Une
délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a effectué un séjour à
Djibouti du 14 au 17 novembre 2011. Composée de vingt membres de neuf pays
membres de l’OTAN, les délégués ont discuté des opérations menées par l’OTAN au
large de la Corne de l’Afrique, visité les installations des unités engagées
dans ces opérations et évoqué divers problèmes qui se posent dans cette partie
du monde sur le triple plan de la sécurité, de la politique et de l’économie.
Le Canada était représenté par la sénatrice
Raynell Andreychuk, vice-présidente du Groupe spécial Méditerranée et
Moyen-Orient (GSM).
Le contre-amiral Gualtiero Mattesi, commandant de la Force
anti-piraterie de l’OTAN, a présenté un exposé sur la mission Opération Ocean
Shield. Lors d’une visite à bord de l’ITS Andrea Doria, navire amiral de la
Force, les parlementaires ont appris que cette opération avait permis de
réduire de manière considérable le nombre d’attaques dans la région, mais
qu’elle ne pourrait suffire à éliminer totalement le problème tant que l’on ne
traiterait pas les racines du mal. Le contre-amiral Thomas Jugel, commandant de
la Force navale Atalanta de l’Union européenne (EUNAVFOR ou Task Force 465), a,
quant à lui, présenté des exposés détaillés sur les opérations anti-piraterie
menées au large de la Corne de l’Afrique et dans l’océan Indien. La Somalie est
un État en déliquescence dont de vastes régions – y compris un littoral d’où
partent pour l’instant bon nombre des attaques – échappent au contrôle des
autorités centrales. De surcroît, la zone dans laquelle évoluent les pirates
est si étendue que plusieurs intervenants ont comparé la tâche des forces
navales à celle que constituerait le quadrillage de l’Europe par une trentaine
de voitures de patrouille. A ce jour, il n’a pas été décidé d’attaquer les
pirates somaliens à terre.
Les questions de sécurité régionale et leur importance pour la sécurité
de l’Alliance elle-même étaient inscrites à l’ordre du jour de discussions avec
de hauts responsables militaires français et américains et des diplomates de
pays membres de l’OTAN, rejoints par l’ambassadeur de l’Union européenne à
Djibouti. Ces discussions ont mis en évidence l’importance du lien entre
développement et sécurité dans cette partie du monde, de même que la nécessité
pour les forces occidentales qui y opèrent de prendre en considération les
problèmes de développement.
La délégation, qui rassemblait des membres de la Sous-commission de la
Commission politique sur les partenariats de l’OTAN et du Groupe spécial Méditerranée
et Moyen-Orient, a également rencontré plusieurs hauts responsables du
gouvernement et du Parlement de Djibouti, dont le ministre des Affaires
étrangères, Mahamoud Ali Youssouf, le chef de l’État-major, le général Fathi
Ahmed Houssein, et le président du Parlement, Idriss Arnaoud Ali.
Figuraient
aussi à l'ordre du jour le rôle de l’Union africaine dans la sécurité régionale
et, singulièrement, en Somalie, ainsi que la coopération bilatérale entre cette
organisation, d’une part, et l’OTAN et l’Union européenne, d’autre part. En
outre, des représentants du Fonds monétaire international (FMI), du
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du Programme
alimentaire mondial (PAM) ont informé les membres de la délégation sur la
situation économique dans la région, les courants d’échanges régionaux et la
famine grave et persistante qui sévit en Afrique de l’Est.
DJIBOUTI
Bien que relativement petite et caractérisée par une faible densité de
population (750 000 habitants environ pour une superficie d’à peine 23 000
km2), la République de Djibouti possède une importance géostratégique cruciale.
Située à proximité de la Corne de l’Afrique et du détroit de Bab el-Mandeb –
qui relie la mer Rouge à la mer d’Arabie, elle est au centre de la campagne
anti-piraterie menée au large de la Corne de l’Afrique. Elle abrite aussi le
quartier général de l’EUNAVFOR ; sa capitale, Djibouti, dont le port sert de
base à un contingent japonais, accueille la base d’opérations avancée de l’US
Africa Command (AFRICOM).
Elle revêt une importance stratégique vitale dans une région instable.
Des représentants du pays hôte et de pays membres de l’OTAN ont souvent décrit
le pays comme un sanctuaire dans un environnement très instable mais du plus
haut intérêt, stratégiquement parlant. Sur le plan économique, il s’en tire
mieux que la plupart de ses voisins immédiats, même si, avec un produit
intérieur brut annuel par habitant de 1 139 dollars en moyenne, selon le
représentant du HCR, il reste un pays pauvre à tous les points de vue. Le taux
de chômage y atteint quelque 60 %. Des normes éducatives inadéquates et une
formation professionnelle médiocre, tout comme la rareté des ressources
hydriques, entravent gravement le développement économique. De plus, les
habitants sont de tradition nomade et manquent des connaissances agricoles
élémentaires. Certes, Djibouti possède un potentiel de production d’énergie
renouvelable, potentiel dont l’exploitation requiert toutefois des
investissements substantiels. Sa situation géographique demeurera
vraisemblablement son principal atout économique, raison pour laquelle la
région en est venue à dépendre de ce pays. Par exemple, le port de Djibouti
traite approximativement 90 % des importations et exportations éthiopiennes par
voie maritime, ce qui est d’une importance critique pour l’Éthiopie, dont
l’économie connaît une croissance rapide.
Le président de la République de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, est le
principal acteur de la scène politique nationale et le Parlement est
entièrement contrôlé par des parlementaires acquis à sa cause. Le pays a opté
pour le multipartisme en 1992 mais, de fait, il est dominé par une seule
formation. Un observateur indépendant a décrit l’opposition – laquelle ne siège
pas au Parlement pour l’instant – comme faible et divisée, et les membres de la
délégation ont appris que le parti au pouvoir avait coopté des personnalités de
cette opposition en les amenant au parti en question. Clans et factions
continuent à tenir sous leur coupe la vie politique et économique, ce qui
entrave la construction d’une démocratie plus moderne sur un modèle semblable à
celui des démocraties occidentales. Le gouvernement a lancé quelques réformes
économiques dont la concrétisation s’est cependant révélée problématique. En
dépit de la multitude de problèmes sociaux et économiques auxquels elle est
confrontée – dont l’afflux de réfugiés, des troubles d’ordre politique et la
sécheresse –, la République de Djibouti restera sans doute relativement stable
à court terme.
Si aucune menace immédiate ne pèse sur lui, le pays se trouve, sur le
plan de la sécurité, dans une situation manifestement liée à l’instabilité de
son voisinage. Les problèmes que connaissent dans ce domaine le pays et la
région découlent d’une nuée de conflits, tels ceux qui opposent l’Éthiopie à
l’Érythrée ou à la Somalie, et de nombreuses dissensions intérieures, comme
celles dont le Soudan et le Yémen sont le théâtre. L’immigration clandestine,
le trafic d’armes et de stupéfiants et l’afflux de réfugiés sont tout à la fois
la cause et la conséquence de la détérioration de la sécurité. L’instabilité
est présente dans beaucoup de zones frontalières. Les conflits internes à un
pays peuvent aisément franchir les frontières, selon le colonel Abdourahman A.
Cher, qui commande les forces navales djiboutiennes. La pauvreté,
l’immigration, la sécheresse persistante et la hausse des prix des denrées
alimentaires aggravent davantage l’insécurité en Afrique du Nord-Est. Située au
carrefour de l’Afrique, de l’Asie, du Proche-Orient et de l’Europe, la
République de Djibouti est devenue un point de passage important des flux de
migration en direction du Proche-Orient. Elle héberge actuellement sur son
territoire quelque 19 000 réfugiés, dont 90 % viennent de Somalie, selon le
représentant du HCR dans le pays.
Plusieurs interlocuteurs de la délégation ont estimé que le véritable
chaos qui régnait en Somalie était le problème de sécurité numéro un dans la
région. L’absence d’autorités centrales a permis aux organisations criminelles
et terroristes d’opérer librement dans certaines parties de ce pays. La
piraterie maritime et le terrorisme ont transformé la région en une poudrière.
Il s’ensuit que Djibouti consacre environ 10 % de son PIB à la défense ; par
ailleurs, les Forces armées djiboutiennes (FAD) reçoivent de pays occidentaux
une assistance considérable, notamment en matière de formation, assistance qui
aide le pays à contribuer à la stabilité régionale. La délégation a été
informée que les autorités djiboutiennes devaient déployer à Mogadiscio, dans
le courant du mois de novembre, un bataillon qui opérerait au sein de la
Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM).
Les FAD ont été créées en 1977 et comptent actuellement 6 000 hommes en
uniforme. L’armée de terre en est la principale composante. Par comparaison,
l’armée de l’air et la marine côtière sont d’une taille relativement réduite et
doivent développer leurs capacités. Des observateurs indépendants ont noté que
les FAD pouvaient désormais mener efficacement des missions de surveillance
maritime et recueillir ainsi d’importantes données du renseignement. Le colonel
Cher a fait remarquer que Djibouti participait activement à la lutte contre le
terrorisme depuis 2001 et contribuait aussi à la lutte contre la piraterie.
Mahamoud Ali Youssouf et le colonel Cher ont indiqué que Djibouti
entretenait avec l’Éthiopie de très bonnes relations et de solides liens
économiques. En revanche, les rapports avec l’Érythrée restent tendus et ce
pays passe pour un acteur au comportement très problématique dans la région.
La République de Djibouti coopère étroitement avec l’Union africaine et
affecte un contingent à la Brigade d’intervention rapide d’Afrique orientale
(EasBrig). Le pays prend une part active à la lutte contre le terrorisme
international depuis 2001 et apporte à cet égard une importante contribution,
de même qu’il fournit un précieux soutien aux efforts déployés par la
communauté internationale pour venir à bout de la piraterie. M. Youssouf a
souligné qu’une étroite coopération avec l’OTAN servait les intérêts
fondamentaux de son pays. Les forces armées françaises et américaines jouent
des rôles distincts à Djibouti, mais les unes comme les autres sont des
partenaires de premier plan. Les dirigeants djiboutiens reconnaissent que la présence
de troupes alliées sur leur territoire apporte un peu de stabilité et de
sécurité à une région qui en a bien besoin. M. Youssouf a également indiqué que
les autorités de Djibouti partageaient avec l’OTAN les valeurs que sont la
paix, la sécurité et la démocratie.
PIRATERIE MARITIME
Des exposés sur le problème de la piraterie et sur les efforts déployés
par l’OTAN et l’Union européenne pour l’éliminer ont constitué le temps fort de
la visite. Chaque année, une vingtaine de milliers de navires empruntent le
goulet d’étranglement naturel qui marque l’entrée du golfe d’Aden ; cette voie
de navigation, l’une des plus fréquentées au monde, relie les producteurs de
produits d’énergie du golfe Persique aux consommateurs d’énergie de la planète.
Les membres de la délégation ont discuté de la piraterie avec des responsables
gouvernementaux du pays hôte, ainsi que des officiers supérieurs et de hauts
diplomates alliés. Ils sont montés à bord du destroyer italien Andrea Doria,
qui faisait office de vaisseau amiral de la Task Force 508 de l’OTAN au moment
de la visite. Le contre-amiral Mattesi et des officiers supérieurs du bâtiment
ont présenté à leurs invités un exposé complet sur l’opération Ocean Shield,
dans le contexte de laquelle l’OTAN lutte contre les pirates au large de la
Corne de l’Afrique.
La piraterie est devenue une activité lucrative, selon le ministre des
Affaires étrangères de Djibouti. Pour la seule année 2010, le montant de
rançons versées aux pirates a été estimé à 150 millions de dollars, selon le
contre-amiral Mattesi. Si l’on ajoute à cela la hausse des primes d’assurance,
les équipements de sécurité, le déroutement des navires, le déploiement des
forces navales, les poursuites en justice, les organisations anti-piraterie et
les pertes subies par les économies régionales, le coût estimatif de la
piraterie se situe entre 7 et 12 milliards de dollars par an. Depuis 2005, les
pirates ont considérablement étendu leur zone d’opération grâce, en grande
partie, à des "bateaux-mères". Les pirates évoluent désormais à
l’intérieur d’une zone s’étendant approximativement sur 2 800 miles marins du
nord au sud et jusqu’à 1 450 miles marins à l’intérieur de l’océan Indien.
Les opérations anti-piraterie menées au large de la Corne de l’Afrique
sont principalement confiées à trois forces d’intervention : la Task Force 508
de l’OTAN (chargée de l’opération Ocean Shield), qui se compose actuellement de
cinq bâtiments de quatre pays alliés – Italie, États-Unis, Danemark et
Royaume-Uni –, appuyés par des aéronefs de surveillance aérienne norvégiens, la
Task Force 465 de l’Union européenne (chargée de l’opération Atalanta), qui se
compose actuellement de six bâtiments de quatre autres pays alliés – Allemagne,
Espagne, Pays-Bas et France –, et la Combined Maritime Force, ou Task Force
151, composée de huit navires de six pays différents (États-Unis, Royaume-Uni,
Thaïlande, Turquie, Corée du Sud et Singapour). En outre, plusieurs pays
agissant isolément (Japon, Chine, Russie et Inde) ont dépêché dans la région des
navires chargés de missions de lutte anti-piraterie.
L’opération Ocean Shield, montée par les Alliés pour
endiguer la piraterie dans le Golfe d’Aden et le bassin de Somalie, vise quatre
objectifs :
- dissuasion et mise en échec des actes de piraterie en mer
;
- coordination des activités internationales de lutte contre la piraterie ;
- amélioration des moyens de la communauté maritime, de manière que celle-ci
puisse mener des opérations efficaces de lutte contre la piraterie ;
- constitution d’une capacité anti-piraterie régionale.
Sur le plan opérationnel, les forces de l’OTAN protègent les navires
empruntant le Couloir de transit recommandé internationalement (IRTC). La Task
Force 508 escorte les navires du PAM et de l’AMISOM. De plus, des bâtiments de
l’OTAN effectuent des patrouilles de surveillance le long de la côte somalienne
et interceptent les embarcations suspectes qui en proviennent. Par ailleurs,
les forces alliées encouragent les navires croisant dans les parages à prendre
diverses mesures pour se protéger contre les attaques des pirates. Des contacts
périodiques entre les commandants de l’EUNAVFOR et les autres forces
d’intervention anti-piraterie garantissent la coordination de l’ensemble des
activités.
Nonobstant cette coordination, il faut savoir que les missions de lutte
anti-piraterie de l’Union européenne et de l’OTAN diffèrent entre elles, ainsi
que le contre-amiral Jugel, qui commande la Task Force 465, l’a précisé.
L’opération Atalanta, qui est la première opération maritime de l’Union
européenne, est menée dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et
de défense (PESD). Mise sur pied pour permettre l’application des résolutions
1814, 1816, 1838 et 1846 adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU en 2008,
l’EUNAVFOR a pour mission de protéger les navires marchands acheminant l’aide
alimentaire du PAM et d’escorter les navires de l’AMISOM. Elle protège
également les navires vulnérables croisant dans le golfe d’Aden et l’océan
Indien et dissuade et met en échec les actes de piraterie tout en assurant la
surveillance des activités de pêche au large des côtes de Somalie.
Initialement, l’opération devait durer douze mois, mais elle a été
prolongée jusqu’en septembre 2012 par le Conseil de l’Union européenne. Pour
l’instant, huit États membres de l’Union y participent : l’Italie, les
Pays-Bas, l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg et la
Grèce. Elle met en œuvre six navires, huit hélicoptères et six appareils de
patrouille maritime. Les militaires qui en font partie peuvent appréhender,
détenir et transférer des personnes suspectes ou coupables d’actes de piraterie
ou de vols à main armée dans la zone de la mission et saisir les embarcations
pirates capturées lors des opérations, ainsi que les marchandises entreposées à
leur bord. Les États membres de l’Union sont en mesure de poursuivre en justice
les personnes accusées d’actes de piraterie ; il en va de même pour le Kenya,
qui a conclu avec l’Union, le 6 mars 2009, un accord l’autorisant à entamer des
poursuites judiciaires contre les pirates.
Cette vaste campagne de lutte anti-piraterie a contribué à réduire
l’activité des pirates dans la région. Entre le 31 mai et le 30 novembre 2011,
le nombre de navires attaqués est passé de 21 à 9, et celui des otages, de 485
à 240. Le contre-amiral Jugel a fait observer que, depuis le début de
l’opération Atalanta, pas un seul bâtiment du PAM n’avait fait l’objet d’un
acte de piraterie, ce qui a permis la livraison de 130 000 tonnes de
fournitures à la Somalie. La coopération entre les forces d’intervention de
l’OTAN et de l’Union, de même qu’avec les deux autres forces anti-piraterie
présentes dans la région, s’est déroulée sous le signe d’une certaine
efficacité.
Il n’empêche que de graves problèmes se posent encore. Les actes de
piraterie sont commis à l’intérieur d’une vaste zone qui ne peut être
entièrement surveillée. Tous comptes faits, les opérations de lutte contre la
piraterie de l’OTAN, de l’Union européenne et de la communauté internationale
rassemblent au maximum trente navires qui ont pour tâche de quadriller une zone
de la taille de l’Europe. Le contre-amiral Jugel a lancé une mise en garde :
l’opération Atalanta ne peut compter que sur des forces très réduites et
pourrait "perdre sa masse critique" bientôt si les États membres de
l’Union ne maintenaient pas le niveau actuel desdites forces en 2012. Le
contre-amiral a indiqué qu’il était urgent d’affecter à l’opération des
navires, des hélicoptères et des avions supplémentaires.
Plusieurs interlocuteurs de la délégation ont estimé que les moyens et
les politiques mis en œuvre pouvaient réduire la piraterie au large de la Corne
de l’Afrique, sans toutefois l’éradiquer complètement. Ce phénomène est lié aux
problèmes qui se posent sur la terre ferme. Des responsables ont fait remarquer
que les forces alliées présentes dans la région pourraient avoir la capacité
d'intervenir au sol mais qu’elles n’y étaient pas autorisées pour le moment,
dès lors que les États membres n’avaient pas convenu de règles d’engagement
plus énergiques.
En
s’attelant au problème en mer, la communauté internationale s’en prend aux
symptômes plutôt qu’aux racines du mal. De surcroît, l’action armée ne suffira
pas à en venir à bout : une tactique combinant des mesures militaires et
civiles devra s’imposer, et la Somalie devra accomplir de grands progrès
politiques et économiques avant que l’on puisse aller plus avant dans la
résolution du problème. De plus, les poursuites engagées contre les pirates
devront être plus efficaces.
SOMALIE
Les membres de la délégation ont également discuté de la situation en
Somalie. La milice al-Shabaab menace ce pays, certes, mais aussi ses voisins,
dont Djibouti. Selon le représentant du HCR, 350 000 Somaliens ont quitté leur
pays pour la seule année 2011, poussés à l’exil par les combats incessants
entre le gouvernement fédéral de transition (GFT) et les insurgés dans le sud
et dans le centre, d’une part, et par une récente sécheresse, d’autre part. Le
ministre des Affaires étrangères a demandé à la communauté internationale de
continuer à exercer des pressions sur al-Shabaab, de manière à empêcher
celle-ci d’étendre ses opérations sur le territoire djiboutien. Il a mis en
garde contre la dangereuse idéologie professée par les insurgés, ajoutant que «
la milice envisage[ait] aussi de semer la destruction et la dévastation dans le
monde entier ». Les interlocuteurs de la délégation qui ont évoqué la récente
intervention militaire du Kenya dans le sud somalien se sont montrés sceptiques
quant à la possibilité d’endiguer ainsi al-Shabaab. De leur point de vue,
l’AMISOM est mieux placée pour affronter la milice, encore que certains se
soient demandé si la Mission ne ferait pas mieux d’adopter des règles
d’engagement plus énergiques.
La Somalie est une source de grave préoccupation pour l’ensemble de
l’Afrique de l’Est et se trouve dans une situation extrêmement complexe.
L’instabilité n’y règne pas partout ; ainsi, le Somaliland est très stable et
semble être promis à un avenir radieux. Le Pount prend la même direction, mais
il continue à servir de plaque tournante à des opérations criminelles qui
retarde son développement. La Somalie méridionale, pour sa part, stagne dans un
univers hobbesien caractérisé par la violence, la famine et l’anarchie. Cet
état de choses a des implications régionales plus vastes et présente un rapport
manifeste avec les problèmes de piraterie et de terrorisme. Les vieilles
structures claniques de la Somalie méridionale ont été démantelées et, dans
cette région, on ne trouve tout bonnement plus aucun signe d’une société civile
qui s’affirme. En fait, le problème n’est pas la piraterie mais l’absence d’un
gouvernement légitime et efficace. La piraterie n’est que le symptôme d’un
problème bien plus vaste. La question de l’insécurité est encore aggravée par
la taille même du littoral somalien et de son arrière-pays.
M. Youssouf a souligné la nécessité de stabiliser la Somalie autant que
possible. A cet égard, il a fait observer que le GFT avait besoin du soutien de
la communauté internationale. Il a reconnu que le GFT suscitait des réactions
sceptiques. Il a cependant rappelé à la délégation que la communauté
internationale n’avait pas d’autre partenaire officiel sur le terrain. L’OTAN
et ses pays membres devraient continuer à aider l’Union africaine et les forces
de l’AMISOM qui se trouvent là-bas. L’OTAN pourrait apporter son concours dans
la construction de capacités et fournir des troupes prêtes à intervenir, a-t-il
ajouté.
Les voisins de la Somalie travaillent ensemble à la stabilisation du
pays. Djibouti a accueilli plusieurs conférences de l’ONU sur ce thème en 2008
et 2009 et a dispensé une formation militaire aux troupes du GFT. En outre, les
sept membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) –
dont le secrétariat sis à Djibouti – sont déterminés à œuvrer à l’aboutissement
de tendances positives en Somalie. L’IGAD a pour mandat d’instaurer la
coopération régionale et l’intégration économique ; elle cherche, par ailleurs,
à venir en aide au GFT.
L’Union européenne et ses États membres apportent leur aide à l’AMISOM
sur le triple plan des finances, de la planification et de la construction de
capacités, de manière à accroître, notamment, l’efficacité de la police
somalienne et à combattre les violations des droits humains. Le Document de
stratégie commun pour la Somalie (2008-2013) prévoit un budget de 215,8
millions d’euros au titre du 10e Fonds européen de développement (FED). Il
couvre trois grands secteurs de coopération : gouvernance, éducation et
développement rural. L’amélioration de la sécurité des voies maritimes figurait
également dans le programme indicatif de la Commission européenne pour la
période 2009-2011.
La délégation a discuté d’autres questions régionales, dont la situation
dangereuse que connaît le Yémen, ou encore, la sécurité alimentaire en Afrique
de l’Est. Le Yémen est un pays lourdement armé, ses institutions sont très
faibles et il se trouve au bord de la guerre civile. Le risque que représente
un Yémen en proie au chaos ne s’arrête pas à la région du Golfe.
LE RÔLE DES PAYS ALLIÉS À DJIBOUTI
La délégation a eu l’occasion de rencontrer de hauts responsables
militaires français et américains et de parler avec eux du rôle et des
activités de leurs pays respectifs dans cette partie du monde. De l’avis de M.
Youssouf, la présence de troupes françaises et américaines à Djibouti et dans
la région est un facteur de stabilisation pour son pays.
La mise en place d’un commandement américain en Afrique reflète tout à
la fois la reconnaissance par Washington de l’importance stratégique du
continent et des problèmes stratégiques auquel ce dernier est confronté. La
situation en Afrique de l’Est est particulièrement préoccupante. Les forces
américaines concentrent le gros de leurs troupes et de leurs matériels à
Djibouti, ce qui ne les empêche pas d’être présentes dans plusieurs autres pays
: Tanzanie, Tchad, Rwanda, île Maurice et Mozambique. Djibouti n’en est pas
moins la seule véritable "tête de pont" des États-Unis en Afrique, un
état de fait qui n’est guère susceptible de se modifier.
La délégation a appris que la mission des forces
américaines en Afrique était essentiellement "douce", c’est-à-dire
axée avant tout sur l’ouverture, la mise en valeur de la bonne gouvernance et
la construction de capacités militaro-civiles. Ces forces mènent toutefois
certaines opérations à partir de leur base djiboutienne. Si les missions
maritimes de lutte anti-piraterie relèvent de la responsabilité du US Central
Command (CENTCOM), le US Africa Command (AFRICOM) serait chargé de superviser
toutes les opérations terrestres si de telles opérations venaient à être
autorisées par une décision politique. Cette présence existe depuis les
attentats du 11 septembre 2001 ; elle a été motivée, initialement, par la
crainte de voir des organisations terroristes opérer en Afrique. La
construction de capacités de sécurité demeure un objectif de premier plan et
les militaires américains ont opté pour une stratégie globale qui met l’accent
sur la bonne gouvernance. Pour cette raison, l’AFRICOM coopère très étroitement
avec le département d’État et l’Agence des États-Unis pour le développement
international (USAID), de manière à atteindre divers objectifs sur le triple
plan de la diplomatie, du développement et de la défense. Cette démarche
d’ouverture comporte des contacts entre militaires, mais aussi des mesures
visant à améliorer les relations entre militaires et civils dans la région. Les
forces américaines s’acquittent par ailleurs de missions de formation en
Afrique.
La mission de l’AFRICOM concerne, entre autres, l’intégration à une
coalition, la formation au soutien de la paix à l’échelle internationale et une
série de projets de moindre envergure susceptibles d’avoir des retombées
positives sur le plan militaire ou sur celui de la sécurité. Ainsi, les forces
armées des États-Unis apportent leur aide au nouveau gouvernement de la
République du Soudan du Sud, confronté à de sérieux problèmes de développement,
de capacité et de gouvernance. Le soutien des États-Unis à ce pays s’est
récemment concentré sur la mise au point d’une logistique et de mécanismes de
traitement des soldes destinées à ses forces armées. L’aide des États-Unis à la
région englobe également la mise en chantier de projets d’infrastructure qui
peuvent donner de bons résultats dans le domaine de la sécurité et du
développement. L’AFRICOM considère l’assistance fournie à travers, avant tout,
le prisme de la sécurité, mais elle veut avoir la certitude que cette
assistance fera progresser la productivité, plutôt que de donner naissance à
une culture de la dépendance.
La famine qui sévit en Afrique de l’Est pose, elle aussi, de graves
problèmes pour la sécurité régionale. Pour la seule Éthiopie, les États-Unis
dépensent environ un milliard de dollars par an pour lutter contre ce fléau et
en dépensent presque autant à cette fin dans d’autres régions. La famine en soi
est devenue une caractéristique récurrente de la vie dans cette partie de
l’Afrique, qui est devenue beaucoup plus sèche, ces dernières décennies. OXFAM
estime que la région a connu quarante-deux périodes de famine depuis 1962. Cela
n’est pas entièrement inéluctable, a appris la délégation : par exemple,
l’Éthiopie pourrait devenir un grand producteur agricole, mais elle manque du
savoir-faire et de la mentalité requis pour exploiter son potentiel, encore que
les choses comment à changer.
Les forces armées des États-Unis collaborent très étroitement avec les
alliés présents dans la région et leurs relations avec les forces françaises
sont particulièrement resserrées. Les unes et les autres mènent des opérations
de formation conjointes et coopèrent dans divers domaines (défense, sécurité et
renseignement). Cela dit, leurs missions sont différentes. Ainsi, la France a
conclu avec Djibouti un traité de sécurité mutuelle qui relève strictement des
relations entre les deux pays.
Djibouti accueille la plus grande base militaire française en Afrique (2
000 hommes). La présence des FFDj (Forces françaises à Djibouti) se fonde sur
les dispositions de l’accord de sécurité formel de 1977, qui garantit
l’intégrité territoriale de Djibouti contre les incursions étrangères. D’une
manière plus générale, les FFDj collaborent avec les FAD et le gouvernement
djiboutien dans toute une série de secteurs, dont le secteur militaro-civil et
le sauvetage en mer. Indépendamment de leur coopération opérationnelle avec les
FAD, les FFDj mènent des activités de coopération militaire bilatérale avec
plusieurs pays de la Corne de l’Afrique, ainsi que des activités de coopération
militaire multilatérale avec la Force en attente de l’Afrique de l’Est (FEAA).
La FEAA, fait partie de la Force africaine en attente (FAA), qui dépend de
l’Union africaine. Elle se compose de contingents multidisciplinaires (civils, policiers,
militaires) constitués dans les différents pays de l’Union africaine et prêts à
se déployer rapidement, le moment venu. Les FFDj ont une bonne connaissance des
problèmes régionaux et coopèrent étroitement avec les autorités djiboutiennes.
Qui plus est, les FFDj fournissent un appui logistique aux détachements
allemand et espagnol qui participent à l’opération Atalanta. Djibouti est l’une
des principales bases d’opérations avancées de l’EUNAVFOR et dispose
d’importantes installations navales et aériennes. Depuis 2010, les FFDJ
s’entraînent avec la Mission européenne de formation des soldats somaliens
(EUTM Somalia) et avec les forces du GFT somalien.
Les membres de la délégation ont pu s’entretenir avec des
parlementaires djiboutiens. Les discussions qu’ils ont eues avec Idriss Arnaoud
Ali et des membres de la commission de la défense du Parlement ont
essentiellement porté sur la sécurité régionale et, particulièrement, sur la
piraterie et la situation en Somalie. Le programme s’est conclu par des entretiens
avec des représentants du FMI et du HCR, entretiens consacrés à l'économie et
au développement régionaux et à la sécurité alimentaire. A cette occasion, les
participants ont souligné les très graves problèmes de développement que
connaissait la région et ont discuté du rôle de chaque institution dans les
efforts déployés pour résoudre ces problèmes. L'insécurité qui règne dans cette
partie du monde est l'un des obstacles fondamentaux au développement économique
et est l'une des causes des famines.
Respectueusement
soumis,
L’honorable
sénateur Joseph A. Day
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)