L’Association parlementaire canadienne
de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur la visite de la Commission
sur la dimension civile de la sécurité (CDS) et de la Sous-commission sur
l'avenir de la sécurité et des capacités de défense de la Commission de la
défense et de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, qui s’est
tenue à Belgrade et à Pristina, du 21 au 22 avril 2008. Conduite
par M. Michael Clapham (UK), la délégation était composée de 20
parlementaires des pays de l’OTAN. La délégation
canadienne était composée de Mme Cheryl Gallant, députée.
Cette visite a eu lieu durant une
période de transition, marquée par un climat d'incertitude ; le Kosovo a
déclaré son indépendance le 17 février et a adopté une nouvelle Constitution,
laquelle doit prendre effet le 15 juin. Avant cette date, à savoir le 11 mai,
d'importantes élections municipales et législatives vont avoir lieu en Serbie,
élections que beaucoup jugent décisives pour l'évolution du pays.
BELGRADE
Les discussions à Belgrade ont porté
sur les élections municipales et législatives du 11 mai 2008, l'intégration de
la Serbie dans les institutions euro-atlantiques, la réforme de la défense, et
la réaction de Belgrade face à la déclaration d'indépendance du Kosovo.
LES ELECTIONS DU 11 MAI
La visite s'est déroulée dans un
climat politique particulièrement tendu. En raison des profonds désaccords au
sein de la coalition au pouvoir sur la suite à donner à la reconnaissance par
une majorité d'États membres de l'Union européenne de la déclaration
d'indépendance du Kosovo, des élections législatives anticipées ont été
convoquées le même jour que les élections municipales. Ce contexte a
profondément marqué les discussions de la délégation à Belgrade.
INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE
Quelque 70% de la population en Serbie
sont en faveur de l'adhésion européenne et tous les partis politiques
soutiennent, en principe, l'intégration à long terme de la Serbie dans l'UE.
Cela étant, les relations avec l'Union sont devenues ces derniers temps une
cause de discorde après la déclaration d'indépendance du Kosovo et sa
reconnaissance par une majorité d'États membres de l'UE. Pour certaines forces
politiques, le processus d'intégration ne doit être poursuivi que si l'UE
réaffirme de façon catégorique son attachement à l'intégrité territoriale de la
Serbie et à la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU).
En revanche, pour certains parlementaires du bloc mené par le DS, le Kosovo ne
doit pas servir de prétexte pour faire échouer le processus d'intégration dans
l'UE et les deux questions doivent être dissociées. A leurs yeux, il serait
illusoire de penser qu'à court terme les pays de l'UE annulent leur
reconnaissance du Kosovo. La Serbie a besoin de s'intégrer à l'UE si elle veut
mieux défendre ses intérêts et faire valoir sa position.
L'intégration dans l'OTAN demeure une
question très délicate en Serbie, notamment en raison des bombardements de
l'OTAN en 1999. Le soutien de l'opinion publique en faveur de l'adhésion à
l'OTAN est très faible, environ 25%. Celui en faveur du Partenariat pour la
paix (PPP) est en revanche plus élevé, y compris chez les partisans des partis
politiques farouchement opposés à l'adhésion à l'OTAN.
Des responsables serbes ainsi que des
diplomates étrangers ont confirmé que la coopération pratique entre la Serbie
et l'OTAN était satisfaisante. L'OTAN a un Bureau de liaison militaire à
Belgrade, qui appuie les efforts du ministère de la défense visant à réformer
le secteur de la défense et à transformer les forces armées. La coopération
avec la KFOR, également satisfaisante, se poursuit même après la déclaration
d'indépendance du Kosovo.
Cela étant, on est loin d'une
coopération pleine et entière dans le cadre du PPP. Des diplomates étrangers
ainsi que des responsables de la défense ont notamment déploré que la Serbie
n'ait pas encore signé un Accord de sécurité sur l'échange d'informations
classifiées avec l'OTAN, et qu'elle ne puisse pas de ce fait participer à
toutes les activités du PPP. Ce qui prouve, comme l'ont fait observer plusieurs
intervenants, que les relations avec l'OTAN, quel que soit le niveau de
collaboration, sont avant tout un problème politique en Serbie.
Dans ces conditions, les relations avec
l'UE offrent davantage de possibilités que celles avec l'OTAN, ont fait valoir
des représentants serbes et des étrangers. L'UE doit comprendre qu'en l'état
actuel des choses, elle est mieux à même d'influencer positivement le cours des
événements en Serbie. Les décisions qu'elle prendra dans les mois à venir seront
d'une importance cruciale pour l'évolution de la Serbie.
LA RÉFORME DE LA DÉFENSE
Des responsables du ministère de la
Défense et de l'État-major, ainsi que des experts indépendants, ont mis en
évidence les mesures importantes que la Serbie a déjà prises pour réformer sa
défense. Un contrôle civil sur les forces armées a été établi. Des documents
importants ont déjà été adoptés pour adapter le cadre juridique, y compris
l'Examen de la défense stratégique, achevé en juillet 2006, et les lois sur les
forces armées et sur la défense, adoptées en décembre 2007.
Les autorités ont par ailleurs entamé
un processus de transformation des forces armées, ramenant le personnel
militaire de 105 000 en 2000 à 27 000 aujourd'hui. On s'attache désormais à la
qualité plutôt qu'à la quantité. La nouvelle structure des forces a été mise en
place en 13 mois. Elle comprend l'État-major, les forces terrestres (dont
quatre brigades de l'armée, une brigade spéciale, une brigade d'artillerie, et
une brigade fluviale) ; des forces aériennes (dont une brigade, deux bases, et
un centre de défense aérienne) ; et un commandement d'entraînement. Les forces
sont également modernisées et un nouveau système de valeur a été introduit.
Plusieurs problèmes restent néanmoins à
résoudre. Selon des experts indépendants, la Serbie n'a pas encore pris de
décision concernant son orientation stratégique à long terme. Deux visions
stratégiques concurrentes coexistent dans le pays et sont appuyées par
différents partis politiques et groupes de la société. Une ligne de fracture
importante sépare ceux qui soutiennent l'intégration euro-atlantique, et ceux
qui sont en faveur de relations avec la Russie ou d'une politique de
neutralité.
Autre défi : renforcer le contrôle
démocratique sur les questions de défense. Des experts indépendants ont fait
observer que le rôle du parlement demeure limité. Les décisions importantes
sont prises au sein des partis politiques, et non à l'issue de débats
parlementaires. Le parlement manque par ailleurs de ressources et de capacité
administrative. Qui plus est, le système politique serbe a été particulièrement
instable ces dernières années, freinant par conséquent la poursuite des
réformes. Les changements intervenus à la tête du ministère de la Défense ont
été particulièrement déstabilisants. D'après des experts indépendants, les
autres facteurs défavorables sont notamment l'incertitude qui entoure le
partage des responsabilités en matière de défense entre le Président et le
premier ministre, ainsi qu'une certaine radicalisation de l'opinion publique
serbe, comme en témoigne le succès grandissant du parti radical.
PRISTINA ET MITROVICA
LES PRIORITÉS DE PRISTINA AU
LENDEMAIN DE LA DÉCLARATION D'INDÉPENDANCE
Le Kosovo a déclaré son indépendance le
17 février 2008. Depuis lors, les autorités de Pristina ont intensifié le
processus de consolidation des institutions et du cadre législatif du Kosovo,
adoptant une nouvelle Constitution le 9 avril.
Interrogé à propos du processus
constitutionnel, Jakup Krasniqi, Président de l'Assemblée du Kosovo (AdK), et
ancien membre de la Commission constitutionnelle, a fait observer que la
rédaction du projet de Constitution a pris deux ans, avec le solide concours
de spécialistes étrangers. Les minorités, et tous les partis politiques, ont
participé au projet, lequel s'inspirait largement du plan Ahtisaari et faisait
également une large place aux droits et aux libertés des minorités. Dzezait
Murati, un parlementaire bosniaque, a indiqué que son parti 7+ avait participé
pleinement au processus politique, y compris à la rédaction de la Constitution
qui, à ses yeux, prévoyait des garanties suffisantes s'agissant des droits des
minorités.
Plusieurs responsables kosovars, dont
M. Krasniqi, ont expliqué que les principes du plan Ahtisaari étaient consacrés
dans la Constitution nouvellement adoptée, et qu'une série de lois de mise en
application du plan étaient examinées à l'Assemblée (19 sur 34 projets de lois
ont déjà été adoptés dans le cadre de procédures accélérées). Ces lois, dont
notamment des dispositions concernant les langues officielles, la protection du
patrimoine culturel des minorités, et la protection de l'Église orthodoxe,
visaient à garantir les droits de l'homme et les libertés de tous les citoyens
du Kosovo, et tout particulièrement des minorités et de la communauté serbe. Le
Président de l'Assemblée a promis que les lois seraient toutes en place au mois
de juin. Des responsables internationaux ont indiqué à plusieurs reprises que
ces initiatives comptaient parmi les garanties les plus importantes des droits
des minorités en Europe et ont déploré l'image négative (souvent liée à un
manque d'information) que la population serbe au Kosovo avait du plan
Ahtisaari.
Plusieurs intervenants ont indiqué que
les nouvelles institutions devront en priorité s'attaquer à la situation
dramatique de l'économie marquée par un taux de chômage élevé, une production
insuffisante d'énergie fiable, des infrastructures inefficaces, la pénurie
d'eau, et la hausse des prix des produits de base, dont les denrées alimentaires.
Le Kosovo est également marqué par un système d'enseignement sous-développé et
une forte criminalité organisée. Les représentants de communautés minoritaires
ont également souligné que le problème de loin le plus important que doit
résoudre le Kosovo, est la situation économique critique de la population, et
notamment celle des minorités. Ils ont appelé de leurs vœux une assistance
économique propre à garantir le développement et, à terme, la sécurité dans les
régions où vivent les minorités.
LES RELATIONS INTERETHNIQUES ET
L'EXEMPLE DE MITROVICA
La population du Kosovo est à plus de
90% de souche albanaise. Les Serbes représentent la minorité ethnique la plus
importante. Une bonne partie de la population serbe est située dans le nord du
Kosovo, au-delà de la ligne de partage naturelle que représente la rivière
Ibar. Toutefois, la majorité vit dans des 'enclaves' situées au centre et au
sud du Kosovo. Les autres minorités sont notamment les communautés bosniaque,
turque, rom, égyptienne et ashkaeli.
La déclaration d'indépendance du Kosovo
a accentué le climat de tension entre les communautés albanaises et serbes. Les
Serbes du nord du Kosovo vivent dans un quasi-isolement par rapport au reste du
territoire. Plusieurs intervenants ont néanmoins fait observer que les Serbes
des enclaves situées dans d'autres régions étaient, dans l'ensemble, plus
disposés - ou peut-être obligés - à composer avec les Albanais de souche qui
sont leurs voisins depuis des décennies.
Pour mieux comprendre la situation sur
le terrain, la délégation a visité Mitrovica, dont son principal pont qui
enjambe la rivière Ibar, laquelle marque de facto la frontière entre Mitrovica
Nord à majorité serbe et Mitrovica Sud à majorité albanaise. La délégation a
été informée des problèmes que pose le maintien de la paix dans la zone, du
fait notamment que la population a facilement accès à des armes. La délégation
a constaté que la ville était, dans la pratique, divisée et qu'elle le
resterait sans doute pendant un certain temps, et que la présence de la KFOR
était essentielle au maintien de l'ordre. Le colonel Pascal Langard, commandant
de la base française à Mitrovica a donné des exemples d'actes de provocation
qui sont commis quotidiennement des deux côtés de la rivière. Depuis février,
des manifestations sont organisées régulièrement du côté serbe contre
l'indépendance du Kosovo. De violents incidents ont également éclaté en mars
lorsque des forces internationales sont intervenues pour évacuer le tribunal de
Mitrovica, qui était occupé par des employés serbes. Un policier ukrainien de
la MINUK a été tué lors de ces incidents.
LE ROLE DES INSTITUTIONS
INTERNATIONALES
L'ONU, l'UE et l'OSCE
Les réunions avec des représentants
d'institutions internationales ont bien montré le climat d'incertitude qui
entoure l'avenir de la présence internationale au Kosovo. La résolution 1244 du
CSNU organisait un transfert progressif des responsabilités de la MINUK aux
autorités du Kosovo ; pour autant, conformément à de précédents accords, la
MINUK est responsable en dernier ressort. En dépit de la nouvelle situation
créée par la déclaration d'indépendance du Kosovo, le CSNU n'est pas parvenu à
un accord sur l'avenir de la mission internationale au Kosovo. En conséquence,
les institutions internationales ne savent plus très bien comment gérer cette
nouvelle donne.
L'ambassadeur Tim GULDIMANN, chef de la
mission de l'OSCE au Kosovo, et son équipe, ont informé en détail la délégation
sur la mission de grande ampleur que remplit l'OSCE dans ce pays. L'ambassadeur
a fait observer que le mandat de la mission pourrait être révoqué à tout
moment, mais qu'actuellement aucun pays de l'OSCE ne s'était opposé à la poursuite
de ses opérations, en dépit de prévisions selon lesquelles la Serbie ou la
Russie pourraient agir dans ce sens si le Kosovo déclarait son indépendance.
L'OSCE a jugé que les lois récemment adoptées sur la protection des droits des
minorités et sur la décentralisation étaient satisfaisantes, mais que leur
application serait le véritable test. L'OSCE apporte son concours à l'Assemblée
du Kosovo, et considère comme des progrès la mise en place de commissions de
contrôle pour le secteur de la sécurité (et bientôt dans le domaine du
renseignement). L'OSCE apporte également son aide dans le domaine de la
formation de la police et de la lutte contre le crime organisé.
LA FORCE DE L'OTAN AU KOSOVO (KFOR)
La Force de l'OTAN au Kosovo (KFOR),
que tout le monde considère comme une force neutre, joue de l'avis général un
rôle positif au Kosovo. Des responsables kosovars dont le Président Fatmir
Sejdiu ont exprimé leur gratitude pour le rôle que les forces de l'OTAN ont
joué en faveur de la sécurité et de la stabilité du Kosovo, ainsi que pour les
nombreux projets de développement que la KFOR a entrepris, dont des ponts, des
hôpitaux, et des projets culturels. Le vice-premier ministre Kuqi a déclaré que
son gouvernement s'associait entièrement à toutes les activités de la KFOR
depuis la déclaration d'indépendance.
La délégation a rencontré le commandant
adjoint de la KFOR, le commandant en chef allemand Gerhard Stelz, qui a décrit
la façon dont la KFOR remplit sa mission qui consiste à maintenir des
conditions de sécurité et de sûreté sur l'ensemble du territoire du Kosovo. Il
a résumé la position de la KFOR en expliquant que, si elle s'acquittait de sa
mission, la KFOR ne pouvait pas régler les questions politiques sous-jacentes
qui sont au cœur du problème.
Les quelque 15 000 hommes de la KFOR
sont organisés en cinq Forces multinationales d'intervention. Les missions
quotidiennes de la KFOR sont notamment des opérations de patrouille, réalisées
à l'échelle du pays, principalement pour manifester sa présence sur l'ensemble
du territoire, des missions statiques, à savoir garder des endroits sensibles
comme l'aéroport ou des bâtiments de l'ONU, et des patrouilles et des postes de
contrôle qui permettent de se faire une idée plus claire de la situation dans
certaines communautés. La délégation a visité un poste de contrôle de véhicules
de la KFOR tenu par un bataillon germano-autrichien. Les postes de contrôle,
qui peuvent être permanents ou mobiles, sont sous l'autorité de la KFOR
conjointement avec la police kosovare et la MINUK. Ces postes permettent à la
KFOR de procéder à des fouilles pour rechercher armes et munitions détenues
illégalement, et de contrôler l'accès à une zone. Cette démonstration de la
présence de la KFOR et de son efficacité contribue également à dissuader les
activités illégales.
La stratégie " marcher et parler
" de la KFOR inclut des relations directes avec les habitants (avec l'aide
de centaines d'interprètes recrutés par la KFOR), ainsi que de nombreuses
activités de coopération civile-militaires telles que la construction d'écoles,
et une campagne d'information dans les médias locaux. La KFOR a également
entrepris des patrouilles mixtes de police des frontières avec des pays voisins
en vue d'instaurer un climat de confiance.
L'effort entrepris par la KFOR pour
mieux comprendre la population avec laquelle elle coopère s'appuie sur 34
Équipes de liaison et de recherche d'informations, soit des groupes de 15
soldats au plus qui sont basés en permanence dans une communauté afin de
dialoguer avec les autorités locales et fournir et recevoir des informations
précises.
Le général Dexter, de la Force
d'intervention multinationale Nord, a confirmé qu'il ne faisait l'objet
d'aucune limitation ou restriction pour déplacer ses troupes à travers toute la
zone sous sa responsabilité et qu'il n'avait pas besoin de demander
l'autorisation à telle ou telle capitale. Le commandant adjoint a confirmé
qu'il en était ainsi pour l'ensemble de la KFOR, laquelle n'était soumise à
aucune restriction susceptible d'entraver la marge de manœuvre du commandant.
Le commandant était habilité conformément au Concept de force de réserve à
déplacer des forces d'une zone stable vers une zone de tension.
Enfin, la KFOR a été chargée d'établir
la future Force de sécurité du Kosovo et de démanteler avec dignité le Corps de
protection du Kosovo. Le commandant adjoint a indiqué que cette nouvelle
mission de grande ampleur nécessitait des ressources supplémentaires si l'on
voulait qu'elle soit accomplie dans les délais fixés.
Respectueusement soumis,
M. Leon Benoit, député
Président
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)