisance énergétique. Le pays
deviendra vraisemblablement un exportateur net de gaz naturel d’ici la fin de
la décennie. La production de gaz naturel dans le schiste Marcellus, situé dans
le Nord‑Ouest des États-Unis, est supérieure à la capacité d’exportation
des deux plus grands exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié (le Qatar et
l’Australie).
Néanmoins, la promesse que représentent les
ressources non classiques n’est pas certaine : les politiques, la
technologie ainsi que les conditions de marché sont aussi des enjeux
importants. Il y a encore bien des difficultés et des incertitudes dans des
domaines comme l’infrastructure, l’investissement, la réglementation, les
politiques et l’acceptabilité sociale. En outre, on ne sait pas quelle quantité
de gaz et de pétrole provenant de sources non classiques les sociétés
américaines vont exploiter, à quelle vitesse elles vont le faire et pendant
combien de temps celles-ci vont durer. Il importe de signaler que les sources
de schiste ne se ressemblent pas toutes. La façon d’appliquer la technologie de
forage et de réservoir de fracturation ainsi que l’expérience opérationnelle
est également importante. Actuellement, la vitesse soutenue du déclin nécessite
des investissements et un forage continus ainsi qu’une fracturation répétée.
L’industrie dépend des coûts et des prix. Si elle a réussi à prendre une telle
importance, c’est en partie grâce à la flambée des coûts de l’énergie, ce qui a
rentabilisé la fracturation. Néanmoins, on doit effectuer d’autres
investissements, tant dans les pipelines que dans le raffinage. Les
préoccupations environnementales et les obstacles sociétaux connexes entrent
aussi dans le coût, en dépit de techniques de forage de plus en plus sûres et
d’une plus grande transparence des entreprises. L’ampleur de l’utilisation, du
traitement et de l’élimination des eaux ne rend pas la tâche facile, et tout
particulièrement dans les régions, comme au Texas, où l’eau est une denrée
rare. On doit se préoccuper davantage de certains enjeux, comme l’utilisation
des terres, la densité de population, le bruit, les problèmes de santé, la
congestion routière et la réparation des routes. Une meilleure réglementation
et une meilleure application sont essentielles si l’on veut répondre à ces
préoccupations de nature environnementale et sociétale.
La forte expansion des sources d’énergie non
conventionnelles exercera une influence sur les structures actuelles du marché
de l’énergie et les principaux protagonistes de ces marchés. Cela renforcera
substantiellement la compétitivité des États-Unis sur certains de ces marchés,
et le pays dépendra moins directement de l’énergie provenant de la région du
Golfe, par exemple. En effet, les États du Golfe craignent de plus en plus que
les États-Unis profitent de leur indépendance montante sur le plan énergétique
pour éviter de relever les défis que pose la sécurité dans la région.
Cependant, leurs décideurs politiques continuent d’insister sur leur engagement
à l’égard de cette région.
La Russie s’inquiète aussi, car, à mesure que la
production mondiale d’énergie non conventionnelle augmente, l’effet de levier
qu’elle exerce sur certains marchés dans le secteur de l’énergie pourrait
diminuer. Son économie dépend beaucoup des exportations d’énergie, et la Russie
doit vendre cher cette énergie pour soutenir son budget. Au cours des
prochaines années, elle va se concentrer davantage sur la production de
pétrole. À mesure que cette production diminuera dans les champs existants en
Sibérie occidentale, les producteurs russes se déplaceront vers les régions
pionnières, plus risquées, et dont le coût est plus élevé. Dans l’Arctique, les
sociétés russes forment de plus en plus de partenariats avec des entreprises
étrangères pour obtenir le financement et la technologie dont elles ont besoin.
Comme élément important de sa stratégie arctique, la Russie souhaite développer
la route maritime du Nord, une route qui permettrait d’ouvrir davantage le
marché asiatique à l’énergie russe et de réduire sa dépendance à l’égard des
marchés européens.
La Russie est intéressée par la production de
pétrole et de gaz provenant de sources non classiques. Rosneft, par
exemple, souhaite avoir accès à des réservoirs de pétrole étanches en Sibérie
occidentale. Gazprom, en revanche, n’a pas encore manifesté d’intérêt
pour l’exploitation du gaz de schiste. Or, la Russie pourrait posséder les plus
importantes ressources de pétrole de schiste du monde. Le coût de leur
exploitation serait cinq fois plus élevé que dans le cas des champs de pétrole
brut de la Sibérie occidentale. Toutefois, l’infrastructure en place pourrait
les rendre intéressants si le secteur énergétique de la Russie se décidait à
bouger à cet égard. Moscou accorde des avantages fiscaux pour l’exploitation de
nouvelles ressources énergétiques, mais des investissements sont essentiels,
et, pour les entreprises, la stabilité fiscale pourrait devenir un problème. De
toute façon, le pétrole provenant des régions pionnières dépend en grande
partie du prix élevé du pétrole.
Alors que Rosneft a tendance à s’attaquer
au marché d’une manière traditionnelle, l’approche de Gazprom est très
différente. L’entreprise demeure très axée sur le marché européen. Cependant,
il y a actuellement un certain degré d’incertitude au sujet du marché européen
du gaz naturel. L’Europe surveille de près les tendances des marchés du gaz
naturel des États-Unis, qui sont de plus en plus façonnées par l’explosion
spectaculaire du secteur du gaz de schiste. En effet, les développements aux
États-Unis ont fondamentalement modifié les idées que se fait la Russie à
propos de leurs ambitions à long terme dans le domaine de l’énergie. Il
convient aussi de signaler que l’Ukraine pourrait abriter de grandes réserves
gazières, bien qu’il soit encore trop tôt pour le savoir avec certitude. Une
autre incertitude pour la Russie est l’enquête de la Commission européenne sur
les pratiques anticoncurrentielles de Gazprom, qui, d’après de
nombreuses personnes, vont à l’encontre des lois européennes sur la
concurrence.
Respectueusement soumis,
Madame Cheryl Gallant, députée Présidente de l’Association parlementaire canadienne
de l’OTAN (AP OTAN)