M. Russ
Hiebert, député et président de la section a dirigé la délégation, qui
comprenait aussi le sénateur Terry Stratton, les députés Raymonde Folco et
Michel Guimond, et le secrétaire de la délégation, Tõnu Onu.
La constitution de l’APC
encourage les visites entre pays membres pour que les parlementaires puissent
échanger leurs vues et discuter de questions d’intérêt commun. Le comité
exécutif de la section canadienne note que le Parlement du Canada s’est employé
dans le passé à cultiver d’étroites relations avec les sections de l’APC
situées dans les Caraïbes, les Amériques et la région de l’Atlantique.
Toutefois, au cours des dernières années, la section canadienne n’a pas été
vraiment en mesure de maintenir ces relations. À la suite de consultations avec
le ministère des Affaires étrangères, il a été décidé qu’une visite en Guyane
serait une excellente occasion de renouer les liens avec les Caraïbes. Le
Guyane est unique à bien des égards puisqu’on considère qu’il fait partie de la
communauté des Caraïbes même s’il est situé en Amérique du Sud, dont il est le
seul pays anglophone. De plus, le Guyane a fait des efforts importants pour
consolider son régime parlementaire démocratique.
Pendant sa visite, la
délégation a rencontré les chefs et groupes politiques suivants :
·L’honorable Hari N. Ramkarran, S.C., député et
Président de l’Assemblée nationale
·Son excellence M. Bharrat Jagdeo, Président
de la République coopérative de Guyane
·L’honorable Samuel Hinds, premier ministre du
Guyane
·Les députés du People’s Progressive Party/Civic
(PPP/C)
·Les députés du People’s National Congress Reform
– One Guyane (PNCR-1G)
·M. Shaik Baksh, ministre de l’Éducation
·M. Robert Corbin, député et chef de
l’opposition
·Les députés de l’Alliance For Change (AFC)
·Les chefs du Guyane Action Party; Rise, Organize and Rebuild
Party (GAP/ROAR)
·La Commission du secteur privé
Outre de nombreuses
rencontres, la délégation a été invitée à une séance de l’Assemblée nationale,
où elle a été saluée par le Président. Elle a aussi eu l’occasion de visiter le
stade qu’on construit en prévision des championnats mondiaux de cricket qui se
tiendront dans plusieurs pays des Caraïbes au printemps de 2007, et des projets
d’habitation de Georgetown et de Kaiteur Falls, dont les 741 pieds font environ trois fois la hauteur des chutes Niagara.
Les discussions avec les
homologues guyaniens ont surtout porté sur les régimes parlementaires du Guyane
et du Canada, la société civile guyanienne, l’économie du Guyane et les
relations entre le Guyane et le Canada.
La délégation a constaté
avec plaisir que sa visite suscitait un tel intérêt qu’à certaines rencontres,
non seulement la plupart des députés de l’Assemblée nationale étaient présents,
mais aussi la plupart des ministres. D’ailleurs sa visite a trouvé un écho très
positif dans les médias. De fait, un des journaux a consacré tout un éditorial
à ce que le Guyane pourrait apprendre du régime parlementaire canadien.
Le régime parlementaire et politique du
Guyane
Pour bien comprendre la
situation politique et la composition sociale du Guyane à l’heure actuelle, il
faut se rappeler que la population est assez variée – environ
44 p. 100 des habitants sont d’origine indienne, 30 p. 100
d’origine africaine et le reste d’origine chinoise, européenne et autochtone.
Ce mélange d’ethnies résulte du fait que les Hollandais, premiers colons
européens arrivés au Guyane au XVIe siècle, ont commencé à
faire venir des esclaves africains au XVIIe siècle pour
cultiver la canne à sucre. En 1814, les Britanniques ont acquis le territoire
et créé la colonie de la Guyane britannique en 1831. Après l’abolition de
l’esclavage en 1838, les propriétaires de plantations ont commencé à faire
venir des travailleurs de l’Inde liés par contrat.
Le Parlement du Guyane a vu
le jour en 1966, lorsque cette colonie britannique est devenue indépendante.
Cependant diverses formes du régime parlementaire avaient déjà été instaurées
au cours des années 1950 sous l’autorité britannique. Basé sur le modèle
britannique, ce régime parlementaire s’est transformé au fil des ans, pour se
composer aujourd’hui d’un Président et d’une Assemblée nationale. Le Président,
élu directement par la population, est chef d’État, autorité exécutive suprême
et commandant en chef des forces armées. L’Assemblée nationale compte
65 députés, dont 53 élus selon un système de représentation
proportionnelle, dix, pour représenter les dix régions du Guyane, et deux, par
le congrès national des organes démocratiques locaux.
Les deux principaux partis
politiques, tour à tour au pouvoir depuis les années 1950, sont le
People’s Progressive Party/Civic et le People’s National Congress Reform-One
Guyane. Ces deux partis n’en formaient qu’un seul jusqu’en 1955, lorsque le
People’s Progressive Party s’est scindé en deux partis distincts, selon des
critères raciaux, le People’s National Congress étant surtout appuyé par les
Guyaniens d’origine africaine et le People’s Progressive Party, par les
Guyaniens d’origine indienne. Deux petits partis sont aussi représentés au
Parlement : Alliance for Change (AFC) et Guyane Action Party Rise,
Organize and Rebuild (GAP-ROAR).
On ne saurait exagérer
l’importance des élections générales tenues en août 2006, généralement
reconnues comme justes, et les plus pacifiques depuis le retour du Guyane à la
démocratie en 1992. Trois partis d’opposition ont gagné des sièges au Parlement
en plus du parti au pouvoir, le People’s Progressive Party-Civic. Les élections
précédentes avaient souvent dégénéré en violences et les résultats n’étaient
pas acceptés par tous les partis. Toutefois, comme dans toute démocratie
parlementaire, des tensions demeurent entre le parti au pouvoir et les partis
d’opposition.
Même si le Guyane est une
république avec un Président élu par la population, plusieurs caractéristiques
de son Assemblée nationale seront bien connues des parlementaires canadiens,
étant donné qu’elle s’inspire du modèle britannique. Mentionnons
les suivantes :
·Le Président peut être élu soit parmi les
députés de l’Assemblée nationale qui ne sont pas ministres ni secrétaires
parlementaires, soit parmi des personnes qui ne sont pas députés, mais qui ont
les qualités voulues pour le devenir;
·Les députés reçoivent une allocation de
logement, mais n’ont ni bureau, ni budget de bureau;
·Il y a des comités permanents et sectoriels, et
des comités spéciaux de session;
·Le Comité des comptes publics ainsi que d’autres
comités sont présidés par un député de l’opposition;
·Certains comités sont présidés par des
ministres;
·Les ministres peuvent être appelés à témoigner
devant des comités;
·Il existe un comité de régie parlementaire
chargé d’organiser les travaux de l’Assemblée nationale;
·Les ministres siègent à l’Assemblée nationale;
·Il y a une période de questions, où il est
désormais possible de poser des questions orales sans préavis. Récemment encore, le préavis était obligatoire;
·La Constitution prévoit qu’un tiers des
candidats de chaque parti aux élections seront des femmes.
Ses rencontres ont permis à
la délégation de constater que les structures nécessaires à la démocratie
parlementaire sont en place au Guyane. Toutefois, elle a entendu des critiques
selon lesquelles le Parlement et le régime politique ne fonctionnent pas encore
comme dans une vraie démocratie. Plusieurs lui ont cité en exemple le fait
qu’on n’avait pas tenu d’élections municipales depuis 1994. À partir des
commentaires entendus pendant ses rencontres, la délégation tient à noter les
points suivants pour permettre de mieux comprendre le régime politique et
parlementaire du Guyane :
·Le Parlement et les parlementaires n’ont pas les
ressources voulues pour bien remplir leur mandat. Par exemple, les députés
n’ont ni bureau, ni budget de bureau, et leur traitement est tel qu’ils
dépendent d’un emploi à l’extérieur du Parlement pour avoir un revenu décent;
·Le système des comités à l’Assemblée nationale
est encore embryonnaire et doit être développé;
·Il faut que le travail du Parlement et des
comités se fasse de manière plus consensuelle, car jusqu’à présent, les comités
ont été dominés par le gouvernement ou trop dépendants de lui. Certains
trouvent que le parti au pouvoir gouverne de manière trop autoritaire;
·Le Guyane n’a pas encore une longue tradition
démocratique et, à bien des égards, c’est encore « une jeune
démocratie », comme l’a dit un parlementaire à la délégation;
·Il n’y a aucune tradition de bénévolat dans le
pays, ni de société civile forte;
·Il faut que les Guyaniens changent leur culture
politique, comme l’a dit un autre parlementaire;
·Les électeurs ne s’identifient pas à un député
en particulier puisque selon le système de représentation proportionnelle, les
députés sont choisis par les partis politiques à partir de leur liste de
candidats. Autrement dit, les électeurs ne savent pas au moment du vote quels
députés ils envoient réellement à l’Assemblée nationale;
·Certains ont aussi critiqué le fait que le
Président, qui est à la tête du gouvernement, ne siège pas au Parlement et,
qu’à l’occasion, il n’ait pas signé des projets de loi adoptés par le
Parlement;
·Pour élaborer leurs politiques, certains partis
ont intégré la participation communautaire dans leurs structures. De plus il
n’est pas obligatoire que les ministres soient membres du parti au pouvoir;
·Bien qu’il existe plusieurs postes de télévision
centrés dans la région côtière, la radio est la forme de communication de masse
la plus étendue au pays. Il n’y a qu’un seul poste de radio, lequel est sous
contrôle du gouvernement et il paraît que celui-ci n’accordera pas d’autres
permis;
·Certains voient d’un mauvais œil l’influence
d’institutions financières comme le Fonds monétaire international sur le
gouvernement. À cet égard, l’opinion a été émise que certaines mesures
législatives auraient été adoptées afin de rehausser l’image du Guyane et
rendre le pays admissible à l’aide internationale plutôt que pour réaliser de
vrais changements.
La société civile
Il
ne fait pas de doute que le régime politique d’un pays est intimement lié aux
conditions sociales et économiques. Toute observation sur le régime politique
du Guyane doit donc se rapporter aux enjeux sociaux et économiques du pays. Sur
le plan sociétal, le Guyane doit encore surmonter un certain nombre d’obstacles
pour unifier sa population. Il existe encore des clivages entre les groupes
ethniques, et bon nombre d’organismes et d’activités sont liés à l’appartenance
ethnique. Même si les deux principaux partis politiques ont réussi à gagner des
appuis dans toutes les communautés ethniques, chacun est encore perçu comme
étant avant tout le représentant de l’une des deux principales ethnies. Cette
situation semble avoir contribué au manque de confiance entre les partis
politiques, qui va au-delà des tensions et des conflits qui existent
normalement dans une démocratie parlementaire.
Dans une démocratie, il est
essentiel que la société civile soit forte. À cet égard, la délégation a appris
que les institutions de la société civile guyanienne doivent être renforcées.
Au cours d’une réunion avec la Commission du secteur privé, qui ressemble
beaucoup à nos chambres de commerce, la délégation a appris que le Guyane fait
encore face à de sérieux problèmes de gouvernance et de sécurité qui nuisent à
son développement. La Commission, qui a joué un rôle très actif et important
dans les élections de 2006, estime que la participation de la société civile
dès le début de la campagne est une des raisons pour lesquelles les élections
se sont déroulées dans le calme. La Commission a indiqué son intention de
continuer de participer pleinement au processus politique. L’aide fournie par
l’Agence canadienne de développement international aux organisations non
gouvernementales est vue comme une contribution positive et utile au
renforcement de la société civile. On a suggéré toutefois que cette aide devrait
comporter des conditions pour garantir l’atteinte des résultats souhaités.
En ce qui concerne la
sécurité, les services de police sont débordés par la criminalité liée au
commerce des stupéfiants et, même lorsqu’on procède à des arrestations, l’appareil
judiciaire est engorgé, ce qui rend les poursuites difficiles.
Dans cet ordre d’idées, nos
homologues guyaniens estiment que les individus renvoyés au Guyane contribuent
souvent à l’activité criminelle dans le pays. La question des Guyaniens qui
demandent le statut de réfugié au Canada a aussi été soulevée. Selon le point
de vue guyanien, le Canada n’a aucune raison d’accorder le statut de réfugié
politique à un Guyanien et lorsqu’il le fait, la réputation du Guyane en
souffre. Par ailleurs, le gouvernement guyanien met en doute la logique du
Canada de renvoyer certaines personnes au Guyane tout en accordant à d’autres
le statut de réfugié lorsqu’il constate que les conditions au pays le
justifient. La délégation a recommandé au gouvernement du Guyane de faire part
de ses préoccupations à la Commission canadienne de l’immigration et du statut
de réfugié afin qu’elle le consulte davantage au moment d’examiner les demandes
de statut de réfugié ou de renvoyer au Guyane des individus ayant un casier
judiciaire.
Le Président s’est dit
contrarié par le portrait parfois négatif et injuste du Guyane que dressent les
médias et les organismes internationaux, à partir d’une information
superficielle. Il a cité en exemple le cas d’armes arrivées illégalement au
Guyane des États-Unis, où le Guyane a été représenté comme un pays laxiste sur
le plan de la répression criminelle alors que les États-Unis n’ont fait l’objet
d’aucune critique, eux qui n’avaient pas réussi à empêcher que ces armes
sortent de leur territoire.
L’économie
Le Guyane a connu de
sérieux problèmes sur le plan économique et en connaît encore. Certains
estiment que 80 p. 100 des diplômés universitaires quittent le
Guyane. Même si les envois d’argent au pays représentent environ
10 p. 100 du PIB, la perte d’un si grand nombre de travailleurs
qualifiés nuit considérablement au développement du pays. Des membres de la
Commission du secteur privé ont mentionné que les gens ne quitteraient pas le
pays si le secteur privé pouvait créer des emplois. Ce commentaire laisse
entendre que le gouvernement s’est concentré sur l’annulation de la dette et
l’obtention d’aide étrangère aux dépens de la création d’emplois. Pour ce qui
est de la réduction de la dette, le Président Jagdeo a souligné qu’à l’entrée
en fonction du gouvernement actuel, on consacrait 94 p. 100 du PIB au
service de la dette, mais qu’aujourd’hui ce chiffre est tombé à
12 p. 100. Pendant cette période, l’argent pour payer la dette des
recettes publiques est passé de 750 à 130 p. 100. En outre,
jusqu’aux années 1990, plus de 80 p. 100 des industries appartenaient
à l’État. Depuis, le gouvernement s’est départi de la plupart de ces
entreprises publiques, mais la croissance économique est demeurée très lente
ces dernières années. Certains estiment que l’économie clandestine représente
de 40 à 60 p.100 de l’activité économique du Guyane en raison
d’un manque de ressources pour faire respecter la loi.
Sorte de
post-scriptum : les parlementaires canadiens souriront sans doute en
apprenant que pendant la visite de la délégation, l’imposition d’une taxe de
16 p. 100 sur la valeur ajoutée faisait l’objet d’un débat public et
médiatique intense. Cela a rappelé aux membres de la délégation le débat et les
émotions provoqués par l’imposition de la TPS au Canada.
Recommandations et conclusion
Après plusieurs jours de
rencontres avec les Guyaniens, la délégation est arrivée à la conclusion que le
Canada peut aider le Guyane à renforcer sa démocratie parlementaire. Elle
propose donc que le Canada prenne les mesures suivantes :
·Informer le Guyane sur les lois canadiennes
adoptées récemment sur la responsabilisation, l’éthique et le financement des
partis;
·Donner de la formation et de l’information sur
les comités parlementaires canadiens;
·Donner suite à la demande d’aide à la formation
du Président de l’Assemblée nationale, en ce qui concerne la production et
l’impression de leur propre Hansard;
·Donner de la formation aux fonctionnaires du
Parlement par le truchement du Programme d’études des hauts fonctionnaires parlementaires;
·Envisager la possibilité d’aider le Guyane par
l’entremise du Service administratif canadien outre-mer.
Au terme de sa visite, la
délégation était impressionnée par la volonté des dirigeants politiques
guyaniens de renforcer et de développer le régime parlementaire démocratique du
pays. Compte tenu des importants défis que le Guyane doit relever, la
délégation est convaincue que l’intérêt et l’aide du Canada sont essentiels
pour que le Guyane atteigne son objectif de devenir une démocratie parlementaire
stable et efficace. Aussi, les membres de la délégation sont d’avis que le
Guyane doit être félicité pour avoir tenu des élections réussies en 2006 et à
réduire la dette nationale ces dernières années. Pour montrer son intérêt et
son appui, le gouvernement canadien devrait envisager d’envoyer un ministre en
visite au Guyane, par exemple pendant la réunion de la CARICOM, qui se tiendra
en juillet 2007, et peut-être aussi lors des championnats mondiaux de cricket
qui auront lieu ce printemps.
Les membres de la
délégation souhaitent remercier sincèrement l’honorable Hari Ramkarran,
Président de l’Assemblée nationale, pour avoir aussi généreusement accueilli la
délégation. Le greffier de l’Assemblée nationale, M. Sherlock Issacs, et
son personnel ont préparé un programme très instructif et utile pour la
délégation. Le Président Jagdeo, le premier ministre Hinds et le chef de
l’opposition, M. Corbin, ont tous donné généreusement de leur temps pour
aider les visiteurs canadiens à mieux comprendre leur pays. Finalement, les
membres de la délégation tiennent à souligner l’excellence du service assuré
par le haut-commissaire, M. Charles Court, et son personnel au
Haut-commissariat du Canada à Georgetown. Grâce à leur travail, la visite de la
délégation au Guyane a été très agréable et les délégués ont pu obtenir très
rapidement une profusion de renseignements sur ce pays.
Respectueusement
soumis,
Russ Hiebert, député et président
de la section canadienne (fédérale)
de l’Association parlementaire du Commonwealth (APC)