Logo Natopa

Rapport

 

L’Association parlementaire canadienne de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur la visite du Groupe spécial Méditerranée (GSM) à Rome (Italie), les 4 et 5 juillet 2008. La visite s’est déroulée sous la direction du président du Groupe, Jean-Michel Boucheron (France), et la délégation comptait des parlementaires provenant de 35 pays membres de l’OTAN et de leurs pays associés méditerranéens. La délégation canadienne était représentée par la sénatrice Raynell Andreychuk.

Le séminaire cette année avait pour but de faire le point sur les relations euro‑méditerranéennes dans le contexte des initiatives régionales, nouvelles ou existantes, des difficultés persistantes et d’une transformation limitée de la région.

L’ÉVOLUTION DES RELATIONS EURO-MÉDITERRANÉENNES : UNE HISTOIRE RICHE EN CONTRASTES

La séance inaugurale a défini l’objet du séminaire et le cadre général des débats qui allaient suivre. Après l’allocution de bienvenue, le vice-président du GSM a indiqué que la confiance est une condition essentielle d’une bonne coopération euro-méditerranéenne, soulignant à cet égard les efforts déployés par le GSM de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN en tant qu’espace de dialogue entre les parlementaires des pays membres de l’OTAN et leurs homologues de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN).

L’ambassadeur Florensa, quant à lui, a retracé l’évolution des relations euro-méditerranéennes en mettant en évidence les inégalités qui ont marqué leur déroulement depuis la création de la Communauté européenne (CE) en 1957. En guise d’introduction, il a fait observer que le développement des rives nord (Europe) de la Méditerranée s’est accompagné, dans l’ensemble, d’un recul des pays du sud de la Méditerranée (arabes). D’après lui, le fait que ce groupe de pays n’a pas su favoriser une « modernisation propre à la région » est un handicap dont souffrent encore aujourd’hui les pays du Sud méditerranéen. Et la preuve, a-t-il ajouté, est le fait que la « modernisation » introduite par les pouvoirs coloniaux européens dans ces pays a été rejetée comme étant une « modernisation imposée », et que, en revanche, les voies socialistes de développement empruntées plus tard par la majorité du monde arabe ont abouti à une impasse. Ces observations liminaires, qui prêtaient un peu à controverse, en raison notamment de l’absence d’une définition claire de la notion de « modernisation », ont été contestées, notamment par Vahit Erdem (Turquie) qui a demandé à l’orateur quelles seraient d’après lui les conséquences d’une accession éventuelle de la Turquie à l’UE sur la « modernisation » d’autres pays du sud de la Méditerranée.

Retraçant l’évolution de la coopération euro-méditerranéenne, l’ambassadeur a souligné à juste titre qu’avant 1972, et pour diverses raisons, la CE n’avait pas de politique méditerranéenne cohérente, mais que ses relations avec les pays du Sud méditerranéen étaient régies par tout un ensemble d’accords de coopération, principalement commerciaux. En 1972, toutefois, la CE a mis au point ce que l’on a appelé la « politique méditerranéenne globale », laquelle n’a pas non plus atteint la plupart des objectifs affichés. Ce n’est qu’après la chute du mur de Berlin, a affirmé l’ambassadeur, que la politique méditerranéenne de l’Europe a véritablement été lancée, laquelle, portée par l’optimisme général que faisait naître le règlement du conflit du Moyen-Orient, a débouché sur la conférence de Barcelone de 1995, donnant naissance au Partenariat euroméditerranéen (EUROMED).

Huit ans après avoir été lancé en grande pompe, l’EUROMED, de l’avis général, n’a pas répondu aux espoirs qu’il avait suscités en 1995. En conséquence, a fait valoir l’ambassadeur Florensa, et après son élargissement en 2004, l’UE a décidé d’adopter un nouveau schéma directeur, destiné à régir ses relations avec ses nouveaux voisins de l’Est et désigné sous le nom de Politique européenne de voisinage (PEV). Consciente que des conflits sous-régionaux n’aidaient pas les relations avec les pays du Sud méditerranéen, l’UE en a profité pour présenter la PEV comme le cadre permettant une « coopération bilatérale renforcée » avec ses voisins des rives sud de la Méditerranée. Alors que le bilatéralisme de cette politique de voisinage est jugé avoir bénéficié à certains pays et non à d’autres, sa performance globale dans le « Sud » demeure modeste, en particulier à cause de son volet financier relativement faible, l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP).

En conclusion, l’ambassadeur Florensa a déclaré que, après avoir fait l’expérience du multilatéralisme et du bilatéralisme dans ses relations avec les pays du Sud méditerranéen, l’UE semble avoir adopté une politique méditerranéenne qui combine les deux approches. La nouvelle stratégie, a-t-il fait valoir, s’est incarnée dans le modèle proposé dans la nouvelle Union pour la Méditerranée (UPM) qui, outre le fait de combiner bilatéralisme et multilatéralisme, a introduit la notion d’une appropriation conjointe des nouvelles structures de décision. Lors du débat qui a suivi le discours liminaire de l’ambassadeur Florensa, les questions concernaient la façon dont le cadre d’action proposé par l’UE pouvait résoudre les problèmes de « l’explosion » démographique et des conflits qui ravagent le Sud. Tout en affirmant que du point de vue démographique, l’évolution récente des pays du Sud méditerranéen indique un ralentissement et une convergence progressive inévitable entre les taux de croissance du Sud et du Nord, l’ambassadeur a rappelé que la plupart de ces initiatives régionales n’avaient pas directement pour but le règlement concret des conflits existants. C’est seulement en encourageant une coopération Sud-Sud et une intégration économique que ces structures peuvent, d’après lui, apporter indirectement des solutions durables à ces problèmes.

 « ANNAPOLIS » : UNE NOUVELLE DYNAMIQUE POUR UN PROBLÈME ENDÉMIQUE?

Le conflit israélo-palestinien constitue l’obstacle le plus durable à la paix et à l’harmonie dans la région méditerranéenne. Malgré quelques progrès importants dans le processus de paix accomplis durant les années 1990, le conflit a pris un tour dramatique à la fin de cette décennie. Après plus de sept ans d’hostilité accrue, aggravée par la dégradation des conditions de sécurité au niveau international, les principaux acteurs se sont réunis en novembre 2007 à Annapolis, aux États-Unis, pour redonner un nouvel élan à un processus de paix mouvant. Mais cela n’est-il pas « trop peu, trop tard », comme l’ont dit nombre d’observateurs? Les conditions du conflit, tant au niveau local qu’international, sont-elles réunies pour donner lieu à une avancée significative? La première session du séminaire réunissait des représentants des deux camps (Israël et Palestine) et un expert indépendant, afin d’évaluer l’utilité, à supposer qu’il y en ait, du « Processus d’Annapolis ».

Premier orateur de la session, l’ambassadeur Oded Eran, ancien ambassadeur d’Israël auprès de l’UE et de l’OTAN et directeur de l’Institute of National Security Studies (INSS), à Tel-Aviv, a commencé par expliquer comment il envisageait le déroulement du processus de paix, en partant de l’hypothèse qu’« Annapolis » avait 50 % de chances d’aboutir. Le manque de fermeté des actions entreprises par les dirigeants des États‑Unis, d’Israël et de Palestine ne permet pas, d’après lui, de créer des conditions politiques favorables. En conséquence, l’ambassadeur a posé comme principe que le schéma actuel de résolution de conflit qui est appliqué au cas israélo-palestinien, dont l’objectif est une solution globale ou rien – notamment la résolution des principaux différends tels que le statut de Jérusalem et le problème des frontières – devrait céder la place à une approche plus pragmatique pour réaliser « ce qui est réalisable compte tenu des circonstances ». Dans le même ordre d’idée, d’après l’ambassadeur Eran, Israël devrait pour sa part : 1) commencer à donner suite à ses engagements en matière de colonie de peuplement, 2) assouplir les restrictions de déplacement en Cisjordanie pour relâcher la pression économique dont souffrent les territoires palestiniens, 3) favoriser le dialogue intrapalestinien, 4) libérer les prisonniers palestiniens, en particulier les partisans de Abou Mazen, 5) transférer l’autorité de sécurité aux Palestiniens en Cisjordanie. Fort de son expérience de négociateur, l’ambassadeur a conclu en mentionnant les traités de paix entre Israël et l’Égypte et entre Israël et la Jordanie comme exemples de la valeur du modèle qu’il préconise.

Leila Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne, a commencé son exposé en contestant cette analogie entre les processus de paix entre Israël et d’autres pays arabes et celui avec la Palestine, car celle-ci, à l’inverse de l’Égypte et de la Jordanie, n’est pas un État à part entière. Mme Shahid a ensuite expliqué que la conférence d’Annapolis visait à réinscrire le multilatéralisme dans le cadre de la feuille de route, mais a regretté l’absence de mécanismes de mise en œuvre une grande faiblesse de cette initiative. À propos des recommandations de M. Eran, Mme Shahid a indiqué que ce qu’il prescrivait figurait sur la feuille de route, mais que limiter les objectifs de paix à améliorer le statu quo était inacceptable puisque voué à l’échec. « Nous devrions réfléchir au but vers lequel nous tendons (statut final) », a-t-elle affirmé, car « Annapolis » est un processus à deux volets, comprenant 1) la feuille de route et 2) les négociations sur le statut final. Qui plus est, tout en partageant l’avis de l’expert israélien quant au manque de légitimité politique des responsables américains, israéliens et palestiniens, Mme Shahid s’est montrée plus pessimiste que l’ambassadeur Eran à propos des résultats d’Annapolis. Et ce, en raison de ce qu’elle appelle la « fragmentation de la Cisjordanie » qui est tout sauf un territoire homogène sur lequel un État palestinien viable pourrait s’implanter. Mme Shahid a conclu sur une note positive en reconnaissant que jusqu’à présent, le seul aspect encourageant du « Processus d’Annapolis » était les donations financières (conférences de Paris et de Berlin), qui montrent que l’UE peut et doit davantage intervenir en amont dans la résolution du conflit. En dépit de tous ces obstacles, a-t-elle mis en garde, l’échec n’est pas envisageable, car cela ne ferait que renforcer les forces extrémistes.

Une analyse impartiale des récents événements survenus dans le conflit israélo-palestinien étant quasiment impossible, Roberto Menotti de l’Institut Aspen (Italie) a préféré axer son intervention sur la dynamique internationale du conflit. Les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis étaient inévitablement le point de départ de son exposé, en tant que rupture de l’ordre international en général, sans parler du conflit israélo-palestinien. « Annapolis » est le résultat d’un sentiment d’urgence dans la communauté internationale face à la situation au Moyen-Orient, ce qui, d’après lui, explique en partie « l’absurdité » de l’échéance proposée (fin 2008). S’il reconnaît le rôle accru joué par l’Iran dans ce conflit, notamment depuis l’invasion de l’Iraq, M. Menotti conteste l’idée qu’Annapolis était une tentative menée sous l’égide des États-Unis pour contenir l’Iran par le biais du conflit israélo-palestinien. Que l’initiative d’Annapolis soit ou non d’origine internationale, ce dernier exposé concluait en précisant que les négociations bilatérales entre les principaux acteurs devaient rester au centre de tous les efforts entrepris au niveau international.

L’Iran a été au centre des discussions qui ont suivi les trois exposés. Si l’on s’est accordé à dire que le consentement de l’Iran devait être pris en compte, le rôle des acteurs non étatiques a été jugé plus inquiétant et exigeant des mesures concertées. Furent également examinées des questions comme la faisabilité d’un futur État palestinien; les conséquences du « mur de protection » érigé par Israël et les frontières ont constitué les principaux points de désaccord et de divergences de vues.

L’ÉNERGIE EN MÉDITERRANÉE : OPPORTUNITÉS ET OBSTACLES

Du point de vue énergétique, la Méditerranée se caractérise depuis longtemps par une interdépendance entre les consommateurs de la rive nord et les producteurs des pays d’Afrique du Nord. Or, dans un climat de tensions sur le marché mondial de l’énergie, cela ne s’est apparemment pas traduit par une relation fondée sur la confiance propre à assurer la sécurité énergétique de la région. Au contraire, les relations méditerranéennes en matière d’énergie n’ont pas échappé à la plupart des dilemmes auxquels se heurtent les producteurs et les consommateurs sur le marché mondial de l’énergie. Pour faire le point sur ces relations, la deuxième session a réuni des représentants des pays consommateurs et producteurs ainsi qu’un expert indépendant, afin d’examiner les préoccupations et les priorités des deux parties et la façon dont on pourrait optimiser ces relations.

Côté consommateurs, Alessandro Ortis, président de l’Autorité italienne de réglementation du gaz et de l’électricité (AEEG), a ouvert la session par exposé détaillé sur le rôle que jouent les régulateurs pour assurer la stabilité du marché de l’énergie dans la Méditerranée et la sécurité énergétique de la région. M. Ortis a notamment expliqué le rôle de l’Association des régulateurs méditerranéens dans le domaine de l’électricité et du gaz (MEDREG). Ce groupe de travail permanent de création récente, composé d’autorités de régulation et de ministères de l’énergie de 20 pays méditerranéens, a pour objet d’harmoniser les cadres de régulation en matière de gaz et d’électricité autour du bassin méditerranéen, dans le but de faciliter l’établissement d’un marché transparent de l’énergie dans la région. À cette fin, la MEDREG a établi des liens étroits avec plusieurs structures et organisations autour de la Méditerranée (pas uniquement dans le secteur de l’énergie) pour promouvoir la coopération euro-méditerranéenne.

Représentant l’un des principaux acteurs méditerranéens en matière d’énergie, Chawki Rahal de Sonatrach (Algérie) a expliqué le point de vue des producteurs sur la rationalisation des relations énergétiques euro-méditerranéennes. Après avoir donné un aperçu de l’entreprise publique d’hydrocarbures, dont il est le vice-président responsable des activités marketing, M. Rahal a décrit le degré d’interdépendance qui caractérise les relations énergétiques de l’Algérie avec l’Europe : a) la dépendance économique de son pays par rapport aux exportations énergétiques, b) la prédominance des partenariats dans le développement en amont de Sonatrach, c) la fiabilité des approvisionnements et la part que représente l’Algérie dans le total des importations de gaz de plusieurs pays européens et leur croissance dans un proche avenir, et d) les investissements importants de Sonatrach dans les infrastructures (gazoducs notamment). M. Rahal déplore toutefois que malgré tous les efforts et la volonté affichée par les producteurs tels que Sonatrach en Algérie, « des signaux incohérents » émanent des pays consommateurs, notamment quant à l’accès des fournisseurs tiers aux marchés européens en aval, ce qui constitue désormais l’un des principaux objectifs commerciaux des producteurs. D’après le vice-président de Sonatrach, il est évident que la sécurité énergétique des consommateurs européens est étroitement liée à des relations équilibrées avec les producteurs, garantissant un accès équitable aux marchés, qui à son tour dépend de cadres juridiques stables et non discriminatoires. Vu l’émergence en Asie et aux États-Unis de marchés plus compétitifs et en plein essor, toute autre situation (moins optimale) serait préjudiciable à l’Europe.

Replaçant ces deux points de vue (consommateurs et producteurs) dans une perspective plus large, Giacomo Luciani, directeur de la Gulf Research Centre Foundation à Genève, a donné un aperçu des forces à l’œuvre sur le marché mondial de l’énergie, notamment en ce qui concerne les prix, l’approvisionnement, la demande et les investissements. Il a ensuite analysé les enjeux propres à la Méditerranée en matière d’énergie, qu’il a classés ainsi : 1) la réforme du marché du pétrole, 2) la sécurité énergétique, 3) la décarbonisation. Le premier enjeu, d’après le professeur Luciani, consiste à transférer les mécanismes de formation des prix des marchés futurs à des marchés concrets transparents et efficaces. Dans le bassin méditerranéen, l’organisation de tels marchés pourrait être envisagée autour des ports d’éclatement de Ceyhan, en Turquie, et Trieste, en Italie. Parlant de la sécurité énergétique, le professeur a en outre mentionné les variables relatives à la libéralisation du marché, à l’investissement, aux actifs excédentaires et à la nationalisation des ressources. Selon M. Luciani, indépendamment de ces facteurs, la coopération entre les consommateurs et les producteurs est une condition sine qua non au succès d’une stratégie, quelle qu’elle soit. Quant à la décarbonisation, les implications pour la région méditerranéenne concernant l’essor de nouvelles technologies comme le captage et le piégeage du carbone et l’utilisation généralisée de sources renouvelables et de l’énergie nucléaire. Le professeur Luciani a souligné, en guise de conclusion, l’importance de l’énergie comme élément clé de la coopération dans le bassin méditerranéen et s’est dit d’avis que l’élaboration d’une stratégie pour relever ces trois défis serait un premier pas dans cette direction.


 

LA RÉGION DU SAHEL : UN NOUVEAU FRONT DE LA « GUERRE CONTRE LE TERRORISME »?

Le Sahel est un désert transnational peu peuplé qui s’étend de la côte atlantique de l’Afrique du Nord-Ouest jusqu’à la mer Rouge à l’est. Ses parties occidentales, le sud de l’Algérie, le Sahara occidental et la Libye, sont le foyer de trafics illicites, de rébellions et d’activités terroristes dont les répercussions vont bien au-delà des frontières de la région. D’où l’attention que portent ces dernières années les grandes puissances, notamment les États-Unis, aux événements dont le Sahel est le théâtre. La troisième session avait pour objet de mieux comprendre la position et la politique des États-Unis par rapport au risque que représente le Sahel et d’évaluer les forces régionales et internationales qui à la fois entravent et façonnent cette politique.

L’ambassadeur Dell L. Dailey, coordinateur de la lutte antiterroriste au Département d’État, a ouvert la séance en expliquant la façon dont son gouvernement évalue la menace que représente la situation au Sahel non seulement pour les pays de la région, mais également pour l’Europe et les États-Unis. De toute évidence, la principale menace qui pèse sur les intérêts de ces pays est la capacité pour Al-Qaïda et ses associés dans la région, notamment l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), « de mener des activités, de s’entraîner, de s’équiper et de trouver refuge » dans ce vaste espace. S’il n’est pas le seul groupe présent dans la région, l’AQMI est une organisation terroriste, de création récente, qui tire parti des structures restantes du GSPC algérien (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) et mène ses opérations principalement en Algérie, prenant régulièrement comme cible les forces gouvernementales et les symboles de l’Occident tels que l’ONU et les travailleurs étrangers. Face à cette menace, les États-Unis, en concertation avec les pays de la région, ont créé en 2005 le Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme (Trans-Sahara Counterterrorism Partnership – TSCP) destiné à « appuyer différents pays ainsi que les efforts régionaux visant à mettre sur pied et à renforcer la capacité à prévenir et à lutter contre le terrorisme et l’extrémisme au Maghreb et au Sahel ». S’appuyant sur « l’Initiative pan-Sahel », ce Partenariat fait intervenir des pays de la région, mobilisant les ressources provenant de divers organismes et départements des États-Unis, notamment la Défense, la Justice, USAID, le Trésor américain, etc. Avant d’aborder les raisons qui ont mené à la création d’AFRICOM (Centre de commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique), l’ambassadeur Dailey a insisté sur le fait que, bien que qualifié de programme militaire, le Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme est bien conscient que seule une stratégie globale, doublée d’une bonne gouvernance et de réformes militaires et non militaires du secteur de la sécurité, peut faire échec à l’extrémisme. En d’autres termes, la politique américaine au Sahel utilise à la fois la puissance « dure » et la puissance « douce ». En conclusion, l’ambassadeur Dailey a décrit l’AFRICOM, dont la mission commence le 1er octobre 2008, comme un « commandement unifié » qui assumera la « direction des opérations du département de la Défense chargé de contribuer à l’application par le Département d’État de la politique américaine en Afrique ». Il s’agit « d’appuyer les initiatives diplomatiques et de développement et, à terme, de parvenir à l’intégration optimale des trois D : diplomatie, développement et défense ».

Replaçant la politique maghrébine des États-Unis dans une perspective plus large, Yahia H. Zoubir, professeur à l’école Euromed Management de Marseille (France), a brossé le tableau des relations entre les États-Unis et le Maghreb depuis la guerre froide. Pendant longtemps, a-t-il affirmé, les États-Unis ne se sont pas intéressés au Maghreb en tant que tel, le considérant comme la chasse gardée de l’Europe et plus particulièrement de la France. Tout a changé après les événements du 11 septembre. Si la politique américaine envers le Maghreb a souvent divergée par rapport à la politique européenne, le professeur Zoubir a mis en lumière les similitudes entre l’Europe et les États-Unis concernant la promotion de la démocratie dans la région, les relations algéro-marocaines, le conflit du Sahara occidental et le potentiel économique du Maghreb. Invoquant la « réhabilitation » du régime libyen pour illustrer le changement récent de la politique américaine dans la région, le professeur Zoubir a conclu en mettant en garde contre le précédent que constituerait dans la région le soutien explicite de l’administration américaine à la « proposition d’autonomie » du Maroc pour le Sahara occidental.

Dans le troisième exposé, présenté par Hugh Roberts, ancien chef du projet Afrique du Nord de l’International Crisis Group (ICG), analyse la corrélation entre les progrès de la réforme politique dans les pays du Maghreb et la sécurité dans la région. Indiquant que « les préoccupations sécuritaires ne devraient pas servir de prétexte pour reporter des réformes politiques trop longtemps différées », M. Roberts a rappelé que 20 ans après les événements du 5 octobre 1988 en Algérie, le bilan des réformes politiques au Maghreb reste dans l’ensemble très modeste, notamment face aux progrès accomplis durant la même période en Europe de l’Est. Qui plus est, a-t-il ajouté, la situation politique et socio-économique qui règne actuellement en Algérie peut être comparée à celle qui prévalait dans les mois et les années qui ont précédé ces événements qui ont fait date. À propos des politiques occidentales de promotion de la démocratie dans la région, Hugh Roberts a critiqué leur approche à plusieurs titres. Premièrement, les modèles qui ont servi à lutter contre le communisme en Europe de l’Est ne peuvent être appliqués aux « régimes autoritaires du Maghreb », où le pluralisme politique n’est que la façade d’un régime militaire. Deuxièmement, selon M. Roberts, ces politiques ne font que politiser à tort les « divisions identitaires » dans les pays du Maghreb. La troisième erreur, d’après lui, est de ne pas se soucier du déséquilibre entre les divers pouvoirs, qui contribue à maintenir la domination de l’exécutif sur tous les autres. En dernier lieu, M. Roberts a fait remarquer qu’en raison de cette marginalisation politique, les sociétés maghrébines ne font preuve d’aucune loyauté réelle envers les élites de l’État. Il faut par ailleurs éviter, a-t-il mis en garde, que les politiques en matière de sécurité ne fassent obstacle au rétablissement des liens entre l’État et la société.

Lors de la discussion qui a suivi ces trois exposés, il a été question de la définition du terrorisme et de la différence entre le droit à la résistance des peuples opprimés et le lien entre Al-Qaïda et les groupes terroristes locaux au Maghreb. L’ambassadeur Dailey a précisé qu’il n’existait pas de définition universelle du terrorisme, mais que des organisations régionales comme l’Union africaine en avaient une. Il a par ailleurs rappelé que les États-Unis étaient « issus de la résistance » et que, par conséquent, ils n’étaient pas opposés à la résistance « pour autant qu’elle ne prenait pas pour cible les populations civiles ». L’ambassadeur a également confirmé qu’il est avéré qu’il existe des liens financiers et d’« orientation » entre les responsables d’Al-Qaïda et des organisations affiliées d’Afrique du Nord.

UNION POUR LA MÉDITERRANÉE : UN ÉLAN SUFFISANT?

Le séminaire du GSM à Rome s’est tenu une semaine avant le Sommet de Paris du 13 juillet, qui devait réunir les chefs d’État et de gouvernement de plus de 44 pays euro‑méditerranéens pour le lancement officiel de ce que l’on appelle désormais le « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée ». Cette initiative française au départ, lancée par le président Nicolas Sarkozy en 2007 et qui fait désormais partie intégrante de la politique étrangère de l’UE, s’ajoute à une architecture déjà complexe d’initiatives (européennes) dans le bassin méditerranéen et est présentée comme une panacée à la paralysie qui caractérise la scène politique euro-méditerranéenne. Ayant examiné certains des principaux défis auxquels le bassin méditerranéen est aujourd’hui confronté, le séminaire se devait de consacrer une séance à ce nouveau projet politique afin d’en évaluer la valeur ajoutée et les possibilités qu’il offre pour venir à bout de ces problèmes.

C’est ainsi que deux des plus proches collaborateurs de l’ambassadeur Alain Le Roy[1], Gilles Mentré et Lauren Gimenez, ont été invités à parler de la teneur et du cadre général du projet Union pour la Méditerranée (UPM). Prenant la parole tour à tour, les deux hauts fonctionnaires ont confirmé que l’UPM était issue de l’idée que la plus grande menace à la paix et à la stabilité dans le bassin méditerranéen tenait aux disparités socio-économiques qui existent toujours entre le nord et le sud de la Mare Nostrum. Elle n’a pas pour vocation, a-t-il été précisé, de remplacer les structures de coopération régionales en place, notamment le processus de Barcelone, mais plutôt de leur donner l’élan politique et la nouveauté institutionnelle nécessaires pour surmonter ces obstacles. Tirant les enseignements d’initiatives précédentes, cette nouvelle initiative entend privilégier des projets de microniveau (énergie renouvelable, gestion des risques naturels, éducation, recherche et formation professionnelle, etc.) pour échapper à la complexité politique et à la sclérose de la région. Quant aux nouvelles structures de gouvernance, les représentants français ont indiqué que la nouvelle coprésidence et le secrétariat avaient un double objectif : tout d’abord, donner corps au principe de parties prenantes et de l’égalité et, deuxièmement, éviter la rigidité propre à la Commission européenne en raison à la fois de son mandat et des mécanismes de prise de décision. L’autre nouveauté de l’UPM, ont dit les intervenants, tient au fait qu’elle fait appel à des fonds tant publics que privés pour le financement des projets.

Apportant un éclairage indépendant, Roberto Aliboni, de l’Istituto Affari Internazionali de Rome, a fait remarquer qu’il a fallu adapter le projet initial de Nicolas Sarkozy pour s’assurer le soutien nécessaire de l’Allemagne et de la Commission européenne notamment. Si le résultat est quelque peu différent et édulcoré, sa valeur ajoutée a été néanmoins jugée suffisante pour remettre la Méditerranée en selle. À l’instar de la majorité des participants, M. Aliboni a jugé l’UPM globalement positive. Des parlementaires des pays de l’OTAN et du MOAN ont également salué l’initiative et ont exprimé le souhait qu’y soient associés des pays au-delà des rives du bassin méditerranéen, notamment du Golfe et d’Afrique. À la fin du séminaire, la plupart des participants étaient d’avis que c’était exactement ce dont avait besoin la Méditerranée en ce moment. Les spécialistes, quant à eux, ont jugé que cet enthousiasme leur rappelait trop l’euphorie qui avait présidé au lancement de l’EUROMED en 1995. Ils attendent de voir pour se prononcer.

 

Respectueusement soumis,

 

L’honorable Sénatrice Raynell Andreychuk
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)

 



[1] Ancien conseiller du président Sarkozy, responsable de la conception du projet UPM.

Haut de page